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Le livre blanc et la Montjoie

"Correspondances secrètes, formes invisibles, rapports souterrains : la carte devait révéler tout un monde obscurément pressenti, le projeter sur l'espace terrestre et l'ouvrir à la déambulation. Mais rien n'est apparu : sur les innombrables écrans qui couvrent les murs de mon réduit, il n'y a qu'un interminable défilé de listes de noms, de lieux, de latitudes, d'identités, de signes particuliers, de montants, de dimensions, d'horaires, de cotations et de messages, tout cela à la suite, sans ordre ni signification, comme un long et sinueux ruban de déchets continuellement déposés par les vagues."

Philippe Vasset, Carte muette, Fayard,  2004, p. 9

Premières lignes d'un roman atypique que je découvris lors de sa sortie en 2004. Personne ne me l'avait recommandé et d'ailleurs personne ne m'en a parlé depuis. Le détail s'est estompé bien sûr, mais il me reste de Carte muette le souvenir d'une fantastique divagation sur les réseaux, une intrigue obscure sur les territoires de l'internet, une obsession des cartes, ce en quoi je ne pouvais que me reconnaitre et être happé par le dispositif  de voix plurielles mis en place par l'auteur.
Il n'était pas question de géographie sacrée ; le roman était résolument inscrit dans notre modernité, voire même dans une anticipation sensible de celle-ci, mais ce qui est au coeur de la recherche en géographie sacrée s'y laissait appréhender : la prise de repères par l'homme dans son milieu, le tissage par ses soins d'une toile où chaque élément vient résonner avec les autres.

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C'est donc sans hésitation aucune que j'ai emprunté la semaine dernière à la médiathèque le dernier livre de Philippe Vasset, Un livre blanc, paru en 2007. Le thème de la carte est là encore central - le sous-titre aussi en témoigne : Récit avec cartes -  puisqu'il est à l'origine même du projet qui a donné naissance à l'ouvrage. L'auteur fait simplement remarquer que les cartographes laissent parfois certaines zones vierges : "Qu'y a-t-il dans ces lieux théoriquement vides ? Quels phénomènes ont été jugés trop complexes pour être représentés sur une carte ? Pourquoi ces occultations suspectes ? Autant de questions nécessitant un examen approfondi. Pendant un an, j’ai donc entrepris d’explorer la cinquantaine de zones blanches figurant sur la carte n°2314 OT de l’Institut géographique national, qui couvre Paris et sa banlieue. Au cours de cette quête, j’espérais, comme les héros de mes livres d’enfant, mettre au jour le double fond qui manquait à mon monde. (p. 10)
Parti en quête de ces espaces vacants, Vasset va le plus souvent rencontrer la misère et la violence. Mais je ne veux pas ici chroniquer en détail cette exploration (d'autres l'ont fait avec pertinence). 
Je veux seulement dire ma surprise d'avoir découvert à la page 75 une carte comportant  la Plaine Saint-Denis et la Montjoie :

Cette même Montjoie, je l'avais, on s'en souvient, évoqué lors de mon exploration des Diou,
qui m'avait conduit à mettre en évidence une dualité des Denis.

Avec Vasset, nous sommes apparemment bien loin du vieux site celtique qu'Anne Lombard-Jourdan propose d'identifier comme le sanctuaire le plus vénéré de la Gaule :
"Un site en particulier a excité mon imagination : en arpentant, sur la Plaine Saint-Denis, un vaste rectangle que la carte présente comme vierge, mais qui a été comblé  par le centre de bureaux Plaine Espace et le siège social de Poelger CEIM (éclairage, génie climatique, distribution et transport d'énergie, appareillage domestique et industriel, sécurité des communications, outillage et mesure, câblage), je suis tombé, au croisement des rues Saint-Gobain et Fillette, sur un rassemblement de voitures de toutes marques et de toutes nationalités sur lesquelles s'affairaient des mécaniciens en bleu de travail."

Un site web poursuit et prolonge l'aventure du livre : il s'ouvre sur une carte où apparaissent certaines des zones blanches arpentées par l'auteur. Celle de la plaine Saint-Denis y figure, avec en regard des photographies et un texte où la Montjoie est  nommément citée (comme zone industrielle...) :

L'image du chantier archéologique qui surgit là me laisse rêveur : cette coïncidence entre le récit de Philippe Vasset et ma propre investigation ne suggère-t-elle pas d'autres modes de passage entre l'hier et l'aujourd'hui ?
Le sacré ne se dissimulerait-il pas in fine dans ces zones blanches, dans ces territoires abandonnés aux déchets ? Nous dont le regard se porte plus volontiers sur les vestiges avérés du passé, sur les constructions encore imposantes des siècles révolus, cathédrales, forteresses, abbayes, collines inspirées, ne devons-nous pas également nous porter vers ces lieux déshérités que l'urbain le plus brutal semble avoir cruellement scarifiés ?  Souvenons-nous que le sacré a à voir avec la souillure, qu'Apollon tuant le Python delphique est contraint de se retirer dans le val de Tempé pour se laver de ce meurtre. Nous retrouvons là une thématique abordée dès l'aube de cette recherche, où la ville de Poitiers, située sur l'axe équinoxial de Neuvy Saint-Sépulchre, se présentait  en sa devise comme "Sainte, sale et savante".

 

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28 mars 2008 | Lien permanent | Commentaires (2)

Vers Poitiers, avec Henry de Monfreid

Lo departirs m'es aitan gries Del senhoratge de Peitieus * Guillaume Le Troubadour Prenons du champ. Quittons notre espace berrichon en mettant le cap à l'ouest. Suivons ce parallèle ombilical qui nous a déjà donné la chapelle de Verneuil et Argenton. Dans son sillage, nous épinglerons Ingrandes, qui précisément sépare le Berry du Poitou, l'ancienne civitas des Bituriges de celle des Pictones. Ce petit village bâti sur les bords de l'Anglin a été identifié comme l'antique Fines de la Table de Peutinger. Son nom actuel renferme le celtique randa, frontière.medium_regione_poitiers.jpg Ici s'installa en 1948 l'écrivain Henry de Monfreid. Dans sa maison des bords d'Anglin, non loin d'un petit musée à lui consacré, il écrivit nombre de ses ouvrages, allant jusqu'à déclarer dans son autobiographie "Le feu de Saint-Elme" que"Ce qu'on pourrait appeler mon oeuvre littéraire n'est autre que le récit de ma vie, écrit au jour le jour dans un présent absolu où les phases de mon existence se succèdent dans une apparente indépendance, comme autour d'un centre instantané de rotation". * Il m'est si pénible de quitter la seigneurie de Poitiers (cité dans l'anthologie Via Poitiers, une ville, des écrivains, des voyageurs, Atlantique/Le Torii, 1998)

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05 avril 2005 | Lien permanent

Mélusine, Aliénor et Epona

"Jusqu'au nombril, elle avait l'apparence d'une femme et elle peignait ses cheveux ; à partir du nombril, elle avait une énorme queue de serpent, grosse comme une caque à harengs." Jean d'Arras C'est le duc Jean de Berry, à qui vient d'être rendu en 1369 le comté de Poitiers, qui demande avec sa soeur Marie à Jean d'Arras, libraire et relieur, de rédiger l'histoire de la famille des Lusignan et de leur château, construit selon la légende par la fée Mélusine. Disposant de la vaste bibliothèque du duc où abondent chroniques, récits de voyages (parmi lesquels Le Livre des Merveilles de Marco Polo), compilations de légendes et autres livres d'astrologie, de magie et de divination, Jean rend sa copie en 1392 (on est loin de la frénésie éditoriale actuelle). Ce Roman de Mélusine est le parfait exemple de la fusion entre courtoisie, thèmes chevaleresques et mythes celtiques dont Régine Pernoud voyait l'origine à la cour d'Aliénor d'Aquitaine. C'est à celle-ci, "reine de France, puis d'Angleterre, et surtout reine des Troubadours, que Poitiers, assure Guy-René Doumayrou, doit d'avoir été foyer de poésie et centre de la vie courtoise et chevaleresque dans la seconde moitié du XIIe siècle." Claude Lecouteux dans Mélusine et le Chevalier au Cygne (Payot, 1982) a ainsi clairement montré que la fée-sirène était la figure d'une déesse celtique. Une déesse-jument venant s'unir avec des humains et apporter la prospérité et dont la forme gauloise est Epona.

Il ne fait dans son ouvrage aucune relation avec le matériel archéologique découvert à Poitiers concernant Epona. Et pour cause puisque c'est seulement en 1983 qu'a été découvert une statuette de la déesse lors d'un sondage sur l'un des plus importants carrefours du centre urbain. Par ailleurs, la monnaie la plus courante chez les Pictons associe la main ouverte au cheval à tête humaine.
(A suivre)

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14 avril 2005 | Lien permanent | Commentaires (2)

L'autre Léger

Je l'ai découvert par  hasard au cours de mes dernières recherches internautiques, sur le très riche site de Jacques Duguet,  Etudes et documents historiques sur la région Poitou-Charentes. Dans le fatras de résultats de googlage  sans intérêt, d'offres de location et de ramifications généalogiques interminables, émerge parfois une page qui ouvre soudain d'autres perspectives. C'est le cas ici. Je résume la biographie qui est donnée de ce Léger qui, bien que religieux, n'a pas été canonisé. D'origine inconnue, il apparaît comme archidiacre de Thouars le 10 février 1096, dans un acte par lequel Pierre II, l'évêque de Poitiers, rétablit la discipline ecclésiastique dans l'abbaye d'Airvault. Immédiatement, cette date nous interpelle : c'est cette année-là que le pape Urbain II avait donné à Robert d'Arbrissel mandat d'être un " semeur du verbe divin ". Nous avons vu naguère le rôle important du prédicateur breton dans l'édification de la géographie sacrée.

Revenons sur cette fonction d'archidiacre de Thouars (ville près de laquelle nous avons décelé un alignement de saint-Léger). En 1096, le diocèse de Poitiers comptait trois archidiaconés : outre Thouars, il y avait Poitiers et Brioux. Archidiacre, saint Léger l'avait été, je le rappelle,  avant de rejoindre l'abbaye de Saint Maixent. De Saint-Maixent, il est d'ailleurs question le 15 janvier 1099 : Léger souscrit alors pour son évêque qui donne à l'abbaye les églises de Nanteuil, d'Augé et de Romans. La même année, il assiste au concile de Rome cette fois en qualité d'archevêque de Bourges. « Il ne rompt pas toutefois avec Poitiers et, dans les premières années de sa nouvelle charge, on le voit intervenir dans les affaires de son ancien diocèse. Avant le 23 mai 1100, il souscrit en compagnie des archidiacres Hervé, de Brioux, et Pierre Gautier, de Poitiers, et en l'absence de celui de Thouars, une confirmation des acquisitions de l'abbaye de Saint-Cyprien, faite par Pierre II à la demande de l'abbé Rainaud. En 1104 ou 1105, un plaid réunit autour du duc et de l'évêque une nombreuse assistance de dignitaires ecclésiastiques, pour terminer un conflit entre l'abbaye de Saint-Maixent et Hugues de Lusignan; c'est encore Léger qui représente le pays thouarsais; il est désigné en tête des assistants. C'est sans surprise qu'on le voit présider, en 1107, une cour convoquée par l'évêque pour trancher un litige au sujet de la possession de l'église Saint-Laon de Thouars; parmi les chanoines de Saint-Laon délégués pour défendre les intérêts de leur communauté, on remarque un certain "maître Chauchard, archidiacre de Bourges", qui a dû être appelé en Berry par l'ancien archidiacre de Thouars. »

Léger meurt le 31 mars 1120 et est inhumé « dans le diocèse qu'il a administré pendant une vingtaine d'années au prieuré d'Orsan fondé par son ami Robert d'Arbrissel. »

 

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 Jardin du prieuré d'Orsan

Ce bref portrait, certainement très lacunaire, permet néanmoins de considérer Léger comme un personnage essentiel dans le processus de construction de l'espace sacré berrichon-poitevin (ou pictavo-biturige, si l'on veut). Qu'il soit enterré à Orsan, terre fontevriste, n'est pas fortuit. Qu'il porte le nom d'un saint des plus populaires, patron de nombreuses églises et abbayes, ne l'est pas moins. C'est la puissance spirituelle du martyr qu'il investit symboliquement.




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18 août 2005 | Lien permanent | Commentaires (2)

Vita Martini (2) : Ligugé

Martin a donc rejoint Hilaire, mais celui-ci ayant été contraint à l'exil en 356 par les hérétiques ariens au pouvoir, il quitte la Gaule et retourne en Pannonie où il convertit sa mère. De là, il revient par l'Illyricum, où sa lutte contre l'arianisme lui vaut d'être battu de verges. Martin essaie ensuite de mener la vie monastique près de Milan (centre zodiacal de la plaine cisalpine), mais, chassé de nouveau par le clergé arien, il se réfugie dans un îlot de la côte ligure. Puis, apprenant le retour d'exil de Hilaire, il regagne Poitiers et fonde près de là  un monastère à Ligugé, le premier de Gaule. "Ce  dernier site, s'interroge Ph. Walter,  trahirait-il dans son nom sa dévotion au dieu celtique Lug et Martin ne serait-il pas l'alibi de la christianisation d'un site païen ?" ( Mythologie chrétienne, op.cit. p.52).

 

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Un autre Martin : la dépanneuse charitable du film Cars

D'autres, il est vrai,  font dériver ce nom de Ligugé de Locaciacum, « les petites cabanes », où  Martin logeait ses disciples, mais ceci me semble d'autant plus douteux que j'ai  par ailleurs  déjà mis  en évidence un alignement de  lieux-Lig* dans ce même secteur Bélier (Liglet, Lignac et Lignat).

Mieux, Liglet (église Saint-Hilaire), pratiquement sur le méridien de Saint-Hilaire-sur-Benaize, mais aussi de Lingé et de Saint-Martin-de-Bridoré, rejoint Ligugé par un axe  jalonné rien moins que par Villesalem, Leignes-sur-Fontaine (église prieurale Saint-Hilaire), Saint-Martin-la-Rivière, un bois dit de Savigny (qui rappelle bien sûr Souvigny), et Nouaillé-Maupertuis (très ancienne abbaye Saint-Junien fondée vers 690 par des religieux de Saint-Hilaire de Poitiers).

NB : Sur saint Martin, je découvre seulement maintenant  le site du Centre Culturel Européen qui lui est consacré : Saint-Martin de Tours.

 

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16 juin 2007 | Lien permanent

Guillaume et Robert

Plus j'avance dans cette étude sur Villesalem, plus je suis captivé par l'étrange figure de Robert d'Arbrissel. Je ne vais pas ici donner sa biographie (il suffit de cliquer sur les liens pour ceux que ça intéresse), mais je voudrais revenir sur la nature des lieux qu'il a fondés. Fontevraud, tout d'abord. Il ne faudrait pas croire que ce site fut choisi un peu au hasard de ses pérégrinations inlassables, parce que brusquement le concile de Poitiers, en 1100, l'a sommé de fixer sa troupe errante où - péché majeur aux yeux des légats du pape - se mêlent les hommes et les femmes. Il est patent que le choix du site est mûrement réfléchi : ce « désert » où il s'est retiré, ce « lieu inculte et âpre, plein d'épines et de buissons », ce vallon isolé de Fontevraud n' est rien moins qu'à la croisée de trois provinces, à la limite de l'évêché d'Angers et de l'archevêché de Tours, à l'extrême pointe septentrionale du diocèse de Poitiers. Offert par le seigneur Gauthier de Monsoreau, dont la fille a rejoint la communauté, il est aussi à une lieue de Candes Saint-Martin, au confluent de la Loire et de la Vienne, où le célèbre saint a rendu l'âme à Dieu.

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Le choix de Villesalem relève d'un même souci stratégique : il s'agit là aussi d'un vallon isolé, avec présence d'une source (à Villesalem, elle est même à l'intérieur de l'église), et sa localisation là encore dans le diocèse de Poitiers coïncide avec une grande proximité avec les diocèses de Bourges et de Limoges. De même, sur un plan autre que religieux, c'est sa situation au carrefour de trois provinces qui vaut au hameau des Hérolles, à quinze kilomètres à vol d'oiseau de Villesalem, d'accueillir une des plus grandes foires de la région (foire aux Béliers, qui plus est...).
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Villesalem (non indiqué sur cette carte des diocèses du 18ème) Et qui fait la loi en ce temps-là sur le Poitou ? Une vieille connaissance, le redouté Guillaume d'Aquitaine, troubadour et baroudeur. Je n'avais pas fait le rapprochement, malgré les dates communes (Château-Guillaume édifié entre 1087 et 1112, par exemple). C'est en tombant sur le site de Marc Briand que j'ai appris que Guillaume s'était emparé à deux reprises de Toulouse accompagné chaque fois par Robert d'Arbrissel. « Deux documents l’attestent, l’un en Juillet 1098 qui modifie les prérogatives de Saint-Sernin et le second, en 1114, concernant la fondation du prieuré de Lespinasse, au nord de Toulouse, tout de suite rattaché à Fontevrault. » Leurs signatures voisineraient sur plusieurs actes. « D’autres ont établi une corrélation entre Fontevrault et l’Amour courtois qui prend son essor à la même époque ; la place faite aux femmes par Robert d’Arbrissel qui voulait que l’abbesse ait aussi autorité sur les moines de l’ordre aurait eu une influence sur une littérature qui exalte la femme et son rôle dans la «fin’amor». Un lien de cause à effet est difficile à établir : que les différentes facettes d’une époque trouvent un style n’est pas extraordinaire. » Cette alliance entre deux trublions de l'époque laisse rêveur : poésie et géographie symbolique, architecture et politique, mythes et réalité se mêlent de façon inextricable, comme dans un buisson d'épines de ces déserts aimés du breton. Sur le site de la ville de Lespinasse, je vérifie qu'en effet Robert d’Arbrissel reçut la forêt dite d’Espèse - qui s’étendait avec ses garrigues entre l’Hers et la Garonne - de Philippa, fille de Guillaume IV, Comte de Toulouse, et épouse en seconde noces de Guillaume IX Duc d’Aquitaine. On ajoute qu' elle prit le voile à Fontevraud et devint abbesse. Il faut se souvenir qu'elle fut répudiée par Guillaume au profit de la « Maubergeonne ». Autre exemple de l'accord bien senti entre Guillaume et Robert.

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16 mai 2005 | Lien permanent

Sainte, Sale et Savante

Apollon tue le serpent Python et gagne une épithète (une épiclèse, en terme savant) : on le surnomme Apollon Pythien. Curieux, quand on y pense, de se voir désigné sous les traits de l'ennemi : imaginerait-on un Churchill "Hitlérien" ? En réalité, il doit y avoir ici, sous le masque d'un combat, la figure d'une transmission. Le dieu solaire prend le relais de la divinité chthonienne, et il s'agit moins de supplanter que de prolonger. Puthô viendrait d'une racine archaïque signifiant "pourrissant" (grec puthestai, "se putréfier"), autrement dit, Apollon Pythien ne serait autre qu'un Apollon "pourrisseur". La mort du serpent et sa putréfaction introduisent une impureté fascinante pour les spectateurs (la racine indoeuropéenne est une exclamation de dégoût, dont témoigne l'interjection pouah !), qu'il convient de conjurer. Et pour ce faire, le rituel choisira parfois non d' endiguer le phénomène mais au contraire d' en précipiter les étapes. Dans le numéro 380 de la revue Critique, paru en janvier 1979 et consacré à Michel Serres, René Girard montre comment le religieux exacerbe le désordre pour mieux restaurer l'ordre originel : "L'esprit religieux ne va jamais sans répugnance terrifiée à l'égard de l'impur mais, dans ses formes équilibrées, il donne aux hommes l'audace de surmonter cette première réaction et d'intervenir dans le processus de corruption, pas du tout pour contrecarrer celui-ci mais pour l'accélérer. Constatant ou croyant constater une perte de différences, un début de confusion maléfique entre des choses qui devraient rester distinctes, le rite surexcite la crise et précipite les mélanges pour amener une résolution favorable." (pages 26-27) Et le philosophe de suggérer que le fromage, le pain, le vin, aliments nés d'une fermentation, ont été sans doute inventés dans ce cadre rituel : "Pour régénérer l'ordre, en somme, il faut faire donner au désordre tout ce qu'il peut donner dans l'ordre du désordre, si l'on peut dire. Dans le cas des altérations naturelles, comme celle du lait ou des farines, l'intervention rituelle s'efforcera, sans doute, d'altérer davantage les substances, elle multipliera peut-être les mélanges contre-nature. Elle poussera les hommes, en somme, dans la voie de l'expérimentation sur le pourri, le gâté, le fermenté, etc (...)." Ajouterai-je que le chaos papal que je décrivais l'autre jour me paraît relever du même ordre d'idées ? La violence soudaine, la décomposition des institutions à l'oeuvre dans la cité romaine et acceptées par l'ensemble du corps social prélude à un nouvel ordre bâti autour d'un nouveau pontife.

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En résumé, le serpent figure le passage à un nouvel ordonnancement du cosmos. La souillure de sa mort se lit jusque dans le nom de l'antique oppidum sur lequel s'est fondé la ville de Poitiers. Je lis que Limonum pourrait signifier "les boues" (on ne quitte pas le symbolisme tellurique et détritique) - et la devise même de Poitiers n'est-elle pas étonnamment " Sainte,Sale et Savante" ? Quelle mystère renferme une ville qui a le front de s'enorgueillir de sa saleté ?

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09 avril 2005 | Lien permanent

Hilaire et les Hilaria

« Hilaire, évêque de Poitiers, originaire du pays d'Aquitaine, brilla, comme Lucifer, entre les astres. » Ainsi parle Jacques de Voragine, dans La Légende Dorée, de ce docteur de l'Eglise que l'empereur Constance n'hésita pas à exiler en Phrygie en 356. Hilaire s'était en effet fermement opposé à la théologie arienne qu'on voulait imposer à l'épiscopat d'Occident. Il profitera néanmoins de cette mise à l'écart pour découvrir la littérature chrétienne orientale qui jusqu'ici lui était restée étrangère ; il s'initia, en particulier, à l'oeuvre d'Origène et commença à rédiger son De Trinitate qui entendait répondre point par point à l'hérésie arienne.

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Hilaire combattant les hérétiques Saint Hilaire apparaît en définitive comme une autre figure de la Lumière, en ce signe de Bélier qui s'évertue à les multiplier. Lumière originelle encore une fois, celle de l'équinoxe qui prend le pas sur la nuit au plan de la durée, celle qui point à l'horizon et embrase la création, celle qui signe les commencements. Ecoutez la litanie : Saint Hilaire est le premier évêque de la ville de Poitiers, nommé par ses coreligionnaires en 353 ; il fonde probablement le baptistère Saint-Jean, sans doute le plus ancien monument chrétien de France ; son disciple, Saint Martin de Tours, fonde à Ligugé, en 361, sur un domaine donné par Hilaire lui-même, une abbaye qui est le plus vieil établissement monastique d'Occident ; dans le culte romain d'Atys, un jour d' hilaria, ou réjouissances, marquait la résurrection divine le jour même de l'équinoxe, succédant à des festivités de type dyonisiaque où les dendrophores, les porteurs d'arbres, coupaient un pin sacré, rappelant ainsi la métamorphose d'Atys opérée par Jupiter. Aussi curieusement que cela puisse paraître, ces rituels favorisèrent plus l'évangélisation qu'ils n'y firent obstacle : « Des porcs, précise Simon Schama, prenaient la place du martyr, leur sang coulait pour rendre le printemps propice. Dans certains endroits, on consommait la chair et le sang d'Atys sous les deux espèces du pain et du vin. Et dans toute la région où le culte se pratiquait, la mort d'Atys était associée à la résurrection du pin toujours vert, célébrée à la saison que les chrétiens appelleraient Pâques. » (Le Paysage et la Mémoire, p.248)
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Sur la circonférence de la roue, le village de Saint-Hilaire sur Benaize porte témoignage du lumineux évêque jusque dans l'empreinte d'un ancien cadran solaire au-dessus d'une porte latérale sud de l'église.

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10 mai 2005 | Lien permanent

La flèche d'Apollon

Le lecteur attentif se sera sans doute étonné de ce que le nom même de l'ombilic berrichon ne soit pas encore apparu dans ces pages. A plusieurs reprises, l'axe ombilical, le parallèle de ce haut-lieu a été invoqué, exploré sans que la source même en soit établie. Il ne faut pas voir là une quelconque volonté d'appâter le lecteur, de le retenir par une manière de suspense, pour la bonne raison tout d'abord que le lecteur est rare et qu'aucune publicité n'a été donnée à ce blog. Un seul commentaire posté sur le site de Berlol m'a valu quelques visites dont je ne suis pas certain qu'elles se renouvellent. Alors quoi ? En fait, c'était une sorte de répugnance à afficher d'emblée la couleur, une envie de différer l'inévitable, de tourner autour du pot pour mieux s'en emparer. Mais en réalité, je ne tourne pas, je m'éloigne mais je ne tourne pas. Reculant sur cet axe que j'ai appelé principiel parce qu'il inaugure le mouvement cosmique, j'ai l'impression de bander l'arc qui décochera la flèche nous conduisant naturellement à la cible. L'explication ne me convainc moi-même qu'à moitié, mais je n'en ai point d'autre à proposer... Filant la métaphore, c'est la flèche d'Apollon qui nous désigne la victime sacrificielle. Dans le mythe delphique, c'est ainsi que le dieu tue le serpent Python qui gardait le sanctuaire, portant lui-même le nom de Pytho et longtemps consacré au culte de Gê, la terre, qui rendait elle aussi des oracles. Que Poitiers, fiché au couchant sur l'axe ombilical, ait été la capitale des Gaulois Pictones ne peut nous apparaître comme un pur hasard. La proximité phonique des noms est stupéfiante.

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08 avril 2005 | Lien permanent

Denis Gaulois (3) : Et moi je fais ce que je veux d'elles

«  Il étoit beau de voir la conduite des susdits animaux ; comme ils entroient et sortoient dudit caveau pour aller pâturer et faire ce qu'ils avoient besoin, et comment le bonhomme les rappeloit. L'on a vu, disoit-il, les bêtes se dévorer entre elles et manger les hommes, et moi je fais ce que je veux d'elles. »


Il y aura donc bientôt quatre cents ans, le 2 octobre 1610, l'on découvrait donc la légende de Denis Gaulois sous un autel de l'église de Déols. Le docteur Fauconneau-Dufresne ne précise pas quelle église, ni ne donne de précisions sur la nature du document, son aspect, son état de conservation. Etrange découverte : par le plus singulier des hasards, le chancelier du roi, Charles de Laubépine, est présent (il est spécifié qu'il fait inventorier la légende séance tenante). Au fait, qui est le roi à cette date ? Henri IV a été assassiné par Ravaillac quelques mois plus tôt, le 14 mai précisément. La veille, Marie de Médicis avait été enfin sacrée reine de France à Saint-Denis par le cardinal François de Joyeuse. Un couronnement que le bon roi Henri avait longtemps repoussé. Louis XIII n'ayant que neuf ans, c'est donc Marie de Médicis qui assure la régence. Y a-t-il un lien entre ces événements et la découverte de la légende ? Quelques indices tendent à le croire.

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Marie de Médicis en costume de sacre, peint par François Pourbus en 1610
 
 

Onze ans plus tard, nous avons vu que le prieur claustral délivrait une copie notariée et dûment certifiée au prince de Condé, devenu duc de Châteauroux et prince de Déols. Or, Condé n'est pas n'importe qui dans le royaume.

Henri II de Bourbon-Condé n' était rien moins que Premier Prince du sang, Grand Veneur et Grand Louvetier du royaume. Elevé par Henri IV lui-même - son père ayant été assassiné et sa mère emprisonnée - mariée ensuite à la trop belle Charlotte de Montmorency que son mentor poursuivait de ses assiduités, il avait dû s'exiler à Bruxelles. La mort de Henri lui permet de revenir en France. Embastillé en 1615, il est libéré quelques années plus tard par Louis XIII. Et en 1621, on lui remet donc les clés de Châteauroux et de Déols, en même temps que la copie certifiée de la légende. Pourquoi une telle mise en scène ? Ce qui nous apparaît comme une aimable fantaisie a très certainement son importance symbolique : n'y a-t-il pas comme un air de famille entre ce Denis Gaulois, éleveur de bêtes féroces, grand chasseur, dompteur émérite, et ce Grand Veneur et Grand Louvetier de prince de Condé ?


Nous retrouvons par ailleurs la trace de Charles de Laubépine à Bourges, où sa famille avait acquis en 1552 le palais Jacques Coeur.

« A cette époque, peut-on lire sur le site des Amis de Jacques Coeur, le frère de Claude de Laubépine, évêque de Limoges fait construire un hôtel qui prend comme nom Hôtel de Limoges, aujourd'hui disparu. De 1629 à 1636, le prince de Condé et son frère le prince de Conti habiteront respectivement le palais de Jacques Cœur et l'hôtel de Limoges. »

Comme par hasard, Condé vient loger chez Laubépine. 

Or, nous allons bientôt voir l'importance de Bourges dans la légende déoloise.

Pour en finir aujourd'hui, regardons la date : 2 octobre. C'est la saint Léger. Dont j'ai déjà montré ailleurs la corrélation très forte avec saint Denis. Un seul exemple : lors de la translation du corps de saint Léger, le cortège s'arrête à Ingrandes dans la Vienne :

« Ingrandes apparaît comme le lieu de plusieurs miracles dans le récit de la translation des cendres de saint Léger, depuis l'endroit de son supplice jusqu'à Saint-Maixent (Deux-Sèvres), en 683. Le cortège qui accompagnait les cendres du saint comprenait de nombreux mendiants et infirmes ; il s'arrêta quelque temps à Ingrandes. L'évêque de Poitiers leur avait fait porter des vivres, mais en quantité insuffisante. Une nouvelle multiplication des pains vint à bout de la disette. Des guérisons miraculeuses furent également rapportées : celles d'un boiteux, d'un paralytique, d'un jeune aveugle, d'une femme aux mains tordues... »

Or, le même site du diocèse de Poitiers précise que « Sous l'Ancien Régime, la cure d'Ingrandes était à la nomination du prieur de Saint-Denis-en-Vaux, qui dépendait de la grande abbaye de Saint-Denis-en-France. »



 

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02 octobre 2006 | Lien permanent | Commentaires (3)

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