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02 février 2007

Reliques et géographie sacrée

Le Précieux-Sang de Neuvy, envoyé en 1257, par le cardinal Eudes n'est pas, loin de là,  la seule relique auquel ce dernier eut affaire. On a dit déjà qu'il avait consacré la Sainte-Chapelle de Paris en 1248. Or, cet édifice avait été spécialement construit pour accueillir un fragment de la Vraie Croix et la Sainte Couronne d'épines du Christ, relique achetée  pour la somme faramineuse de 135 000 livres. Le 26 avril, la chapelle haute est donc dédiée à la Sainte Couronne et à la Sainte Croix par Eudes de Châteauroux, alors légat du pape, tandis que la chapelle basse l'est  à la Vierge par Pierre Berruyer, archevêque de Bourges. Les berrichons sont donc omniprésents lors de cet événement considérable pour l'époque, que j'ai par ailleurs déjà évoqué dans une note de septembre 2005.


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Songe de Jacob -
Psautier de saint Louis pour les chanoines de la Sainte-Chapelle (image BnF)


La même année 1248, le 12 juin, Saint-Louis
se saisit de l'oriflamme capétien en la basilique de Saint-Denis et part en Croisade accompagné de sa femme, Marguerite de Provence. Le cardinal Eudes, on l'a vu,  est aussi du voyage.

De retour de croisade, Eudes, ayant selon ses dires rapporté des reliques christiques de Jérusalem, a donc l'idée de les expédier à Neuvy. Cela donne en passant la mesure  de l'importance de ce sanctuaire. A la Sainte-Chapelle, édifiée au centre de Paris dans l'Ile de la Cité, fait en quelque sorte écho la basilique neuvicienne, centre de la géographie sacrée du Berry. Saint-Louis est alors revenu de captivité, cette translation de reliques ne peut qu'avoir reçu son approbation.


Le pape Innocent IV qui avait nommé Eudes de Châteauroux  cardinal de Tusculum avait d'ailleurs, en 1244,  encouragé Saint-Louis dans ses projets de croisade, mais, semble-t-il,  s'en est peu soucié par la suite. Homme paraît-il savant et intelligent, il n'en autorise pas moins, en 1252, les autorités civiles à utiliser la torture contre les hérétiques avec la bulle Ad extirpandam.

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Innocent IV et Louis IX à Cluny, enluminure


Il est cité assez longuement, sur cette épineuse question de la foi, dans l'excellente étude d'Aviad Kleinberg, Histoires de saints, Leur rôle dans la formation de l'Occident (Gallimard, 2005). Ce passage important à plusieurs titres fera l'objet de la prochaine note.
(J'abandonne la piste du saint Voult, qui ne me semble plus justifiée, la semblable origine italienne des reliques (Lucques, Viterbe) n'est sans doute pas un indice suffisant pour envisager une filiation).



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29 octobre 2006

Reconnaissance

Je viens d'apprendre avec quelque retard la nouvelle, je vous la livre sans délai : la Basilique Saint-Etienne de Neuvy Saint-Sépulchre vient d'être classée au Patrimoine mondial de l'Unesco.

Pour en savoir plus, lisez cet article du site Cyberindre

 

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(Stéphane Gaillochon) 

 

 

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30 janvier 2006

Le voyage alchimique (3)

De Compostelle, Flamel choisit de revenir par mer. Le pilote de la nef hermétique sera son ami et initiateur, Maître Canches, en réalité symbole du soufre blanc, de même que Flamel se représente sous les traits du mercure, sujet des Sages. Semblablement, nous reviendrons à Cluis en suivant la rive droite de la Bouzanne, passant par Limanges, puis par Mouhers qui, au XIIIe siècle était « Moers » et incarnait donc cette Mer philosophique contenant le fruit du Mariage des deux principes : Ange, Mercure double, Hermaphrodite, Androgyne, autant de noms désignant le Rebis (littéralement : chose-deux), matière prochaine de la Pierre Philosophale. « Dans l'allégorie classique, note Philippe Audoin (Bourges, cité première, p. 261), le Rebis est le poisson qui nage dans la Mer philosophique – l'échinéïs remora qui a tout pouvoir « d'arrêter le vaisseau ». Le terme de vaisseau devant s'entendre à la fois du contenant et du contenu, cet arrêt marque la fixation définitive du composé dont la première volatilité est enfin conjurée. » Or, le blason des Gaucourt, seigneurs de Cluis au XVème siècle, est semé d'hermines, à deux bars adossés de gueules : ces bars sont poissons de mer et participent de la même cabale phonétique que l'ours (bear) du duc de Berry (d'ailleurs on a vu que sa soeur Marie, avec qui il commande l'histoire de Mélusine à Jehan d'Arras est duchesse de Bar). Relevons aussi le fait que ces armes contiennent les trois couleurs fondamentales du Grand Oeuvre, à savoir le noir, le blanc et le rouge (gueules, en héraldique), qui marquent les trois étapes de la réalisation et du perfectionnement de la Pierre.

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Ces trois couleurs apparaissent après que la matière obtenue ait été, explique Philippe Audoin, « tirée de son eau-mère et placée dans l'oeuf (elle est oeuf elle-même) c'est-à-dire dans un matras de verre épais, hermétiquement luté. Ce ballon va prendre place dans le fourneau (l'Athanor) où il sera maintenu, des jours durant, à la température égale, modérée, qui convient à une couvaison. C'est la coction. » Et c'est merveille, bien sûr, de découvrir sur la route qui mène de Mouhers au château de Cluis-Dessous, le hameau du Fourneau, lié à la présence d'un haut-fourneau sur la Bouzanne.

 

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Qu'il soit attesté seulement depuis le XVIIIème siècle n' arrêtera pas notre marche rêveuse, nous trouverons même, plus près de nous encore, la marque de l'ouverture de ce livre fermé dont nous étions partis, à travers la création, en 1959, de ce festival du Livre Vivant (ainsi était-il nommé à l'origine, même s'il ne porte plus ce nom aujourd'hui) donné sous les étoiles, à l'intérieur des ruines de la forteresse de Cluis-Dessous. Ainsi furent montés, par exemple, « Quatre-Vingt-Treize », « Les Misérables », « Notre-Dame de Paris », « Ivanhoé », « « Les Chardons du Baragan », « Jacquou le Croquant », « Aliénor »... et dernièrement, en 2004, « Martin Guerre ».

Sans le savoir, la vieille cité retrouvait là, dans l'enceinte en miroir du Bouvier céleste, sa vocation essentielle : livre de vie, livre de pierre, dont le message est toujours actuel, à qui sait ouvrir ses pages. George Sand, elle-même, passant une nuit en ces lieux, y rêva longuement, comme en témoigna son ami Charles-Robin du Vernet.

 

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Il ne nous reste plus (si l'on peut dire, car la tâche sera à reprendre infiniment) qu'à décrypter cette partie de l'axe fondamental qui, partant de Neuvy, s'exalte à Bourges.

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25 janvier 2006

Le voyage alchimique (2)

Suivons sur notre droite le déambulatoire. La troisième colonne engagée est remarquable à plus d'un titre : sa base, contrairement à celle des autres colonnes, est cubique et sculptée sur trois faces. « On y reconnaît sur les côtés, écrit Jean Favière (Berry Roman, Zodiaque, p. 140), des animaux fabuleux de profil, la tête de face pour l'un, la tête retournée vers l'arrière pour l'autre ; sur la face antérieure, deux personnages que l'on a cru être des lutteurs sont disposés de part et d'autre d'une sorte de tige. »

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Ne serait-ce point là l'image du combat de nos deux principes, cette phase de putréfaction de la Matière Première souvent symbolisée par des dragons affrontés ? Dans les figures de Nicolas Flamel, par exemple, dragon sans ailes (figurant le soufre fixe) et dragon ailé (figurant le mercure volatil) sont ainsi mis face à face.

 

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Au chapiteau de cette colonne engagée nous découvrons des coquilles Saint-Jacques, mérelles de Compostelle, que nous ne retrouverons que sur la neuvième colonne engagée, laquelle fait face à celle que nous venons de voir et indique ainsi un axe Bélier-Balance. Or, Doumayrou a signalé que Saint-Jacques de Compostelle - « ce finisterre de Galicie qui est le point le plus avancé vers l'Occident » (G.S. p. 91) – est situé dans le prolongement de l'alignement Toulouse-Saint-Jean-de-Luz, qui n'est autre qu'un axe Bélier-Balance. Ce qui montre encore une fois la connivence profonde entre Neuvy et Toulouse.


Au portail occidental de la cathédrale de Chartres, une statue du XIIème siècle citée par Fulcanelli recèle un ésotérisme similaire : « C'est un grand vieillard de pierre, couronné et auréolé, -ce qui signe déjà sa personnalité hermétique, - drapé dans l'ample manteau du philosophe. De la main droite, il tient une cithare et élève de la gauche une fiole à panse renflée comme la calebasse des pélerins. Debout entre les montants d'un trône, il foule aux pieds deux monstres à tête humaine, enlacés, dont l'un est pourvu d'ailes et de pattes d'oiseau (...). La calebasse, qui renferme la breuvage du pérégrinant, est l'image des vertus dissolvantes de ce mercure, cabalistiquement dénommé pèlerin ou voyageur. C'est, dans les motifs de notre cheminée [Fulcanelli parle ici de la cheminée du grand salon du château de Terre-Neuve, autre demeure philosophale], ce que figurent aussi les coquilles de Saint-Jacques, appelées aussi bénitiers parce qu'on y conserve l'eau bénite ou benoite, qualifications que les Anciens ont appliquées à l'eau mercurielle. Mais ici, en dehors du sens chimique pur, ces deux coquilles apprennent encore à l'investigateur que la proportion régulière et naturelle exige deux parts du dissolvant contre une du corps fixe. De cette opération, faite selon l'art, provient un corps nouveau, régénéré, d'essence volatile, représenté par le chérubin ou l'ange qui domine la composition. Ainsi la mort du vieillard donne naissance à l'enfant et lui assure la vitalité. Philalèthe nous avertit qu'il est nécessaire, pour atteindre le but, de tuer le vif afin de ressusciter le mort. « En prenant, dit-il, l'or qui est mort et l'eau qui est vivante, on forme un composé dans lequel, par une brève décoction, la semence de l'or devient vivante, tandis que le mercure vif est tué. L'esprit se coagule avec le corps, et tous les deux se putréfient sous forme de limon, jusqu'à ce que les membres de ce composé soient réduits en atomes. Telle est la nature de notre Magistère. » (Fulcanelli, op.cit. pp. 339-340) »

 

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Que l'on me pardonne cette longue citation, mais sans elle on ne saurait comprendre le rôle insigne du château de Limanges, situé sur la voie du retour vers Cluis, (il eut l'honneur, dit-on, de recevoir Louis XIII, lors d'une chasse). Ce nom – Limanges - est à lire cabalistiquement comme l'ange issu du limon. Et c'est un autre auteur hermétique cité par Fulcanelli et nommé – doit-on être étonné par la coïncidence ? - Limojon de Saint-Didier, qui nous donne une clef d'interprétation des onze colonnes de la rotonde :

« Vous ne devés pas ignorer que notre vieillard est notre mercure ; que ce nom lui convient parce qu'il est la matière première de tous les métaux ; le Cosmopolite dit qu'il est leur eau, à laquelle il donne le nom d'acier et d'aimant, et il adjoute, pour une plus grande confirmation de ce que je viens de vous découvrir : Si undecies coït aurum eo, emittit suum semen, et debilitatur fere ad mortem usque ; concipit chalybs, et generat filium patre clariorem (Si l'or se joint onze fois à elle (l'eau), il émet sa semence et se trouve débilité jusqu'à la mort ; alors l'acier conçoit et engendre un fils plus clair que son père. » (Lettre aux Vrays Disciples d'Hermes, dans le Triomphe Hermétique, p. 43).

Il nous reste maintenant à explorer ce que j'ai nommé la voie du retour.

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21 janvier 2006

Le voyage alchimique (1)

De cet axe Cluis-Neuvy-Bourges, vecteur occulte qui sous-tend l'architecture du sanctuaire neuvicien, et de ses prolongements dans l'espace berrichon, risquons maintenant une lecture proprement alchimique. Cette traversée des terres sera interprétée comme un long voyage où les lieux rencontrés marquent les étapes de réalisation de l'Oeuvre. Ceci dit, ô lecteur féru de l'Art d'Hermès, sois indulgent et miséricordieux envers le néophyte que nous sommes, notre érudition n'est pas sans faille et notre prétention sans doute bien grande. Nul maître n'a dicté nos écrits, nul cénacle secret n'en porte le récit. Si tout ceci est poésie et fantasmagorie, divagation de songe-creux, fariboles et coquecigrues, le mal, si je ne m'abuse, n'est au fond pas bien grand...


Tout part de Cluis, car, de par son nom même (attesté en Closis dans plusieurs actes médiévaux) indiquant la clôture, la cité représente l'instrument de la quête alchimique occidentale : le livre, le traité, dont « la composition complexe, explique René Alleau (art. Alchimie, Encyclopaedia Universalis, I), et, surtout, l'énergie subtile et l'influence spirituelle dont il est chargé en font à la fois un véhicule « hermétiquement clos » et un message substitué magiquement à la présence même du maître. »

 

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Portail de Saint-Paxent (Cluis)

Le livre fermé est donc le symbole même de la Matière Première sur laquelle l'alchimiste va travailler. Tous ses efforts ne visent qu'à un seul but : ouvrir ce livre, c'est-à-dire en extraire le principe vital qui y est enfermé, la quintessence, la « substantifique moelle » dont parlait Rabelais. « Les sages, précise Fulcanelli1, ont appelé leur matière Liber, le livre, parce que sa texture cristalline et lamelleuse est formée de feuillets superposés comme les pages d'un livre. » (Les Demeures Philosophales, I, p. 296, Pauvert, 1964). Le célèbre adepte Nicolas Flamel se munit en son voyage allégorique vers Saint-Jacques de Compostelle du mystérieux manuscrit hiéroglyphique d'Abraham le Juif.

Adoptant la même symbolique, de Cluis nous allons nous rendre à Neuvy Saint-Sépulchre, dont nous savons déjà qu'elle était une éminente étape sur le chemin de Saint-Jacques. Pour ce faire, nous emprunterons la route de Châteauroux. Au sortir de Cluis, nous passerons au lieu-dit Ragon, qui dissimule à peine par son aphérèse le Dragon primordial, monstre noir couvert d'écailles et fort malodorant, qui se cache « es cavernes de la terre » et qui n'est qu'une des multiples appelations de cette Matière Première dont le nom vulgaire est soigneusement éludé. La route nous conduira ensuite aux Loges de Bonavois, à la lisière du bois de Bonavois : il nous est simplement confirmé, sans mystère excessif, que nous sommes bien sur la « bonne voie ». Animé de cette certitude, nous pourrons plus aisément traverser la forêt, qui est la représentation naturelle du Labyrinthe symbolisant les épreuves rencontrées par l'Adepte : « Donc, en cette mesme façon, écrit Nicolas Flamel, je me mis en chemin et tant fis que j'arrivais à Montjoye et puis à Saint-Jacques, où, avec une grande dévotion, j'accomplis mon voeu. » Nous retrouvons ici ce terme de Montjoie qui a souvent croisé notre périple zodiacal : « C'est l'indice de l'étape bénie, développe Fulcanelli, longtemps attendue, longtemps espérée, où le livre est enfin ouvert, le mont joyeux à la cime duquel brille l'astre hermétique. La matière a subi une première préparation, le vulgaire vif-argent s'est mué en hydrargyre philosophique, mais nous n'y apprendrons rien de plus. La route suivie est sciemment tenue secrète. » (op.cit. p. 440-441).

 

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Saint Michel affrontant le dragon (image BnF)

Toujours est-il que nous voici parvenus au pied de la rotonde, sur le mur de laquelle court, nous l'avons vu, le serpent fabuleux, le dragon ailé. Hiéroglyphes du principe alchimique primordial, de ce Mercure des Sages (qui n'a bien sûr que peu à voir avec le mercure de la chimie moderne), véritable moteur du Grand Oeuvre, car « il le commence, l'entretient, le perfectionne et l'achève. (...) C'est lui, poursuit Fulcanelli, le cercle mystique dont le soufre, embryon du mercure, marque le point central autour duquel il accomplit sa rotation » (op. cit. II, p. 282)... et dont la rotonde est bien sûr la merveilleuse expresssion architecturale. En alchimie, le sépulcre est d'ailleurs le nom donné à l'Oeuf philosophique, la cornue de verre ou de cristal où s'effectue la conjonction des principes opposés, soufre et mercure, le premier, sec et igné, de nature fixe et mâle, le second, froid et humide, de nature femelle et volatile.

Entrons maintenant dans la rotonde par la magnifique porte Nord.

(A suivre)

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1Le célèbre alchimiste, dont l'identité véritable est encore une énigme, doit certainement son nom à la cabale phonétique Vulcain-Hélios, le Feu du Soleil – Vulcain étant, on le sait, l'équivalent latin d'Héphaïstos.

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