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Les naissances gémellaires

"Toutes les naissances sont des naissances gémellaires. Personne ne vient au monde sans accompagnement ni escorte."

Peter Sloterdijk (Bulles, Sphères I, Fayard, 2002, coll. Pluriel, p. 450)


adc2f41799da1be002d5a57acccf40a4.jpg Je vous dois la vérité : je  n'ai pas  encore  lu  ce livre  du philosophe allemand qui occupe pourtant un coin de mon bureau depuis 2004. Néanmoins j'ai l'impression curieuse de le bien  connaître, l'ayant si souvent manipulé, feuilleté, ouvert au hasard (il est accompagné, qui plus est,  d'une riche iconographie). Et c'est bien parce que, une fois de plus, j'ai pratiqué tout récemment une courte plongée dans ses abîmes (près de 700 pages d'une écriture serrée), que j'en suis ressorti avec la sensation d'y avoir aperçu un gros poisson. Le chapitre VI, intitulé Le séparateur de l'espace spirituel, m'offrait soudain une résonance inattendue avec les propres thèmes qui m'occupent ici. Sloterdijk y cite notamment un texte du rhéteur Censurinus, tenu à l'occasion du 49ème anniversaire de son mécène Caerelius, en 238 ap. J.C.

" Genius est le dieu sous la protection (tutela) duquel chacun vit dès sa naissance. Il tient sûrement son nom, Genius, de geno ("engendrer"), ou bien parce qu'il veille à ce que nous soyons engendrés, ou bien parce qu'il est lui-même engendré avec nous, ou bien encore qu'il s'empare de nous (suscipi) une fois que nous sommes engendrés et nous protège. Beaucoup d'auteurs antiques ont rapporté que Genius et les lares sont identiques." (De die natali, d'après l'édition allemande de klaus Sallmann, Weinheim, 1998 ).

Pour Sloterdijk, ce document "exprime clairement l'idée que pour les Romains, il n'existe pas un jour anniversaire unique - précisément parce que  chez les êtres humains, il ne peut jamais être question de naissances solitaires. Chaque anniversaire est un double anniversaire en soi ; on ne commémore pas seulement ce jour-là le prétendu heureux événement, mais plus encore le lien indissociable entre l'individu et son esprit protecteur, lien qui existe depuis ce jour coram populo."


Comment ne pas faire le lien avec saint Genou, dont le nom rappelle à l'évidence le Genius latin ? D'autant plus que Genou est très clairement désigné dans sa légende comme étant né à Rome en 230, autrement dit à la même époque que le texte de Censerinus. Et ce Génit, présenté parfois comme son père, parfois comme son compagnon, est l'indice même de la gémellité. L'ange gardien, le jumeau sont en effet des figures proches du Genius, décrivant la même relation unitaire essentielle :   Sloterdijk en donne une parfaite illustration à travers un extrait des récits de Mani (216-277 ap. J.C ), le fondateur du dualisme gnostique dont il reste la trace dans la langue d'aujourd'hui avec le péjoratif manichéisme :


"Lorsque la douzième année de sa vie fut arrivée à son terme, il fut saisi [...]par l'inspiration donnée par le roi du paradis de la lumière [...]. Le nom de l'ange qui lui porta le message de la révélation était at-Tom ; c'est du nabatéen et cela signifie dans notre langue "le compagnon" [...] Et lorsqu'il fut arrivé au bout de sa vingt-quatrième année, at-Tom revint vers lui et dit : " Désormais est venu le temps que tu sortes au grand jour."[...].

[...] Et Mani affirma être le Paraclet qu'avait promis Jésus."

 Sloterdijk : "La parenté du nom at-Tom avec l'araméen toma, le jumeau, saute bien sûr aux yeux. Le fait que le "compagnon" ou le syzygios de Mani ait effectivement les qualités d'un personnage de jumeau transfiguré ressort très clairement des récits sur la vocation de Mani selon le Code Mani de Cologne, mais aussi des sources du Moyen Iran :

 "Sortant des eaux m'apparut une (silhouette) humaine qui, avec la main, me fit signe de rester calme, pour que je ne pèche pas et que je ne la plonge pas dans la détresse. De cette manière, à partir de ma quatrième année et jusqu'à ce que j'arrive à la maturité physique, je fus protégé par les mains du plus saint des anges.[..]"(Bulles, pp. 472-473)


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Dioscorus et sa femme  © CMN

 

Une autre indice convergent nous est donné par la peinture murale de la chapelle Saint-Genoulph à Selles Saint-Denis, représentant sur une frise la vie du saint. Elle nous montre, entre autres scènes, celle où les deux compagnons (saint Genou et saint Genit ici désigné par un autre nom, saint Révérend) rencontrent le préfet de Cahors, Dioscorus, et sa femme.

 

Ce Dioscorus ou Dioscurus, d'abord hostile (il les jette en prison), puis converti à la suite de la résurrection de son fils,sera baptisé par Genou lui-même (scène représentée à la cathédrale saint-Etienne de Cahors). Or, ce nom fait bien entendu irrésistiblement penser aux Dioscures, Castor et Pollux, les Gémeaux de la Mythologie.


 Que faut-il penser aussi de Sainte-Gemme, dont le village se dresse, on l'a vu, au méridien de Saint-Genou ?  Outre que le nom même est littéralement  proche de la gémellité, la légende de la sainte nous apprend que  Gemme avait une soeur jumelle nommée Quitterie, sainte et martyre elle aussi. Il faut ajouter que leur naissance venait après celle de sept soeurs. Las de tant de progéniture féminine, désespérant d'avoir un héritier mâle, leur père, le  rude Caïus Catilius, gouverneur de la Galice, ordonne à une de ses esclaves de les noyer. Le peu clairvoyant soudard choisit une chrétienne qui  s'empresse de les confier à une famille  amie en un village éloigné.

Il faut noter encore que la mère des neuf soeurs, Calsia, était donnée comme issue d'une excellente famille romaine.

J'ai même trouvé une version de la légende où les neuf soeurs sont données comme jumelles, on la trouvera page 17 de la version Pdf du numéro 4 du Bourdon, bulletin périodique des Amis de Saint-Jacques de Compostelle en Aquitaine (septembre 1993). J'en extrais ici un passage significatif :

"L'histoire de Bazella [une des soeurs] est cependant la plus significative puisque son supplice donne lieu à un miracle immédiat récapitulatif de toute la fable : sa tête tranchée rebondit neuf fois, faisant jaillir neuf sources. Les habitants ont toujours conservé intact le lieu du miracle au milieu des champs et des vignes. Une petite chapelle antique et fruste, des filets d’eau courant au ras de l’ herbe témoigne pour une curieuse permanence hors du temps mémorial . Dix-neuf siècles peut-être ont passé sur ce lieu rustique rigoureusement inaperçu, sans changer quoique que ce soit à l' ordre naturel. Mais il est vrai de dire que les sanctuaires les mieux protégés sont les plus pauvres ... (Chapelle de Neuffonds:"neuf fontaines et neuf bonbs", à Sainte Bazeille près de Marmande.)
Ainsi, les neuf filles "jumelles" du proconsul de Galice converties par un disciple de Saint Martial, martyrisées sur les routes d’ Aquitaine et à l’ origine de neuf sanctuaires tracent, à l’origine de la chrétienté, un itinéraire inverse à celui qui sera et qui est déjà sous d’autres formes le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, établissent en termes de légende dorée qui voile à peine les symboles d’ un grand mythe cyclique, le lien entre Galice et Aquitaine."

J'ajoute que Bazella tire certainement son nom du celte batz, source, qu'on retrouve dans le nom du plateau de Millevaches, qui désigne non pas les sympathiques ruminants, mais les mille sources (mille batz) qui constellent son territoire et dont sont issues entre autres Vienne,  Corrèze et  Dordogne. Dans l'espace neuvicien, deux villages me semblent porter cette racine batz : Bazelat et Bazaiges. Le premier est creusois et le second indrien, mais les deux paroisses relevaient de Déols et sont alignées sur le même méridien. Et sur le parallèle de Bazelat nous relevons  Genouillac (également sous le patronage déolois) et Boussac-Bourg : or ce bourg d'origine romaine (Bociacum) présente la particularité d'avoir des églises jumelles : "Ce bourg possède deux églises 11ème/12ème se ressemblant beaucoup et placées l'une à côté de l'autre." (source : Quid)  L'une est dédiée à saint Martin (qui s'honore aussi d'une fontaine) et a été construite par les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

 

Et je ne peux manquer d'être ébloui par la logique à l'oeuvre dans cette géographie sacrée neuvicienne puisque je retrouve à Boussac-Bourg le thème de la naissance à travers la superbe fresque murale du XIIème siècle représentant une Nativité décrite ainsi dans le site perso de D. Boucart :

"La chapelle primitive possède des fresques du XIIe siècle. En particulier, une scène de la Nativité qui est l'une des plus belles de l'art roman. La vierge, allongée sous une couverture bleue parsemée d'étoile, indique de l'index le christ couché dans son berceau. La tête de l'âne et la tête du boeuf le réchauffent de leur souffle."

 

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04 juillet 2007 | Lien permanent | Commentaires (5)

Denis Gaulois (6) : De Châteauneuf à saint Fiacre

Tentative d'épuisement de la question Charles de l'Aubespine : le net ne m'offrant plus de ressources valables, je me décidai à entrer en bibliothèque pour y dénicher une ou deux biographies de Richelieu. J'en ressortis donc avec Richelieu, L'Ambition et le pouvoir, de Michel Carmona (Fayard, 1983) et le beaucoup plus récent Richelieu de Françoise Hildesheimer (Flammarion, 2004). Deux forts volumes que je n'ai pas eu le temps (ni l'envie d'ailleurs) de lire in extenso, mais où j'ai traqué la présence de mon Châteauneuf. Oui, c'est sous ce nom (Charles est, je le rappelle, marquis de Châteauneuf(1) ) qu'il est couramment désigné par les deux auteurs.

Il apparaît chez Carmona à la page 306 et à l'année 1617. Richelieu n'est pas alors au faîte de sa gloire, loin s'en faut : il a dû quitter Paris pour Blois, accompagnant Marie de Médicis contrainte à l'exil après l'assassinat du favori Concini. Ravalé en mai au rang de « Chef de son Conseil et de ses affaires, pour tenir et avoir garde de son scel », il ne tarde guère à prendre la fuite : le 11 juin, il regagne son prieuré de Coussay sans rien dire à personne, sans un mot d'explication, ce qui rend la Reine-Mère folle de rage. Richelieu, craignant un ordre d'exil du Roi, avait préféré prendre les devants. Sur cette dérobade, on possède un message bien embarrassé de son frère Henri de Richelieu : « Je suis au désespoir de vous avoir donné l'avis de ce que je vous ai mandé, bien qu'il fût vrai et que je l'eusse appris de Monsieur de Châteauneuf, lui-même présent à la résolution qui fut prise. Cela m'avait été confirmé par une personne de plus grande qualité et par plusieurs autres encore. Mais depuis les choses avaient changé et celle-là aussi qui était bien vraie. Excusez mon affection et la passion que j'ai à votre service. » « En somme, explique Michel Carmona, le Roi avait décidé d'exiler Richelieu ; le marquis en avise son frère ; celui-ci quitte Blois aussitôt ; le marquis lui écrit pour lui dire que ce n'est qu'une fausse alerte. »

Quoi qu'il en soit, nous constatons que notre Châteauneuf-Laubépine était bien en cour à l 'époque, et pas avare de confidences. Son caractère intrigant apparaît déjà à cette occasion.

Il ne refait surface chez Carmona que deux cents pages plus loin, en l'an de grâce 1630, mais en des circonstances exceptionnelles, car c'est à l'occasion de la fameuse Journée des Dupes ( 10 et 11 novembre), « qui constituent incontestablement, selon l'historien, un tournant de l'histoire de France. »

Il est à peu près minuit quand Louis XIII prend la parole à Versailles : « Il expose qu'il est déterminé à mettre un terme aux intrigues qui, depuis plus d'un an, se multiplient contre le cardinal, et empoisonnent l'atmosphère politique. Le chancelier de Marillac est à ses yeux l'un des grands responsables de cet état de choses. C'et pourquoi le Roi, tout en rendant hommage à sa piété et à sa conscience professionnelle, a décidé de se séparer de lui. Monsieur de Châteauneuf exercera désormais les fonctions de garde des Sceaux. Louis de Marillac, nommé la veille commandant en chef de l'armée d'Italie, sera destitué de ses fonctions et décrété d'arrestation. »

Notons que c'est quatre jours seulement après l'exécution de Marillac, le 14 mai 1632, que Richelieu est nommé dans l'ordre du Saint-Esprit.

 

Michel Carmona mentionne une troisième et dernière fois le nouveau chancelier, à la page 510, mais c'est presque anecdotique : Châteauneuf est l'un des nombreux courtisans qui tentent  de faire revenir l'irascible Reine-Mère sur ses positions anti-Richelieu, à Compiègne, en février 1631.

Il n'y parvient pas mieux qu'un autre et Carmona se désintéresse ensuite de son cas, ne signalant ni son emprisonnement prochain, ni la suite de ses démêlés avec la Couronne.

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Françoise Hildesheimer prend en quelque sorte le relais de Carmona puisque Châteauneuf n'apparaît chez elle qu'en novembre 1632 (à la page 258). C'est une nouvelle fois une période difficile pour le cardinal. « Les problèmes s'accumulent : il apprend enfin le mariage de Gaston, lequel, à la nouvelle de l'exécution de Montmorençy, s'est de nouveau enfui à Bruxelles le 6 novembre ; en Allemagne, Wallenstein et Gustave-Adolphe sont face-à-face ; à la cour, dans l'entourage d'Anne d'Autriche, l'irréductible duchesse de Chevreuse a ensorcelé le garde des Sceaux Châteauneuf, qui intrigue contre lui. »

Cet abbé est décidément un drôle de lascar, bien porté qu'il est sur les plaisirs de la chair. Ses turpitudes ne laissent pas d'inquiéter Richelieu, malade de surcroît, si l'on en croit ce passage des Mémoires de La Porte, fidèle de la Reine, dépêché par elle-même à Bordeaux pour « savoir s'il était si mal qu'on disait » : « Je le trouvai entre deux petits lits sur une chaise, où on lui pansait le derrière, et l'on me donna le bougeoir pour lui éclairer à lire les lettres que je lui avais apportées ; ensuite il m'interrogea fort sur ce que faisait la Reine, si M. de Châteauneuf allait souvent chez elle... » F. Hildesheimer précise ensuite que « les lettres sont de la reine et de la duchesse de Chevreuse, et leur destinataire n'a guère de mal à imaginer les sarcasmes dont il est l'objet et les espoirs auxquels sa maladie donne prétexte, notamment au garde des Sceaux Châteauneuf, ce cinquantenaire manipulé, comme on l' a vu, par l'infatigable Chevreuse, elle-même âgée de trente-deux ans, qui en a fait un amoureux transi... Les rieurs ont en effet beau jeu de le traiter de « cul pourri », et les ambitieux de rêver à la succession. »


Les rieurs n'auront pas ri longtemps. Le cardinal-ministre n'aura de cesse d'imposer l'autorité royale à l'ensemble de la société et singulièrement à la gent nobiliaire. Selon ses propres mots, il avait décidé de rogner les ongles « si courts à ceux dont on a lieu de se garder que leur mauvaise volonté serait inutile »... F. Hildesheimer cite en préambule de son chapitre 5, justement intitulé « Rogner les ongles », une page qu'elle juge saisissante des Mémoires de La Rochefoucauld, où il dresse un tableau effrayant de la situation de la noblesse au temps de sa jeunesse - notre Châteauneuf y figure, disons-le d'emblée, en bien mauvaise posture : « Le Grand Prieur de Vendôme et le maréchal d'Ornano étaient morts en prison [...], le duc de Vendôme y était encore, la princesse de Conti et le duc de Guise son frère furent chassés ; le maréchal de Bassompierre fut mis à la Bastille, le maréchal de Marillac eut la tête tranchée ; on ôta les sceaux à son frère pour les donner à Châteauneuf. La révolte de Monsieur fit périr le duc de Montmorency sur un échafaud [..] [Le garde des Sceaux] fut ensuite arrêté, prisonnier lui-même bientôt après, Madame de Chevreuse fut reléguée à Tours, n'ayant de crimes l'un et l'autre que d'être attachés à la reine et d'avoir fait avec elle des railleries piquantes du Cardinal. (...)(2) »

Page 313, il est donc bien précisé que le 25 février 1633, Châteauneuf doit rendre les Sceaux « - payant chèrement les sarcasmes dont sa correspondance avec la duchesse a abreuvé Richelieu, le soupirant de la Chevreuse ne sortira de prison qu'après la mort du ministre(3) -, et ses partisans sont éliminés ; ils ont le choix entre le jugement et l'exil. Le cardinal, pour sa part, est crucifié par ses hémorroïdes dont rien ne peut venir à bout : tous les remèdes s'avèrent impuissants à le soulager, y compris les reliques de saint Fiacre, transportées pour l'occasion de Meaux à Paris ; quatre incisions doivent être pratiquées. L'heure n'est pas à l'optimisme, mais bien à la dépression, et donc, sans doute, à la répression... »


Et le 5 mai 1633, Richelieu est nommé commandeur de l'ordre du saint-Esprit...


Par des chemins bien tortueux, je dois l'avouer, nous voici incidemment revenus à saint Fiacre, le premier saint que j'ai abordé lors de cette étude. Mais je n'avais pas alors mentionné qu'il était considéré comme guérisseur et patron de ceux qui souffrent de maladies vénériennes et d’hémorroïdes (cette attribution serait fondée sur un calembour à partir du mot “Fic” qui désignait une petite tumeur). Autre preuve, s'il en fallait, de sa notoriété : Anne d’Autriche  aurait crédité saint Fiacre de la guérison de Louis XIII à Lyon, où le roi était tombé gravement malade.


Après Châteauneuf, c'est à Condé qu'il faut maintenant s'intéresser.


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1. Il s'agit de Châteauneuf-sur-Cher, qui fut d'ailleurs dans son histoire l'enjeu d'âpres batailles entre vicomtes de Bourges et princes de Déols. La forteresse établie au XIème siècle sur les rives du Cher fut complètement détruite à l'issue de cette guerre, puis reconstruite à plusieurs reprises.

2. La Rochefoucauld, Mémoires, Paris, 1964, p. 45-46.

3. « Châteauneuf réapparaîtra à l'occasion de la Fronde, toujours dans le sillage de la duchesse » Note de F. H

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14 octobre 2006 | Lien permanent | Commentaires (3)

Compostelle

Il faut que je parle de Compostelle. Certes, j'en ai déjà parlé ici et là, mais jamais je n'y ai consacré une note complète. Pourquoi aujourd'hui ? Tout simplement parce que Compostelle n'a cessé d'apparaître dans mes lectures tout dernièrement, et que j'ai vite fait d'interpréter la récurrence d'un événement comme un signe, ce qui est certainement très abusif mais, pour ainsi dire, c'est plus fort que moi. Signe de quoi ? en plus je n'en sais rien. Si j'écris cette note, c'est sans doute un peu pour essayer de le savoir.

Commençons par le commencement. A l'espace Leclerc Culture de Châteauroux, début juillet, je vois dans le présentoir des nouveautés en poche En avant, route ! d'Alix de Saint-André. Je sais qu'elle y raconte ses trois pélerinages à Compostelle, mais finalement, malgré l'envie que j'en ai, je n'achète pas le volume. Deux semaines plus tard, sur la côte aquitaine, j'ai la bonne surprise de le retrouver dans le chalet de nos vacances (c'est mon beau-père qui en a fait l'achat, inutile de préciser que je ne lui en ai nullement parlé). Je le dévore en deux jours, car c'est un livre très agréable, plein d'humour, qui ne cherche pas à donner la leçon ou à administrer un message. Alix de Saint-André est croyante, mais ne fait pas de prosélytisme ; elle ne se fait pas de cadeaux (elle effectue son second voyage parce qu'elle a la sensation d'avoir raté le premier, par égoïsme), et accorde une grande place à ses compagnons du camino.

"Le troisième, je l’ai vraiment fait pour moi, j’ai fait ce qu’on appelait au Moyen Âge le « vrai chemin », qui consiste à partir de chez soi. Donc, je suis partie de Saint-Hilaire-Saint-Florent, Maine-et-Loire, pour aller jusqu’au bout de la terre, à Finisterre. Parce que le pèlerinage ne se termine pas au tombeau de l’Apôtre, mais trois jours plus tard au bord de la mer, où l’on brûle symboliquement un vieux vêtement au coucher du soleil : on dépouille le vieil homme pour devenir un homme nouveau."

De retour en Berry, j'emprunte à la médiathèque plusieurs ouvrages dont La carte de Guido, sous-titré Un pélerinage européen, de Kenneth White. Poète, écrivain, essayiste, je l'avais découvert il y a longtemps à travers les Lettres de Gourgounel, où il relatait son séjour en 1966 dans un images?q=tbn:ANd9GcRuFEPlNJriS86jnGFgkQ6GNmrqNqqhoR9DzA6r0nOM1rhQ-FRiwApetit hameau ardéchois. Un livre qui m'avait, comme beaucoup d'autres, enthousiasmé à l'époque. J'ai ensuite longtemps suivi son parcours, puis je l'ai un peu perdu de vue, car il m'a semblé que quelque chose commençait à tourner en rond chez le géopoéticien (c'est ainsi qu'il se désigne parfois). Ce dernier ouvrage en donne à mon sens une nouvelle preuve : composé à partir des multiples voyages de l'auteur en différentes parties de l'Europe, il ne parvient guère à nous éclairer sur le sens même, la figure, les perspectives de cette Europe. Il s'applique souvent à rapporter des conversations entendues ici et là, comme s'il voulait restituer un peu de l'air du temps, mais il ne parvient guère à leur donner vie - et cela manque souvent cruellement d'empathie. Moins érudite, Alix de Saint-André parvient beaucoup mieux à dessiner des portraits d'hommes et de femmes, en cernant de près leurs désirs, leurs motivations, leurs blessures, aussi en deviennent-ils attachants, au lieu que Kenneth White reste dans une distance qui nous prive de l'humain.

Ainsi de cet homme rencontré dans un petit village de Galice, un afrikaner qui en était lui à son quatrième pélerinage : parti cette fois de Séville, il comptait marcher jusqu'au cap Finisterre. Extrait :

"Vous connaissez le cap Finisterre, demanda-t-il.

"Non", répondis-je, ce qui n'était pas vrai car, vu mon attirance pour les finisterres en général, j'y étais allé des années auparavant, mais je sentais qu'il voulait m'apprendre quelque chose, alors je l'ai laissé parler.

"C'est du latin. Ça signifie "la fin de la terre". Pas la fin du monde, comme dans l'Apocalypse, mais la fin des terres.

- D'accord.

- C'est comme Compostela. C'est aussi du latin? Campus stella, "le champ des étoiles"."

Je ne lui ai pas dit que cette étymologie était contestée, ni que son latin n'était pas fameux. Je me suis contenté d'un "Je vois"." (p. 88-89)

J'ai préféré, à cette posture légèrement condescendante, l'attitude de l'auteur d'un autre livre emprunté le même jour, Jean-Louis Hue et son Apprentissage de la marche (Grasset, 2010). Les trois derniers chapitres sont consacrés à Compostelle (ce que je ne savais pas en l'empruntant), et la dernière page au cap Finisterre où, "blottis dans les niches de la falaise, les pélerins attendent que le soleil couchant s'ensevelisse dans la mer." "Le Finisterre, poursuit-il, marque la symbolique frontière d'une vieille vie qui s'achève et d'une autre qui naît. De ce face-à-face avec l'immensité de l'Océan, les pélerins reviendront métamorphosés. Ils seront comme des hommes neufs."

Les pélerins peut-être, mais pas Jean-Louis Hue : "Je n'avais pas envie de rentrer. Et pas davantage l'ambition de devenir un homme neuf. L'idée d'en avoir fini me laissait désemparé." Les dernières lignes sont malgré tout pleines d'optimisme : "Je sais que demain d'autres chemins s'ouvriront à moi. Rien ne pourra me priver d'une liberté que j'ai mis des siècles à conquérir. J'ai enfin appris à marcher."

Un quatrième écho compostellan me fut donné à entendre. Une autre recherche, distincte, me conduisit à réouvrir ce merveilleux livre d'Olivier Clément*, Anachroniques (Desclée de Brouwer, 1990), et, si je n'y trouvais point ce que j'étais censé y trouver (une référence à Léon Chestov), j'y redécouvris le chapitre qu'il écrivit sur Compostelle "ou : saint Occident."

Le mystère de Saint-Jacques de Compostelle, en effet, c'est le mystère de l'Occident. La Galice est le finistère le plus occidental de l'Europe, le seul où se soit fixé l'un des lieux saints de la chrétienté. Ici la terre s'enfonce dans l'océan, le désigne, lieu de l'ouverture et de l'aventure. Dans le ciel nocturne, la voie lactée dessine le "chemin de Saint-Jacques", et sa contemplation transforme les pélerins en rois-mages s'apportant en offrande. "Mille et mille étoiles font de saint Jacques le chemin", dit un texte du XVIe siècle. Et Compostelle veut dire "le champ de l'étoile", l'étoile de Bethléem brillant comme un phare à l'extrême de l'Occident, pour les aventuriers qui, sur l'océan, reprendront l'injonction du pélerinage, ultreia, "toujours plus loin". (p. 301)

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Carte  : Wikipedia

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*La note où, en 2009, j'évoquais Olivier Clément, débutait avec Vézelay, qui n'est autre qu'un des points de départ vers Compostelle. La Voie de Vézelay, aussi dénommée Via lemovicensis, est celle qui passe par Déols et Neuvy Saint-Sépulchre.

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12 août 2011 | Lien permanent | Commentaires (9)

Translatio Graalis

A l'est d'Aigurande, le petit village de la Forêt du Temple est notre premier indice : connu en 1185 sous le nom de Domus fratrum de templo forest, c'est alors une dépendance de la commanderie de Viviers, près de Tercillat. Son église est curieusement située à l'extérieur du bourg, près d'un petit bois de peupliers avec une fontaine surmontée d'une croix de pierre. Grandement restaurée en 1872-1874, elle témoigne encore de sa vocation première avec des épées gravées dans le dallage, attestant de tombes de supérieurs templiers. Or, dans le Parzival de Wolfram Von Eschenbach (v. 1170 – v. 1220), les Templiers sont désignés par l'ermite Trévizent comme les gardiens du Graal. Et dans les romans arthuriens, la forêt est toujours le lieu où chercher l'aventure, l'espace merveilleux et redoutable empli de mystères et de dangers, de monstres effrayants et de jeunes femmes prodigieusement belles : « Ils quittèrent alors le castel et se séparèrent comme ils l'avaient décidé, puis se dispersèrent dans la forêt, pénétrant là où elle était la plus épaisse, sans chemin ni sentier. Au moment de cette séparation, on vit pleurer ceux qui croyaient avoir le coeur dur et orgueilleux. » (La Quête du Graal, p.73)

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Beaucoup de ces chevaliers de la Table Ronde engagés dans la Quête du Graal ne rencontreront au bout du compte que l'humiliation et la mort. C'est qu'ils n'ont pas compris le sens de cette épreuve : pour eux, le Graal n'est qu'un prétexte de plus pour se couvrir de gloire. « Ils partent, écrit Albert Béguin, croyant accomplir des exploits tels que l'héroïsme et l'esprit d'aventure les leur ont toujours commandés. Ni la charité, ni la soif de vérité ne les mènent. Ils s'en vont en combattants terrestres pour une quête « célestielle ». » Même celui qui, le premier, est mis en présence du Saint-Vase, Perceval dans le Roman de l'Estoire dou Graal, écrit par Robert de Boron, échouera à le rapporter. Sa faute étant de ne poser aucune question sur le mystère auquel il est admis à assister, « c'est-à-dire, précise encore Albert Béguin, de ne désirer ni la participation effective au sacrement d'eucharistie ni la connaissance qu'il recevrait ainsi des ultimes secrets de la Révélation. » Ce même échec apparaît également chez Wolfram von Eschenbach. « Au premier temps fort du roman, la visite infructueuse au château du Graal, Parzival atteint le point de retournement ; dorénavant, il lui faudra pour ainsi dire revivre sa vie, mais cette fois à rebours et avec une conscience élargie. » (R.Dahlke, Mandalas, comment retrouver le Divin en soi, Dangles, 1988, p. 163) Le même mouvement régit la géographie sacrée : le signe du Cancer symbolise cette récapitulation existentielle, cette réappropriation de soi du héros arthurien, par l'image du crabe marchant à reculons, exprimant primitivement le retrait progressif du soleil à partir du solstice. Pour Doumayrou, le Cancer est ainsi la fontaine de vie, réceptacle de l'eau substantielle où se développeront les germes fécondés : la forêt de la Forêt du Temple, nous la trouverons donc au grand bois de Fonteny où une abbaye, aujourd'hui disparue, avait été implantée. Elle n'a laissé de traces que dans la toponymie locale : hameaux voisins nommés Boucamoine et Ouches-Moines. Dans les romans du Graal, ce sont les ermites qui, à intervalles réguliers, instruisent les chevaliers et leur dévoilent le sens de leurs aventures. Dans un autre bois de cette zone Cancer, nous avons même une fontaine dite de l'Hermite, non loin d'un autre lieu-dit le Temple, situé dans la même direction Sud-Ouest que la Forêt du Temple par rapport à Fonteny.
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A l'orée de ce bois, vers l'est, le lieu-dit Saint-Joseph rappelle que c'est Joseph d'Arimathie qui a transmis le Graal, en tant que vase contenant le sang du Christ, à ses descendants, avec mission d'évangéliser la Grande-Bretagne. Ce passage du Graal de l'Orient à l'Occident, cette translatio graalis est symbolisé par la présence de l'autre côté du bois, à l'ouest, du hameau du Grand Pommier, qui évoque l'île d'Avallon, Emain Ablach en irlandais, autrement dit la pommeraie. Avalon, destination du Graal dans le Joseph de Robert de Boron. Ou Avallon, l' île dont la tradition brittonique fait le refuge du roi Arthur en attendant de revenir délivrer ses compatriotes gallois et bretons du joug étranger. Et notons encore que Merlin, le fondateur de la Table Ronde, enseigne sous un pommier. Maintenant si nous alignons Saint-Joseph et le Grand Pommier en passant par le centre du bois de Fonteny au point de croisement des deux allées qui le traversent (formant par ailleurs une croix de saint André), nous voyons émerger sur ce quasi parallèle d'autres indices troublants. A l'est, l'axe est balisé par Sazeray et Vijon, deux paroisses qui dépendaient de l'abbaye de Déols. Sazeray n'est pas sans faire penser à Sarraz, la capitale des Sarrazins, où Robert de Boron fait transiter le Graal avant de le faire parvenir en Angleterre. Il y reviendra dans une des versions du mythe : « Une voix céleste, écrit Catalina Girbea, la même qui avait commandé à Joseph de porter le Graal en Occident, demande à Galaad de le mettre à Sarraz dans le Palais Spirituel. Galaad, Perceval et Bohort sont emprisonnés par le roi Escorant, et ils sont réconfortés par le Graal qui leur tient compagnie. L'histoire de Joseph se répète, le cercle se referme. Sarraz est le début et la fin et tout le reste paraît un rêve passager. » Entre Sazeray et Vijon, un minuscule lieu-dit le Monterrant rassemble en un seul vocable les riches symbolismes de la montagne et de l'errance, dont la connivence est superbement suggérée par Gérard de Sorval : « C'est ainsi que le lieu de naissance et d'appartenance d'un homme, terrestre ou cosmique (son zodiaque), est la signature de son point de départ en cette vie et de sa destinée : du centre à partir duquel il est appelé à s'orienter librement et à se retrouver. Et, paradoxalement, l'état nomade pastoral, celui des compagnons passants, des nobles voyageurs, ou l'errance aventureuse des chevaliers, témoignent toujours de l'enracinement dans un centre intérieur à soi-même : clan, confrérie, assemblée des Philosophes, Table Ronde, etc. Qu'il soit physique ou subtil, extérieurement visible ou non, ce pôle de rattachement appelle à la recherche active du lieu où l'errance se transforme en tournoiement de la roue autour du moyeu, de la montagne élevée où se rasemblent ceux qui sont épars : le château tournoyant du Graal ou la chambre du Milieu ouverte par l'escalier à vis. « (La Marelle ou les sept marches du Paradis, Dervy-Livres, 1985, p. 118) L'horizon occidental n'est pas moins révélateur : après le Grand Pommier, il désigne rien moins que le hameau de la Graule... Par une curieuse fantaisie de l'histoire, il est toujours ici question de pierres : ce n'est plus l'énorme pierre précieuse aux vertus magiques du poème de von Eschenbach, mais l'ultra-moderne taille de pierres de granit de haute précision. L'alignement est ensuite parallèle à la départementale 990 jusqu'à Aigurande où il pénètre par le Merin, dont un orme et une croix marquaient jadis la limite entre Aigurande en Berry et Aigurandette en Marche, et qu'il est bien tentant de lire comme un souvenir de Merlin... (et nous pouvons prolonger notre rêve en voyant sur la carte, juste au-dessus du Grand Pommier, les maisons de la Fée, avec son étang alimenté par le ruisseau issant du bois de Fonteny. Petit lac pour Viviane berrichonne...). Enfin, au-delà d'Aigurande, l'axe vise le bois de Grammont, où était implanté un prieuré de l'ordre de Grandmont, un ordre religieux de caractère érémitique fondé par Etienne de Muret en 1076, dont l'abbaye-mère se situait en Limousin, dans les monts d'Ambazac.
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Saint Etienne de Muret Ce n'est sans doute pas un hasard si l'ordre s'est particulièrement vite développé sur les fiefs du roi d'Angleterre, la Normandie, l'Anjou, la Saintonge, le Poitou et la Gascogne : « Car le roi d'Angleterre, Henri II Plantagenêt, plein d'admiration pour leur ferveur, se fit très vite leur protecteur. »(L'art grandmontain, Zodiaque, 1984). A la lumière de l'étude de Catalina Girbea sur la récupération du roman arthurien, il faut soupçonner également un savant calcul politique. Mais c'est là une autre question sur laquelle nous aurons peut-être l'occasion de revenir. Sur ce, satisfait d'avoir comblé son retard sur la course solaire, l'arpenteur zodiacal observera une petite pause estivale. Il donne rendez-vous au signe du Lion à ses lecteurs fidèles ou occasionnels (qu'il remercie en passant de tout son coeur car ils lui redonnent souvent courage en son périple).

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11 juillet 2005 | Lien permanent

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