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Rechercher : Poissons

Ora et labora

Une des objections que l'on fait souvent au type de travail auquel je me consacre est la sélection, consciente ou inconsciente, des données, autrement dit on ne prendrait en considération que ce qui irait dans le sens de l'hypothèse initiale, et l'on écarterait, plus ou moins intentionnellement, tout ce qui pourrait la remettre en question. C'est en effet un danger qui guette le chercheur, à partir du moment où il a enregistré un nombre certain de corrélations troublantes : dissimuler, oublier, omettre l'anomalie, le site, le mythe, le fait historique ou matériel qui ne fait plus sens dans la configuration envisagée. Bien souvent, la remise en cause à partir de cet indice résistant permet d'élargir encore et de découvrir une nouvelle structure symbolique adventice ou plus vaste. Et quand cela n'est pas possible, pourquoi ne pas accepter son impuissance ? De la géographie sacrée, il en va comme de la mythologie, nous n'en connaîtrons jamais que des fragments - d'où le nom de ce blog – à partir desquels nous hasardons nos reconstitutions. Tentatives toujours risquées, incertaines, provisoires, qui nous éloignent de la tentation de prétendre posséder la vérité.

Confrontons par exemple nos derniers développements à une étude extérieure : en 1989, j'avais choisi celle de Brigitte Rochet-Lucas sur les fontaines du Bas-Berry consacrées à la terre.1 Quatre sont citées :

  • Fontaine Sainte-Madeleine du Ponderon

  • Fontaine de Notre-Dame de Vaudouan

  • Fontaine de la Chaise, à Mosnay

  • Fontaine Saint-Pardoux, à Saint-Chartier.

Or les deux premières, on l'a vu, sont situées en Vierge et la troisième trouve place sur ce que j'ai appelé l'axe majeur, qui est un alignement Vierge-Poissons. Seule une fontaine reste en dehors de notre hypothèse zodiacale. On pourrait la passer sous silence, se contenter d'un trois sur quatre déjà édifiant, mais n'est-il pas plus fécond de prolonger l'enquête, d'aller chercher dans le détail ce qui se rattache à cette fontaine rétive ? Observons déjà qu'une coutume identique à celle de Mosnay, abandonnée aujourd'hui, la caractérisait, c'est-à-dire que les femmes cueillaient des rameaux de buis, les trempaient dans l'eau et aspergaient l'ecclésiastique, lequel devait se laisser faire (sinon la pluie ne venait pas).

De fait, il y a une petite erreur dans la relation de B. Rochet-Lucas : la fontaine se trouve en réalité sur la commune de Lourouer Saint-Laurent, à deux kilomètres environ du bourg, vers le sud-ouest. Or, le titulaire de l'église est saint Pardoux et non saint Laurent. « Fondateur de l'église de Guéret, rappelle J.L. Desplaces, il n'est pas vénéré dans l'Indre où aucune autre paroisse ne lui est dédiée. » (op.cit. p. 69). Quelle est la raison d'une telle originalité ?

Première constatation : la fête de saint Pardoux étant fixée au 6 octobre, cela la place donc dans le signe de la Balance, où se situe précisément Lourouer Saint-Laurent. Je note ensuite que ce village est sur le même parallèle que Mosnay. Saisissons-nous alors de la figuration du signe par une balance avec son fléau et ses deux plateaux : « La flèche, lorsque les plateaux sont en équilibre (équinoxe), ou l'épée qui s'identifie à elle, c'est le symbole de l'Invariable Milieu. » (Dict. Des Symboles, art. Balance, p. 99). Si nous traçons maintenant la ligne Mosnay-Lourouer, le méridien passant par le milieu du segment désigne le village de Lourdoueix Saint-Pierre, dans la Marche. Comme Lourouer (en 1249, cité comme « Decima de oratorio »), Lourdoueix doit son nom à un oratoire.

 

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Remarquons tout de suite que la figure qui se dessine ici, joignant les trois pôles Mosnay-Lourouer-Lourdoueix, est un quasi triangle équilatéral, symbole bien connu de divinité, d'harmonie, de proportion et d'équilibre. Triangle renversé en l'occurence, avec sa pointe en bas, il représente également l'eau et le sexe féminin (d'où, peut-être, les rites d'aspersion que nous avons vus menés par des femmes).

1Ce n'est certes pas la plus exhaustive. Mieux vaudrait maintenant prendre celle de Jean-Louis Desplaces, avec ses trois volumes du Florilège de l'eau en Berry. Je m'y emploierai un de ces jours.

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19 octobre 2005 | Lien permanent

Saints Archanges

29 septembre, fête des Saints Archanges. L'occasion est trop belle de continuer l'enquête sur Saint-Michel-en-Brenne. Faute de temps, je reprends ici in extenso, sans en corriger une ligne, un passage de mon essai de 1989, relatif à la Brenne.

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« Près du château du Bouchet, s'étend le plus vaste des étangs brennous : l'étang de la Mer Rouge, ainsi baptisé, d'après la légende, par le seigneur du Bouchet, au retour d'une croisade en Terre Sainte. Il aurait aussi fait construire la petite chapelle blanche, sise entre les arbres et les eaux, en souvenir d'une apparition de la Vierge dans le creux d'un vieux chêne, alors qu'il recherchait un épervier perdu. Rien n'est gratuit dans cette fable : le vieux chêne est l'arbre cosmique, symbole de la fonction zénithale, polaire, principe moteur de toute vie. Aussi trouvons-nous, à la verticale de la chapelle, la cité de Bélâbre, qui doit son nom au Bel Arbre, peut-être l'arbre de Bel, Bélénos, l'Apollon gaulois, dont les traits seront repris par l'archange Michel, qui signe la paroisse de Saint-Michel-en-Brenne, située au nord du même méridien. Celui-ci survole l'étang de la Gabrière, que la seule chaussée d'une route sépare de son jumeau, l'étang du Gabriau. Font-ils référence à cet autre archange, Gabriel ? Figurent-ils les deux ailes de cet épervier perdu, de cet autre ange, lui déchu, Lucifer, « porte-lumière » ? Mais l'épervier est aussi une sorte de filet pour attraper le poisson, ce qui fait écho au signe tout en servant d'image concrète de la géographie sacrée emprisonnant dans les mailles de sa logique villes, église, châteaux, rivières et sites naturels. L'épervier est enfin ce jeu d'enfant qui consiste en une chaîne toujours grandissante de ses successives captures, illustrant par-là même la contamination initiatique, la sève spirituelle se disséminant dans les canaux du chêne cosmique. Cette cabale phonétique s'enracine en Navarre, à l'horizon de Toulouse : le blason de cette province est de gueules aux chaînes d'or mérellées, chargées en coeur d'une émeraude au naturel. L'émeraude fut, dans le conte, détachée du front de Lucifer, puis taillée dans la forme du Graal pour y recueillir le sang du Christ. A l'horizon de Belâbre est ce village déjà repéré de Luzeret -dérivé de l'ancien français lusier, "porte-lumière" précisément. Par ailleurs, assure Doumayrou, « le sang du supplice est, d'un point de vue païen, la pierre vomie par Saturne, roi déchu, c'est-à-dire le Bétyle. L'origine delphique de ce monument étant perdu, on en ignore la forme première, mais sur les représentations antiques il est toujours semblable à un oeuf prisonnier d'un filet, ou des spires d'un long serpent enroulé. C'est la semence lapidaire enchaînée par la Mérelle (la toile ou les étoilements du filet) où serpente Mélusine, dans un embrassement qui l'emportera de la chute à la régénération.(Géographie sidérale, p. 160-161) » Ce Bétyle ne serait-il pas inscrit, à peine voilé, dans le nom de Béthines -village du proche Poitou, domaine de Mélusine- placée exactement sur l'horizon de Bélâbre ? D'autant plus que l'axe Béthines-chapelle de Notre-Dame de la Mer Rouge aboutit à Sainte-Gemme tout en rasant la ville haute du Blanc, ville sacrée à l'époque gallo-romaine, où se trouvait, selon Jacques Pineau, un « Orgeon », association religieuse s'adonnant au culte de Cybèle, celle qui causa la chute du vieux Saturne."

 

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29 septembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)

De l'appropriation symbolique du territoire

Faites cette expérience de pensée. Imaginez tout d'abord que votre intérieur est dépouillé de tout ce qui le relie au dehors, que rien ne subsiste chez vous de ce qui est téléphone, radio, télévision, internet... Plus rien que des objets sans prolongements invisibles, ni émetteurs ni récepteurs, simplement présents. La maison n'est plus que cet abri, cette coque isolée du monde, dont les bruits qui nous parviennent ne sont plus que ceux du proche entourage.
Une fois immergé dans ce silence retrouvé, passons la porte. La rue n'existe plus, avec ses trottoirs et sa chaussée pavée ou bitumée. Un chemin herbeux s'offre seul à vous. De la ville ne demeurent que quelques huttes semblables à la vôtre. Il vous faut rejoindre votre famille, vos parents, vieux, qui vivent à cinquante kilomètres d'ici. Le mot même de kilomètre n'est plus de mise. De même que les panneaux, les indications lettrées ; il n'existe plus aucun de ces signes dont l'espace jusque-là était comme saturé. Plus aucun véhicule, à moteur ou non. Il y a peut-être des animaux, mais hors de votre portée à cet instant. Vous vous mettez en chemin.

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Vous le savez, c'est au sud qu'il faut se diriger. Ce serait bien facile s'il suffisait de suivre le cours de la rivière qui passe par ici. La vallée est la plus simple voie de pénétration. Hélas, il vous faut la quitter, franchir d'autres rivières, escalader des collines, traverser des forêts. Pour vous orienter, il vous faut lever le nez, l'astre solaire est votre premier guide.
Sur cette trajectoire qu'il vous faut inventer, sur ce territoire qu'il vous faut arpenter, vous n'êtes heureusement pas seul. L'homme n'est jamais seul. L'homme a toujours été précédé par l'homme. Et d'autres avant vous ont parcouru la piste. Vous en trouverez facilement un pour vous accompagner. Sa mémoire vous émerveille : rien n'est signalé, mais il avance sans hésiter car il semble avoir à sa disposition un trésor de repères. Arbre singulier, rocher affleurant la plaine, relief au profil d'animal, source, ruisseau ophidien, marécage putride, mare, bosquet, tertre, cent détails mal visibles pour vous forment pour lui une chaîne ininterrompue d'informations. Et ici et là, un empilement de pierres sèches, un cairn, assure nos pas.
En parlant avec votre guide, vous prenez conscience qu'à presque chaque jalon de cette route, un fait est associé, une histoire, un récit, venu de loin, parfois incroyable, manifestement une légende. L'itinéraire est balisée par le souvenir des mythes. Parfois l'homme s'arrête, se recueille, esquisse un geste, déplie un rituel inconnu de vous, fait une offrande, balbutie des mots que vous ne comprenez pas.
Parfois vous marcherez de nuit à la lueur des étoiles, suivant le chemin qu'elles vous tissent là-haut.
C'est ainsi que vous retrouverez les vôtres, à l'issue d'un périple où vous aurez été infiniment attentif à toutes les saillies du paysage, ouvert de tous vos sens à tout ce qui vit.

J'ai ainsi essayé de me replacer dans l'optique d'un de ces hommes de l'Antiquité, nomade ou sédentaire contraint de voyager dans l'espace environnant. La géographie sacrée émergeait pour moi de cet effort constant, de cette nécessité de s'orienter dans l'inconnu. J'en étais là, au seuil de Poissons, à l'heure de pénétrer dans l'examen de la Brenne qui constitue le principal paysage de ce douzième et ultime signe, lorsque j'ai découvert par un de ces hasards du web que nous avons maintes fois rencontré, par l'effet de cette heureuse sérendipité, une étude de l'anthropologue canadien Bernard Saladin d'Anglure, La toponymie religieuse et l'appropriation symbolique du territoire par les Inuit du Nunavik et du Nunavut. Mise gracieusement en ligne par l'Université du Québec à Chicoutimi, elle n'était pas sans échos profonds avec ma petite expérience mentale. Cet espace que j'avais dû débarrasser de ses attributs civilisationnels se rencontrait heureusement encore presque vierge dans les étendues arctiques. Là, nous sommes proches de l'origine, même si cet héritage est menacé lui aussi par la vie moderne et la culture occidentale, et c'est là d'ailleurs un des objets de l'étude de B. Saladin d'Anglure que de contribuer à sauver les traces mêmes de la civilisation inuit à travers sa toponymie religieuse.

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"Rares sont ceux, écrit Saladin d'Anglure, qui ont prêté une attention particulière aux sites sacrés et aux liens symboliques qui unissent les Inuit à leur territoire. Ces liens s'enracinent dans leur tradition orale, dans leur conception de la personne humaine et du cosmos, comme aussi dans les expériences vécues, passées et présentes. Collignon (1996) fait remarquer que les mythes d'origine sont très rarement localisés. Elle appuie sa réflexion sur la compilation des corpus de mythes recueillis par ses prédécesseurs dans la même région. Et pourtant les enquêtes toponymiques que j'ai conduites avec Louis-Jacques Dorais dans le Nunavik (Saladin d'Anglure et al. 1969), puis, par la suite, seul, à Igloolik, font apparaître une inscription territoriale indiscutable des grands mythes d'origine, même si ce lien n'est pas toujours apparent et qu'il relève plus de la cosmologie que de l'onomastique des lieux."

C'est cette inscription territoriale indiscutable qui est également à l'oeuvre dans la géographie sacrée. Le sacré est-il finalement autre chose que le scarifié ? C'est-à-dire la marque imprimée sur le lieu nu, la plus-value de sens qu'on lui attribue et qui se reflète dans le nommage, le geste toponymique.

"Pour comprendre la charge symbolique qui affecte certains noms de lieux, il faut savoir qu'en plus des commentaires explicites dont ils sont l'objet, ils sont aussi chargés de sous-entendus implicites, connus seulement par ceux qui ont reçu le savoir des aînés durant les voyages et la vie collective dans les camps saisonniers. Ce qui est nommé est souvent ce qui est utile comme repère ou qui est remarquable (ujarasujjuk ; « un gros bloc rocheux »), ou qui contient des ressources (kuugaaluk ; « grande rivière » et tasialuk ; « grand lac », sous-entendu « où l'on peut pêcher des poissons », par opposition à d'autres lacs et rivières qui ne sont pas nommés) ; ou encore le lieu où est survenu un événement insolite."

On retrouve chez les Inuit une partition du territoire où les différents espaces sont régis par des esprits maîtres, qu'on peut homologiquement faire correspondre, par exemple, à nos différents secteurs astrologiques gouvernés par certaines planètes.

"Selon les croyances des Inuit, chaque territoire est possédé par un esprit maître qui le protège des intrus et veille à son bon usage. Un territoire s'arrête là où commence un autre territoire ; il est circonscrit par la mer, dans le cas d'une île, et par le relief ; mais d'autres éléments entrent aussi dans sa délimitation, comme son utilisation par un groupe et sa désignation par un régionyme distinctif. Dans notre enquête toponymique faite avec L.-J. Dorais dans le Nunavik, nous étions arrivés à la conclusion qu'un territoire toponymique était défini par l'unicité de ses toponymes."

Tout comme le thème astral définit une personnalité en fonction de son lieu de naissance, "le lien qu'a tout individu avec son lieu de naissance fait partie de ses signes distinctifs, car c'est là que l'âme d'un défunt s'est incorporée dans l'enfant."
Le souvenir de cette incorporation est ritualisé : "L'automne, dans la région d'Igloolik, quand on construisait le premier iglou, chaque membre de la famille devait consommer un petit morceau de viande et remercier d'être né à tel ou tel lieu, en se tournant dans sa direction. On célébrait en même temps le souvenir du défunt dont on portait le nom."

Chez les Inuit, la relation s'étend même au temps atmosphérique qui avait cours le jour de la naissance. On disait de quelqu'un, "né par un jour de beau temps, qu'il avait toute sa vie la capacité de ramener le beau temps en s'exposant nu à l'air extérieur."

Il faut lire l'intégralité de cette courte étude que je ne veux pas citer davantage pour comprendre l'importance de cette réappropriation de ce que l'anthropologue appelle le patrimoine immatériel des Inuit, qui est maintenant engagée à côté de celle du patrimoine matériel. Bien évidemment, nous ne vivons pas un tel état d'urgence. Nos géonymes ne sont pas menacés comme au Canada, de substitution ou d'oubli, mais ils attendent certainement d'être révélés dans leur nature propre, dans leur fonction et leurs rapports mutuels. Témoins de cette appropriation symbolique du territoire par nos propres ancêtres.











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11 janvier 2009 | Lien permanent

L'alouette et le buis

Simone, ma grand-mère, est morte. Elle était âgée de 95 ans, les souffrances avaient été vives et nombreuses ces dernières années, et ce départ est plutôt pour elle un soulagement. N'y voyant et n'y entendant plus que très mal, ne pouvant plus se déplacer seule, elle avait à peu près perdu le goût de vivre. Depuis 2002, où elle était allée vivre chez l'un de ses fils, je ne lui apportais plus ces livres en gros caractères de la bibliothèque d e La Châtre où j'avais pris spécialement pour elle un abonnement. Avant cette date, pendant des années, je l'avais alimentée de littérature régionale, celle qu'elle préférait, car elle avait souvent pour thème les campagnes et les destins paysans, histoires du seul monde qu'elle ait jamais connu. Car, en  presque un siècle d'existence, je ne pense pas qu'elle se soit souvent aventurée au-delà même des limites de sa commune et de son hameau. Et pourtant, sa destinée fut marquée et ô combien par les charivaris du monde, le bruit et la fureur de ce terrible vingtième siècle.

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Née donc le 10 octobre 1915, elle ne connaîtra pas son père, emporté très vite par la guerre. Et comme sa mère n'était pas mariée, elle ne connaîtra pas plus le père et la mère de son père, et ce sont ses grands-parents maternels qui pratiquement l'élevèrent. Elle se marie jeune, en 1933, avec Lucien, mon grand-père, rencontré, m'a-t-elle raconté, alors qu'ils menaient tous deux, sur un chemin, des boeufs et des vaches. En 1940, Lucien est fait prisonnier. Il ne reviendra qu'en mai 45. Pendant cinq longues années, Simone élevera seule trois petits enfants, dont l'aîné est mon père.

A Bouesse, dans la petite église, eurent lieu vendredi les obsèques. Ses sept enfants étaient là, ainsi que bon nombre de petits et arrière-petits enfants. Juste avant l'office, la tante qui s'est occupée d'elle jusqu'au dernier moment me demanda si j'avais prévu de dire quelque chose. J' y avais pensé, certes, mais je ne m'estimais pas plus légitime qu'un autre pour prononcer quelques mots d'hommage, et je n'avais donc rien préparé. Cependant, personne n'ayant rien préparé non plus, sauf des lectures d'évangile, je me sentis autorisé et même presque contraint à me lancer : elle ne pouvait pas partir sans que quelques paroles ne lui soient spécialement dédiées, sans que sa mémoire ne fût évoquée, de façon simple et concrète. Je sentais que je devais être la voix de tous ceux qui étaient cet après-midi rassemblés.

Dehors la neige tourbillonnait devant les anges, placées là pour les fêtes, qui gardaient la porte de l'église, et le froid intense rappela à ma propre mère celui qui sévissait il y avait tout juste 50 ans, dans cette même église, à l'occasion d'un événement qui n'était autre que mon baptême. Pour être exact, c'était le jour de Noël, mais le jeune prêtre rappela que la messe d'enterrement devait être célébrée de bon matin le lendemain même de ces funérailles : c'est donc exactement 50 ans, jour pour jour, qui séparent mon baptême et le dernier au revoir à ma grand-mère. Et je ne pouvais pas ne pas songer à cet article écrit ici-même pour mes 50 ans, où la neige et la guerre de 14 avaient bonne place déjà. Et, à cette date, rien ne laissait augurer de la rapide dégradation de santé de Simone.

Et les échos à la géographie sacrée dans les bornes mêmes de son existence ne sont pas niables : née dans la commune voisine de Malicornay, au lieu-dit l'Alouette, et décédée à La Verrerie, commune de Bouesse, elle est allée symboliquement de Bélier à Poissons, du premier au douzième signe du zodiaque. Il y aurait beaucoup à dire sur l'alouette, oiseau sacré des Gaulois, dont les ailes ornaient les casques d'une légion gallo-romaine fondée par César. L'alouette qui chante dès le matin exalte les valeurs du premier signe de printemps : « Son envol dans la claire lumière du matin évoque l'ardeur d'un élan juvénile, la ferveur, la joie manifeste de la vie. », note le Dictionnaire des Symboles (Robert Laffont, 1982, p. 25).

Née le 10 octobre, elle est Balance, l'autre signe équinoxial, mais sa mort le 21 décembre la rattache au solstice.

Et je rappelerai que Bouesse est placée presque au centre du carré barlong de Saint-Genou, le carré sacré du buis, découvert en 2008.

 

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La diagonale SO-NO prend Bouesse et Malicornay dans sa visée. C'est sur la route de Buxières d'Aillac, l'autre village portant le buis dans son étymologie , que se situe le petit cimetière où nous accompagnâmes, à travers la bourrasque neigeuse, Simone pour son dernier voyage. C'est le lieu de rappeler aussi que le buis est, de par sa longévité, symbole d'immortalité et de la résurrection du Christ.

De l' alouette au buis, de la naissance au terme, que la vie de mon aïeule s'inscrive ainsi avec tant de précision sur les lignes de force d'une géographie symbolique immémoriale me laisse comme étonné et perplexe. Quelles places accordées respectivement à la détermination et à la liberté ? Que penser au fond de cette nouvelle énigme ? De cet intime tissage de nos destins ?

     

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26 décembre 2010 | Lien permanent | Commentaires (7)

Dimanche à Angles sur l'Anglin

L'ocre d'octobre se livre à la Huche Corne.
Je ne veux dire par là que la splendeur automnale d'un dimanche paisible à Angles sur l'Anglin, dans la Vienne. Bienheureux ceux qui connaissent ce village et bienheureux ceux qui ne le connaissent pas, car je me vante de leur donner là un nouveau but à leur vie...  Pas de ricanement : le charme et la beauté du site ont été éprouvés par des connaisseurs depuis belle lurette, les Magdaléniens y ont en effet laissé des frises pariétales qui valent au Roc aux Sorciers - l'abri sous roche au fond duquel elles ont été découvertes - le surnom de "Lascaux de la sculpture". On ne visite pas, le site est protégé mais un centre vient d'ouvrir (au 21 mars 2008 -je ne suis pas le seul apparemment à aimer ouvrir avec l'équinoxe*).
La Huche Corne est un ancien bastion fortifié, l'un des plus beaux points de vue sur la vallée de l'Anglin, la Ville basse et les ruines du château féodal qui s'élevent au-dessus des falaises calcaires. Je songeai là qu'Angles n'apparaissait pas dans la géographie sacrée, mais il ne faut pas désespérer :  le village est en Poissons, signe encore à venir... Le dernier, quand j'en aurai fini de boire à  la cruche du Verseau...

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Notre promenade s'est achevée sur la petite place centrale où les terrasses invitaient au plaisir du houblon. Nectar bien apprécié, d'autant plus que l'instant d'avant, chez le bouquiniste au coin de la rue d'Enfer, j'avais déniché Les Sources, de Pierre Gascar. J'en avais cité un extrait - évoquant le tonneau - l'an dernier à travers  un livre des plus succulents de Jean-Claude Pirotte, Expédition nocturne autour de ma cave (Stock, 2006), mais j'étais bien éloigné de le rechercher. Ce fut donc une bonne surprise de tomber sur ce livre, à un prix d'ailleurs tout à fait modique si je prends pour référence la valeur des occasions trouvées plus tard sur le net (l'ouvrage paru en 1975 n'a pas été réédité et n'a semble-t-il pas été publié en poche).


Le soir-même, délaissant les lectures en cours, je plongeai dans ses pages et fus happé dès le premier chapitre par la force du style et la profondeur de la pensée de Pierre Gascar. Une petite source qui suintait dans la cave de sa maison jurassienne lui inspire une réflexion  sur la nécessité de préserver l'originel. Puis il évoque sa jeunesse aquitaine, le torchis des murs de sa maison d'alors et l'argile dont l'emploi était répandu dans cette région de pierre médiocre, rêveries de matières dont  il trouve  écho de manière assez surprenante dans l'oeuvre de Bernard Palissy - et il me souvint alors avoir lu en 1992 une biographie** du même Pierre Gascar sur le génial céramiste, biographie parue en 1980, donc cinq ans après Les Sources.
"Nous y voyions un corps complexe et dépassions même en cela, notre céramiste, qui écrit " y a en la terre argileuse deux humeurs, l'une évaporative et accidentale, et l'autre fixe et radicale". Nous pensions, par exemple, que certaines argiles, celles qui étaient veinées notamment, pouvaient être des poisons. Les réactions des diverses argiles à la cuisson (quelques-unes éclatent bruyamment, à feu vif), réactions connues de tous, dans cette région où les tuileries étaient assez nombreuses et où certains paysans s'amusaient à la poterie, car chaque ferme possédait un four pour la préparation des pruneaux, principale ressource locale, renforçaient le mystère de cette matière qui représentait pourtant le plus brut de notre vie. Il en allait comme avec l'eau, qui, malgré son apparente simplicité, se diversifiait à l'extrême, ouvrait des profondeurs insoupçonnables dans le ruisseau ou ailleurs, même à son plus haut point de transparence. Le mur de torchis, pourtant si sourd, la cruche, pourtant si mate, étaient, aussi peu que ce fût, les produits de l'alchimie du sol."(pp.40-41)

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Bernard Palissy, plat ovale, Louvre



Evidemment cette apparition de la cruche ne pouvait que me ravir, et ce qui suivait prolongeait ce plaisir : "Dans la cruche grossièrement vernissée, à moitié pleine d'eau, posée sur la pierre d'évier, dans la pénombre, le jour mettait une lune. Mais le silence, l'impression de retenue, de contention, qui se dégageait du récipient de terre cuite était en partie démentie par sa rotondité, son renflement généreux, et la fraîcheur de l'eau semblait  déborder du col de la cruche, en couler lentement , sous la forme de l'émail vert qui s'était figé en festons inégaux sur ses flancs. (...) Il faut être né dans la pauvreté paysanne, le monde du bois cru, de la pierre pas taillée, de l'épaisse terre cuite, pour apprécier le pouvoir transfigurateur de l'émail, donner tout son prix au jeu des transparences et, d'une façon générale, à tous les procédés - j'allais dire : à tous les mensonges -  de l'art. Arrêter l'eau sur les objets qu'elle recouvre fugitivement, habiller ce qu'elle contenait l'instant d'avant la cruche vide, enfermer la truite, la grenouille, l'anguille, l'écrevisse dans l'éclat qu'elle  montre, juste au moment où on la tire de l'eau, c'était, chez Palissy, gloire locale dont on parlait beaucoup aux petits écoliers que nous étions, une entreprise dont, au milieu de nos pesants étés, je voyais bien qu'elle était le modèle de celles qui permettaient de retrouver, au-delà des apparences quotidiennes, la vivacité du réel."(pp 42-43)

Ce même réel, dont, rappelons-nous, Michel Serres, autre aquitain,  appelait à faire la somme. Email qui nous transporte - comme dans la Laitière de Vermeer - dans l'infini du moment (M. Edwards).


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Rue de l'Arceau - Angles-sur-l'Anglin


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*Quoique cette année l'équinoxe est daté du 20 mars 5 h 48 UTC, mais il semblerait que la date du 21 soit considérée comme traditionnelle par beaucoup, ainsi à Mexico.

**Les secrets de maître Bernard - Bernard Palissy et son temps, Gallimard, Paris, 1980. L'article de Wikipédia ne la mentionne même pas dans sa bibliographie.

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25 octobre 2008 | Lien permanent | Commentaires (1)

De la Brenne comme abîme

C'est aujourd'hui que, bloqué à la maison à cause de la grippe, je reçois enfin Evocations de l'esprit des lieux, l'ouvrage de Guy-René Doumayrou que j'ai commandé sur le net voici quinze jours. Je l'ai déjà dit, jusque là je n'avais connaissance de ce livre que par le site néerlandais Kunstgeografie. Et c'est donc avec beaucoup d'émotion que j'ai déchiré l'enveloppe cartonnée qui l'entourait. Après un rapide survol de l'ensemble, je me suis bien sûr immédiatement reporté aux pages sur la Brenne, que je citais naguère : "Plus fort encore, la Brenne est au centre d'un triangle des Gaules dont les sommets sont Sein, Planès et Syren en Luxembourg. Très exactement, c'est un étang, dit du Bois-Secret, qui constitue le centre très précis de cette vaste géométrie."
Voici la dite figure, empruntée à Kunstgeografie (qui reproduit celle du livre) :

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Et le commentaire de Doumayrou sur la Brenne :


"Les trois hauteurs d'un triangle équilatéral se croisent en un point qui en est le centre de gravité. C'est le lieu privilégié de l'action concertée  des trois forces agissantes, le réel ombilic de la Gaule géosymbolique, l'abîme (page 188) où le corps primitif s'écroule dans la confusion des éléments nourriciers de l'étoile. C'est l'équivalent exact du "puisard central" des habitations anciennes (page 73), autour duquel tournait, comme un petit monde, toute l'activité domestique, correspondant, sur un autre registre rituel, à la crypte ou à l'autel des sanctuaires. C'est un vide hanté par l'esprit impérissable du mort tutélaire, allégorique de ce "rien dans quoi gît tout", fusée fine du moyeu de la roue et ordonnateur des révolutions. C'est l'espace informel de tous les possibles, que n'admet aucune particularisation et les présage toutes, l'invivable foyer de la vie." (page 216)

L'abîme, nous apprend la page 188 à laquelle nous renvoie Doumayrou (mais nous ne l'ignorions pas), désigne en héraldique le centre de l'écu, aussi appelé coeur. "Cet abîme, à Toulouse, était matérialisée par la plaine marécageuse où se perdit le trésor de Delphes, au nord de la cité." Trésor dérobé selon les récits sans doute mythiques par les gaulois Volques sous la conduite de Brennus. Bizarrement, Doumayrou ne fait pas de rapprochement avec le nom même de la Brenne, qui pourtant proviendrait du gaulois "brenno", marécageux, boueux (Dottin, 1920, cité par Stéphane Gendron).

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Mais reprenons le fil du commentaire de Doumayrou : "On peut le reconnaître encore de nos jours : il se présente comme un territoire déshérité, situé entre Berry et Poitou, la Brenne. Plat pays de bosquets et d'étangs où, en dépit des tentatives de mise en valeur analogues à celles  qui trouvèrent quelque succès en Sologne, l'on a dû renoncer à toute forme d'exploitation agricole, hormis un peu d'élevage. [Ici Doumayrou force un peu le trait, voir le site du parc de la Brenne, mais il est vrai que les sols pauvres de la Brenne ne permettent guère qu'une agriculture extensive ; longtemps  insalubre et ravagée par la fièvre jaune, la région était très isolée et ne disposait même pas de routes la traversant dans toute sa longueur] Les oiseaux et les poissons continuent d'y déployer une exubérance qui peut faire croire à l'inépuisable générosité de la Mère Nature, encore que, comme partout désormais, la clotûre de fil de fer y insinue méticuleusement ses réseaux excessifs. Le centre du triangle se repère sans difficulté sur la carte. Il erre sur le terrain  à la surface d'un plan d'eau appelé, comme pour dissiper tout scepticisme, l'Etang du Bois-Secret : c'est probablement "l'abîme de la végétativité informelle". Un autre, plus au sud, se nomme l'étang de la Mer Rouge, afin que nul ne puisse mettre en doute l'allusion à l'Art d'Hermès."

A l'appui de cette assertion, il cite l'alchimiste allemand Michel Maïer (1568-1622) dans son ouvrage Atalanta Fugiens, Emblème XXXI : "C'est la Mer Rouge qui est sujette au Tropique du Cancer, dans laquelle il n'est pas sûr aux navires chargés ou entourés de fer de naviguer à cause que dans son fond il y a une grande quantité de pierre d'aimant."

La traduction me semble confuse, par rapport à celle donnée par le site Hdelboy.club : "Veut-on savoir ce qu’est cette mer ? Je réponds qu’il s’agit de la mer Erythrée ou mer Rouge, située sous le Tropique du Cancer. Le fond de cette mer contient en abondance des pierres magnétiques ; aussi la traversée en est-elle dangereuse pour les navires dont la charpente est consolidée à l’aide de fer, ou qui sont chargés de ce métal, car ils pourraient facilement être entraînés au fond par le pouvoir de l’aimant."

Bon, il reste que selon les traditions locales rapportées par Chantal de la Véronne (La Brenne, histoire et traditions, Tours, 1971, 2ème édition), le nom de Mer Rouge aurait été donné à l'étang du Bouchet (plus vaste étang brennou) par le seigneur du lieu, Aimery Sénebaud, en souvenir des Croisades, où il aurait partagé la captivité de Saint Louis. Doit-on trancher en faveur d'une des deux hypothèses ? Je ne le pense pas, elles recouvrent certainement un semblable humus symbolique. On a déjà vu  le pélerinage se présenter  comme l'image de la pratique alchimique, du cheminement vers l'Oeuvre. Et ne trouve-t-on pas ici, dans les deux histoires, référence commune à un roi ? L'emblème de Maïer qui correspond au texte cité est en effet celui-ci :

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précédé du texte suivant :

Rex natans in mari, clamans altâ voce ; Qui me eripiet, ingens praemium habebit.

(Le Roi nageant dans la mer crie d’une voix forte : Qui me sauvera obtiendra une récompense merveilleuse)




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01 février 2009 | Lien permanent | Commentaires (2)

Toulx Sainte-Croix

« De mon lit je n'apercevais que la veilleuse énorme de l'hôtel battant dans la rue comme un coeur ; sur l'une des artères était écrit le mot : central, sur une autre le mot : froid, froid de lion, froid de canard ou froid de bébé? Mais le camée Léon frappait de nouveau à ma porte. De son gilet aux vibrations déterminées jusqu’à la racine de ses moustaches le soleil achevait de décharger ses rondins.» (André Breton, Poisson soluble) Oublions les vents, les rivages, ces grands escogriffes de pins atlantiques, ce fou de Bassan emprisonné dans la ligne plombée d'un pêcheur du malheur, le sable et la traîtrise des baïnes, le sourire des enfants et la splendeur des nuages, et arpentons à nouveau nos terres intérieures sous l'égide d'un signe nouveau : Lion solaire et flamboyant dont l'étude du secteur zodiacal correspondant va se fonder essentiellement sur le village creusois de Toulx Sainte-Croix. Du haut de ses 655 mètres, Toulx domine toutes les régions avoisinantes. Du sommet de la tour construite au siècle dernier par l'abbé Aguillaume, on contemplerait jusqu 'au Sancy et au Puy-de-Dôme. Je n'ai pas vérifié mais le panorama est vaste, pas étonnant si les Celtes en ont fait tôt un de leurs oppida. Le nom même viendrait du bas-latin tullum, lui-même emprunté au gaulois tullos, hauteur. Un dernier terme qui n'est pas sans évoquer la Thulé hyperboréenne, la ville mythique où séjournèrent Apollon et Persée ; et nous pourrions mettre au compte de Toulx cette remarque de Guy-René Doumayrou sur la capitale occitane: « Le nom, enfin, de Toulouse, qui n'a jamais changé, évoque de façon suggestive le grec thòlos, qui désignait, dans les temps primitifs, la touffe végétale coiffant et liant le sommet des huttes rondes en branchage. Par la suite, le sens s'en est étendu à la coupole hémisphérique en pierres sèches, et enfin, plus particulièrement, à la voûte des fours et étuves. De la coupole construite à la voûte céleste, l'analogie va de soi : centre et sommet, la ligature de la thòlos est bien le lien et le lieu privilégié, récepteur et répartiteur des influx cosmiques, le Trône du Jugement, l'étoile polaire gouvernante (en grec : thémis), de l'ourse (en grec : arctos) : ARTEMIS l'Immuable (du grec : artémès) : La treizième revient... c'est encore la première ; Et c'est toujours la seule, - ou c'est le seul moment... (Nerval, les Chimères : Artémis). » (Géographie Sidérale, p.65)

Il se pourrait bien que Toulx ait été de bonne heure un sanctuaire important du peuple gaulois des Lémovices qui occupait approximativement le Limousin actuel. On a pu déjà noter que la plupart des sanctuaires celtiques sont situés soit au centre soit sur les limites de la civitas, or Toulx est situé sur la frontière avec les Bituriges. Ce n'est que vers l'an 1000 que le village basculera dans l'escarcelle des princes de Déols, et si ce pays limousin de Boussac est dès lors rattaché à la province du Berry, il dépendra toujours du diocèse de Limoges : « exemple caractéristique de l'enchevêtrement des divisions administratives de la France d'Ancien Régime », écrit André Guy, auteur d'un opuscule sur le village. Que dire maintenant du qualificatif de Sainte-Croix ? Gilles Rossignol y voit une invitation à deux hypothèses : « (...)ou bien le plan primitif [de l'église] aura été inspiré de l'église du Saint-Sépulchre, à Jérusalem (comme à Neuvy Saint-Sépulchre dans l'Indre) ou bien on aura rapporté à Toulx une réplique du « vray boys », le bois de la Vraie Croix. » A vrai dire, aucune des deux propositions ne tient la route, d'une part parce que le vocable de Sainte-Croix n'a été ajouté que postérieurement à la fondation de l'église (dédiée en 1158 à Saint Martial, ce qui n'est pas anodin, nous y reviendrons); d'autre part parce que si relique de la vraie croix il y avait eu, il serait étonnant que la mémoire collective n'en ait pas gardé le souvenir d'une manière ou d'une autre. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé pour Neuvy qui s'honore toujours de deux gouttes du sang du Christ (que l'on doit à l'obligeance du cardinal Eudes de Châteauroux, légat du pape à la VIIème croisade, qui les fit acheminer en 1257). Faut-il absolument rechercher une cause matérielle, tangible à l'appellation Sainte-Croix ? Ne porterait-elle pas une symbolique lisible seulement dans le paysage et les relations du lieu avec ses alentours ? Pour Henri de Lubac, la croix érigée sur une montagne, au centre du monde, reproduit totalement l'antique image de l'arbre cosmique, en tant qu'Axe du Monde joignant le pôle terrestre au pôle céleste. Or, le méridien de Toulx est le vecteur éloquent d'une telle symbolique : balisé par Boussac ( dont le château abrita longtemps les tapisseries de la Dame à la Licorne ), il désigne le village de Primelles, dans le Cher, situé au coeur de la forêt domaniale de Thoux... Ici, selon Mgr Jean Villepelet (Les Saints Berrichons, Tardy, 1963, p.169), aurait séjourné assez longtemps saint Firmin, évêque d'Amiens, tandis qu'il se rendait à Rome au tombeau des Apôtres. Séjour significatif : Amiens se situe pratiquement sur ce même méridien. Et l'on ne sera guère étonné d'apprendre que l'un des deux Firmin honorés par l'église d'Amiens aurait été converti par saint Saturnin de Toulouse, dont le nom ne se retrouve que dans une seule paroisse du Cher, elle aussi traversée par l'axe polaire.
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Tournons-nous maintenant vers l'église du village.

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26 juillet 2005 | Lien permanent

Les naissances gémellaires

"Toutes les naissances sont des naissances gémellaires. Personne ne vient au monde sans accompagnement ni escorte."

Peter Sloterdijk (Bulles, Sphères I, Fayard, 2002, coll. Pluriel, p. 450)


adc2f41799da1be002d5a57acccf40a4.jpg Je vous dois la vérité : je  n'ai pas  encore  lu  ce livre  du philosophe allemand qui occupe pourtant un coin de mon bureau depuis 2004. Néanmoins j'ai l'impression curieuse de le bien  connaître, l'ayant si souvent manipulé, feuilleté, ouvert au hasard (il est accompagné, qui plus est,  d'une riche iconographie). Et c'est bien parce que, une fois de plus, j'ai pratiqué tout récemment une courte plongée dans ses abîmes (près de 700 pages d'une écriture serrée), que j'en suis ressorti avec la sensation d'y avoir aperçu un gros poisson. Le chapitre VI, intitulé Le séparateur de l'espace spirituel, m'offrait soudain une résonance inattendue avec les propres thèmes qui m'occupent ici. Sloterdijk y cite notamment un texte du rhéteur Censurinus, tenu à l'occasion du 49ème anniversaire de son mécène Caerelius, en 238 ap. J.C.

" Genius est le dieu sous la protection (tutela) duquel chacun vit dès sa naissance. Il tient sûrement son nom, Genius, de geno ("engendrer"), ou bien parce qu'il veille à ce que nous soyons engendrés, ou bien parce qu'il est lui-même engendré avec nous, ou bien encore qu'il s'empare de nous (suscipi) une fois que nous sommes engendrés et nous protège. Beaucoup d'auteurs antiques ont rapporté que Genius et les lares sont identiques." (De die natali, d'après l'édition allemande de klaus Sallmann, Weinheim, 1998 ).

Pour Sloterdijk, ce document "exprime clairement l'idée que pour les Romains, il n'existe pas un jour anniversaire unique - précisément parce que  chez les êtres humains, il ne peut jamais être question de naissances solitaires. Chaque anniversaire est un double anniversaire en soi ; on ne commémore pas seulement ce jour-là le prétendu heureux événement, mais plus encore le lien indissociable entre l'individu et son esprit protecteur, lien qui existe depuis ce jour coram populo."


Comment ne pas faire le lien avec saint Genou, dont le nom rappelle à l'évidence le Genius latin ? D'autant plus que Genou est très clairement désigné dans sa légende comme étant né à Rome en 230, autrement dit à la même époque que le texte de Censerinus. Et ce Génit, présenté parfois comme son père, parfois comme son compagnon, est l'indice même de la gémellité. L'ange gardien, le jumeau sont en effet des figures proches du Genius, décrivant la même relation unitaire essentielle :   Sloterdijk en donne une parfaite illustration à travers un extrait des récits de Mani (216-277 ap. J.C ), le fondateur du dualisme gnostique dont il reste la trace dans la langue d'aujourd'hui avec le péjoratif manichéisme :


"Lorsque la douzième année de sa vie fut arrivée à son terme, il fut saisi [...]par l'inspiration donnée par le roi du paradis de la lumière [...]. Le nom de l'ange qui lui porta le message de la révélation était at-Tom ; c'est du nabatéen et cela signifie dans notre langue "le compagnon" [...] Et lorsqu'il fut arrivé au bout de sa vingt-quatrième année, at-Tom revint vers lui et dit : " Désormais est venu le temps que tu sortes au grand jour."[...].

[...] Et Mani affirma être le Paraclet qu'avait promis Jésus."

 Sloterdijk : "La parenté du nom at-Tom avec l'araméen toma, le jumeau, saute bien sûr aux yeux. Le fait que le "compagnon" ou le syzygios de Mani ait effectivement les qualités d'un personnage de jumeau transfiguré ressort très clairement des récits sur la vocation de Mani selon le Code Mani de Cologne, mais aussi des sources du Moyen Iran :

 "Sortant des eaux m'apparut une (silhouette) humaine qui, avec la main, me fit signe de rester calme, pour que je ne pèche pas et que je ne la plonge pas dans la détresse. De cette manière, à partir de ma quatrième année et jusqu'à ce que j'arrive à la maturité physique, je fus protégé par les mains du plus saint des anges.[..]"(Bulles, pp. 472-473)


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Dioscorus et sa femme  © CMN

 

Une autre indice convergent nous est donné par la peinture murale de la chapelle Saint-Genoulph à Selles Saint-Denis, représentant sur une frise la vie du saint. Elle nous montre, entre autres scènes, celle où les deux compagnons (saint Genou et saint Genit ici désigné par un autre nom, saint Révérend) rencontrent le préfet de Cahors, Dioscorus, et sa femme.

 

Ce Dioscorus ou Dioscurus, d'abord hostile (il les jette en prison), puis converti à la suite de la résurrection de son fils,sera baptisé par Genou lui-même (scène représentée à la cathédrale saint-Etienne de Cahors). Or, ce nom fait bien entendu irrésistiblement penser aux Dioscures, Castor et Pollux, les Gémeaux de la Mythologie.


 Que faut-il penser aussi de Sainte-Gemme, dont le village se dresse, on l'a vu, au méridien de Saint-Genou ?  Outre que le nom même est littéralement  proche de la gémellité, la légende de la sainte nous apprend que  Gemme avait une soeur jumelle nommée Quitterie, sainte et martyre elle aussi. Il faut ajouter que leur naissance venait après celle de sept soeurs. Las de tant de progéniture féminine, désespérant d'avoir un héritier mâle, leur père, le  rude Caïus Catilius, gouverneur de la Galice, ordonne à une de ses esclaves de les noyer. Le peu clairvoyant soudard choisit une chrétienne qui  s'empresse de les confier à une famille  amie en un village éloigné.

Il faut noter encore que la mère des neuf soeurs, Calsia, était donnée comme issue d'une excellente famille romaine.

J'ai même trouvé une version de la légende où les neuf soeurs sont données comme jumelles, on la trouvera page 17 de la version Pdf du numéro 4 du Bourdon, bulletin périodique des Amis de Saint-Jacques de Compostelle en Aquitaine (septembre 1993). J'en extrais ici un passage significatif :

"L'histoire de Bazella [une des soeurs] est cependant la plus significative puisque son supplice donne lieu à un miracle immédiat récapitulatif de toute la fable : sa tête tranchée rebondit neuf fois, faisant jaillir neuf sources. Les habitants ont toujours conservé intact le lieu du miracle au milieu des champs et des vignes. Une petite chapelle antique et fruste, des filets d’eau courant au ras de l’ herbe témoigne pour une curieuse permanence hors du temps mémorial . Dix-neuf siècles peut-être ont passé sur ce lieu rustique rigoureusement inaperçu, sans changer quoique que ce soit à l' ordre naturel. Mais il est vrai de dire que les sanctuaires les mieux protégés sont les plus pauvres ... (Chapelle de Neuffonds:"neuf fontaines et neuf bonbs", à Sainte Bazeille près de Marmande.)
Ainsi, les neuf filles "jumelles" du proconsul de Galice converties par un disciple de Saint Martial, martyrisées sur les routes d’ Aquitaine et à l’ origine de neuf sanctuaires tracent, à l’origine de la chrétienté, un itinéraire inverse à celui qui sera et qui est déjà sous d’autres formes le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, établissent en termes de légende dorée qui voile à peine les symboles d’ un grand mythe cyclique, le lien entre Galice et Aquitaine."

J'ajoute que Bazella tire certainement son nom du celte batz, source, qu'on retrouve dans le nom du plateau de Millevaches, qui désigne non pas les sympathiques ruminants, mais les mille sources (mille batz) qui constellent son territoire et dont sont issues entre autres Vienne,  Corrèze et  Dordogne. Dans l'espace neuvicien, deux villages me semblent porter cette racine batz : Bazelat et Bazaiges. Le premier est creusois et le second indrien, mais les deux paroisses relevaient de Déols et sont alignées sur le même méridien. Et sur le parallèle de Bazelat nous relevons  Genouillac (également sous le patronage déolois) et Boussac-Bourg : or ce bourg d'origine romaine (Bociacum) présente la particularité d'avoir des églises jumelles : "Ce bourg possède deux églises 11ème/12ème se ressemblant beaucoup et placées l'une à côté de l'autre." (source : Quid)  L'une est dédiée à saint Martin (qui s'honore aussi d'une fontaine) et a été construite par les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

 

Et je ne peux manquer d'être ébloui par la logique à l'oeuvre dans cette géographie sacrée neuvicienne puisque je retrouve à Boussac-Bourg le thème de la naissance à travers la superbe fresque murale du XIIème siècle représentant une Nativité décrite ainsi dans le site perso de D. Boucart :

"La chapelle primitive possède des fresques du XIIe siècle. En particulier, une scène de la Nativité qui est l'une des plus belles de l'art roman. La vierge, allongée sous une couverture bleue parsemée d'étoile, indique de l'index le christ couché dans son berceau. La tête de l'âne et la tête du boeuf le réchauffent de leur souffle."

 

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04 juillet 2007 | Lien permanent | Commentaires (5)

L'ourse et le sanglier

« Boand (ou Boann) est donc la déesse éponyme de la Boyne, le fleuve qui traverse le comté de Meath (Mide), province centrale dans la géographie sacrée de l'Irlande celtique ( un centre spirituel plus que géographique). J'ai déjà émis l'hypothèse que son équivalent continental serait la Bouzanne berrichonne, qui prend source près d'Aigurande, passe à Neuvy Saint-Sépulchre et se jette dans la Creuse, près du Pont-Chrétien (coulant ainsi de Cancer - les eaux-mères – à Poissons – les eaux océanes ). La Bouzanne serait la rivière matricielle de ce pays biturige qui est par vocation la terre ombilicale (les Bituriges sont, étymologiquement, les Rois-du-Monde, gallois bydd, monde, et rix ou rig, roi). 1»

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Après ce simple rappel de faits déjà exposés, examinons le cours de cette Bouzanne. Elle file plein nord, mince ruisseau encore, à travers les prés, et ne rencontrera bourgade de quelque importance qu'à Cluis, où elle passe au pied de la forteresse ruinée de Cluis-Dessous. Ce nom de Cluis est proche du terme irlandais désignant le sorbier, Luis. Le sorbier et le coudrier étaient les arbres les plus utilisés par les druides pour leurs opérations magiques, si l'on en croit l'écrivain anglais Robert Graves, qui en parle dans son livre sur La Déesse Blanche (Ed. Du Rocher, 1979) :

« Le sorbier sauvage est l'arbre de la rapidité. Ses noms botaniques Fraxinus, ou Pyrus, Aucuparia, laissent supposer ses emplois divinatoires. Un autre de ses noms est « le sorcier », or la main de sorcière, utilisée dans les temps anciens pour découvrir les métaux, était taillée dans du sorbier. Etant l'arbre de la rapidité et de la vie, il pouvait être utilisé également dans le but contraire. Dans l'Irlande danéenne, un pal de sorbier fiché au travers d'un cadavre immobilisait son fantôme et, dans la saga de Cuchulain, pour obtenir sa mort, trois sorcières embrochent un chien, un animal sacré, sur des piquets de sorbier.2 »

Nous n'avons donc pas tardé à retrouver Cuchulain : son existence héroïque avait commencé par le meurtre d'un chien, celui du forgeron Culann, elle s'achève par le meurtre d'une loutre ou « chien d'eau » (doborchú). Ceci constituait un des interdits (geis) imposés à Cuchulain par le druide Cathbad (celui-là même qui lui avait donné son nom à la suite du premier exploit). Le héros a pressenti que sa mort était proche quand il s'est trouvé confronté à deux interdits contradictoires lors de sa rencontre avec les deux sorcières :

« Il partit sur la route de Midluachair, après la plaine de Mogna. Il vit quelque chose : trois sorcières borgnes de l'oeil gauche devant lui sur la route. Avec des poisons et des charmes elles faisaient cuire un petit chien sur des broches de sorbier. C'était un des interdits de Cuchulain que de visiter un foyer sans en consommer la nourriture. C'était aussi un interdit pour lui que de manger la chair de son homonyme. Il court pour les dépasser, car il savait que ce n'était pas pour son bien qu'elles étaient là. Une sorcière lui dit : « Une visite de toi, ô Cuchulain ». « Je ne vous rendrai pas visite, en vérité » dit Cuchulain. « Il y a pour nourriture un chien », dit-elle. »Si c'était un grand foyer qui était là », dit-elle, « tu lui rendrais visite. Mais c'est parce que celui-ci est petit que tu ne viens pas. Il n'est pas capable de grand chose, celui qui ne supporte ou n'accepte pas le petit. » Alors il s'approcha d'elle et la sorcière lui donna la moitié du chien de sa main gauche. La main avec laquelle il avait pris le morceau et la cuisse sous laquelle il l'avait mis frurent prises d'un bout à l'autre si bien qu'elles n'eurent plus la même force. » (traduction Ch.J. Guyonvarc'h, La mort de Cuchulainn, version A, in Ogam XVIII, p. 347).


Ce texte offre une thématique très semblable à celle de l'histoire de Boand (voir la note sur la source secrète). Dans les deux cas, ce sont les circonstances d'une mort qui sont contées. On y retrouve le ternaire (trois sorcières), le rôle maléfique du côté gauche (Boand contournait la source par la gauche, la sorcière donne la moitié du chien de sa main gauche, les trois sont borgnes de l'oeil gauche) et, enfin, les trois blessures symboliques à la main, à la cuisse et à l'oeil. La seule différence étant que les sorcières assument celle de l'oeil.

Après Cluis, la Bouzanne arrose donc Neuvy Saint-Sépulchre : la cité s'est édifiée autour d'un gué sur la rivière. Je me contenterai ici de mentionner que c'est généralement dans les gués que se déroulent les combats singuliers des récits mythologiques et épiques irlandais.

Passé Neuvy, notre Bouzanne se dirige vers le nord-ouest pour former pendant quelques kilomètres une lisière d'eau à la forêt de Châteauroux. Après Arthon, elle ne tarde pas à s'infléchir vers le sud pour aller finalement rejoindre la Creuse du côté du Pont-Chrétien. Ce nom d'Arthon évoque évidemment l'ours, un des plus riches symboles du monde celtique : « Son nom (celt. commun artos, irl. art, gall. arth, bret. Arzh) se retrouve encore dans celui du souverain mythique Arthur (artoris), ou encore dans l'anthroponyme irl. Mathgen (matugenos, né de l'ours). » (Dict. Des Symboles, art. Ours, pp.716-717).


L'ours est, dans le domaine celtique, l'emblème de la classe guerrière et s'oppose, ou s'associe, au sanglier, comme le pouvoir temporel à l'autorité spirituelle (le sanglier étant le symbole de la classe sacerdotale). « On a même en Gaule une déesse Artio (à Berne, dont le nom est encore celui de l'ours) qui, symboliquement, marque mieux encore le caractère féminin de la classe guerrière. On peut noter aussi que les Gallois nomment cerbyd Arthur, char d'Arthur, les deux constellations à symbolisme polaire de la Grande et de la Petite Ourse. » (id.)

Il n'est pas anodin qu'Arthon soit situé géographiquement à la latitude la plus haute du cours de la rivière, au nord du système ainsi formé.

medium_cluis-culan.jpgMaintenant, si la Bouzanne représente le versant guerrier, féminin, de la Souveraineté, on peut se demander si l'Arnon - où la figure du mari, le Dagda, est omniprésente - ne représente pas l'autre versant, sacerdotal de cette même Souveraineté ? Remarquons que Cluis et Culan sont situés sur le même parallèle, résumant en quelque sorte la brève destinée guerrière de Cuchulainn. Autrement dit, les deux mytho-paysages, articulés autour des deux rivières Arnon et Bouzanne, se correspondraient avec une grande précision.

Du côté de l'Arnon, ressortent plutôt des valeurs de vie, de naissance, de commencement tandis que du côté Bouzanne ont plutôt émergé les figures de la mort et de l'accident. A l'ours d'Arthon devrait donc correspondre un sanglier de l'Arnon. Ne serait-il pas dissimulé sous les traits de ce Saint-Huret, hameau situé entre Culan et Saint-Christophe-le-Chaudry ? Saint Huret est inconnu au bataillon et au martyrologe, aucune trace ailleurs qu'ici. Mais on sait bien que la hure désigne depuis depuis au moins le XIIIème siècle la tête hirsute du sanglier. Pierre Guiraud le cite dans son Dictionnaire des étymologies obscures (Payot, 1982) : il pense que le mot est vraisemblablement dérivé de urus « boeuf sauvage », sorte d'aurochs ou de bison signalé en Gaule par César dans ses Commentaires.

 

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Après le Saint Lévrier, le Saint Sanglier...

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1« Les noms de cours d'eau présentent un intérêt très particulier : ils renferment, parmi toutes les catégories de toponymes, la plus forte proportion des noms les plus anciens, la rivière, nous l'avons vu, étant particulièrement rebelle aux substitutions. Ce sont ces noms qui nous permettent de plonger le plus loin dans le passé linguistique de l'Europe occidentale. » (Albert Dauzat, Les Noms de Lieux, Delagrave, 1963, p.195)

2Par ailleurs, l'autre vallée au-dessus de laquelle la cité de Cluis a été fondée est celle de l'Auzon. S. Gendron rattache ce nom à la racine prélatine « alis », rocher, mais Dauzat y voyait plutôt une référence à l'alisier : l'Auzon aurait été la « rivière bordée d'alisiers ». Or l'alisier appartient au genre Sorbus, comme le sorbier.

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20 décembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (2)

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