03 novembre 2008
Se delectant au melodieux son des poys
- Je vous ai dit que j'avais retrouvé à Angles sur l'Anglin le livre de ce Pierre Gascar cité par Pirotte : Les Sources...
- Oui, et alors ? Oh, je vous vois venir, vous allez encore me parler coïncidence...
- Je n'ai pas précisé alors le billet où je le citais, il s'agissait du troisième article sur Verseau,
Saint Gildas les foulz, sainct Genou les gouttes,
- Passage de Rabelais, oui, je me souviens.
- Et à moi il me souvient que vous m'avez presque traité de fou avec mon histoire d'entonnoir...
- Plaisanterie, vous le savez bien.
- Je l'entendais bien ainsi, rassurez-vous, mais ce qui m'amuse c'est de retrouver les foulx à cette occasion. Au fait, savez-vous d'où vient le nom ?
- Oui, du latin follis, "outre gonflée" ou "soufflet pour le feu".
- Bravo, alors je ne vous apprendrai peut-être rien en vous disant que dans le rituel de Carnaval, les fous jouent un rôle très important car ce sont eux les maîtres du souffle et de la circulation des vents. Soit dit en passant, c'est ce que j'ai appris dans un excellent Dictionnaire des Vents d'un certain Jean-Loïc Le Quellec, qui s'appelle, je crois, Par vents et par mots. Le plus drôle est que ce livre, je l'ai aussi acheté à Angles, à la Foire du Livre d'août 2006. Mais, promis, j'arrête là avec les coïncidences.
- 2006, vous dites ? C'est aussi en 2006 que j'ai appris ça, en lisant Le village métamorphosé de l'ethnologue Pascal Dibie, dans la non moins excellente collection Terre Humaine. Tenez, le livre doit être dans cette étagère. Et comme c'est un bon livre il est pourvu d'un index : on va facilement retrouver le passage. Essayez donc Carnaval...
- Je vois bien ce que vous sous-entendez avec votre index. Il m'en faudrait bien un à moi aussi, parfois je ne m'y retrouve pas moi-même...
- Content de vous l'entendre dire. Ah, voilà la chose. C'est un peu long, vous m'excuserez : "(...) On inverse tout, c'est le triomphe de la régression, la folie est sur terre, partagée et acceptée le temps limité du carnaval. Etre fou, c'est être animé par la pneuma, par ce drôle de souffle qui traverse les masques et ces voix d'entrailles prohibées ordinairement. Les pierrots lunaires sont des barbouillés de la Chandeleur, des enfarinés de la pleine lune qu'ils ont symboliquement avalée. Folie et inspiration jumelllisent, se croisent, attaquent, scandalisent. Des soufflets (follis en latin) sont cachés sous des bosses ou dans des ventres trop gros qui lâchent des vents pour se protéger du retour des morts qui cherchent des orifices par lesquels ils pourraient réintégrer nos corps de vivants. Alors, dans cette tempête fécondante et mystérieuse du printemps naissant, on se cache, on crie, on éructe, on pète, on tente d'effrayer ce monde plus effrayant encore qui nous entoure."
- Vous venez à ma rescousse maintenant ? Vous savez bien que la date de Carnaval le place précisément en Verseau. Et si Saint Genou a opéré des miracles à l'ancienne Celle-des-Démons, c'est parce que les vents sont depuis la plus haute antiquité personnifiés, dixit Le Quellec, par des esprits, démons ou génies. Le diable lui-même n'est autre que le maître des vents.
- Vous recommencez à extrapoler...
- Je continue votre lecture de Dibie. Tenez, lui aussi évoque Rabelais : "Je sais, les déguisements ont changé, nous ne sommes plus au temps de Rabelais, des soufflaculs, des tiou-tiou et des chienlits, quoique je ne vois pas de grandes différences avec ces enfants déguisés en hommes..." Je vais un peu plus loin : "Qu'importe l'époque et les gens qui y participent, l'esprit est bien là. Ce clergé éphémère de "fous" qui, chaque année, se recrée et dérange pour quelques heures la tranquillité du village, participe bien à ce souffle qui anime l'univers, tout comme saint Blaise, patron de la gorge et du souffle, qui donne le signal de la bataille des vents dont la sagesse populaire sait que le vainqueur, au 3 février, mercredi des Cendres, soufflera toute l'année."
- Allez, aujourd'hui, je suis bon, et pour aller dans votre sens, je vous signale un autre passage de Rabelais qui ne peut que vous complaire.
- Vous êtes trop bon.
- Il faut plonger dans le Tiers Livre, chapitre XLV, "Comment Panurge se conseille à Triboullet." Il s'agit de son mariage, or Triboullet est un fou. Que lui donne donc, entre autres choses, Panurge dès son arrivée ? rien moins qu'une" vessie de porc bien enflée et résonante à cause des poys qui dedans estoient". Puis, pour seule réponse à l'interrogation de Panurge, Triboullet branle la tête et dit : "Par Dieu, Dieu, fol enraigé, guare moine, cornemuse de Buzançay." Impossible d'en tirer quelque chose de plus : "Ces parolles achevées s'esquarta de la compaignie, & iouoit de la vessie, se delectant au melodieux son des poys. Depuys ne feut possible tirer de luy mot quelconques. Et le voulant Panurge d'adventaige interroger, Triboullet tira son espée de boys, & l'en voulut ferir."
- Merveilleux passage. Ce n'est pas hasard si cette cornemuse, autre instrument à souffler, est dite de Buzançay, car l'actuelle Buzançais est précisément en Verseau, en amont de Saint-Genou, dix kilomètres à peine. Comment vous remercier ?
- Mon verre est vide depuis belle lurette...
- Oh, désolé !
22:29 Publié dans Verseau | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : rabelais, dibie, gascar, fou, carnaval, blaise, buzançais