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Au milieu du chemin

Or, que l'Autonne espanche son usure,
Et que la Livre à juste poids mesure
La nuict egale avec les jours egaux,
Et que les jours ne sont ne froids ne chaux
(...)

Ronsard (Epître d'Automne)


La Vierge du zodiaque toulousain abrite la région du Minervois. « Minerve, nous rappelle G.R. Doumayrou, étant l'antique vierge olympienne que ses pouvoirs égalaient au maître des cieux. » (Géographie Sidérale, p. 104) Or, le secteur Vierge du zodiaque centré sur Rome renferme la localité de Castrum Minervae sur la côte de Calabre (Jean Richer, Géographie sacrée dans le monde romain, Trédaniel, p.146). Au reste, elle est aussi située dans la Vierge d'un système centré sur Cumes. Son importance mythique est attestée par Denys d'Halicarnasse (I, 51,3) :

« Le plus grand nombre des navires d'Énée jetèrent l'ancre au promontoire de Iapygia et les autres en un endroit nommé d'après Minerve où il se trouva qu'Énée lui-même mit pour la première fois le pied en Italie. »

Les pélerins qui partaient de La Châtre – en somme, notre Castrum Minervae berrichon – en direction du Mont Saint-Michel ne manquaient pas, à ce qu'il paraît, de faire halte à Notre-Dame de Vaudouan, près de Briantes. Isolée en pleine campagne, une chapelle reconstruite au 19ème siècle, aussi vaste qu'une église de village, témoigne encore du prestige du lieu, qui se fonde sur la découverte le 25 mars 1013, jour de la fête de l'Annonciation, par une jeune fille de la région, d'une statue en bois de la Vierge à l'Enfant (lui-même tenant dans ses mains une colombe), flottant sur les eaux d'une source. Portée à l'église de Briantes, puis à la chapelle des Religieux de Saint-Germain de La Châtre, la statue chaque fois disparaît et est retrouvée le lendemain dans l'eau de la source. Devant cette obstination, où l'on voit très vite une intention de la Vierge de demeurer en ces lieux champêtres, on décide d'édifier une chapelle. « Peut-être la Sainte-Vierge indiquait-elle par son insistance, écrit le Docteur J.J. Meunier, auteur en 1959 d'une pieuse monographie sur Vaudouan, qu'elle voulait purifier par sa présence ce lieu qui avait du être jadis le témoin des faux-cultes druidiques et barbares. »

Le seigneur du Virolan qui possédait la terre la donne sans délai et l'on commence à creuser les fondations. Las, l'eau les envahit. On creuse un peu plus haut sur un talus voisin sans plus de succès. Dépité, le maître-maçon jette son marteau dans les airs.

« Miracle encore, poursuit le bon docteur Meunier : un tourbillon emporta le marteau jusqu'à 500 pas et il alla choir dans une clairière éloignée où on le chercha vainement jusqu'à ce que qu'une génisse blanche que personne n'avait remarquée se mit à mugir d'une manière inaccoutumée. On se rendit auprès d'elle et, à ses pieds, on retrouva l'outil. Puis la génisse disparut sans que l'on comprit par où elle était passée. »

Évidemment, on choisit de bâtir à cet endroit précis, à 800 mètres de la fontaine. On met six mois à élever l'édifice qui est béni au mois de septembre « en présence d'un extraordinaire concours de clercs et de laïques. » C'est encore aujourd'hui en septembre, le deuxième dimanche après la Nativité de Marie, qu'on célèbre la fête et que se déroule le pélerinage de Notre-Dame de Vaudouan. La fête du 22 septembre 1912 fut particulièrement remarquable puisqu'elle fut présidée par Mgr Dubois, archevêque de Bourges, venu honorer les cinquante années de pastorat de l'abbé Semelet qui avait entrepris la reconstruction de la chapelle. Plusieurs milliers de pélerins assistaient à la cérémonie, et pas moins de quarante prêtres étaient présents. C'est dire l'importance symbolique du lieu à cette époque encore. Un certain Villebanois pouvait écrire en 1679 : « ainsi je croy, sans dessein de charger, qu'il n'y a point de dévotion de Notre-Dame en France plus grande que celle de Vaudouan. »

Sans dessein de charger non plus, remarquons tout de même que, du 25 mars à la fin septembre, nous avons cheminé d'équinoxe à équinoxe, de Bélier à Balance. Sous le couvert du culte marial, se dissimulent les vieilles déterminations zodiacales.

Je suis arrivé moi aussi, en cet équinoxe d'automne, au milieu du chemin. Un peu en retard sur le calendrier, je ne suis pas encore prêt à aborder Balance. Vierge et Lion, très riches, m'ont demandé plus de temps que prévu. Pensez que j'avais cinq articles en réserve pour Vierge, d'après mon étude de 1989, et que, suite aux digressions champenoises, je commence seulement le deuxième avec Vaudouan...

C'est l'occasion aussi pour moi de remercier les lecteurs fidèles et les commentateurs inspirés qui me donnent désir et énergie de persévérer.

Merci à Marc et à LKL, good fellows, pour leurs aimables phrases.

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23 septembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)

Le rayon d'or

Suite au commentaire de Colette, j'ai changé la catégorie de la note précédente : la vallée de larmes, pour s'originer à Montgivray, ne s'en déployait pas moins pour l'essentiel sur le secteur Vierge. Nous allons voir aujourd'hui un autre alignement qui, lui, relève exclusivement de Balance et justifiera quelque peu, de par sa nature, l'appellation du lien que notre fidèle lectrice a eu la bonté d'imaginer pour le présent site. Je l'ai nommé, cet alignement, le rayon d'or. Pour la bonne et simple raison qu'il relie, à partir du centre même - Neuvy Saint-Sépulchre - les bourgs d'Orcenais et d'Orval, le lieu-dit l'Ormeray et surtout l'ancien prieuré d'Orsan, fondé par Robert d'Arbrissel.

 

 

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J'ai déjà évoqué ce lieu dans une note consacré à l'autre Léger, l'archevêque de Bourges, qui meurt précisément à Orsan le 31 mars 1120. Sur les circonstances de la fondation par Robert d'Arbrissel, voici ce qu'on peut lire sur un excellent document présentant le jardin d'inspiration monastique médiévale, créé en ce lieu par les architectes Sonia Lesot et Patrice Taravella, aidés du jardinier Gilles Guillot :

«C’est au début du XIIe siècle que fut fondé le prieuré d’Orsan. Robert d’Abrissel, créateur de l’abbaye de Fontevraud, parcourait l’année 1111 le Berry, en visite chez un de ses compagnons de la première heure, Pierre de l’Etoile, qui venait de fonder sur les rives de la Creuse le monastère de Fontgombault. Le siège épiscopal de
Bourges était alors occupé par Leodegaire ou Léger qui souhaita rencontrer ce célèbre évangélisateur et le persuada de créer dans sa province un prieuré de son Ordre. Orsan, lieu marécageux donc inculte et de grande solitude , fut choisi probablement en raison de son appartenance au seigneur de Châteaumeillant, Allard ou Adelard de Guillebault. Robert d’Arbrissel installa tout d’abord ses religieuses et religieux dans des constructions de bois ainsi qu’il l’avait fait auparavant à Fontevraud et reprit bientôt la route, confiant Orsan à sa première prieure, Agnès de Châteaumeillant. Sous sa direction éclairée et sous la protection de Léger, le prieuré d’Orsan prospéra. Léger devint l’ami de Robert ; il s’installa une maison de campagne près du prieuré et les seigneurs du voisinage firent d’importantes donations. Le prieuré devint puissant, disposant d’une grande fortune qui avait bien sûr pour origine le renom et l’aura de son créateur. Remarquablement géré par les prieures successives, de ces possessions, outre le revenu en argent, découlait une grande puissance morale. Orsan était alors un lieu très fréquenté, affaires temporelles ou pèlerinages au coeur de Robert, et de grandes foires s’y tenaient. La prieure avait donc un rôle important. La communauté l’élisait pour trois ans et cette nomination était ratifi ée par l’abbesse de Fontevraud. Les prieures avaient charge de faire appliquer la règle de l’Ordre double fontevriste avec pour principe premier, un monastère unique divisé en deux cloîtres distincts et séparés, l’un destiné aux religieuses, l’autre aux religieux, les religieux étant soumis aux religieuses.»

Comme Fontevraud et Villesalem, Orsan est situé sur une zone frontalière, comme en témoigne encore cet extrait de la carte de Cassini. Son implantation n'est donc pas uniquement dûe à sa position en vallée marécageuse et à son caractère de grande solitude, ici franchement exagérée.

 

medium_orsan.jpg

Orsan est aussi particulièrement important dans la biographie de Robert d'Arbrissel puisque c'est là que l'inlassable prédicateur rend l'âme à Dieu, le 25 février 1116 , peu après être tombé gravement malade en voyage le 18 février. Comme il fallait s'y attendre, on se dispute âprement sa dépouille. Son corps regagne Fontevraud le 7 mars 1116 où il est enterré à droite du maître autel de l'abbatiale, contrairement à ses vœux, semble-t-il. Son coeur seul reste à Orsan.

Le rayon d'or marque, par rapport à Neuvy Saint-Sépulchre, la direction du soleil levant à l'entrée du signe du Taureau (zodiaque temporel). D'où, peut-être, la présence du village d'Orsennes dans le secteur Taureau. Il s'établit ainsi comme un jeu entre les deux systèmes de références observables d'un lieu terrestre quelconque. Pour ne pas s'y perdre, il s'agit de ne pas les confondre : « Le système zodiacal (...), explique Guy-René Doumayrou, est une projection du cercle de l'écliptique sur le cercle de l'horizon terrestre où n'évoluent que des astres spirituels. Il ne traduit pas les mêmes rapports que l'éventail des visées de levers et couchers des luminaires physiques, sur l'horizon occidental et oriental. Il relève les correspondances symboliques entre le ciel fixe et la terre limitée par son horizon et considérée comme un disque, ou mieux, un carré plan, tandis que les visées astronomiques n'intéressent qu'une étroite portion de l'horizon, en une série de positions dont les plus extrêmes sont celles du solstice d'été au nord et du solstice d'hiver au sud des positions médianes équinoxiales, est et ouest. » (op. cit. p. 43-44). Le rayon d'or relève de cette seconde modalité, mais son inscription en Balance le fait participer également de la première : Balance et Taureau sont gouvernés par Vénus.

Et l'on n'oubliera pas que Robert d'Arbrissel fut celui qui donna pouvoir aux femmes sur les hommes, ainsi que le rappelle un site du CNRS :

« Robert d'Arbrissel, qui ne connut jamais de culte manifeste, a en revanche été l'objet des interprétations les plus diverses de la part des historiens : défenseur des exploités pour les uns, promoteur de l'émancipation de la femme pour les autres. Son itinéraire spirituel, qui explique l'étrangeté de la fondation de Fontevraud, est sans doute plus complexe : choisissant de soumettre ses frères aux sœurs par sens de la pénitence, il n'en ouvre pas moins des voies nouvelles pour les femmes, sous le patronage de Marie Madeleine. »

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07 novembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (2)

Le chien de Crémieu

Je voudrais finir l'examen du thème du chien avec une curiosité relevée il y a plus de vingt ans par Marc Lebeau, fidèle lecteur du site et commentateur régulier (j'avais offert à Marc de relater lui-même sa découverte, mais il a décliné la proposition, s'en remettant à votre serviteur, à ses risques et périls... ceci dit, il pourra toujours apporter en commentaires les précisions qu'il jugera utiles...). Je dois avouer que je n'ai pas tout de suite été convaincu par ce qu'il avançait, et même encore aujourd'hui, il me reste des doutes. Cependant, il me semble intéressant de passer outre et de présenter à un plus large public ce que Marc appelle le géoglyphe du chien de Crémieu, en l'occurence une vaste figure de chien émergeant des lignes du relief de cette région proche de Lyon.

 

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Chien de Crémieu (contour souligné)

Sur une carte IGN au 1/100000ème, le chien apparaît avec plus de netteté que sur la carte routière où son tracé est souligné. Les parties les plus marquées sont la partie Est, qui suit la vallée du Rhône, et la partie Nord-Ouest, constituée des falaises du secteur de Larina (elles surplombent la plaine et la centrale nucléaire du Bugey). La partie Sud-Ouest est, elle, formée de reliefs plus adoucis, séparés de la plaine environnante par une zone d'anciens marécages drainés (ces marécages apparaisssent avec clarté sur la carte de Cassini de cette région). Ensuite, la partie Sud, la moins prégnante, est cependant indiquée par une vallée peu profonde mais bien réelle, celle de la Bourbre, qui « sépare assez nettement, je le cite (courriel personnel), ce qui appartient plutôt à l'ensemble de l'Ile Crémieu, de ce qui appartient à l'Isère proprement dite (on change de »pays »). Cet axe ancien de circulation et de développement se lit également par les divers réseaux, routes et train, sans compter les villes, bourgs et bourgades. » Enfin, « l'oeil » du chien « est très nettement marqué par un ensemble de petites reculées proches de Crémieu. »

 

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Cette tête de chien est en elle-même identifiable. Selon Marc, la seule race qui corresponde à cette silhouette est le chien dit « Lévrier des Pharaons », chien maltais, des plus anciens, qui doit son nom à sa ressemblance avec Anubis, le Dieu des Morts égyptien. Et il importe de préciser qu'il ne connaissait pas du tout cette race de chiens avant de découvrir le géoglyphe.

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Anubis


Autre détail significatif : trois chapelles dédiées à Saint-Roch, saint que l'on représente généralement accompagnémedium_saint_roch.jpg d'un chien, sont très exactement alignées dans le cadre donné par le géoglyphe. Il s'agit des chapelles de La Balme, de Courtenay et de La Tour du Pin. Selon Marc, elles représentent l'alignement des étoiles Muliphen, Sirius et Mizar de la constellation du Grand Chien (Canis Major). Les proportions des distances entre les différentes chapelles correspondraient exactement aux proportions entre les étoiles correspondantes.

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Une chapelle dédiée à Saint-Canis1 se trouve même au-dessus du hameau de Rix, riverain du Rhône, sur la commune de Lhuis !


Enfin, signalons à l'extrémité septentrionale de la tête, à Saint-Sorlin en Bugey, l'existence d'une fresque de Saint-Christophe, datée du début du XVIème siècle.


Selon Marc, tout zodiaque géographique a son chien, autrement dit son gardien du seuil. « Situé en dehors des constellations zodiacales, à côté d'Orion, le chasseur céleste, la constellation du Grand Chien (Canis Major) se situe entre les signes des Gémeaux et du Cancer. » Ayant repris depuis plusieurs années l'hypothèse d'un certain Pierre Plantard sur un autre zodiaque2 centré sur Bourges, (en en modifiant sensiblement l'ordonnancement), le géoglyphe du chien se trouverait justement placé entre Gémeaux et Cancer.


Tout ceci est bien sûr à discuter. Le chien n'est pas le seul gardien possible : Jean Richer indique, par exemple, dans Iconologie et Tradition, le sphinx comme gardien de l'occident et le griffon comme gardien du nord. Il reste que cette figure émergée des cartes est assez stupéfiante pour nous interroger. La géologie se plierait-elle au désir secret des hommes ? La nature a-t-elle sciemment oeuvré pour dessiner cette forme ? J'inclinerais plutôt à reprendre ce qu'écrivait Guy-René Doumayrou sur la partition astrologique du pays toulousain, à savoir qu'elle « a dû se faire au prix d'observations séculaires, intégrant peu à peu les coïncidences orographiques et tirant même profit des accidents de l'histoire, réduite de la sorte au rôle d'ornement. » (Géographie Sidérale, op. cit. pp. 49-50.)




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1S'agit-il du saint irlandais du VIème siècle, Canice, Kenneth, Cainnic (les graphies sont diverses), qui donne son nom à la ville de Kilkenny ainsi qu'à sa cathédrale du XIIIème siècle ?

2Ce zodiaque est de nature très différente de celui de Neuvy dont je m'occupe : c'est un zodiaque sidéral, avec treize secteurs de tailles différentes, parfois même se chevauchant, épousant le dessin des constellations. Il s'étendrait sur tout le territoire de la France.

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27 décembre 2005 | Lien permanent

Le voyage alchimique (2)

Suivons sur notre droite le déambulatoire. La troisième colonne engagée est remarquable à plus d'un titre : sa base, contrairement à celle des autres colonnes, est cubique et sculptée sur trois faces. « On y reconnaît sur les côtés, écrit Jean Favière (Berry Roman, Zodiaque, p. 140), des animaux fabuleux de profil, la tête de face pour l'un, la tête retournée vers l'arrière pour l'autre ; sur la face antérieure, deux personnages que l'on a cru être des lutteurs sont disposés de part et d'autre d'une sorte de tige. »

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Ne serait-ce point là l'image du combat de nos deux principes, cette phase de putréfaction de la Matière Première souvent symbolisée par des dragons affrontés ? Dans les figures de Nicolas Flamel, par exemple, dragon sans ailes (figurant le soufre fixe) et dragon ailé (figurant le mercure volatil) sont ainsi mis face à face.

 

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Au chapiteau de cette colonne engagée nous découvrons des coquilles Saint-Jacques, mérelles de Compostelle, que nous ne retrouverons que sur la neuvième colonne engagée, laquelle fait face à celle que nous venons de voir et indique ainsi un axe Bélier-Balance. Or, Doumayrou a signalé que Saint-Jacques de Compostelle - « ce finisterre de Galicie qui est le point le plus avancé vers l'Occident » (G.S. p. 91) – est situé dans le prolongement de l'alignement Toulouse-Saint-Jean-de-Luz, qui n'est autre qu'un axe Bélier-Balance. Ce qui montre encore une fois la connivence profonde entre Neuvy et Toulouse.


Au portail occidental de la cathédrale de Chartres, une statue du XIIème siècle citée par Fulcanelli recèle un ésotérisme similaire : « C'est un grand vieillard de pierre, couronné et auréolé, -ce qui signe déjà sa personnalité hermétique, - drapé dans l'ample manteau du philosophe. De la main droite, il tient une cithare et élève de la gauche une fiole à panse renflée comme la calebasse des pélerins. Debout entre les montants d'un trône, il foule aux pieds deux monstres à tête humaine, enlacés, dont l'un est pourvu d'ailes et de pattes d'oiseau (...). La calebasse, qui renferme la breuvage du pérégrinant, est l'image des vertus dissolvantes de ce mercure, cabalistiquement dénommé pèlerin ou voyageur. C'est, dans les motifs de notre cheminée [Fulcanelli parle ici de la cheminée du grand salon du château de Terre-Neuve, autre demeure philosophale], ce que figurent aussi les coquilles de Saint-Jacques, appelées aussi bénitiers parce qu'on y conserve l'eau bénite ou benoite, qualifications que les Anciens ont appliquées à l'eau mercurielle. Mais ici, en dehors du sens chimique pur, ces deux coquilles apprennent encore à l'investigateur que la proportion régulière et naturelle exige deux parts du dissolvant contre une du corps fixe. De cette opération, faite selon l'art, provient un corps nouveau, régénéré, d'essence volatile, représenté par le chérubin ou l'ange qui domine la composition. Ainsi la mort du vieillard donne naissance à l'enfant et lui assure la vitalité. Philalèthe nous avertit qu'il est nécessaire, pour atteindre le but, de tuer le vif afin de ressusciter le mort. « En prenant, dit-il, l'or qui est mort et l'eau qui est vivante, on forme un composé dans lequel, par une brève décoction, la semence de l'or devient vivante, tandis que le mercure vif est tué. L'esprit se coagule avec le corps, et tous les deux se putréfient sous forme de limon, jusqu'à ce que les membres de ce composé soient réduits en atomes. Telle est la nature de notre Magistère. » (Fulcanelli, op.cit. pp. 339-340) »

 

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Que l'on me pardonne cette longue citation, mais sans elle on ne saurait comprendre le rôle insigne du château de Limanges, situé sur la voie du retour vers Cluis, (il eut l'honneur, dit-on, de recevoir Louis XIII, lors d'une chasse). Ce nom – Limanges - est à lire cabalistiquement comme l'ange issu du limon. Et c'est un autre auteur hermétique cité par Fulcanelli et nommé – doit-on être étonné par la coïncidence ? - Limojon de Saint-Didier, qui nous donne une clef d'interprétation des onze colonnes de la rotonde :

« Vous ne devés pas ignorer que notre vieillard est notre mercure ; que ce nom lui convient parce qu'il est la matière première de tous les métaux ; le Cosmopolite dit qu'il est leur eau, à laquelle il donne le nom d'acier et d'aimant, et il adjoute, pour une plus grande confirmation de ce que je viens de vous découvrir : Si undecies coït aurum eo, emittit suum semen, et debilitatur fere ad mortem usque ; concipit chalybs, et generat filium patre clariorem (Si l'or se joint onze fois à elle (l'eau), il émet sa semence et se trouve débilité jusqu'à la mort ; alors l'acier conçoit et engendre un fils plus clair que son père. » (Lettre aux Vrays Disciples d'Hermes, dans le Triomphe Hermétique, p. 43).

Il nous reste maintenant à explorer ce que j'ai nommé la voie du retour.

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25 janvier 2006 | Lien permanent

Bouesse et Baronte

Les fées ont quitté la vallée de la Creuse, mais la Brenne où ellles se sont, paraît-il, repliées ne bruisse plus guère non plus de leurs légendes. Et l'Evangile de Jean qui les a fait fuir a perdu lui aussi de sa superbe. Le texte est toujours flamboyant mais il n'iirradie plus que faiblement dans nos campagnes. Il faut bien établir ce constat alors même que notre périple s'achève.


Deux derniers jalons avant bouclage. Le premier se situe en limite de Brenne et de Boischaut, à Bouesse, que j'ai déjà évoqué lors de l'investigation sur le carré buissé.

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Le château féodal reconverti en restaurant s'orne encore du blason de la famille de Gaucourt, qui est "semé d'hermines aux deux bars adossés de gueules". Bars étant poissons de mer, voilà bien qui s'inscrit parfaitement dans la thématique du signe zodiacal. Dans les prés du château, la fontaine de Bouesse, manifeste, elle, par sa légende, le désir de communion mystique souvent attribué aux Poissons : en effet, les amoureux qui viennent boire à cette fontaine, dans le même verre, sont sûrs de s'aimer toujours. Souci d'éternité : en cette ultime stase de la révolution cosmique, la nécessité jaillit soudain d'une échappée hors des cadres spatio-temporels. Affranchissement de la roue du temps, volonté de permanence illustrée prosaïquement par ces femmes qui venaient aussi tremper en cette même fontaine leur linge de couleur afin qu'il ne passe pas  au soleil. Ces faits de croyance sont rapportés dans un écrit, Bouesse en Berry, château et terre, dont je possède un exemplaire photocopié dépourvu du nom de l'auteur, daté de juillet 1914, juste avant le grand embrasement où tant de jeunes paysans berrichons laissèrent leur vie. Beaucoup de cultes et de pélerinages populaires s'éteignirent doucement après ces années terribles, et il est bien possible que les légendes de la fontaine n'aient pas elles-même survécu à l'hécatombe. Je dis cela parce que ma famille du côté de mon père est originaire de Bouesse, que j'y fus baptisé et que ma grand-mère, née en 1915, et qui elle-même n'a pas connu son père, mort au combat, y vit toujours. Jamais elle ne m'a parlé de cette fontaine, dont j'appris l'existence dans l'ouvrage mentionné.
Il est vrai qu'on ne boit plus l'eau des fontaines et que les lave-linges ont démodé les lavoirs. Les légendes n'ont plus de veillées où elles puissent être racontées ; vestiges elles-mêmes, elles ne se rencontrent plus guère que dans les livres. Ce monde-ci est voué à la mort et à la destruction, dès lors il s'agit pour le Poisson mystique d'en sortir, de s'extraire du temps cyclique pour gagner le Royaume où le temps n'existe plus. Notre deuxième et dernier jalon porte la marque d'une telle tentative.

 


A Méobecq, sur la pointe du signe, au VIIème siècle, un noble franc devenu moine et nommé Baronte, eut une vision qui le transporta au ciel et en enfer. Le récit qu'il en fit le place, selon Pierre Riché, comme un précurseur de la Divine Comédie de Dante. Canonisé, sa fête était célébrée, selon Mgr Villepelet, le 2 mars, donc dans le temps des Poissons. Charles-Emmanuel Deuzeune l'évoque dans son livre "La Mort et ses rites pour tous": "Dans sa retraite monastique de Méobecq en Berry, il eut donc en esprit, avant 678-679, une anticipation de la vie éternelle par un voyage en enfer et en paradis. L'enfer n'est plus souterrain, comme chez les païens. Il est quelque part dans l'espace, hors de notre monde. Impossible donc que les morts reviennent tourmenter les vivants ! (...) L'angoisse de l'enfer a donc pour but d'utiliser l'attente pour transformer le présent et forcer ainsi les portes d'un avenir mystérieux. L'imagination sollicitée par l'au-delà laisse la place libre au réalisme du quotidien, à l'acceptation de l'histoire, que refusait le paganisme. N'oublions pas en effet que le cosmos païen, sans origine ni fin, est en proie à des forces perpétuellement renouvelées. Par le fouet de la crainte de la damnation, plus tard et non aujourd'hui, le visionnaire élargissait l'imagination de chacun hors du cauchemar sans cesse recommencé, printemps, été, automne, hiver, naissance, croissance, récolte ou razzia, mort, et, du coup, brisait le mythe païen du retour éternel par la vision d'un temps linéaire irréversible."(1)

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L'enfer dans l' Hortus Deliciarum de Herrade de Landsberg (autour de 1180).

Dans la vision, saint Pierre dit à Baronte : " Quand tu seras rentré, déclare à tous l'argent que tu as gardé sans permission en entrant au monastère et que tu as tenu caché. Ensuite, empresse-toi de donner douze sous aux pauvres et aux pélerins, un par mois, des sous bien pesés par la main d'un prêtre. Ne pèche plus et veille à ne rien posséder quand l'année sera finie." Reconduit à la première porte du Paradis, Baronte retrouve des pélerins qui se rendent à Poitiers, au tombeau de saint Hilaire. Ceux-là sont au début du circuit qui les mènera, si tout se passe bien, jusqu'au lieu suprême de l'ascension spirituelle.
Baronte choisira après sa vision de se retirer en Toscane, et il finira sa vie dans un monastère près de Pistoia, en compagnie d'un autre moine qui sera lui aussi canonisé : Desiderius. Ce nom ne saurait nous laisser indifférents, car il renvoie à un passage fondamental de la Géographie Sidérale de Guy-René Doumayrou :


"Elle [la projection zodiacale] résume la structure du monde et celle de tout être achevé, en même temps que la voie des révolutions sidérales qui lui donnent vie, modèle de la genèse que cherche à reproduire le philosophe dans son microcosme. Elle demeure une ossature interne et tout naturellement occulte, ou bien ses évidences sont si criantes qu'elles passent inaperçues ; mais la même ossature existe, affleurant plus ou moins à la conscience, en chaque individu et les coïncidences de l'une à l'autre contribuent, selon la vigueur de son désir (du latin sidus, étoile, qui a donné desiderium, regret, désir), à l'éveiller et à le guider dans la traversée des sept niveaux de la réalité. C'est alors lui qui courra l'aventure du soleil, de solstice en équinoxe et d'équinoxe en solstice : la roue zodiacale est la même chose que le chemin d'étoiles, la voie lactée, chemin de Saint-Jacques, route des Argonautes."(2)

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(1 )Charles -Emmanuel Deuzeune, La Mort et ses rites pour tous, Le plein des sens 2003, pp. 88-89. En fait ce passage est un plagiat éhonté du grand livre de Philippe Ariès, Paul Veyne, Georges Duby et Arthur Gloldhammer, Histoire de la vie privée. C'est en recherchant sur le net des informations pour Baronte afin de compléter mon texte de 1989 que je suis d'abord tombé sur le passage de Deuzeune grâce à Google Books. Puis, j'ai découvert la version anglaise du livre édité par Paul Veyne (la française n'est pas en ligne). Il n'est pas besoin d'être un expert dans la langue de Shakespeare pour constater la forfaiture. J'aurais pu passer ce détail sous silence, mais je trouve intéressant de montrer qu'il n'y a pas que sur le net que sévit le copier-coller.


(2) op. cit. p. 55

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Avec ce dernier billet s'achève donc notre pérégrination zodiacale. Conclusion provisoire, on s'en doute. Il me reste à reprendre l'ensemble de ces textes, afin d'en établir une version que je destinerai à une édition papier. Une réflexion plus générale reste à entamer, un index des noms, lieux et oeuvres cités à élaborer. Le blog ne cesse pas pour autant toute activité, il entre simplement dans une nouvelle phase. La recherche continue, de nouvelles découvertes sont toujours possibles, un regard peut-être plus affirmé sera porté sur les études susceptibles de nous éclairer sur le chemin encore long qui nous est dévolu.
Merci à tous ceux qui m'ont suivi et accompagné pendant plus de quatre ans, qui ont stimulé ma réflexion et donné l'énergie de poursuivre jusqu'au bout. J'ai une pensée toute particulière pour vous, Marc,  Jean-Marc et Ornithorynque, dont la bienveillante attention m'a souvent touché au coeur.

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21 juin 2009 | Lien permanent | Commentaires (3)

Translatio Graalis

A l'est d'Aigurande, le petit village de la Forêt du Temple est notre premier indice : connu en 1185 sous le nom de Domus fratrum de templo forest, c'est alors une dépendance de la commanderie de Viviers, près de Tercillat. Son église est curieusement située à l'extérieur du bourg, près d'un petit bois de peupliers avec une fontaine surmontée d'une croix de pierre. Grandement restaurée en 1872-1874, elle témoigne encore de sa vocation première avec des épées gravées dans le dallage, attestant de tombes de supérieurs templiers. Or, dans le Parzival de Wolfram Von Eschenbach (v. 1170 – v. 1220), les Templiers sont désignés par l'ermite Trévizent comme les gardiens du Graal. Et dans les romans arthuriens, la forêt est toujours le lieu où chercher l'aventure, l'espace merveilleux et redoutable empli de mystères et de dangers, de monstres effrayants et de jeunes femmes prodigieusement belles : « Ils quittèrent alors le castel et se séparèrent comme ils l'avaient décidé, puis se dispersèrent dans la forêt, pénétrant là où elle était la plus épaisse, sans chemin ni sentier. Au moment de cette séparation, on vit pleurer ceux qui croyaient avoir le coeur dur et orgueilleux. » (La Quête du Graal, p.73)

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Beaucoup de ces chevaliers de la Table Ronde engagés dans la Quête du Graal ne rencontreront au bout du compte que l'humiliation et la mort. C'est qu'ils n'ont pas compris le sens de cette épreuve : pour eux, le Graal n'est qu'un prétexte de plus pour se couvrir de gloire. « Ils partent, écrit Albert Béguin, croyant accomplir des exploits tels que l'héroïsme et l'esprit d'aventure les leur ont toujours commandés. Ni la charité, ni la soif de vérité ne les mènent. Ils s'en vont en combattants terrestres pour une quête « célestielle ». » Même celui qui, le premier, est mis en présence du Saint-Vase, Perceval dans le Roman de l'Estoire dou Graal, écrit par Robert de Boron, échouera à le rapporter. Sa faute étant de ne poser aucune question sur le mystère auquel il est admis à assister, « c'est-à-dire, précise encore Albert Béguin, de ne désirer ni la participation effective au sacrement d'eucharistie ni la connaissance qu'il recevrait ainsi des ultimes secrets de la Révélation. » Ce même échec apparaît également chez Wolfram von Eschenbach. « Au premier temps fort du roman, la visite infructueuse au château du Graal, Parzival atteint le point de retournement ; dorénavant, il lui faudra pour ainsi dire revivre sa vie, mais cette fois à rebours et avec une conscience élargie. » (R.Dahlke, Mandalas, comment retrouver le Divin en soi, Dangles, 1988, p. 163) Le même mouvement régit la géographie sacrée : le signe du Cancer symbolise cette récapitulation existentielle, cette réappropriation de soi du héros arthurien, par l'image du crabe marchant à reculons, exprimant primitivement le retrait progressif du soleil à partir du solstice. Pour Doumayrou, le Cancer est ainsi la fontaine de vie, réceptacle de l'eau substantielle où se développeront les germes fécondés : la forêt de la Forêt du Temple, nous la trouverons donc au grand bois de Fonteny où une abbaye, aujourd'hui disparue, avait été implantée. Elle n'a laissé de traces que dans la toponymie locale : hameaux voisins nommés Boucamoine et Ouches-Moines. Dans les romans du Graal, ce sont les ermites qui, à intervalles réguliers, instruisent les chevaliers et leur dévoilent le sens de leurs aventures. Dans un autre bois de cette zone Cancer, nous avons même une fontaine dite de l'Hermite, non loin d'un autre lieu-dit le Temple, situé dans la même direction Sud-Ouest que la Forêt du Temple par rapport à Fonteny.
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A l'orée de ce bois, vers l'est, le lieu-dit Saint-Joseph rappelle que c'est Joseph d'Arimathie qui a transmis le Graal, en tant que vase contenant le sang du Christ, à ses descendants, avec mission d'évangéliser la Grande-Bretagne. Ce passage du Graal de l'Orient à l'Occident, cette translatio graalis est symbolisé par la présence de l'autre côté du bois, à l'ouest, du hameau du Grand Pommier, qui évoque l'île d'Avallon, Emain Ablach en irlandais, autrement dit la pommeraie. Avalon, destination du Graal dans le Joseph de Robert de Boron. Ou Avallon, l' île dont la tradition brittonique fait le refuge du roi Arthur en attendant de revenir délivrer ses compatriotes gallois et bretons du joug étranger. Et notons encore que Merlin, le fondateur de la Table Ronde, enseigne sous un pommier. Maintenant si nous alignons Saint-Joseph et le Grand Pommier en passant par le centre du bois de Fonteny au point de croisement des deux allées qui le traversent (formant par ailleurs une croix de saint André), nous voyons émerger sur ce quasi parallèle d'autres indices troublants. A l'est, l'axe est balisé par Sazeray et Vijon, deux paroisses qui dépendaient de l'abbaye de Déols. Sazeray n'est pas sans faire penser à Sarraz, la capitale des Sarrazins, où Robert de Boron fait transiter le Graal avant de le faire parvenir en Angleterre. Il y reviendra dans une des versions du mythe : « Une voix céleste, écrit Catalina Girbea, la même qui avait commandé à Joseph de porter le Graal en Occident, demande à Galaad de le mettre à Sarraz dans le Palais Spirituel. Galaad, Perceval et Bohort sont emprisonnés par le roi Escorant, et ils sont réconfortés par le Graal qui leur tient compagnie. L'histoire de Joseph se répète, le cercle se referme. Sarraz est le début et la fin et tout le reste paraît un rêve passager. » Entre Sazeray et Vijon, un minuscule lieu-dit le Monterrant rassemble en un seul vocable les riches symbolismes de la montagne et de l'errance, dont la connivence est superbement suggérée par Gérard de Sorval : « C'est ainsi que le lieu de naissance et d'appartenance d'un homme, terrestre ou cosmique (son zodiaque), est la signature de son point de départ en cette vie et de sa destinée : du centre à partir duquel il est appelé à s'orienter librement et à se retrouver. Et, paradoxalement, l'état nomade pastoral, celui des compagnons passants, des nobles voyageurs, ou l'errance aventureuse des chevaliers, témoignent toujours de l'enracinement dans un centre intérieur à soi-même : clan, confrérie, assemblée des Philosophes, Table Ronde, etc. Qu'il soit physique ou subtil, extérieurement visible ou non, ce pôle de rattachement appelle à la recherche active du lieu où l'errance se transforme en tournoiement de la roue autour du moyeu, de la montagne élevée où se rasemblent ceux qui sont épars : le château tournoyant du Graal ou la chambre du Milieu ouverte par l'escalier à vis. « (La Marelle ou les sept marches du Paradis, Dervy-Livres, 1985, p. 118) L'horizon occidental n'est pas moins révélateur : après le Grand Pommier, il désigne rien moins que le hameau de la Graule... Par une curieuse fantaisie de l'histoire, il est toujours ici question de pierres : ce n'est plus l'énorme pierre précieuse aux vertus magiques du poème de von Eschenbach, mais l'ultra-moderne taille de pierres de granit de haute précision. L'alignement est ensuite parallèle à la départementale 990 jusqu'à Aigurande où il pénètre par le Merin, dont un orme et une croix marquaient jadis la limite entre Aigurande en Berry et Aigurandette en Marche, et qu'il est bien tentant de lire comme un souvenir de Merlin... (et nous pouvons prolonger notre rêve en voyant sur la carte, juste au-dessus du Grand Pommier, les maisons de la Fée, avec son étang alimenté par le ruisseau issant du bois de Fonteny. Petit lac pour Viviane berrichonne...). Enfin, au-delà d'Aigurande, l'axe vise le bois de Grammont, où était implanté un prieuré de l'ordre de Grandmont, un ordre religieux de caractère érémitique fondé par Etienne de Muret en 1076, dont l'abbaye-mère se situait en Limousin, dans les monts d'Ambazac.
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Saint Etienne de Muret Ce n'est sans doute pas un hasard si l'ordre s'est particulièrement vite développé sur les fiefs du roi d'Angleterre, la Normandie, l'Anjou, la Saintonge, le Poitou et la Gascogne : « Car le roi d'Angleterre, Henri II Plantagenêt, plein d'admiration pour leur ferveur, se fit très vite leur protecteur. »(L'art grandmontain, Zodiaque, 1984). A la lumière de l'étude de Catalina Girbea sur la récupération du roman arthurien, il faut soupçonner également un savant calcul politique. Mais c'est là une autre question sur laquelle nous aurons peut-être l'occasion de revenir. Sur ce, satisfait d'avoir comblé son retard sur la course solaire, l'arpenteur zodiacal observera une petite pause estivale. Il donne rendez-vous au signe du Lion à ses lecteurs fidèles ou occasionnels (qu'il remercie en passant de tout son coeur car ils lui redonnent souvent courage en son périple).

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11 juillet 2005 | Lien permanent

Vatan, terre gaste

« Après que l'arc fut détendu, la flèche s'en retrouva fichée au sommet de la tête de la sirène, comme le montrent deux dalles sculptées provenant de la façade ouest de l'abbatiale Saint-Sernin qui sont aujourd'hui au musée des Augustins : étrange scène de chasse, motif classique de l'ornementation romane que l'astrologie traduit en disant que Mars s'exalte en Capricorne. »

(Guy-René Doumayrou, Géographie sidérale, p. 150)

 

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La flèche perçant le crâne symbolise l'illumination, l'inspiration fécondante, l'ouverture de la conscience à l'intuition divine. Sachant cela, nous ne serons guère étonnés des détails merveilleux de la biographie de saint Laurian, venu trouver la mort à Vatan. J'en ai déjà évoqué des détails dans un article sur le Laurier du Tempé , mais il n'est sans doute pas inutile d'y revenir ici plus longuement. Originaire de Pannonie (comme saint Martin, d'ailleurs, et ceci n'est sans doute fortuit), clerc de l'église de Milan, Laurian aurait été nommé évêque de Séville au temps de Totila, roi des Wisigoths. Après un épiscopat de dix-sept ans, Laurian se serait rendu à Rome, puis en Gaule au tombeau de saint Martin, enfin à Vatan, où les émissaires de Totila l'aurait rejoint, puis lui auraient tranché la tête. Le saint aurait alors pris sa tête dans ses mains, poursuivi ses assassins et leur aurait demandé de la rapporter en Espagne. Le "chef" de saint Laurian aurait donc été conservé dans la cathédrale de Séville jusqu'à l'invasion mauresque, pendant laquelle on l'aurait si bien caché que depuis, il n'aurait pu être retrouvé. Par ailleurs, il est dit qu'Eusèbe d'Arles, averti par le Ciel, venu à Vatan pour ensevelir le corps du martyr, le trouva gardé par deux ours. Ces faits tirés de la Passio Sancti Lauriani, peut-être écrite vers la fin du IXè siècle, n'ont très probablement aucune valeur historique, mais ils recouvrent sans nul doute une matière mythique qu'il importe de remettre en lumière. Mgr Villepelet lui-même, bien qu'affirmant que tout n'était pas faux dans ce récit, n'en reconnaît pas moins qu' « il y a trop de détails sujets à caution pour qu'on puisse les admettre sans réserve : tels le rôle de Totila, qui était roi d'Italie et non d'Espagne, la mention d'Eusèbe d'Arles, qui ne se trouve point sur les listes d'évêques de cette ville, l'invraisemblance de certains détails merveilleux. (Les Saints Berrichons, p.116) ».

J'ai suggéré ailleurs que Laurian, de par son nom, pouvait donc renvoyer au laurier de la vallée du Tempé, au nord de Delphes, dont le centre oraculaire faisait grand usage. Si Laurian meurt à Vatan, ce n'est pas un hasard, c'est que la ville est située au Nord géographique de Neuvy Saint-Sépulchre, représentant donc le pôle , le centre céleste autour duquel s'enroule toute la création - les deux ours qui gardent le corps de Laurian figurant évidemment les deux constellations boréales de La Grande et de la Petite Ourse.

Maintenant, quelle est la signification de ce nom de Vatan ? Stéphane Gendron n'hésite pas à écrire que Vatan « est le grand absent des dictionnaires et études générales de toponymie française. M. de La Tramblais risque un rapprochement avec vastus : le nom de Vatan a la même origine [que Gâtine], locus vastae solitudinis, lit-on dans la Vie de saint Laurian « (LA TRAMBLAIS 1867 : 361). P-ê en effet racine *vast, celle de l'afr. gast « jachère, terre inculte ». (Les Noms de Lieux de l'Indre, p. 30).»

Romain Guignard, dans un ouvrage publié en 1944, Vatan, des origines à nos jours (réédité en 1997 par la librairie Arts et Loisirs d'Issoudun), abonde dans ce sens : « Vastinum (ou Vastinium) est un vocable du bas-latin de la famille de vastum et dont la signification selon le glossaire de Du Cange aurait été : champ sablonneux, stérile, inculte. Sens dérivé de vastum qui porte primitivement une idée de destruction (le sens originel du latin classique vastus est : ravagé, dépeuplé ) et qui se dit des champs que l'on ne cultive pas ; vastum se dit en plus d'une terre destinée au pacage des animaux et, dans les forêts, d'un emplacement à découvert, sans arbre. (pp. 9-10)»

Alors Vatan, terre gaste ? Terre littéralement dévastée ? Philippe Walter, dans son livre Mythologie Chrétienne, Fêtes, Rites et Mythes du Moyen Age (Imago, 2003, 2005), qui montre bien que les vies des saints dissimulent souvent d'anciennes divinités païennes, présente ainsi le thème de la terre gaste :

« La malédiction de la terre gaste (dévastée par une stérilité mystérieuse ou une calamité divine) hante l'ensemble de la légende du Graal. Elle se rattache à un vieux mythe saisonnier que l'analyse des rites et du mythe des Rogations permet de mieux comprendre. A l'instar d'Indra, il appartenait à Perceval d'assumer le rôle du héros civilisateur permattant au monde d'échapper à la fatalité d'une terre gaste, dans toute l'acception symbolique du mot. Dans les textes hindous, en effet, c'est Indra, le grand héros, qui transperce le dragon retenant les eaux prisonnières et qui creuse le lit des rivières apportant l'eau à tous les humains. »

Or l'eau est un élément important de la Vie de saint Laurian, car le lieu du martyre est situé au voisinage d'une fontaine. D'ailleurs le saint aurait pris le soin d'y laver sa tête avant de la remettre à ses bourreaux. Vatan est par ailleurs arrosé par deux ruisseaux confluant juste à sa sortie nord, dont le plus important, le Pozon, prend sa source à 4 km environ, à la Fontaine aux Pélerins, sur la commune de la Chapelle Saint-Laurian. Il est intéressant également de lire ce qu'écrivait dans son Mémoire de 1803 le préfet Dalphonse sur la cité de Vatan :

« Cette ville est située dans une vaste plaine et dans une espèce d'enfoncement. La route de Paris à Toulouse la traverse et donne de l'activité et de l'aisance à ses habitants. L'eau y est presque partout à fleur de terre, les maisons y sont extrêmement humides ; dans plusieurs la fontaine est à côté du foyer et dans presque aucune il n'y a de cave par impossibilité d'en établir. Cette abondance d'eau avait fait penser que cette ville était construite sur un vaste étang desséché, son nom l'indique assez mais cette abondance d'eau peut bien provenir aussi de ce que la ville est dominée par des terres calcaires qui rejettent sur elle les eaux qu'elles n'absorbent pas. » (cité par R. Guignard, p.151).

Je ne sais ce qu'il en est aujourd'hui de l'humidité des maisons mais il me paraît clair que Laurian a pris le rôle dévolu à Indra dans le mythe hindou : le passage suivant, cité par Ph. Walter, fait écho à la description du préfet : « Indra a fécondé les jeunes filles et elles se réjouissaient comme des sources qui viennent tout juste de jaillir à travers le sol ; les jeunes épouses respectables qui languissaient peu à peu, il les a fécondées. Il a satisfait la soif des prairies et des champs altérés. »

 

Selon Ph. Walter, c'est le même dragon tué par Indra qui « est porté en procession au Moyen Age pendant les Rogations sous des noms divers : la gargouille de Rouen (tuée par saint Romain), le graoulli messin, la chair-salée de Troyes, la drée de Montlhéry et bien d'autres encore. C'est ce même dragon avaleur des eaux, l'une des formes multiples du dieu préchrétien, que l'Eglise cherchait à exorciser lors des Rogations afin de contenir un imaginaire de la fécondité vis-à-vis duquel elle se sentait démunie. Dans le christianisme médiéval, le héros tueur de monstre est souvent un évêque (...) »

Ce que fut, en effet, Laurian.

Les Rogations tombent le lundi, mardi et mercredi qui précédent le jeudi de l'Ascension, et dépendent donc de la date de Pâques, ce qui les placent en théorie du 28 avril au 1er juin. Laurian était associé, lui, à deux fêtes solennelles : le 4 juillet, anniversaire de son martyre, et le quatrième dimanche après Pâques, célébration de la translation de ses reliques à Vatan, auparavant conservées dans une chapelle proche de la fontaine. Ce qui donne dans ce dernier cas, la semaine précédant les Rogations.

Pour le 4 juillet, ne voyant pas le rapport, ni avec les Rogations, ni avec le signe zodiacal du Capricorne qui s'ouvre avec Vatan, j'ai consulté l'excellent site 366 jours par an et constaté que c'était le jour de la saint Florent (bien proche phoniquement de Laurian, et notons que la commune au nord la plus proche de Vatan n'est autre que Saint-Florentin).

Examinons donc d'un peu plus près ce saint Florent.


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21 février 2006 | Lien permanent

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