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14 novembre 2006

Denis Gaulois (10) : Le patriarche Ursin

Reprenons enfin le fil de la légende de Denis Gaulois. Petit rappel des faits : Denis a fort à faire avec les bêtes sauvages qui ravagent ses cantons. Alors qu'il désespère tel Job sur son tas de fumier, un inconnu lui conseille d'aller voir Léocade à Bourges, ce qu'il s'empresse de faire, monté sur "un de ses animaux qu'il avoit apprivoisés".

"En entrant dans Bourges, beaucoup de peuple s'assembla pour le voir ; on étoit surpris à la vue d'un vieillard de telle hauteur, monté sur un animal ennemi des hommes. On lui demanda qui il étoit, d'où il venoit, où il vouloit aller : Je viens de la Gaule ; je m'appelle Denis Gaulois ; j'ai cent onze ans passés ; je suis monté sur un animal que j'ai élevé avec quarante autres qui sont en mon luant ; je cherche Léocade et ses gens, pour chasser dans mes cantons ; je suis parent de votre patriarche Ursin. - On le conduisit alors devant le patriarche. Après avoir conversé ensemble, il le connut pour son parent et le logea avec ses amis."

Ce texte ne cesse de m'intriguer : pourquoi ne pas nommer l'animal sur lequel Denis se déplace ? On sait que c'est un animal autrefois sauvage, maintenant apprivoisé (avec quarante autres), ennemi des hommes, mais son nom nous ne le saurons pas : cette indétermination rend l'histoire encore plus étrange.


Etrange aussi, cette affirmation de Denis, disant venir de la Gaule. Le Docteur Fauconneau-Dufresne ajoute en note que, dans cette légende, la Gaule était le territoire qui s'étendait autour de Déols, sur les deux rives de l'Indre, ce qui nous fait peu progresser dans la compréhension de cette mention à cet endroit précis de l'histoire. Bourges n'était-elle pas en Gaule ? Si, bien sûr, mais ne faut-il pas comprendre que Déols est comme le coeur sacré de la Gaule ? L'endroit où la Gaule est superlativement la Gaule, le centre qui ramasse en lui-même toutes les vertus qui iront irradier tout autour ? Denis, seul, se nomme Gaulois, comme s'il était le seul véritable habitant de la Gaule, son représentant prototypique, l'ancêtre fondateur. 111 ans : dans ce nombre, ne faut-il pas lire trois fois l'unité ? la triple affirmation du Principe ? l'écho des 11 colonnes de Neuvy Saint-Sépulchre ?

 

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Portail de Saint-Ursin (Cathédrale de Bourges)


Et puis voici qu' apparaît un autre ancêtre fondateur, Ursin, qui appartient pleinement, lui, à l'histoire religieuse de la ville. Grégoire de Tours le mentionne à deux reprises, dans le chapitre I du Livre I de l'Historia Francorum et dans le chapitre LXXX, du De Gloria confessorum. "Ces deux passages en apparence assez divergents, écrit Mgr Villepelet, visent néanmoins les mêmes événements : le premier donne le nom de l'apôtre du Berry sans indiquer la date ; le second, plus riche, indique les débuts de son ministère et le don fait par Léocade  de son palais à la communauté chrétienne." (Les Saints Berrichons, Tardy, p. 174)


L'auteur de la légende de Denis Gaulois s'inspire manifestement de Grégoire de Tours, mais on va voir que s'il reprend la trame principale du récit, il ne se prive pas d'y ajouter sa propre fantaisie.

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06 novembre 2006

Denis Gaulois (9) : Sur la trace de Gildas

J'ai emprunté récemment à la médiathèque un ouvrage intitulé Saint-Gildas, de la Bretagne au Berry, sous-titré encore L'épopée des moines. Paru en décembre 2003 aux Editions Lancosme Multimédia, écrit par Gilles Guillemain et illustré par Jeannine Abrioux, il a, je cite la quatrième de couverture, "été conçu dans l'esprit d'attirer l'attention de nos contemporains sur une page d'histoire de Châteauroux, à l'époque où une abbaye était érigée sur les bords de l'Indre, aujourd'hui devenue le quartier Saint-Christophe." Ce livre,  est-il précisé au final, est "un guide parfait pour ceux qui recherchent  des traces de l'abbaye et de l'Histoire d'une civilisation, notre civilisation." Pierre Plateau, archevêque émérite de Bourges, vante dans sa préface ce "beau travail" où "les auteurs ont eu à coeur de faire revivre cette merveilleuse histoire de Saint Gildas." Il ajoute qu'ils "ont distingué avec honnêteté ce qui relève de la légende populaire et ce qui relève de la grande histoire de notre pays."


  Fort bien. Il reste qu'à la lecture du "guide parfait", on demeure plus que perplexe devant cette tentative de reconstitution de la vie de saint Gildas et du voyage des moines bretons jusqu'en terre déoloise. Certes, on nous a prévenus que ce n'était pas véritablement une biographie de la vie de saint Gildas, que la manière était "particulièrement épurée, quelque peu romancée, en survolant les faits"...
Qu'on en juge par le seul extrait suivant, bien significatif du style employé : " Dans la contrée d'Arecluta, baignée par le fleuve Clyde, le jeune breton [Gildas] regarde sa patrie, blessée par une kyrielle de conflits, panser ses plaies. La pluie quasi permanente nettoie les souillures infligées aux pierres, à la terre, aux rivières." Le dérèglement climatique, apparemment,  ne date pas d'hier.

Ceci resterait bénin si l'auteur ne se mêlait pas d'adjoindre à sa narration du périple des moines des notations tout à fait incongrues : ainsi, lors de l'arrivée à Déols du cortège mené par l'abbé Dahoc, on apprend qu'outre les saintes reliques de Gildas les moines détiennent rien moins que "le précieux calice dont Jésus-Christ s'est servi lors de  la sainte Cène." Autrement dit le Saint Graal ! "Le seigneur de Déols est sidéré par cette révélation particulièrement effarante". Le lecteur un peu averti également, car enfin la scène est censée avoir lieu en 922, or le Graal n'apparaît dans la littérature qu'au XIIème siècle, avec Perceval ou le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, et il faut attendre Robert de Boron, au XIIIème siècle, pour identifier ce Graal au calice de la Cène.

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Saint-Gildas

Contrairement à ce qu'annonce Mgr Plateau, on démêle donc mal ce qui relève du légendaire de ce qui appartient à l'histoire proprement dite. Mais survolons à notre tour plusieurs siècles et venons-en à l'époque qui nous occupe en ce moment : les deux abbayes de Déols et de Saint-Gildas, qui se sont semble-t-il développées en bonne harmonie, vont connaître une fin également similaire, "devenues la proie du prince de Bourbon, Henri II de Condé, apparenté à la famille royale, qui, convoitant leurs immenses richesses profite de la vente des possessions des seigneurs de Châteauroux pour acquérir leur comté."
 
En 1612, Condé achète effectivement ces terres berrichonnes, qu'il obtiendra d'élever à la dignité de duché-pairie en 1627. Notre livre lui prête de sombres desseins : "Le projet du prince de Condé est rapidement mis à exécution pour obtenir la sécularisation des deux abbayes. Il entreprend les démarches auprès du roi et du pape qu'il fourvoie. Il allègue, pour cela, l'incurie des religieux qu'il accuse de ne plus respecter les austères principes de la règle de saint Benoît. L'autorité des abbés gênait surtout celle du prince mécréant(1). La sécularisation, en 1622, et la dispersion des moines, sonnent la curée du monastère. L'enceinte fortifiée est envahie et détruite. Les édifices abandonnés fournissent des matériaux qui servent à construire les maisons du faubourg Saint-Christophe. Il ne reste rien de l'église abbatiale."

Sur la destruction des abbayes de Déols et de Saint-Gildas, l'auteur ne se trompe malheureusement pas : la sécularisation accélère un mouvement de démantèlement qui avait commencé avec les pillages et les incendies pendant les guerres de Religion. Il cite à cet égard le poète Jean Lauron (1560-1615 ou 1620), bailli de Saint-Gildas et garde du sceau de Châteauroux qui se désole ainsi dans un poème adressé au prieur de Saint-Gildas :

Temple que nos aïeux Ebbes Léocade Roux,
Avaient bâti doué d'honneur et de richesse,
Qui voisine le ciel de superbe hautesse,
Qu'êtes-vous devenus ? Hélas où êtes-vous ? (...)

Gilles Guillemain a beau jeu de se gausser en rappelant que Léocade "n'a rien à voir avec la construction de l'abbaye Saint-Gildas puisqu'il est mort au IIIème siècle..." Ce qui est plus intéressant c'est de voir ici le patronyme Roux, qui désigne un canton dans la légende de Denis Gaulois. Pour Guillemain, et on le suivra sur ce point, il "s'agit sans doute d'un pluriel utilisé -et pourquoi pas puisqu'on dénomme la ville, à cette époque, Château-Roux - pour qualifier les "Raoul" qui se sont succédé."

Par ailleurs, Jean Lauron avait rédigé en 1595 l'épitaphe de Jean d'Aumont, maréchal de France, compagnon d'armes  de Henri IV,  chevalier de  l'ordre du Saint-Esprit,  comte de Châteauroux,  qui avait choisi pour lieu de sa sépulture l'église des Cordeliers de cette même ville.

"L'imager pourroit bien figurer son Image
En ce tableau icy, et rapporter ses traits,
Mais pour représenter ses gestes et hauts faits,
Il faudroit voir, Passant, l'Histoire de cet âge,
Là tu verras d'AUMONT, d'ardeur et de courage
Foudroyer l'Espagnol par belliqueux effets,
Tu verras les Ligueurs furtifs et déffaits,
Embrasser ses genoux, luy venir faire hommage.
Ivry vit sa valeur, Arques son exercice,
Le feu Roy vit à Tours son fidèle service,
La Bourgogne a tremblé sous son juste courroux,
Le Breton à poings liez secondoit coup à coup,
Quand au bras il reçut à Camper un grand coup,
Qui mit son âme au Ciel, son corps à Château-roux.
Celuy qui pour la vie et bien de sa Patrie,
A cent fois exposé et les biens et la vie,
Celuy qui pour la France à sa vie cent fois
Exposé à la mort, sans vie tu le vois;
Son corps repose icy, et sa fameuse gloire
Burinée se voit sur l'Autel de la mémoire."

 Or, ce Jean d'Aumont, si l'on en croit cette page web qui relate son histoire , était aussi nommé le Franc Gaulois.

Rêvons un court instant : et si Jean Lauron était le véritable auteur de la légende de Denis Gaulois ? Légende inventée à l'origine pour exalter Jean d'Aumont mais récupérée de façon opportune par Condé, pour servir ses projets ?

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(1) Ce soi-disant mécréant n'hésite pourtant pas à nommer lui-même des prêtres sur  les paroisses qui lui appartiennent, si l'on en croit ce document ancien vendu à cette adresse.

 

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27 octobre 2006

Denis Gaulois (8) : Du prince de Condé

CONDÉ, prudent,

commence une phrase incertaine

    Le profond respect que j'ai pour Votre Majesté...


HENRI l'interrompt, souriant

    Pas de formules. Tu vas voir que nous sommes au-delà des formules. J'aime comme un vieux sot, à fond et sans espoir. C'est une enfant, Condé ! Et moi qui n'ai jamais rien respecté, moi à qui la vue d'un jupon sur une taille souple effaçait de l'esprit jusqu'à la notion du respect, je découvre cette curieuse chose au fond de moi. Et je trouve çela très doux.

Il s'arrête, il tisonne le feu. Condé sent qu'il faut dire quelque chose.

CONDÉ

    Je suis profondément touché de la confiance que Votre Majesté me témoigne.(...)


Jean Anouilh (Vive Henri IV ! ou La Galigaï, La Table Ronde, 2000)



Anouilh met ici en scène, dans cette pièce peu connue, le prince de Condé, futur prince de Déols et de Châteauroux, et le « bon roi » Henri IV qui lui demande d'épouser la très jeune Charlotte de Montmorency dont il est tombé fou amoureux. Il va sans dire que le Vert-Galant espère que le futur mari, auquel on prête peu de goût pour les femmes, lui laissera les coudées franches. Espoir qui sera cruellement déçu, car Condé s'enfuira avec sa belle à l'étranger. Et cela sans tarder, car le mariage aura lieu à Chantilly, propriété de Condé, le 17 mai 1609, et la fuite vers les Pays-Bas espagnols est datée du 29 novembre de la même année. Au printemps 1610, Condé laisse sa femme à Bruxelles et rejoint l'armée espagnole de Lombardie. L'assassinat d'Henri lui permet alors de revenir en France et de devenir tuteur du jeune roi encore mineur, avec les deux autres princes du sang, Conti et Soissons.

Condé, décrit par Michel Carmona comme un « homme plus colérique qu'intelligent », ne tarde pas à s'emporter contre Marie de Médicis, la Régente du royaume, qui lui refuse son soutien dans la polémique qu'il mène en 1614 avec l'évêque de Poitiers, Monseigneur de La Roche-Posay, qui lui a fermé les portes de la ville. Le 14 juillet de la même année, il se rend à Châteauroux pour y rencontrer le vieux Sully qu'il espère gagner à sa cause. C'est la première fois que l'histoire personnelle du prince croise la capitale berrichonne. Ses liens avec le Berry ne vont dès lors cesser de se renforcer : peu après la cérémonie de proclamation officielle de la majorité du Roi, le 2 octobre (Louis XIII atteint l'âge de 13 ans), on convoque les Etats-Généraux, et Condé fait élire comme député de la Noblesse dans le bailliage de Berry Henri de La Châtre, comte de Nançay. Ce qui ne sied absolument pas à la Reine-Mère qui le remplace promptement par un de ses fidèles, Guillaume Pot, seigneur de Rhodes et Grand-Maître des Cérémonies.

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Gisant  de Condé (Gilles Guérin, Musée du Louvre)

 

En 1616, l'affrontement entre Condé et Marie de Médicis prend une tournure dramatique et militaire. Le prince lève une armée contre la Régente, mais, renonçant à attaquer la capitale bien défendue par de nombreuses troupes, il entreprend de la contourner par l'ouest pour rejoindre les escouades du duc de Rohan. Il ne passe la Loire qu'à grand-peine et va s'installer en Berry : « Il choisit de s'établir lui-même à Châteauroux, précise Carmona, tandis que ses forces se dispersent aux alentours. »

La diplomatie va reprendre ses droits et c'est Richelieu lui-même, expressément mandaté par la Reine-Mère, qui va descendre à Bourges s'entretenir avec Condé. L'habile homme parvient à le convaincre de revenir à Paris : le 17 juillet, il quitte brusquement le Berry et fait son apparition le 28 juillet à Bourg-la-Reine, « où son arrivée surprend ses amis ».

« Le 29 juillet 1616, continue Carmona, Condé se rend directement au Louvre et va s'incliner devant la Reine-Mère. Tout le monde note qu'elle lui fait bon visage et que la conversation se déroule sur un ton d'évidente cordialité. Lorsque survient le Roi, celui-ci fait fête au prince et l'embrasse à deux reprises.(...) Une véritable cour commence dès le lendemain à défiler auprès de Condé. Les hommages qui fusent, l'empressement que chacun montre auprès de lui, lui montent à la tête. Même les ambassadeurs se rendent en sa résidence comme s'il était le véritable détenteur du pouvoir. »

Françoise Hildesheimer résume en une phrase la situation de Condé : « Condé, gagné par la diplomatie de Richelieu, approuve ses choix et, se croyant tout-puissant, s'essaie avec arrogance à la direction du Conseil et à l'opposition à Concini, qui se ressaisit du pouvoir en le faisant arrêter le 1er septembre 1616, en dépit de toutes les promesses qui lui ont été prodiguées. » (Op.cit. p. 65)

Il ne sera libéré que le 20 octobre 1619 et ne jouera plus dès lors qu'un rôle mineur dans l'histoire du pays.


Condé, Henri II de Bourbon, faut-il le rappeler, a donc failli s'asseoir sur le trône. Grand Veneur, premier prince du sang, il figurait sur la liste des possibles héritiers de la Couronne, si les fils du Roi venaient à mourir. Son ancrage en Berry, sa volonté de rattachement à Déols forcent la curiosité. Ne s'agissait-il pas de montrer les liens symboliques extrêmement forts qui l'unissaient à un des centres de la géographie sacrée de la terre française ? Notons qu'à cette époque encore, le Roi Très Chrétien était toujours considérée comme personne sacrée et thaumaturge : F. Hildesheimer précise que « Louis XII touche très régulièrement les écrouelles ; ainsi, en 1633, à trois reprises, à Pâques, en la fête du Saint-Sacrement, puis à la Toussaint. » « Vicaire du Christ au royaume de France », il est « l'objet de la part de ses sujets d'une vénération qui va bien au-delà de la simple obéissance civile. De nombreux symboles de la royauté divine lui sont d'ailleurs réservés : rayon de la divinité descendue sur terre, il partage l'usage du dais avec le seul Saint-Sacrement. » (op. cit. p. 80)


La légende de Denis Gaulois a-t-elle été inventée pour la gloire de Condé ? On ne saurait l'affirmer avec certitude, mais tout se passe comme s'il s'était agi de magnifier un lieu sacré, en empruntant à la fois aux sources littéraires connues (Grégoire de Tours) et au légendaire dyonisien développé par la célèbre abbaye royale. La réunion même des deux noms, Denis et Gaulois, se retrouve dans l'historiographie de l'abbaye où saint Denis était présenté comme « l'Apôtre des Gaulois », apostolus Gallorum. Anne Lombard-Jourdan écrit encore que le «  3 juillet 987, Adalbéron sacra Hugues à Reims en qualité de « roi des Gaulois » (rex Gallorum). Est-ce sous ce titre qu'il se fit couronner une seconde fois à Saint-Denis, moins d'un mois après ? » (Montjoie et Saint-Denis !, p. 248)


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14 octobre 2006

Denis Gaulois (6) : De Châteauneuf à saint Fiacre

Tentative d'épuisement de la question Charles de l'Aubespine : le net ne m'offrant plus de ressources valables, je me décidai à entrer en bibliothèque pour y dénicher une ou deux biographies de Richelieu. J'en ressortis donc avec Richelieu, L'Ambition et le pouvoir, de Michel Carmona (Fayard, 1983) et le beaucoup plus récent Richelieu de Françoise Hildesheimer (Flammarion, 2004). Deux forts volumes que je n'ai pas eu le temps (ni l'envie d'ailleurs) de lire in extenso, mais où j'ai traqué la présence de mon Châteauneuf. Oui, c'est sous ce nom (Charles est, je le rappelle, marquis de Châteauneuf(1) ) qu'il est couramment désigné par les deux auteurs.

Il apparaît chez Carmona à la page 306 et à l'année 1617. Richelieu n'est pas alors au faîte de sa gloire, loin s'en faut : il a dû quitter Paris pour Blois, accompagnant Marie de Médicis contrainte à l'exil après l'assassinat du favori Concini. Ravalé en mai au rang de « Chef de son Conseil et de ses affaires, pour tenir et avoir garde de son scel », il ne tarde guère à prendre la fuite : le 11 juin, il regagne son prieuré de Coussay sans rien dire à personne, sans un mot d'explication, ce qui rend la Reine-Mère folle de rage. Richelieu, craignant un ordre d'exil du Roi, avait préféré prendre les devants. Sur cette dérobade, on possède un message bien embarrassé de son frère Henri de Richelieu : « Je suis au désespoir de vous avoir donné l'avis de ce que je vous ai mandé, bien qu'il fût vrai et que je l'eusse appris de Monsieur de Châteauneuf, lui-même présent à la résolution qui fut prise. Cela m'avait été confirmé par une personne de plus grande qualité et par plusieurs autres encore. Mais depuis les choses avaient changé et celle-là aussi qui était bien vraie. Excusez mon affection et la passion que j'ai à votre service. » « En somme, explique Michel Carmona, le Roi avait décidé d'exiler Richelieu ; le marquis en avise son frère ; celui-ci quitte Blois aussitôt ; le marquis lui écrit pour lui dire que ce n'est qu'une fausse alerte. »

Quoi qu'il en soit, nous constatons que notre Châteauneuf-Laubépine était bien en cour à l 'époque, et pas avare de confidences. Son caractère intrigant apparaît déjà à cette occasion.

Il ne refait surface chez Carmona que deux cents pages plus loin, en l'an de grâce 1630, mais en des circonstances exceptionnelles, car c'est à l'occasion de la fameuse Journée des Dupes ( 10 et 11 novembre), « qui constituent incontestablement, selon l'historien, un tournant de l'histoire de France. »

Il est à peu près minuit quand Louis XIII prend la parole à Versailles : « Il expose qu'il est déterminé à mettre un terme aux intrigues qui, depuis plus d'un an, se multiplient contre le cardinal, et empoisonnent l'atmosphère politique. Le chancelier de Marillac est à ses yeux l'un des grands responsables de cet état de choses. C'et pourquoi le Roi, tout en rendant hommage à sa piété et à sa conscience professionnelle, a décidé de se séparer de lui. Monsieur de Châteauneuf exercera désormais les fonctions de garde des Sceaux. Louis de Marillac, nommé la veille commandant en chef de l'armée d'Italie, sera destitué de ses fonctions et décrété d'arrestation. »

Notons que c'est quatre jours seulement après l'exécution de Marillac, le 14 mai 1632, que Richelieu est nommé dans l'ordre du Saint-Esprit.

 

Michel Carmona mentionne une troisième et dernière fois le nouveau chancelier, à la page 510, mais c'est presque anecdotique : Châteauneuf est l'un des nombreux courtisans qui tentent  de faire revenir l'irascible Reine-Mère sur ses positions anti-Richelieu, à Compiègne, en février 1631.

Il n'y parvient pas mieux qu'un autre et Carmona se désintéresse ensuite de son cas, ne signalant ni son emprisonnement prochain, ni la suite de ses démêlés avec la Couronne.

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Françoise Hildesheimer prend en quelque sorte le relais de Carmona puisque Châteauneuf n'apparaît chez elle qu'en novembre 1632 (à la page 258). C'est une nouvelle fois une période difficile pour le cardinal. « Les problèmes s'accumulent : il apprend enfin le mariage de Gaston, lequel, à la nouvelle de l'exécution de Montmorençy, s'est de nouveau enfui à Bruxelles le 6 novembre ; en Allemagne, Wallenstein et Gustave-Adolphe sont face-à-face ; à la cour, dans l'entourage d'Anne d'Autriche, l'irréductible duchesse de Chevreuse a ensorcelé le garde des Sceaux Châteauneuf, qui intrigue contre lui. »

Cet abbé est décidément un drôle de lascar, bien porté qu'il est sur les plaisirs de la chair. Ses turpitudes ne laissent pas d'inquiéter Richelieu, malade de surcroît, si l'on en croit ce passage des Mémoires de La Porte, fidèle de la Reine, dépêché par elle-même à Bordeaux pour « savoir s'il était si mal qu'on disait » : « Je le trouvai entre deux petits lits sur une chaise, où on lui pansait le derrière, et l'on me donna le bougeoir pour lui éclairer à lire les lettres que je lui avais apportées ; ensuite il m'interrogea fort sur ce que faisait la Reine, si M. de Châteauneuf allait souvent chez elle... » F. Hildesheimer précise ensuite que « les lettres sont de la reine et de la duchesse de Chevreuse, et leur destinataire n'a guère de mal à imaginer les sarcasmes dont il est l'objet et les espoirs auxquels sa maladie donne prétexte, notamment au garde des Sceaux Châteauneuf, ce cinquantenaire manipulé, comme on l' a vu, par l'infatigable Chevreuse, elle-même âgée de trente-deux ans, qui en a fait un amoureux transi... Les rieurs ont en effet beau jeu de le traiter de « cul pourri », et les ambitieux de rêver à la succession. »


Les rieurs n'auront pas ri longtemps. Le cardinal-ministre n'aura de cesse d'imposer l'autorité royale à l'ensemble de la société et singulièrement à la gent nobiliaire. Selon ses propres mots, il avait décidé de rogner les ongles « si courts à ceux dont on a lieu de se garder que leur mauvaise volonté serait inutile »... F. Hildesheimer cite en préambule de son chapitre 5, justement intitulé « Rogner les ongles », une page qu'elle juge saisissante des Mémoires de La Rochefoucauld, où il dresse un tableau effrayant de la situation de la noblesse au temps de sa jeunesse - notre Châteauneuf y figure, disons-le d'emblée, en bien mauvaise posture : « Le Grand Prieur de Vendôme et le maréchal d'Ornano étaient morts en prison [...], le duc de Vendôme y était encore, la princesse de Conti et le duc de Guise son frère furent chassés ; le maréchal de Bassompierre fut mis à la Bastille, le maréchal de Marillac eut la tête tranchée ; on ôta les sceaux à son frère pour les donner à Châteauneuf. La révolte de Monsieur fit périr le duc de Montmorency sur un échafaud [..] [Le garde des Sceaux] fut ensuite arrêté, prisonnier lui-même bientôt après, Madame de Chevreuse fut reléguée à Tours, n'ayant de crimes l'un et l'autre que d'être attachés à la reine et d'avoir fait avec elle des railleries piquantes du Cardinal. (...)(2) »

Page 313, il est donc bien précisé que le 25 février 1633, Châteauneuf doit rendre les Sceaux « - payant chèrement les sarcasmes dont sa correspondance avec la duchesse a abreuvé Richelieu, le soupirant de la Chevreuse ne sortira de prison qu'après la mort du ministre(3) -, et ses partisans sont éliminés ; ils ont le choix entre le jugement et l'exil. Le cardinal, pour sa part, est crucifié par ses hémorroïdes dont rien ne peut venir à bout : tous les remèdes s'avèrent impuissants à le soulager, y compris les reliques de saint Fiacre, transportées pour l'occasion de Meaux à Paris ; quatre incisions doivent être pratiquées. L'heure n'est pas à l'optimisme, mais bien à la dépression, et donc, sans doute, à la répression... »


Et le 5 mai 1633, Richelieu est nommé commandeur de l'ordre du saint-Esprit...


Par des chemins bien tortueux, je dois l'avouer, nous voici incidemment revenus à saint Fiacre, le premier saint que j'ai abordé lors de cette étude. Mais je n'avais pas alors mentionné qu'il était considéré comme guérisseur et patron de ceux qui souffrent de maladies vénériennes et d’hémorroïdes (cette attribution serait fondée sur un calembour à partir du mot “Fic” qui désignait une petite tumeur). Autre preuve, s'il en fallait, de sa notoriété : Anne d’Autriche  aurait crédité saint Fiacre de la guérison de Louis XIII à Lyon, où le roi était tombé gravement malade.


Après Châteauneuf, c'est à Condé qu'il faut maintenant s'intéresser.


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1. Il s'agit de Châteauneuf-sur-Cher, qui fut d'ailleurs dans son histoire l'enjeu d'âpres batailles entre vicomtes de Bourges et princes de Déols. La forteresse établie au XIème siècle sur les rives du Cher fut complètement détruite à l'issue de cette guerre, puis reconstruite à plusieurs reprises.

2. La Rochefoucauld, Mémoires, Paris, 1964, p. 45-46.

3. « Châteauneuf réapparaîtra à l'occasion de la Fronde, toujours dans le sillage de la duchesse » Note de F. H

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09 octobre 2006

Denis Gaulois (5) : De l'Aubespine

En cette saint Denis, attardons-nous un peu sur ce singulier personnage de Charles de Laubépine, ou plutôt faudrait-il écrire Charles de l'Aubespine, car c'est avec cette orthographe que, très vite, j'en ai appris beaucoup plus sur son compte. L'encyclopédie Wikipedia lui consacre tout d'abord un article où l'on découvre que notre chancelier avait un certain don pour les complots...

Garde des sceaux par la grâce de Richelieu en 1630, il sert les intérêts de celui-ci qui n'hésite pourtant pas à le jeter dans une geôle angoumoisine trois ans plus tard ( il y croupit la bagatelle de dix ans, jusqu'à la mort de Louis XIII ). Rétabli dans ses fonctions en 1650 par Anne d'Autriche, il est encore contraint à l'exil deux ans plus tard. Il meurt peu après une ultime réconciliation, à l'âge de 73 ans, ce qui n'est pas mal pour l'époque.

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 Blason de Charles de l'Aubespine

Un tel goût pour l'intrigue ne laisse précisément pas de nous intriguer, d'autant plus que Charles de l'Aubespine est un homme d'église (mais avec le terrible cardinal Richelieu, il était à bonne école), abbé de Préaux et par ailleurs, Chancelier et Garde des Sceaux de l'Ordre des Chevaliers du Saint-Esprit, qui fut, semble-t-il, l'ordre le plus prestigieux de la monarchie française pendant les deux siècles et demi que dura son existence. « C'est le 31 décembre 1578, en pleine guerre de religions, qu' Henri III fonda l'Ordre du Saint-Esprit, dont le but était de protéger le Roi de France, en tant que personne sacrée. Le monarque choisit le nom de Saint-Esprit pour cet Ordre, en référence à sa propre naissance, à son couronnement sur le trône de Pologne et plus tard sur celui de France, les trois évènements étant survenus le jour de la Pentecôte»

Richelieu lui-même fut chevalier du Saint-Esprit, ainsi que le montre la statue de Francesco Schiaffino, au musée du Louvre.

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Charles est chancelier de l'Ordre dès 1611. Un an après la découverte de la légende de Denis Gaulois. Un an avant, en 1609, il était ambassadeur de France en Hollande. C'est un homme qui voyage.

Présent dans toutes les affaires plus ou moins sombres du royaume, sa présence à Déols en 1610 n'est assurément pas fortuite.


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