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11 juillet 2009

Le Moment Fraternité

le-moment-fraternite.jpgC'est rarement  dans les brochures ésotériques que je trouve matière à réflexion sur le sacré. Et ma dernière lecture ne déroge pas à cette règle : Le Moment Fraternité de Régis Debray, paru chez Gallimard cette année, a renforcé ma conviction qu'à l'avenir le sacré pourrait à nouveau avoir un rôle à jouer dans nos sociétés. Pas le sacré sucré des programmes de développement personnel, pas le sacré à sensation des mystères mille fois recyclés du paranormal frelaté, mais le sacré qui rassemble, qui relie, qui tisse la communauté humaine. Sacré qui permet l'avènement d'un nous. C'est de cela dont Régis Debray nous entretient avec lucidité, sans occulter les risques de l'opération (car l'on n'ignore pas non plus les liens du sacré et de la violence). Sacré qui ouvre sur la fraternité.
"Notre machine à faire de l'indivis est tombé en panne", nous dit-il, page 339 : "Tout est lutte de chiffonniers, défense du bout de trottoir, couverture tirée à soi, à hue et à dia." Il en appelle au final à trois efforts, qu'il définit comme  "légères pénitences" : "(...) un effort d'humilité, pour réapprendre les mondes ; un effort de patience, pour réapprendre le temps ; et un effort d'abnégation, pour réapprendre rites et frontières, quii ont partie liée."

Cela m'a reconduit vers la méditation sur ce territoire berrichon que j'ai arpenté sur ce blog pendant quatre ans. Qu'est-ce donc qui a donné corps à cette entité provinciale, dérivée de la civitas gauloise des Bituriges ? En tout cas, ce n'était pas la géographie : aucune délimitation physique ne donne sa singularité à cette terre, plusieurs milieux naturels s'y côtoient.  Quoi de commun entre le pauvre plateau de la Brenne, les vallonnements bocagers du Boischaut et l'austère plaine de Champagne ? Pas de bassin fluvial dominant, pas de frontière naturelle évidente, non, de tous côtés ouvertures paysagères et pourtant, d'un autre côté, clôtures d'une grande permanence, qui passent les siècles et les dynasties royales. Une identité qui se maintient depuis plus de deux mille ans. D'où venue ?
Bituriges, on l'a déjà dit, sont étymologiquement rois-du-monde. Au centre de la Gaule, il faut imaginer la toile d'aragne d'une constellation de sites sacrés, certainement sous-tendue d'un écheveau de mythes dont les fragments perdurent dans l'hagiographie, dans ces histoires troubles de saints extravagants que nous avons maintes fois rencontrées.
Ce sacré, si tant est qu'on veuille bien admettre son existence, peut-il maintenant avoir d'autre statut que celui de vestige, à l'instar d'une poterie ou d'une épée trouvée dans un tombeau ? Ne subsistera-t-il que comme curiosité, détail de la longue histoire des hommes, ou bien peut-il nourrir et irriguer à nouveau une communauté ? Entendons bien que je ne prône nullement un revival du type druidique, tel qu'il peut exister en Bretagne par exemple (ces rémanences folkloriques ne me semblent pas porteuses d'avenir). Autrement dit, si une nouvelle sacralité devait surgir, quelles formes empruntera-t-elle ? Nous sommes à cette heure bien incapables de le dire.

10 juillet 2009

Châteauroue

Intéressante initiative de Loïc Touzet et Jean-Marc Le Bruman : la ville de Châteauroux investie en son centre par des artistes contemporains, du 20 juin au 18 juillet. Symbole de cette opération de métamorphose de l'existant, la transformation du nom même de la cité : Châteauroux devient Châteauroue. Explication en est donnée dans le texte inaugural figurant sur le blog dédié :

"Deux légendes se croisent ici pour en fonder une troisième.
Tout d’abord, la littérature (et donc le cinéma) regorge de « châteaux tournoyants » toujours situés au centre
des mondes, demeures de rois-magiciens auxquels le mouvement circulaire confère l’immortalité.

Châteauroux prenant l’-e en place de l’-x devient un tel château tournoyant ; de plus en région Centre.
D’autre part, la légende veut que le premier « ready-made » de Marcel Duchamp soit une roue de bicyclette
montée à l’envers sur un tabouret blanc ordinaire. Il semble que cet assemblage, initialement réalisé
pour divertir l’œil et l’esprit de Duchamp, ait conduit celui-ci à créer son œuvre géniale car

précurseur de tout ce que nous connaissons aujourd’hui.
Concilions le château-roue tournoyant et la roue de bicyclette, emblème de l’art contemporain et l’on obtient

« Châteauroue », berceau mythique de la naissance de l’art contemporain. L’école municipale des beaux-arts
ne s’appelle t’elle pas Collège Marcel Duchamp ? "


Ancrage dans le sacré pour donner essor à l'art contemporain, en faisant entrer concrètement  l'art dans les vitrines. Les commerçants jouent le jeu, l'espace culturel Leclerc accueille des oeuvres dans son hall d'entrée, les journaux locaux couvrent la manifestation. La volonté de rapprocher le public et l'art, de  sortir celui-ci de ses lieux habituels, d'entamer un dialogue avec la population, comment ne pas souscrire à tout cela ?
Il reste qu'une sorte de scepticisme m'étreint. Ce  consensus qui semble régner autour de l'évènement, au lieu de me réjouir, me pose question.
Sur le rapport au sacré tout d'abord. Pourquoi s'en prévaloir pour ensuite affirmer que l'on veut proposer "des formes de diffusion désacralisées" ?  (L'Echo-La Marseillaise du 17 juin)
Désacraliser a été le mot d'ordre de tous les mouvements radicaux du XXème siècle. L'antienne obligatoire de l'avant-garde. Faut-il encore en rajouter aujourd'hui ? Faut-il que l'oeuvre d'art soit au niveau de la marchandise, du sweat Quicksilver et du parfum Marionnaud, installée dans les mêmes vitrines, jouissant des mêmes éclairages et de la même signalétique étudiée ? L'art contemporain est partout, affirment les initiateurs du projet. Pourtant s'il est partout, cela veut dire aussi qu'il n'est plus nulle part, ou plutôt qu'il n'y a plus de différence entre l'art et le non-art, ou encore qu'il n'est nul besoin d'oeuvre car la marchandise fait déjà oeuvre.
D'ailleurs, quel accueil pour Châteauroue ? Une indifférence polie, on laisse faire les artistes, il faut bien qu'ils s'amusent. Pas de crainte de scandale. Le blog est à l'image de cette mollesse d'attitude. pas un commentaire ne vient agiter, prolonger les différents articles consacrés aux artistes invités. Je dois bien être le seul à émettre une voix légèrement discordante.
Qu'on comprenne bien ma réticence : elle n'est pas vis-à-vis de l'art contemporain que je respecte le plus souvent, que j'aime en certaines de ses propositions, mais elle est vis-à-vis d'une attitude trop naïvement duchampienne. Les installateurs de vitrines seraient-ils les nouveaux plasticiens ? je ne le pense pas, je pense en effet - le point de départ était bon - que le sacré a à nouveau quelque chose à faire avec l'art, le sacré, j'entends bien, et non le religieux,  mais que ce n'est pas en investissant l'espace de l'économie, ce n'est pas en pactisant avec  le plus profane qui soit que l'on retrouvera le chemin vers la lumière tournoyante des châteaux légendaires. Elle  ne saurait se réduire à celle des écrans et des spots.
Ce chemin reste à inventer, les nouveaux sanctuaires sont encore à découvrir.

 

08 avril 2008

Le sale et le sacré

1317617998.jpgSur la conjonction du sale et du sacré, réapparue avec la découverte du dernier livre de Philippe Vasset, il me semblait que je pouvais trouver des échos dans l'oeuvre de Pascal Quignard. Or, j'avais lu les quatre premiers livres de sa série dite  Dernier Royaume, mais pas le cinquième précisément intitulé Sordidissimes. De passage à Paris, je l'achetai donc en version Folio et me jetai presque immédiatement dans sa lecture.

Je ne tardai pas à trouver confirmation de mon intuition :

"Le sacré et le malpropre ne peuvent se distinguer. Comme le sang. Ce qui est prohibé, ce qui est souillé, ce qui est soustrait à la vue, ce qui est mis à l'écart ne se distinguent pas." (p. 93)

La présentation par Quignard lui-même, repris sur le site de la librairie Sauramps, résume fort bien le propos du livre :

"Sordidissimes - le tome V de Dernier royaume - est consacré à l’objet sale et sacré, originaire et voilé, malodorant et contagieux, indigne et précieux. A Rome on appelait ’’sordes’’ les habits de deuil, qu’on déchirait, qu’on ne lavait pas. Les Otomi appelaient ’’Vieux sac’’ la poche utérine qu’ils vénéraient comme une hotte merveilleuse. Anna Freud demanda à être enterrée dans le vieux manteau de son père qu’elle avait fait reprendre par une couturière dans ce dessein. L’objet sordide est le sexe masculin voilé qu’on dévoile au cours des mystères. Puis c’est l’objet qu’on sacrifie dans la tombe en le plaçant auprès du mort. C’est ce que Georges Bataille appelait la part maudite. C’est ce que Jacques Lacan appela ’’objet petit a’’. C’est ce que les new-yorkais appelèrent junk. C’est ce que les anciens Japonais ’’blessés’’ par l’amour cherchaient à exhiber comme autant de ’’blessures’’ prestigieuses, petits doigts coupés, fourreaux de pénis découpés, cheveux tranchés, témoignages des bagarres, preuves intimes et rebutantes des sentiments intenses qu’ils portent à ceux ou celles qu’ils aiment. Sordidissimes rassemble toutes ces reliques, miroboles, jokers, gâteaux apéritifs, la fève des rois, la crête du coq, la bûche de Noël, la laisse de mer, les langues mortes, le nombril, tous les secrets, le silence."