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06 avril 2005

Chaos papal

"Pour le cas où, à force de malentendus, l'apocalypse bucolique passe dans les faits pour une forme de soulèvement, l'if non taillé représentera la horde sauvage ou la décadence primitiviste, le labyrinthe exprimé sous la forme du chaos - l'if taillé, la stratégie rompue, l'orthogonalité, les illusions formelles, le labyrinthe exprimé sous la forme de calculs."

Pierre Senges (ruines-de-Rome, Verticales/Points Seuil, janvier 2002)

Fin d'après-midi. Je vais chercher Gabriel chez sa nourrice. France-Culture, baîllonnée ce matin par une grève, a repris de la voix. Mais c'est encore du pape que l'on cause et j'écoute tout d'abord distraitement. Puis je réalise que ce n'est pas de Jean-Paul II qu'il s'agit, mais de ses prédécesseurs et de Rome comme espace sacré, lieu de rituels hérités de l'antiquité. J'apprends que dès que la rumeur courait que le pontife était à la veille de trépasser, le peuple commençait à se livrer à un certain nombre de saccages. Une attitude bien différente de celle que l'on observe aujourd'hui, une attitude qui semblerait bien incompréhensible aux foules dévotes qui affluent vers la place Saint-Pierre… Et je bondis presque quand j'entends Martine Boiteux affirmer que, comme dans les sociétés traditionnelles, la mort du chef ouvrait "une période de vacance, de béance, de chaos total." Le palais du pape était attaqué, on s'en prenait à ses biens, voire à sa famille. Toutes les fonctions officielles étaient arrêtées à l'exception de celle du camerlingue, dont le premier souci était de constater la mort du pontife en le frappant trois fois sur la tête avec un marteau d'or…

Cette émission passionnante, je l'ai réécoutée le soir-même : il s'agissait d'une rediffusion d'un épisode des Chemins de la Connaissance : les chemins de la papauté par Philippe Le Villain. Ce chaos ouvert par le décès des anciens papes, dont j'ignorais complètement l'existence, ne pouvait que me rendre plus vive encore l'interrogation que je posais au sujet du KAO du camion polonais.

05 avril 2005

Vers Poitiers, avec Henry de Monfreid

Lo departirs m'es aitan gries
Del senhoratge de Peitieus *

Guillaume Le Troubadour

Prenons du champ. Quittons notre espace berrichon en mettant le cap à l'ouest. Suivons ce parallèle ombilical qui nous a déjà donné la chapelle de Verneuil et Argenton. Dans son sillage, nous épinglerons Ingrandes, qui précisément sépare le Berry du Poitou, l'ancienne civitas des Bituriges de celle des Pictones. Ce petit village bâti sur les bords de l'Anglin a été identifié comme l'antique Fines de la Table de Peutinger. Son nom actuel renferme le celtique randa, frontière.medium_regione_poitiers.jpg
Ici s'installa en 1948 l'écrivain Henry de Monfreid. Dans sa maison des bords d'Anglin, non loin d'un petit musée à lui consacré, il écrivit nombre de ses ouvrages, allant jusqu'à déclarer dans son autobiographie "Le feu de Saint-Elme" que"Ce qu'on pourrait appeler mon oeuvre littéraire n'est autre que le récit de ma vie, écrit au jour le jour dans un présent absolu où les phases de mon existence se succèdent dans une apparente indépendance, comme autour d'un centre instantané de rotation".

* Il m'est si pénible de quitter la seigneurie de Poitiers
(cité dans l'anthologie Via Poitiers, une ville, des écrivains, des voyageurs, Atlantique/Le Torii, 1998)

00:25 Publié dans Bélier | Lien permanent | Commentaires (0)

03 avril 2005

Le facteur de coïncidences

Dans Sacrifice, le chef d'oeuvre d'Andreï Tarkovski, le facteur Otto se présente aux membres de la maisonnée réunis pour l'anniversaire du personnage principal du film, Alexandre, comme un collectionneur d'événements : événements singuliers qui défient la raison humaine. J'inclinerai volontiers à me présenter également comme un collectionneur, un collecteur de ces micro-événements qui parsèment nos existences et qu'on renvoie le plus souvent à l'anodin et à l'insignifiant, se hâtant d'en sourire pour ne pas réfléchir plus avant. Saillies du quotidien qu'on nomme coïncidences, et dont sans plus tarder je veux donner ici le plus récent exemple vécu.

Revenant samedi d'une matinée de travail dans le petit village de Montipouret, je rejoins la route de Châteauroux au-dessus de Corlay. Sur France-Culture, on ne parle que de la mort prochaine du pape Jean-Paul II. Je réalise soudain que ce flamboyant camion rouge que je suis depuis quelques kilomètres est d'origine polonaise : le blason et le sigle PL ne laissent aucun doute.medium_2005_0403image0001.jpg
Je pioche mon appareil numérique dans mon sac et je prends une photo du camion. Je m'approche le plus près qu'il m'est possible : la plaque d'immatriculation - KAO 995P - attire le commentaire. Désigne-t-elle la mise au tapis du vieux boxeur spirituel ? Ou annonce-t-elle le chaos où risque de plonger l'Eglise avec la mort de son souverain pontife ? Pour prendre une nouvelle photo plus rapprochée, il me faudra attendre de rentrer dans Châteauroux et là encore, je crus bien devoir y renoncer car à trois reprises les feux passèrent au vert à notre arrivée, ne me laissant pas le temps d'armer mon appareil. Mieux, le camion s'engouffra dans le quartier Saint-Jean, ce qui me déviait de ma propre route. Tenace, je le suivis mais il se gara alors un peu plus loin sur le côté droit. Avait-il repéré ma traque ? S'en inquiétait-il ? Je n'osais m'arrêter moi aussi et, un peu déçu, le dépassai. Deux cents mètres plus loin, je stoppai à mon tour pour rebrousser chemin. Et voilà que le camion repart et vient s'arrêter à ma hauteur... Un homme descend, une carte routière à la main. Il m'explique qu'ils cherchent la route de Blois... Il est clair qu'ils sont perdus, mes routiers polonais. J'invite donc l'homme à me suivre, je me fais fort de les remettre dans le droit chemin... Je repars, mais je me suis sans doute mal fait comprendre car ils font demi-tour... Têtu, je les suis à nouveau et là, au feu rouge de la rue Combanaire, je prends enfin ma photo : medium_2005_0403image0003.jpg
Je les abandonne un peu plus loin sur les boulevards.

Plus tard, à la maison, c'est la provenance du camion, indiquée au bas de la plaque - Bielsko Biala - qui m'interroge. Le nom ne me dit rien, mais s'il avait lui aussi un rapport avec le pape, il me semble que la coïncidence en serait encore rehaussée. Une première recherche sur le net est décevante : ville historique de Silésie, Bielsko Biala ne m'apporte aucun indice. C'est que j'étais encore trop ignorant de la biographie papale : les informations m'apportent l'élément manquant. Le lieu de naissance de Karol Wojtyla : Wadowice. Un nouvelle recherche m'indique que les deux villes sont fort proches :

medium_map_poland.gif

Mieux, j'apprends de source vaticane, que le propre père de Jean-Paul II (prénommé également Karol), est né à Lipnik, près de Bielsko Biala.

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Il fait partie des cinq blogs que je consulte quotidiennement : le JLR, le Journal Littéréticulaire de Patrick Rebollar, alias Berlol : l'article du samedi 2 avril rejoignait merveilleusement, c'est le cas de le dire, ces présentes observations :
"Les coïncidences sont des étincelles, elles éclairent joyeusement ou mettent le feu. Elles font rejouer dans notre présent les morceaux de passé qu'elles entrechoquent et les relancent vers un destin merveilleusement inconnu".

01 avril 2005

En suivant la Mage

"Le devenir poussait en avant chaque saison comme un revenir vers sa plus grande force, vers sa sève fécondante. Le temps avait un but : c'était ce que la langue française appelle de façon merveilleuse le printemps. Les Romains l'appelaient ver et s'ils dirent primum tempus, ce fut pour marquer le premier temps - le temps fort selon le temps. Le premier temps est l'origine temporelle. Le printemps est la phanie elle-même." Pascal Quignard (Sur le jadis, p.32)

Les jardiniers d'Argenton venaient à la chapelle de Verneuil déposer des fleurs en l'honneur de leur saint patron, suivant en cela le parallèle ombilical, cette ligne équinoxiale qui sépare l'hiver du printemps, le signe des Poissons de celui du Bélier. Mais on peut suivre aussi la voie des eaux : le ruisseau qui s'écoule de la fontaine Saint-Fiacre rejoint celui de la Mage qui se jette lui-même dans la Creuse, au coeur du vieux quartier Saint-Etienne, à Argenton.
Le moine limousin Yrieix y passe lors de son voyage à Tours, daté entre 556 et 573, et décrit le lieu comme profane et consacré aux démons de la religion antique. Il faut dire que celle-ci avait une source encore proche : la ville gallo-romaine d'Argentomagus, abandonnée à la fin du IVe siècle ou au début du Ve. Persistance du paganisme que n'avait pas endigué la fondation probable d'un édifice chrétien implanté au-dessus d'un bâtiment antique et qui allait devenir l'actuelle église Saint-Etienne (une vieille histoire que cette lutte du païen et du chrétien, puisque cette même église, désaffectée, abritait voici encore peu de temps une école maternelle publique...).
Selon Maurice de Laugardière (L'Eglise de Bourges avant Charlemagne, Paris-Bourges, 1951), cette implantation d'église faisait partie d'un vaste projet de l'archevêché de Bourges de construire un réseau de succursales de la cathédrale en différents lieux du diocèse. "En effet, écrit Armelle Querrien (in Argenton-sur-Creuse à la croisée de ses chemins, Editions du C-H-A, 2001), la répartition des églises Saint-Etienne, églises qui ont le même patron que la cathédrale de Bourges, quadrille le territoire du diocèse et coïncide avec les agglomérations protohistoriques et gallo-romaines et avec les grands carrefours routiers antiques. Ce réseau serait postérieur au décret de Valentinien III de 435 ordonnant de détruire les derniers temples païens et antérieur à 470 et aux persécutions des Wisigoths, adeptes de l'arianisme. L'église d'Argenton aurait donc été bâtie avant le passage de saint Yrieix. Elle a essaimé en trois lieux proches dont l'église a le même patron, Tendu, Bouesse et Velles, et peut-être plus loin, à Crozant, Eguzon et Cuzion."
Il apparaît ainsi, et nous ne cesserons pas d'en découvrir de nouveaux exemples, que l'édification de la géographie sacrée se confond largement avec l'histoire de la sainteté chrétienne et de l'évangélisation des campagnes.

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