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02 avril 2007

Saint-Ursin et sceau de Salomon

Avant de reprendre enfin l'étude de la légende de Denis Gaulois, je voudrais juste signaler une curiosité : sur le portail de Rennes-le-Château, Marc Lebeau a naguère consacré une petite étude à Circuit, texte d'un certain Philippe de Chérisey ;  or, au centre de la carte affichée sur la couverture, figure le nom désormais bien connu de Saint-Ursin, désignant plus précisément la Chapelle Saint-Ursin, village situé à quelques kilomètres de Bourges. Saint-Ursin y apparaît  également comme le centre d'un sceau de Salomon épousant approximativement les limites de l'hexagone.

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Il se trouve que les seigneurs de Déols ont frappé monnaie à l'effigie d'un tel sceau, comme en témoigne par exemple ce denier d'argent de 0,9gr. de Raoul VI (1160-1176) que j'ai trouvé en vente sur e-bay.

 

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Encore un autre exemple de l'étroite relation entre Bourges (Saint-Ursin) et Déols ?


Il reste que ce marquis  de Chérisey était, semble-t-il,  un humoriste de métier et que le tapuscrit étudié par Marc est un texte très ambigu, où l'on  peine à démêler le canular de l'information sérieuse. Mais, après tout, Rabelais procédait-il autrement lorsqu'il réclamait une lecture  "à plus hault sens" pour son oeuvre ?

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14 mars 2007

La sérendipité et les otages

Savez-vous ce qu'est la sérendipité ? Ce mot, francisation de l'anglais serendipity inventé par Horace Walpole en 1754, désigne le phénomène par lequel on fait la  découverte fortuite d'informations qu'on ne cherchait pas exactement. La plupart du temps, on cherchait même autre chose et puis voilà qu'au détour d'une page on tombe soudain sur un passage qui fait profondément sens pour nous. La recherche sur le web a multiplié les occasions de sérendipité, et je dois dire que nombre des notes de ce site sont redevables à de semblables trouvailles.

C'est ce qui s'est passé récemment alors que j'étais en quête d'un article ancien. Parvenu sur la page de Wikipédia consacrée à la ville de Culan, je suis tombé en arrêt devant la mention de Louis de Culan, personnage que je ne connaissais encore pas. Baron de Châteauneuf sur Cher,  amiral de France, compagnon de Jeanne d'Arc et du roi Charles VII, commandant  en second de l'armée du roi lors du siège d'Orléans, il fut l'un des quatre "otages de la Sainte-Ampoule“ lors du sacre à Reims. "Quatre seigneurs devaient en effet escorter la "Sainte-Ampoule" entre l'abbaye de Saint-Rémi où elle était gardée depuis le IVe siècle jusqu'à la cathédrale de Reims, lieu du sacre du roi de France. Les seigneurs devaient défendre jusqu'à la mort — d'où le nom d'otages — le saint-Chrême contenu dans une fiole de cristal (ampoule) qui avait déjà servi pour le sacre de Clovis par Saint-Rémi. Être "otage de la Sainte Ampoule" était donc un honneur considérable qui permettait le jour du sacre d'entrer à cheval dans la cathédrale pour remettre cette "ampoule" en forme de colombe à l'archevêque. Aux côtés de Louis de Culant, étaient "otages" pour le sacre du Charles VII : le maréchal Jean de Brosse, seigneur de Boussac et de Sainte-Sévère : Gilles de Laval, baron de Rais; et Jean Malet seigneur de Graville."

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Alors que je venais d'écrire ma note sur les liens qui avaient perduré entre Berry et Ile-de-France, cela venait singulièrement apporter de l'eau à mon moulin. Le roi Charles VII qui s'était retiré à Bourges quand les Bourguignons avaient mis main basse sur Paris (ce qui lui avait valu l'appellation péjorative de "roi de Bourges") semble choisir,  pour la cérémonie la plus importante qui soit, des seigneurs qui ont un lien très fort avec la géographie sacrée du pagus bituricus.


J'ai déjà montré la place de Culan dans la géographie sacrée celtique, articulée sur les rivières Arnon et Bouzanne. Il faut savoir aussi qu'il existait depuis le XIIe siècle un prieuré dépendant de l'abbaye de Déols au lieu-dit “Prahas” qui a servi d'église paroissiale jusqu'en 1630. À cette date, c'est une vieille connaissance, le prince de Condé, qui obtient de l'évêque que la chapelle du château devienne église paroissiale de Culan.

Voyons maintenant Jean de Brosse : Seigneur de Boussac et de Sainte-Sévère, nous l'avons déjà croisé en Gémeaux où, compagnon de Jeanne d'Arc, il est réputé l'avoir accompagné à la chapelle du  Mas Saint-Jean, près de Dun-le-Palestel dans la Marche.

Observons aussi que Boussac se trouve sur le méridien de Toulx Sainte-Croix en même temps que  Mehun sur Yèvre, où Charles VII fut proclamé roi et où il mourut le 22 juillet 1461, fait que j'ai mentionné  dans ma note du 31 juillet 2005 sur le cheval Mallet, écrite pour rendre compte de la concentration de lieux Mallet ou Malleret autour de cet axe polaire de Toulx. Il n'est peut-être pas fortuit de voir Jean Malet, seigneur de Graville, comme troisième otage du Saint-Chrème. Ce n'est pas cependant un seigneur berrichon : ultime défenseur de la Normandie, il fut nommé Grand Maître des Arbalétriers en 1425, une charge créée soit dit en passant  par Saint-Louis.

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Reste Gilles de Rais, à la sinistre réputation. Pas un berrichon lui non plus. Là, je dois avouer que sa relation avec la géographie sacrée ne m'apparaît pas encore clairement, si tant est qu'il y en ait une.


En tout cas, derrière les otages de la Sainte-Ampoule, venait l'escorte de l'épée royale tenue par le Connétable de France. Mais celui-ci étant en disgrâce, c'est Charles d'Albret, lui-même fils et gendre de connétable, neveu du grand chambellan La Trémoïlle, qui reçut l'honneur de porter l'épée royale. Or Charles d'Albret, comte de Dreux,  était aussi seigneur d’Orval, de Montrond (actuellement Saint-Amand-Montrond), Bois-Belle (actuellement Henrichemont) et la Chapelle d’Angillon, localités toutes berrichonnes.

Enfin venaient les douze pairs
qui ne sont pas bien sûr sans faire penser aux douze signes du zodiaque : "L'imposition de la couronne par l'archevêque met en jeu la collaboration à la sacralisation royale des douze pairs - héritage de la légende de Charlemagne -  qui fait participer au rite royal six évêques et six grands seigneurs laïcs par un geste d'intégration de l'aristocratie ecclésiastique et laïque." (Jacques Le Goff, Saint-Louis, p.831)

Parmi ces douze pairs, notons Raoul de Gaucourt, capitaine d' Orléans, originaire du Nord de la France, qui  prendra possession à la même époque de la terre de Cluis-Dessous.

 

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03 mars 2007

Caput regni

J'imagine le scénario suivant :
 
A l'époque où le peuple gaulois des Bituriges (étymologiquement, les Rois-du-Monde) était le plus puissant de la Gaule et où les Druides avaient conquis une influence déterminante sur la société de leur temps, les deux centres sacrés les plus importants se trouvaient être Déols et Bourges (ils ne portaient évidemment pas ces noms-là), deux tertres entourés de marais, dont le compagnonnage symbolique sera constant au cours des siècles suivants, la trace en étant gardée jusque dans la légende tardive de Denis Gaulois.

A l'heure de la conquête romaine, les Bituriges n'exercent plus le pouvoir suprême et ne sont plus que les clients des Eduens ; les Druides eux-mêmes, comme l'a bien montré Jean-Louis Brunaux, ont perdu la  prééminence des siècles antérieurs et forment une institution déclinante.
Un nouveau centre sacré a supplanté les centres bituriges : Anne Lombard-Jourdan a suggéré qu'il s'agissait d'un  tertre  situé au nord de Paris, dans la plaine du Lendit. Ne pouvant éradiquer purement et simplement ce haut-lieu du paganisme, les premiers chrétiens y placèrent le martyre de saint Denis et sainte Geneviève érigea à proximité la première basilique dédiée à celui-ci.
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Martyre de saint Denis


Le lien avec les anciens centres sacrés n'est cependant pas rompu : entre Berry et Ile-de-France, Paris-Saint-Denis  et Bourges-Déols la vieille histoire perdure, se livre en échos riches et profonds. Le règne de Saint Louis est exemplaire à ce point de vue. On a vu le rôle insigne du prélat berrichon Eudes dans la consécration de la Sainte-Chapelle, la conduite de la croisade et la dotation en reliques christiques du modeste sanctuaire berrichon de Neuvy, création conjointe des princes de Déols et des seigneurs berruyers. L'abbaye royale de Saint-Denis a des possessions en propre à Reuilly et à La Chapelaude.

Etonnant comme la dualité Déols-Bourges est répétée par celle de Paris et Saint-Denis : "Depuis le XIe et, surtout, le XIIe siècle, plus encore sous Saint Louis, écrit Jacques Le Goff , Paris est la résidence habituelle du roi et donc de son conseil, la Curia, qui peu à peu se transforme de cour féodale itinérante en organisme de gouvernement tendant à la stabilité. Paris est devenu caput regni, la capitale du royaume. Mais Saint-Denis, où le roi va prendre l'oriflamme avant de partir pour la guerre ou les attributs du pèlerin avant de partir pour la croisade, sur l'autel duquel il paie un tribut de quatre besants d'or soigneusement déposés chaque année, où sont gardés, entre les sacres, les insignes du pouvoir royal, où reposent ses prédécesseurs dans l'attente de la Résurrection, Saint-Denis est appelé aussi caput regni.
Le Royaume de France a une capitale bicéphale, Paris et Saint-Denis, dont la route, bientôt parsemée de "montjoies", est la véritable voie royale. Et le triangle sacré de l'espace monarchique est Reims, où le roi reçoit le pouvoir  royal, dans la cathédrale du sacre, Paris où il l'exerce habituellement dans son palais et Saint-Denis où il l'abandonne dans le "cimetière aux rois" de l'abbaye "nationale"
(p. 530-531).

Jacques Le Goff montre que c'est d'ailleurs Saint Louis qui va pleinement utiliser "l'instrument idéologique et politique que la nécropole royale offrait  à la monarchie française", en réorganisant la disposition des tombeaux existants de manière à affirmer la continuité entre Carolingiens et Capétiens, et à se rattacher à la prestigieuse figure de Charlemagne, histoire de légitimer une bonne fois pour toutes cette dynastie capétienne "longtemps vilipendée en la personne de son fondateur Hugues Capet - que Dante va bientôt encore évoquer avec mépris" (p. 281).












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21 février 2007

Eudes le franciscain

medium_saintlouis-legoff.jpg La figure d'Eudes de Châteauroux m'intrigue. Comme chaque fois qu'une personnalité traverse ce champ encore si obscur de la géographie symbolique, l'envie est grande d'en savoir plus. Il me souvint que Jacques Le Goff avait écrit  sur le personnage de Saint Louis une somme considérable. Je ne l'avais point lu à l'époque de sa parution (1996),  mais il me paraissait évident que mon prélat castelroussin devait y avoir une bonne place. J'empruntai donc le fort volume de presque mille pages à la Médiathèque et n'ayant pas le temps d'en pratiquer une lecture exhaustive, je me jetai sur l'index des noms de personne. Petite déception : Eudes n'avait droit qu'à huit entrées, ce qui le plaçait assez loin d'Innocent IV (29 entrées) et a fortiori de Blanche de Castille (114 entrées, si je compte bien). Néanmoins j'appris bien des choses en ces quelques  pages.



Première entrée donc, page 49 : "Tout l'Orient n'aura été pour Saint Louis que mirages. Mirage d'un empire latin de Constantinople et d'une réunion des Eglises chrétiennes latine et grecque à laquelle s'employa particulièrement, à la demande de la papauté, un homme lié au roi de France, le cardinal Eudes de Châteauroux, franciscain qui avait été chancelier de l'Eglise de Paris. Mirage d'un affaiblissement des princes musulmans déchirés par des rivalités internes et qui pourtant furent vainqueurs de saint Louis et reprirent cette Terre sainte qu'il avait voulu défendre. Mirage d'une conversion des Mongols au christianisme et d'une alliance franco-mongole avec contre les musulmans." (C'est moi qui souligne).

Eudes occupe une position centrale :  lié à la fois au pape et au roi de France, il montre également la connivence étroite entre le Berry et la capitale. Son statut de franciscain, que j'apprends ici, n'est sans doute pas anodin. Rappelons qu'à l'époque de saint Louis, l'ordre est encore récent : François d'Assise est mort en 1226, l'année même du sacre de celui qui n'est encore que Louis IX et n'est âgé que de douze ans. Aviad Kleinberg ne craint pas d'écrire que  "Les Franciscains incarnèrent l'espoir le plus grand du XIIIè siècle, la promesse d'une vie conforme à la morale chrétienne ici-bas et, par voie de conséquence, de rédemption universelle dans l'au-delà. Saint François lui-même fut perçu par nombre de ses adeptes comme un second Jésus." (Histoires de saints, op. cit. p. 257.) A Châteauroux même, les Franciscains ont laissé une trace architecturale avec le plus beau monument historique de la ville actuelle, le couvent des Cordeliers (Franciscains nommés ainsi à cause de la corde  ceignant leur robe de bure).
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Seconde entrée, page 178 : " Pour la prédication de croisade, Louis IX demande au pape Innocent IV, selon la coutume, de désigner un légat pontifical pour la diriger. Lors du concile de Lyon, en 1245, le choix du pape se porta sur un personnage de premier plan, connu du roi, Eudes de Châteauroux, ancien chanoine de Notre-Dame de Paris, chancelier de l'université de Paris de 1238 à 1244, date à laquelle Innocent IV l'a fait cardinal." La note de bas de page qui est appelée par ce dernier mot voit Le Goff donner son jugement sur le personnage : "Eudes de Châteauroux ne semble pas mériter en tant que prédicateur et homme d'Etat le mépris de Barthélémy Hauréau (Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, t. XXIV/2/2, pp. 204-235, Paris, (1876). Voir le mémoire de D.E.A. inédit d' A. Charansonnet que je remercie (université de Paris-I, 1987/1988, sous la direction de Bernard Guenée) : Etudes de quelques sermons d'Eudes de Châteauroux (1190 ?-1274) sur la croisade et la croix."



Page 184, suite de la Croisade : "Comme lors de l'accueil des reliques de la Passion, mais cette fois-ci avec les rites de croisade -départ pour la guerre sainte et sortie du royaume - recommence la grande liturgie pénitentielle. Le vendredi après la Pentecôte, 12 juin 1248, Louis vient à Saint-Denis prendre l'oriflamme, l'écharpe et le bâton de la main du cardinal-légat Eudes : il associe de cette manière l'insigne royal du roi de France partant en expédition guerrière et ceux du pèlerin prenant prenant le chemin du pèlerinage de croisade." Se confirme ici encore le rôle éminent du légat Eudes, associé à tous les gestes et évènements symboliques forts du règne de Louis IX. Mais il avait également sa place dans la vie diplomatique plus ordinaire du souverain, comme en témoigne l'entrée de la page 253 : "En 1246, dans le cadre des actions de pacification en vue de la croisade, Louis IX et le légat pontifical, Eudes de Châteauroux, avaient ménagé un accord sur la base du Hainaut aux Avesnes et de la Flandre aux Dampierre."

medium_salimbene.jpg Il faut tout de même sauter à la page 455 pour voir à nouveau paraître Eudes, dans la section du livre consacrée aux chroniqueurs étrangers et, plus précisément,  en ce qui nous concerne, la Cronica du franciscain Fra Salimbene de Parme. Ce religieux est témoin oculaire du passage du roi, en route vers Aigues-Mortes, à Sens où il assiste au chapitre général des Franciscains. Salimbene est subjugué par ce roi arrivant à pied, besace et bourdon au cou, demandant les prières et les suffrages des frères. C'est à cette occasion que le cardinal Eudes prend la parole avant le ministre général des Franciscains, Jean de Parme, qui fait l'éloge du roi.

L'entrée de la page 537 ne faisant  que répéter celle de  la page 184, il faut se transporter page 593 pour y voir Le Goff s'interroger une nouvelle fois sur ce Eudes qu'il qualifie ici de maître en théologie : "Comme légat pontifical pour la préparation de sa croisade, il a été en contact étroit avec le roi qu'il a accompagné en Egypte et il a rédigé sur la croisade un rapport adressé au pape. Les oeuvres d' Eudes sont encore mal connues, mais elles font l'objet d'importants travaux. Il semble qu'il a surtout été un prédicateur célèbre. On reste donc à nouveau dans le domaine qui intéresse le plus Saint Louis, celui du sermon."

La dernière entrée, page 806, dévoile un aspect moins reluisant d' Eudes de Châteauroux, et, plus largement, du règne de Saint Louis. En 1241, le souverain avait fait procéder à la crémation publique de vingt-deux charretées de manuscrits du Talmud. Innocent IV l'en félicita dans une lettre du 9 mai 1244, mais l'invita à faire brûler les exemplaires subsistants. Ce qui donna lieu à de nouveaux autodafés les années suivantes (il ne demeure qu'un seul exemplaire médiéval du Talmud, ce qui montre bien l'efficacité de la répression qui fut menée). "Pourtant, poursuit Jacques Le Goff, en 1247, Innocent IV, probablement à la suite de diverses interventions et selon l'habituelle politique des papes qui fait alterner des instigations à la persécution et des appels à la protection des juifs, ordonne à Saint Louis et à son légat en France pour la préparation de la croisade, Eudes de Châteauroux, de rendre aux juifs les Talmuds subsistants parce qu'ils sont nécessaires à leur pratique religieuse. Mais Eudes de Châteauroux supplie le pape de laisser détruire ces exemplaires et, le 15 mai 1248, l'évêque de Paris, Guillaume d'Auvergne, sans doute sous l'influence du dominicain Henri de Cologne, prononce une condamnation publique du Talmud."( C'est moi qui souligne.)

Eloignons-nous maintenant de notre légat neuvicien pour examiner avec Le Goff ce système du sacre que Saint Louis porte à un rayonnement inconnu jusque là. L'ordonnancement qu'il ne cesse sa vie durant de parfaire en prolongeant les lignes de force symboliques héritées des dynasties antérieures ne peut être sans rapport avec la géographie sacrée : toujours est-il qu' avec Saint Louis, comme le déclare l'historien, "la construction de la "religion royale" a presque atteint son sommet."







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13 février 2007

D'Innocent IV à saint Guinefort

medium_kleinberg.gifDans Histoires de saints, Aviad Kleinberg montre comment la société chrétienne en Occident a créé son répertoire de récits religieux, depuis les martyres avant la conversion de Constantin jusqu'à la Légende dorée de Jacques de Voragine, vers 1260. Il pose ensuite la question de savoir à quoi ont servi ces Vies de saints. En l'occurrence, il ne se satisfait pas de la réponse la plus courante, à savoir que ces histoires inventées par l'élite ecclésiastique ou sous son contrôle aient été uniquement des instruments de pouvoir : « Les histoires de saints, en d'autres termes, seraient, comme la religion elle-même, l' « opium du peuple » (...) Cette interprétation reflète avant tout l'indigence de certaines écoles historiographiques et philosophiques qui s'associent au mépris que les élites paraissent éprouver pour les classes inférieures. Ce n'est pas que l'élite ou les élites ne cherchent pas à perpétuer leur propre domination, ni qu'elles ne prônent pas la vertu d'obéissance. La question qui se pose n'est pas de savoir quelles sont les intentions de élites, mais quelles sont les moyens dont elles disposent. Dans ce domaine, l'analyse de l'oppression symbolique pèche par deux défauts graves : tout d'abord, elle a tendance à laisser de côté la complexité de beaucoup de messages religieux que les élites élaborent ou aident à diffuser. En outre, elle ne tient pas compte de l'usage qu'en font leurs consommateurs : les consommateurs, dans le domaine symbolique, ne sont jamais passifs, ils se livrent à une consommation créatrice. Ils persistent à comprendre « de travers ». Cette « incompréhension » ne reste pas confinée dans des fumeries obscures où l'opium embrume le cerveau du peuple. Les consommateurs de religion circulent « au grand jour » avec leurs messages erronés, commettent des délits culturels, pleins de l'assurance propre aux bons citoyens, et changent, parfois radicalement, ce qu'ils étaient censés préserver. » (C'est moi qui souligne).

Kleinberg met donc en lumière l'incapacité des élites à contrôler la bonne réception des messages véhiculés par les Vies de saints, en raison de la nature souvent nébuleuse ou contradictoire des éléments qui les composaient. Mieux, c'est en voulant maintenir une stricte orthodoxie de doctrine que l'Eglise a précipité les changements dans la société médiévale : « Tandis que l'élite investissait un effort énorme dans la formulation de sa doctrine officielle, à la fois en y amenant ses éléments les plus doués et en exerçant contrôle et châtiment, elle permettait au domaine moins prestigieux de l'hagiographie de se développer presque sans contrôle. Les facultés intellectuelles de Jacques de Voragine n'avaient que peu de rapport avec celles de Thomas d'Aquin, et son livre fut bien moins étudié et critiqué que l'oeuvre du théologien et, pourtant, il eut une influence beaucoup plus grande. » Une théologie que Kleinberg appelle alternative se construisit dans les marges de la parole officielle : son existence n'était pas ignorée de l'élite chrétienne d'avant la Réforme, qui d'ailleurs la tolérait dans la mesure où elle demeurait un corpus assez informel et ne s'établissait pas comme système explicite de pensée. C'est pour illustrer cette posture que Kleinberg convoque un texte d'Innocent IV (Commentaria in quinque libros decretalium ad l I, s. v. firmiter, Francfort, 1570), dont voici un extrait :


« Si grande est la force de la foi implicite que certains affirment que, si quelqu'un croit avec une telle foi, c'est-à-dire croit en tout ce que croit l'Eglise, - mais sa raison naturelle le fait s'en tenir à la croyance erronée que le Père est supérieur au Fils ou le précède dans le temps, ou que les trois personnes sont des entités séparées -, il n'est ni hérétique, ni pécheur, tant qu'il ne défend pas son erreur et tant qu'il croit qu'elle est la croyance de l'Eglise. Dans ce cas, la croyance de l'Eglise remplace la sienne, car, bien que sa croyance soit erronée, ce n'est pas en elle qu'il croit, mais en la croyance de l'Eglise. »


« Ce qui surprend dans le texte d'Innocent IV, commente Kleinberg, c 'est que soit reconnue explicitement, sous le large parapluie de l'obéissance due à l'Eglise catholique, l'existence d'autres systèmes de croyance. Un homme peut avoir une croyance erronée, même pour ce qui touche au saint des saints de la doctrine catholique – la Trinité -, à condition qu'il ne soit pas conscient de son erreur. (...) Le texte d'Innocent IV va très loin. Que le plupart des fidèles de son Eglise ne croient pas ce qu'ils devraient croire, cela ne le préoccupe pas vraiment. Ce qui l'inquiète, c'est la désobéissance, autrement dit la croyance consciente en ce que l'Eglise ne croit pas. C'est bien là la définition de l'hérésie. L'hérétique n'est pas celui qui ne croit pas droit ( c'est le lot de tout le monde ou presque), c'est celui qui sait qu'il ne croit pas droit et s'entête dans son erreur. »

La tolérance dont l'Eglise fait preuve vis-à-vis du troupeau des fidèles ne doit pas conduire à penser qu'elle reconnaît une quelconque liberté de conscience. Elle mettra bon ordre chaque fois qu'elle sentira le danger : ce sera la tâche de l'Inquisition. Mais Kleinberg souligne que l'action de celle-ci a été très exagérée : « La plupart des communautés n'ont jamais vu un inquisiteur de leur vie. Mieux, le risque qu'un inquisiteur médiéval se mêle de la vie d'une communauté où une hérésie caractérisée – les cathares, les vaudois - n'a pas été signalée est infime. Les villageois de Montaillou n'ont pas eu de chance : ils sont tombés sur un Jacques Fournier, inquisiteur atypique et exceptionnellement ambitieux (combien d'inquisiteurs sont-ils devenus papes ?). Mais même lui ne cherche que de « vrais » hérétiques et ne s'en prend que très peu aux simples « mal-sentants » de la foi. Lorsque Etienne de Bourbon découvre, par hasard, que les paysans de la Dombes vénèrent Guinefort, un saint dont il n'avait jamais entendu parler, et que ce saint n'est autre qu'un chien martyrisé, il interdit le culte, mais ne punit personne (d'ailleurs, comme le montre Jean-Claude Schmitt, le culte se poursuit jusqu'au XXe siècle). Nous ignorons combien de Guinefort il y eut au Moyen Age. L'Eglise l'ignorait aussi. »

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Nous ne retrouvons pas par hasard Guinefort, un des saints sur lesquels je me suis attardé naguère. Il est l'un des exemples saisissants de cette théologie pratique, dont l'historien écrit qu'elle n'est perceptible que dans les domaines où s'absente la théologie officielle : rite, action, littérature ou vie quotidienne, en somme un « immense champ théologique, voisin du champ de la théologie officielle, qui attend d'être défriché à son tour. »


C'est bien à un tel défrichement que contribue, selon moi, l' étude de la géographie sacrée, elle aussi inscrite depuis toujours dans le champ de l'implicite, réseau sous-jacent, présence phréatique nécessaire à la régulation de la vie en surface.

 

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