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14 novembre 2008

Par eaue de Bloys estoit arrivé

"Au sixième iour subsequent Pantagruel feut de retour: en l'heure que par eaue de Bloys estoit arrivé Triboullet. Panurge à sa venue luy donna une vessie de porc bien enflée, & resonante à cause des poys qui dedans estoient: plus une espée de boys bien dorée: plus une petite gibbessière faicte d'une coque de Tortue: plus une bouteille clissée pleine de vin Breton: & un quarteron de pommes Blandureau."

Tiers-Livre, chapitre XLV

Pourquoi le fol Triboullet arrive-t-il de Blois ? C'est Claude Gaignebet qui nous donne la réponse dans son maître-livre : " Les tailleurs de pierre du château de Blois à la Renaissance savent encore traduire en image le calembour du De Petitu : "Blesensis" (de Blois) suggère à la fois Blaise et le souffle. Ils honorent leur saint patron en multipliant, sur les corbeaux, les retombées et les modillons (comme ici), le péteur." (A plus haut sens -Esoterisme spirituel et charnel de Rabelais, Maisonneuve et Larose, 1986,Tome I, p. 66)

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Le même auteur évoque Triboullet dans un tout petit livre paru l'an dernier aux éditions Lume, Rabelais, le Tiers Livre et le jeu de l'oie :
"(...) Le Jeu est fini... ou presque, car Pantagruel le relance par ce qui est au-delà du jeu, la Folie. Triboullet (note ce tri) est celui qui joue des boules comme on le fait dans une célèbre gravure de Brueghel.
Regarde bien. L'un fait avec les doigts le signe des cornes du cocu. L'autre ranime sa boule du vent de la chemise. Observe les boulistes du jardin du Luxembourg. Celui-ci souffle sur sa boule. Le perdant, qui manque de souffle, ira le chercher au cul de la Fanny (Stéphanie est couronne) ou de la Vieille.
Ce Triboullet (a-t-il perdu la boule ?), en accord avec son nom, reprend la triplication des signes. Coup-de-poing (battu), cornemuse (cocu). Mais où est passé le "desrobé" ? Non seulement Panurge n'a pas été volé mais il y a là pour lui un trait de lumière, la bouteille lui a été rendue ! Le voilà renvoyé à l'oracle de la Bouteille.
"

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La fête des fous, 1559, d'après Brueghel


En fait, le dessin de Brueghel a été gravé par Pieter Van der Heyden.

L'image est accompagnée dans la marge de quatrains et de distiques en flamand et en français. Par exemple :

Ghy Sottebollen met u ÿdelheÿt gequelt,
Comt al ter baenen toch, due lust hebt om te rollen,
AI wordt den een syn eer, en dander quÿt sÿn geldt,
De wereldt even prÿst de grootste Sottebollen.

suivi de sa traduction :

Vous Fols qui de la teste Incessament louez
qui avez le Cerveau remply de vanitez
Venez, et accourez soÿez de ceste bande
Perdant honneur et biens, Le monde vous le commande

 

Ce nom Sottebol qui désigne le fou en flamand, n'est pas sans rappeler le Triboullet rabelaisien : "Il n'est guère possible, écrit Jean-Philippe Moutschen, de traduire adéquatement le mot Sottebol qui revient plusieurs fois dans le texte accompagnant cette estampe et qui est à la base de la scène que celle-ci évoque. Dans aucune langue on ne trouve son équivalent. En flamand un sottebol désigne un fou , sot, dont la tête, assume la forme d'une "boule", bol. Familièrement et métonymiquement le mot bol est couramment employé en flamand pour le mot "tête". Ceci se produit dans de nombreux proverbes flamands et locutions analogues: Hij heeft het hoog in zijn bol, litt.: il l'a haut dans la tête = il est prétentieux; iemands bol wassen, laver la tête à quelqu'un; pijn in zijn bol hebben, avoir mal à la tête; zijn bol draait zot, sa tête tourne fou. Ainsi, c'est le sens figuratif de l'appellation flamande sottebol, folie, tête folle, qui peut servir de point de départ à la compréhension de ce que Bruegel a mis en image. Étant rassemblés dans une fête commune, les fous les plus divers s'y livrent à des ébats débridés et rivalisent de tours pour atteindre avec leurs "boules" le piquet dressé à droite de l'avant-plan. Dans tout cela, inspiré, une fois de plus, par les aspects sous lesquels se révèle la folie des hommes, Bruegel manifeste sa verve et son humour dénonciateur en partant du jeu de mot que lui suggère l'appellation flansiande, le mot bol pouvant être pris dans le sens à la fois de « boule » et de « tête »."


Toujours est-il que, grâce à  Triboullet, Panurge est renvoyé à la Dive Bouteille, et nous-même bouclons la boucle que nous avions commencée avec Aquarius et la naissance de Gargantua.
"A boire", hurlait celui-ci, tout juste sorti de l'oreille gauche de Gargamelle.
"De ce poinct expédié, à mon tonneau ie retourne. Sus à ce vin compaings. Enfans beuvez à plein guodetz."
Trinquons, compères, nous allons enfin pénétrer en Poissons.

03 novembre 2008

Se delectant au melodieux son des poys

- Je vous ai dit que j'avais retrouvé à Angles sur l'Anglin le livre de ce Pierre Gascar cité par Pirotte : Les Sources...
- Oui, et alors ? Oh, je vous vois venir, vous allez encore me parler coïncidence...
- Je n'ai pas précisé alors le billet où je le citais, il s'agissait du troisième article sur Verseau,
Saint Gildas les foulz, sainct Genou les gouttes,
-
Passage de Rabelais, oui, je me souviens.
- Et à moi il me souvient que vous m'avez presque traité de fou avec mon histoire d'entonnoir...
- Plaisanterie, vous le savez bien.
- Je l'entendais bien ainsi, rassurez-vous, mais ce qui m'amuse c'est de retrouver les foulx à cette occasion. Au fait, savez-vous d'où vient le nom ?
- Oui, du latin follis, "outre gonflée" ou "soufflet pour le feu".

- Bravo, alors je ne vous apprendrai  peut-être rien en vous disant que dans le rituel de Carnaval, les fous jouent un rôle très important car ce sont eux les maîtres du souffle et de la circulation des vents. Soit dit en passant, c'est ce que j'ai appris dans un excellent Dictionnaire des Vents d'un certain Jean-Loïc Le Quellec, qui s'appelle, je crois, Par vents et par mots. Le plus drôle est que ce livre, je l'ai aussi acheté à Angles, à la Foire du Livre d'août 2006. Mais, promis, j'arrête là avec les coïncidences.

- 2006, vous dites ? C'est aussi en 2006 que j'ai appris ça, en lisant Le village métamorphosé de l'ethnologue Pascal Dibie, dans la non moins excellente collection Terre Humaine. Tenez, le livre doit être dans cette étagère. Et comme c'est un bon livre il est pourvu d'un index : on va facilement retrouver le passage. Essayez donc Carnaval...jpg_couv_dibie.jpg
- Je vois bien ce que vous sous-entendez avec votre index. Il m'en faudrait bien un à moi aussi, parfois je ne m'y retrouve pas moi-même...
- Content de vous l'entendre dire. Ah, voilà la chose. C'est un peu long, vous m'excuserez : "(...) On inverse tout, c'est le triomphe de la régression, la folie est sur terre, partagée et acceptée le temps limité du carnaval. Etre fou, c'est être animé par la pneuma, par ce drôle de souffle qui traverse les masques et ces voix d'entrailles prohibées ordinairement. Les pierrots lunaires sont des barbouillés de la Chandeleur, des enfarinés de la pleine lune qu'ils ont symboliquement avalée. Folie et inspiration jumelllisent, se croisent, attaquent, scandalisent. Des soufflets (follis en latin) sont cachés sous des bosses ou dans des ventres trop gros qui lâchent des vents pour se protéger du retour des morts qui cherchent des orifices par lesquels ils pourraient réintégrer nos corps de vivants. Alors, dans cette tempête fécondante et mystérieuse du printemps naissant, on se cache, on crie, on éructe, on pète, on tente d'effrayer ce monde plus effrayant encore qui nous entoure."
- Vous venez à ma rescousse maintenant ? Vous savez bien que la date de Carnaval le  place précisément en Verseau. Et si Saint Genou a opéré des miracles à l'ancienne Celle-des-Démons, c'est parce que les vents sont depuis la plus haute antiquité personnifiés, dixit Le Quellec, par des esprits, démons ou génies. Le diable lui-même n'est autre que le maître des vents.
- Vous recommencez à extrapoler...
- Je continue votre lecture de Dibie. Tenez, lui aussi évoque Rabelais : "Je sais, les déguisements ont changé, nous ne sommes plus au temps de Rabelais, des soufflaculs, des tiou-tiou et des chienlits, quoique je ne vois pas de grandes différences avec ces enfants déguisés en hommes..." Je vais un peu plus loin : "Qu'importe l'époque et les gens  qui y participent, l'esprit est bien là. Ce clergé éphémère de "fous" qui, chaque année, se recrée et dérange pour quelques heures la tranquillité du village, participe bien à ce souffle qui anime l'univers, tout comme saint Blaise, patron de la gorge et du souffle, qui donne le signal de la bataille des vents dont la sagesse populaire sait que le vainqueur, au 3 février,  mercredi des Cendres, soufflera toute l'année."
- Allez, aujourd'hui, je suis bon, et pour aller dans votre sens, je vous signale un autre passage de Rabelais qui ne peut que vous complaire.
- Vous êtes trop bon.

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- Il faut plonger dans le Tiers Livre, chapitre XLV, "Comment Panurge se conseille à Triboullet." Il s'agit de son mariage, or Triboullet est un fou. Que lui donne donc, entre autres choses,  Panurge dès son arrivée ? rien moins qu'une" vessie de porc bien enflée et résonante à cause des poys qui dedans estoient". Puis, pour seule réponse à l'interrogation de Panurge, Triboullet branle la tête et dit : "Par Dieu, Dieu, fol enraigé, guare moine, cornemuse de Buzançay." Impossible d'en tirer quelque chose de plus : "Ces parolles achevées s'esquarta de la compaignie, & iouoit de la vessie, se delectant au melodieux son des poys. Depuys ne feut possible tirer de luy mot quelconques. Et le voulant Panurge d'adventaige interroger, Triboullet tira son espée de boys, & l'en voulut ferir."
- Merveilleux passage. Ce n'est pas hasard si cette cornemuse, autre instrument à souffler,  est dite de  Buzançay, car l'actuelle Buzançais est précisément en Verseau, en amont de Saint-Genou, dix kilomètres à peine. Comment vous remercier ?
- Mon verre est vide depuis belle lurette...
- Oh, désolé !

22 septembre 2008

Les bien yvres sont de retour

« Sur le monde je porterai le regard clair prêté par l’aigle à Ganymède »
Jean Genet, Journal du voleur


Après un long intermède estival, retour donc avec l'automne sur les terres berrichonnes. Je m'étais arrêté sur la figure de Saint-Georges, figure hautement symbolique de cette géographie sacrée mêlant paganisme et christianisme. Que me reste-t-il à inventorier ? En ai-je fini avec la longue évocation du carré buissé ? Pas tout à fait, me semble-t-il. Il me faut revenir sur le point de départ de l'investigation en signe du Verseau, en appeler encore une fois à Rabelais. La boucle sera alors bouclée et nous pourrons passer au dernier signe de ce circuit zodiacal : les Poissons, qui couvre une des régions les plus fascinantes du Berry, totalement différente des autres territoires naturels qui  composent la province, j'ai nommé la Brenne. A vrai dire, je l'ai déjà évoqué brièvement, avec l'étang du Bois-Secret, dont Doumayrou  faisait le point central de l'une de ses grandes perspectives symboliques. On essaiera d'aller plus loin.

Souvenons-nous : Verseau convoquait Ganymède, l'échanson des dieux et il était donc question de boire, ce à quoi s'employaient gaiement les compagnons de Grangousier, les "bien yvres". On se souvient que  l'accoucheuse de Gargantua est désignée comme étant une vieille de Saint-Genou : ceci me donnant le départ d'une longue enquête sur ce saint qui déboucha sur la découverte du carré buissé. Allons donc maintenant au centre même de ce carré. J'ai déjà dit que le village le plus proche était Buxières d'Aillac, mais il est possible de préciser encore en cherchant  le toponyme le plus proche. Or, il semblerait que ce soit l'Entonnoir, entre l'Orme et le Châtaignier, non loin de la queue de l'étang de Brenne. Nous ne quittons pas le motif de la beuverie...



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Car le mot même apparaît chez Rabelais, au chapitre V de Gargantua, justement dans "Les propos des bien yvres" :

"-Non moy, pecheur, sans soif, et, si non presente, pour le moins future, la prevenent comme entendez. Je boy pour la soif advenir. Je boy eternellement. Ce m'est eternité de beuverye, et beuverye de eternité.

-Chantons, beuvons, un motet entonnons ! Où est mon entonnoir?

-Quoy! Je ne boy que par procuration !"

 

On le retrouve aussi au dernier chapitre du Tiers-Livre :

 

"Ce que ie vous ay dict, est grand & admirable. Mais si vouliez vous hazarder de croire quelque aultre divinité de ce sacre Pantagruelion, ie la vous dirois. Croyez la ou non. Ce m'est tout un, me suffist vous avoir dict verité. Verité vous diray. Mais pour y entrer, car elle est d'accès assez scabreux & difficile, ie vous demande. Si i'avoys en ceste bouteille mis deux cotyles de vin, & une d'eau ensemble bien fort meslez, comment les demesleriez vous? comment les separeriez vous? de manière que vous me rendriez l'eau à part sans le vin, le vin sans l'eau, en mesure pareille que les y auroys mis. Aultrement. Si vos chartiers & nautonniers amenans pour la provision de vos maisons certain nombre de tonneaulx, pippes, & bussars de vin de Grave, d'Orleans, de Beaulne, de Myrevaulx, les avoient buffetez & beuz à demy, le reste emplissans d'eau, comme font les Limosins à belz esclotz, charroyans les vins d'Argenton, & Sangaultier: comment en housteriez vous l'eau entierement? comment les purifieriez vous? I'entends bien, vous me parlez d'un entonnoir de Lierre. Cela est escript. Il est vray & averé par mille experiences. Vous le sçaviez desià. Mais ceulx qui ne l'ont sceu & ne le veirent oncques, ne le croyroient possible. Passons oultre."(C'est moi qui souligne)

 

Remarquons qu'à la ligne du dessus, sont évoqués les vins d'Argenton et Sangautier (Saint-Gautier), autrement dits des cépages berrichons. Argenton, on le sçait desià, sur le parallèle de Neuvy Saint-Sépulchre, donc sa ligne équinoxiale, séparant Bélier de Poissons ; Saint-Gaultier, un peu en aval sur la Creuse, pratiquement sur le parallèle de l'Entonnoir. N'est-ce pas là aussi grand & admirable ?