19 avril 2006
La croix de saint Roch
Saint Roch n'est pas très présent dans la toponymie du département. Dans son livre sur les noms de lieux de l'Indre, Stéphane Gendron ne relève que quatre occurrences : un moulin sur le Renom dans la commune de Sainte-Cécile (sise au nord-est de Levroux, donc encore en Capricorne), une mention sans précision à La Châtre, une croix dite de Saint-Roch à Lourdoueix Saint-Michel et surtout - apparemment le plus intéressant - une fontaine Saint-Roch à Crozon-sur-Vauvre. Détail crucial, ce beau village encaissé dans sa vallée verdoyante se situe sur l'axe des -Roux, qui joint Levroux à Mortroux en passant par Déols, Châteauroux et Neuvy Saint-Sépulchre.
Jean-Louis Desplaces a consacré plusieurs pages à la fontaine dans son volume 2 du Florilège de l'eau en Berry. Aujourd'hui à sec, elle n'était qu'à une centaine de mètres de l'ancienne église Saint-Germain dont il ne reste aucune trace. Dans la nouvelle église, bâtie sur la colline en 1857, deux statues de saint Roch, l'une en bois, l'autre de plâtre, montrent la pérennité du culte en ces lieux. Il se manifestait par deux processions : la « petite Saint Roch » qui avait lieu en janvier pour les bêtes, « la date, précise J.L. Desplaces, en était fixée par les membres du conseil de fabrique » et « la grande Saint Roch » qui était célébrée le 16 août, jour traditionnel de la fête. Mais déjà, la veille, « dans la soirée du 15, une procession se dirigeait vers l'ancien prieuré ; les fidèles buvaient de l'eau ou en emportaient. Le 16, au matin, la statue de saint Roch était menée à la Croix des Forges, soutenue par quatre porteurs, au chant de « Iste Confessor » sur un air sautillant. » Il est à noter que cette dévotion faisait de l'ombre à l'Assomption, ce dont témoigne l'abbé Doucet, curé avant 1939 : « Tout le monde, le 15 août, manque les offices pour aller pêcher le poisson qui, le lendemain, permettra de tenir le voeu de saint Roch. L'Assomption est blackboulée par le poisson de saint Roch. »
Une autre coutume a disparu dans les années 60, tout comme la petite Saint Roch : le Reinage, qui consistait, au retour de la procession, en une vente aux enchères de la Royauté de saint Roch. « Se présentaient, écrit J.L. Desplaces, ceux qui étaient désireux d'obtenir la bénédiction du saint pour leurs enfants. (...) Roi et Reine n'exerçaient aucune fonction particulière : seule une place d'honneur leur était attribuée, comme nous l'avons dit, à l'office qui suivait. »
Toutes ces pratiques peu orthodoxes s'enracinaient pourtant sur une terre depuis longtemps abreuvée de religion, puisque Crozon est cité dès 1087 en tant que prieuré dépendant de l'abbaye de Marmoutier, près de Tours. En 1772, le patronage de la paroisse est encore attribué à l'archevêché de Tours. Or, qui avait fondé Marmoutier, en 372 ? Saint Martin lui-même, lorsqu'il était devenu l'évêque de la ville. Le lien avec Levroux se confirme un peu plus. Notons que c'est à Neuvy, devant l'autel du Saint Sépulcre, et en présence de Richard, l'archevêque de Bourges, que s'effectue la donation du prieuré par le curé Durand.
Un autre réseau est détectable. On aura peut-être remarqué la proximité phonique de Crozon et de Crozant, ce dernier lieu étant lui aussi en relation avec Levroux, de par sa position sur le même méridien. Or, deux autres cités proches se ressemblent aussi par leurs toponymes, à savoir Aigurande et Eguzon (longtemps dénommée Aiguzon). Les axes Aigurande-Eguzon et Crozon-Crozant se croisent très exactement au coeur de la forêt de Grammont, près de Lourdoueix Saint-Michel, où était établi, comme le nom l'indique, un monastère de l'Ordre de Grandmont.
Or, le carrefour le plus proche de ce noeud n'est autre que celui de la Croix de Saint Roch, autour de laquelle, rapporte S. Gendron, la coutume veut que les mariés viennent faire la ronde. Effectivement tout tourne autour de ce pivot forestier. Rappelons aussi que c'est en ce même lieu qu'aboutissait l'axe graalique issu du bois de Fonteny, en Cancer.
Il faut savoir qu'en même temps que Crozon, le curé Durand avait donné l'église Saint-Michel-du-Puy. J.L. Desplaces précise que celle-ci n'a jamais été identifiée. On peut maintenant se demander si elle n' était pas édifiée à Lourdoueix Saint-Michel, antérieurement à l'oratoire cité en 1154, Oratorium Sancti Michaelis, qui a donné son nom au village1. A l'appui de cette hypothèse, on peut noter que le puy signale une hauteur (latin podium), or la Croix de Saint Roch est, avec ses 382 mètres, au point culminant de ce micro-territoire (il faut se rapprocher très sensiblement d'Aigurande pour trouver des hauteurs plus importantes).
Avec cette note qui nous déporte vers le sud du département ( alors que nous n'en avons pas fini, loin de là, avec Levroux) j'observe, comme l'an passé, une pause aquitaine qui me tiendra momentanément éloigné de ce blog. Je vais aller chercher repos et inspiration chez le grand frère, en secteur Verseau du zodiaque toulousain...
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1Curieusement, un des derniers titulaires de la royauté de Saint Roch fut le collège privé de Lourdoueix Saint-Michel (une collectivité pouvait prétendre à ce titre)...
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27 octobre 2005
Le méridien de Lourdoueix
Examinons aujourd'hui le méridien de Lourdoueix Saint-Pierre. Dans sa partie sud, il s'enfonce dans la Marche, d'où est originaire le saint Pardoux vénéré à la fontaine de Lourouer Saint-Laurent. Après avoir traversé le Bourg d'Hem, qui relevait de Déols, l'axe atteint Saint-Sulpice-le-Guérétois et Saint-Eloi avant d'aboutir sur une chapelle placée sur une éminence et précisément nommée chapelle Saint-Pardoux. Nous retrouvons donc trois saints rencontrés lors de l'exploration des signes de la Vierge et de la Balance. Remarquons incidemment que les trois communes creusoises dédiées à saint Sulpice, archevêque de Bourges et grand ami de saint Eloi, sont alignées avec une extrême précision (il s'agit de Saint-Sulpice-le-Dunois, Saint-Sulpice-le-Guérétois et Saint-Sulpice-des-Champs).
Le village de Sardent, d'où le saint est originaire, n'est qu'à quelques centaines de mètres, à l'est de la chapelle Saint-Pardoux. « La vie de saint Pardoux, est-il écrit sur le site du diocèse de Poitiers, semble fortement teintée de légende. Dit natif de la Creuse en 617 (plus probablement vers 658), il aurait d'abord vécu, aveugle et ermite, dans une grotte et aurait attendu l'âge de... 103 ans pour fonder le monastère bénédictin de Garactum (Guéret). Contre les Sarrasins, il l'aurait défendu par sa seule prière, alors que tous ses moines avaient pris la fuite. Frappés de cécité, les envahisseurs auraient recouvré la vue après une aspersion d'eau bénite et auraient passé leur chemin en épargnant la ville. Après sa mort en 737 ou 738, les reliques de saint Pardoux auraient été transportées au prieuré d'Arnac. II est fêté le 6 octobre."
Il est à noter que l'aspersion d'eau bénite, commune à Mosnay et Lourouer, se retrouve dans la Vita même du saint. Selon l'historienne Martine Larigauderie Beijeaud, spécialiste des Grandmontains, Pardoux apparaît « à la fois comme un saint guérisseur et un saint protecteur. Son rôle lui vient de son métier. Il rappelle les miracles accomplis durant sa vie. Il agit en outre en tant que relais de culte des fontaines et peut-être même des pierres. »
Bras-reliquaire de saint Pardoux
2e tiers XIIIe siècle
Guéret, musée des Beaux-Arts
Provient de l'église de Sardent.
Ayant repéré sur les cartes un Saint-Pardoux-les-Cards, je me suis demandé s'il n'existait pas un alignement des Saint-Pardoux, analogue à celui des Saint-Sulpice. Je traçai donc la ligne unissant les deux sites déjà reconnus et, effectivement, je constatai qu'elle rejoignait un troisième Saint-Pardoux, dit le Pauvre, proche d'Evaux-les-Bains. Mais ce n'était pas tout : la ligne désignait vers le sud-ouest, Saint-Goussaud, « à tous les sens du mot, selon Gilles Rossignol, un haut-lieu de la Creuse ». Le village doit son nom à un autre ermite, Gonsalvus, qui vécut là au VIIème siècle, à la même époque donc que Pardoux. Or, on retrouve ces deux saints typiquement marchois associés dans l'histoire de Lourouer Saint-Laurent, avec une quittance de 1681 payant le règlement « de trois figures : Saint-Pardou, Saint Goussaud, Saint Laurent. » (J.L. Desplaces, op. cit. p. 69).
En suivant maintenant l'alignement vers l'est, c'est au village de Montjoie, dans les collines de Combrailles, que l'on aboutit, sur la rive de la Bouble, en amont de Saint-Eloy-les-Mines. J'ai déjà évoqué par ailleurs le rôle de ces Montjoies, qu' Alphonse Dupront décrit comme le « lieu de la découverte illuminante du sens » : « Découverte d'être ainsi neuf et donc joie : quasi au terme du chemin, sur les grandes routes de pélerinage, existent encore, ici et là, des Montjoies. Raccourci empoignant, le mot, dans sa nudité d'éclat, alors que la passion de la route s'achève, d'une route vécue, corps entier et souffrant, dans une maîtrise inlassée d'âme à mettre un pied l'un devant l'autre, parfois dans une tenaillante angoisse de l'indéfini, voire de l'impossible. A la Montjoie, tout se délivre du vécu du pélerinage. » (Du Sacré, Gallimard, 1987, p. 49).
Montjoie aussi probablement, ce signal de Montjouer, ou Puy de Jouer, culminant à 697 mètres au-dessus de Saint-Goussaud. L'antique Praetorium, cité par la table de Peutinger, comme station sur la route de Saintes à Sens, se situerait en ce lieu.
Il n'est sans doute pas fortuit que le méridien de Lourdoueix passe au nord par le hameau du Petit Jouhet, sur la commune de Saint-Denis-de-Jouhet.
Un autre alignement de Saint-Pardoux suit strictement le parallèle de la chapelle : du côté occidental, il est jalonné par Saint-Sulpice-Laurière et rejoint Saint-Pardoux, près du lac du même nom ; du côté oriental, il désigne, via Mainsat, le village de Saint-Pardoux, situé comme Saint-Eloy-les-Mines sur la route de Clermont-Ferrand, non loin par ailleurs du bourg d'Ebreuil, où les moines de Saint-Maixent vinrent trouver refuge contre les Normands, en 898, avec dans leurs bagages les reliques de saint Léger.
Nous retrouvons ce saint bien connu au village de Saint-Goussaud, où l'on accède par le col de Laléger, mais aussi en poursuivant la remontée du méridien, juste au-dessus du triangle de l'eau, à Lys Saint-Georges, sur une colline dominant le Gourdon. L'église du village lui est dédiée.
Enfin, si nous nous permettons un petit retour sur le mythe de Déméter, nous apprenons que « c'est en cueillant un lis (ou un narcisse) que Perséphone fut entraînée par Hadès, épris d'elle, dans une ouverture soudaine du sol, jusqu'en son royaume souterrain ; le lis pourrait à ce titre symboliser la tentation ou la porte des Enfers. « (Dict. des Symboles, art. Lis, p. 577).
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11 juillet 2005
Translatio Graalis
A l'est d'Aigurande, le petit village de la Forêt du Temple est notre premier indice : connu en 1185 sous le nom de Domus fratrum de templo forest, c'est alors une dépendance de la commanderie de Viviers, près de Tercillat. Son église est curieusement située à l'extérieur du bourg, près d'un petit bois de peupliers avec une fontaine surmontée d'une croix de pierre. Grandement restaurée en 1872-1874, elle témoigne encore de sa vocation première avec des épées gravées dans le dallage, attestant de tombes de supérieurs templiers. Or, dans le Parzival de Wolfram Von Eschenbach (v. 1170 – v. 1220), les Templiers sont désignés par l'ermite Trévizent comme les gardiens du Graal. Et dans les romans arthuriens, la forêt est toujours le lieu où chercher l'aventure, l'espace merveilleux et redoutable empli de mystères et de dangers, de monstres effrayants et de jeunes femmes prodigieusement belles :
« Ils quittèrent alors le castel et se séparèrent comme ils l'avaient décidé, puis se dispersèrent dans la forêt, pénétrant là où elle était la plus épaisse, sans chemin ni sentier. Au moment de cette séparation, on vit pleurer ceux qui croyaient avoir le coeur dur et orgueilleux. » (La Quête du Graal, p.73)
Beaucoup de ces chevaliers de la Table Ronde engagés dans la Quête du Graal ne rencontreront au bout du compte que l'humiliation et la mort. C'est qu'ils n'ont pas compris le sens de cette épreuve : pour eux, le Graal n'est qu'un prétexte de plus pour se couvrir de gloire. « Ils partent, écrit Albert Béguin, croyant accomplir des exploits tels que l'héroïsme et l'esprit d'aventure les leur ont toujours commandés. Ni la charité, ni la soif de vérité ne les mènent. Ils s'en vont en combattants terrestres pour une quête « célestielle ». » Même celui qui, le premier, est mis en présence du Saint-Vase, Perceval dans le Roman de l'Estoire dou Graal, écrit par Robert de Boron, échouera à le rapporter. Sa faute étant de ne poser aucune question sur le mystère auquel il est admis à assister, « c'est-à-dire, précise encore Albert Béguin, de ne désirer ni la participation effective au sacrement d'eucharistie ni la connaissance qu'il recevrait ainsi des ultimes secrets de la Révélation. » Ce même échec apparaît également chez Wolfram von Eschenbach. « Au premier temps fort du roman, la visite infructueuse au château du Graal, Parzival atteint le point de retournement ; dorénavant, il lui faudra pour ainsi dire revivre sa vie, mais cette fois à rebours et avec une conscience élargie. » (R.Dahlke, Mandalas, comment retrouver le Divin en soi, Dangles, 1988, p. 163)
Le même mouvement régit la géographie sacrée : le signe du Cancer symbolise cette récapitulation existentielle, cette réappropriation de soi du héros arthurien, par l'image du crabe marchant à reculons, exprimant primitivement le retrait progressif du soleil à partir du solstice. Pour Doumayrou, le Cancer est ainsi la fontaine de vie, réceptacle de l'eau substantielle où se développeront les germes fécondés : la forêt de la Forêt du Temple, nous la trouverons donc au grand bois de Fonteny où une abbaye, aujourd'hui disparue, avait été implantée. Elle n'a laissé de traces que dans la toponymie locale : hameaux voisins nommés Boucamoine et Ouches-Moines. Dans les romans du Graal, ce sont les ermites qui, à intervalles réguliers, instruisent les chevaliers et leur dévoilent le sens de leurs aventures. Dans un autre bois de cette zone Cancer, nous avons même une fontaine dite de l'Hermite, non loin d'un autre lieu-dit le Temple, situé dans la même direction Sud-Ouest que la Forêt du Temple par rapport à Fonteny.
A l'orée de ce bois, vers l'est, le lieu-dit Saint-Joseph rappelle que c'est Joseph d'Arimathie qui a transmis le Graal, en tant que vase contenant le sang du Christ, à ses descendants, avec mission d'évangéliser la Grande-Bretagne. Ce passage du Graal de l'Orient à l'Occident, cette translatio graalis est symbolisé par la présence de l'autre côté du bois, à l'ouest, du hameau du Grand Pommier, qui évoque l'île d'Avallon, Emain Ablach en irlandais, autrement dit la pommeraie. Avalon, destination du Graal dans le Joseph de Robert de Boron. Ou Avallon, l' île dont la tradition brittonique fait le refuge du roi Arthur en attendant de revenir délivrer ses compatriotes gallois et bretons du joug étranger. Et notons encore que Merlin, le fondateur de la Table Ronde, enseigne sous un pommier.
Maintenant si nous alignons Saint-Joseph et le Grand Pommier en passant par le centre du bois de Fonteny au point de croisement des deux allées qui le traversent (formant par ailleurs une croix de saint André), nous voyons émerger sur ce quasi parallèle d'autres indices troublants.
A l'est, l'axe est balisé par Sazeray et Vijon, deux paroisses qui dépendaient de l'abbaye de Déols. Sazeray n'est pas sans faire penser à Sarraz, la capitale des Sarrazins, où Robert de Boron fait transiter le Graal avant de le faire parvenir en Angleterre. Il y reviendra dans une des versions du mythe : « Une voix céleste, écrit Catalina Girbea, la même qui avait commandé à Joseph de porter le Graal en Occident, demande à Galaad de le mettre à Sarraz dans le Palais Spirituel. Galaad, Perceval et Bohort sont emprisonnés par le roi Escorant, et ils sont réconfortés par le Graal qui leur tient compagnie. L'histoire de Joseph se répète, le cercle se referme. Sarraz est le début et la fin et tout le reste paraît un rêve passager. » Entre Sazeray et Vijon, un minuscule lieu-dit le Monterrant rassemble en un seul vocable les riches symbolismes de la montagne et de l'errance, dont la connivence est superbement suggérée par Gérard de Sorval :
« C'est ainsi que le lieu de naissance et d'appartenance d'un homme, terrestre ou cosmique (son zodiaque), est la signature de son point de départ en cette vie et de sa destinée : du centre à partir duquel il est appelé à s'orienter librement et à se retrouver. Et, paradoxalement, l'état nomade pastoral, celui des compagnons passants, des nobles voyageurs, ou l'errance aventureuse des chevaliers, témoignent toujours de l'enracinement dans un centre intérieur à soi-même : clan, confrérie, assemblée des Philosophes, Table Ronde, etc. Qu'il soit physique ou subtil, extérieurement visible ou non, ce pôle de rattachement appelle à la recherche active du lieu où l'errance se transforme en tournoiement de la roue autour du moyeu, de la montagne élevée où se rasemblent ceux qui sont épars : le château tournoyant du Graal ou la chambre du Milieu ouverte par l'escalier à vis. « (La Marelle ou les sept marches du Paradis, Dervy-Livres, 1985, p. 118)
L'horizon occidental n'est pas moins révélateur : après le Grand Pommier, il désigne rien moins que le hameau de la Graule... Par une curieuse fantaisie de l'histoire, il est toujours ici question de pierres : ce n'est plus l'énorme pierre précieuse aux vertus magiques du poème de von Eschenbach, mais l'ultra-moderne taille de pierres de granit de haute précision.
L'alignement est ensuite parallèle à la départementale 990 jusqu'à Aigurande où il pénètre par le Merin, dont un orme et une croix marquaient jadis la limite entre Aigurande en Berry et Aigurandette en Marche, et qu'il est bien tentant de lire comme un souvenir de Merlin...
(et nous pouvons prolonger notre rêve en voyant sur la carte, juste au-dessus du Grand Pommier, les maisons de la Fée, avec son étang alimenté par le ruisseau issant du bois de Fonteny. Petit lac pour Viviane berrichonne...).
Enfin, au-delà d'Aigurande, l'axe vise le bois de Grammont, où était implanté un prieuré de l'ordre de Grandmont, un ordre religieux de caractère érémitique fondé par Etienne de Muret en 1076, dont l'abbaye-mère se situait en Limousin, dans les monts d'Ambazac.
Saint Etienne de Muret
Ce n'est sans doute pas un hasard si l'ordre s'est particulièrement vite développé sur les fiefs du roi d'Angleterre, la Normandie, l'Anjou, la Saintonge, le Poitou et la Gascogne : « Car le roi d'Angleterre, Henri II Plantagenêt, plein d'admiration pour leur ferveur, se fit très vite leur protecteur. »(L'art grandmontain, Zodiaque, 1984). A la lumière de l'étude de Catalina Girbea sur la récupération du roman arthurien, il faut soupçonner également un savant calcul politique. Mais c'est là une autre question sur laquelle nous aurons peut-être l'occasion de revenir.
Sur ce, satisfait d'avoir comblé son retard sur la course solaire, l'arpenteur zodiacal observera une petite pause estivale. Il donne rendez-vous au signe du Lion à ses lecteurs fidèles ou occasionnels (qu'il remercie en passant de tout son coeur car ils lui redonnent souvent courage en son périple).
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08 juillet 2005
Si souvent la fortune ôte
A ma mère, dont c'est aujourd'hui l'anniversaire.
La source de la Bouzanne est le but d'un pélerinage le Mardi de la Pentecôte. Une statue de Notre-Dame de la Bouzanne y est conduite en procession. Il est encore d'usage de jeter des pièces de monnaie dans le bassin du sanctuaire, offrande gratuite ou espérance d'être exaucé de quelque voeu... Autrefois, l'affaire était plus grave. S. Clément rapporte qu'on apportait de l'eau de la fontaine aux malades en danger de mort : « A cet effet, trois pélerins de même sexe, de même âge et de même condition que le malade partent ensemble en récitant le rosaire. »(Aigurande et ses sanctuaires, Châteauroux, 1910)
Alors que beaucoup de fontaines ayant fait l'objet d'un rite sont de nos jours tombées dans l'oubli, ne sont plus parfois qu'un bouillonnement obscur dans le coin d'un pré, la source de la Bouzanne se présente dans un lieu vaste et bien dégagé, et le pélerinage a même connu cette année un surcroît de ferveur, en raison de la présence de Monseigneur Barbarin, archevêque de Lyon, tout juste revenu du conclave.
Pentecôte.
(BNF, LAT 18014)
fol. 69
Petites Heures de Jean de Berry
France, Paris XIVe s.
(55 x 45 mm)
La Pentecôte chrétienne commémore la descente de l'Esprit-Saint sur les Apôtres et, en définitive, marque la naissance de l'Eglise, car c'est à partir de ce jour-là qu'elle va se développer par toute la terre.
Elle est aussi le point de départ obligé de l'action de plusieurs romans arthuriens. Ainsi, Yvain, le chevalier au lion, de Chrétien de Troyes, commence-t-il par ces mots :
« Arthur, le noble roi de Bretagne, dont la valeur exceptionnelle nous enseigne à être vaillants et courtois, tint une cour splendide, bien digne d'un roi, à l'occasion de cette fête, qui, si souvent la fortune ôte, qu'on a bien raison de l'appeler Pentecôte. » (trad. C.A. Chevalier, Livre de Poche, 1988)
De même, la Quête du Graal :
« A la veille de la Pentecôte, vers l'heure de none, les compagnons de la Table Ronde qui venaient d'arriver à Camaalot se mettaient à table, après avoir assisté à l'office, quand une très belle Demoiselle entra à cheval dans la salle. » (Edition présentée par Albert Béguin et Yves Bonnefoy, Seuil, 1965)
De la même manière, c'est à la Pentecôte que Galaad surgit dans le palais du roi Arthur, en armure vermeille rappelant les langues de feu descendues sur les apôtres ce jour-là.
Selon Yves-Albert Dauge, le Graal correspond à l'essence même de l'ésotérisme universel, et tout particulièrement à la clef de l'ésotérisme judéo-chrétien. La géographie sacrée, s'inscrivant avec évidence dans le champ de manifestation de celui-ci, ne peut pas ne pas avoir tissé de liens avec cet extraordinaire symbole : la zone Cancer, et singulièrement cette bande de territoire partant d' Aigurande et suivant la ligne de partage des eaux de l'Indre et de la Creuse, illustre pleinement, nous allons le voir, cette rencontre.
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06 juillet 2005
Bouzanne, rivière matricielle
Sur la méridienne de Neuvy Saint-Sépulchre, ligne de partage entre Gémeaux et Cancer, se trouve la source de la Bouzanne. Cette petite rivière - nous le verrons plus tard en détail lors de l'étude de Bourges et du signe du Scorpion – est un élément très important de la géographie sacrée du peuple biturige. Pour le dire vite, elle marquerait le culte de la souveraineté celtique et serait homologique au fleuve Boyne du comté de Meath (centre spirituel de l'Irlande), dont la divinité éponyme est Boand ou Boann. La géographie zodiacale a, semble-t-il, parfaitement intégré ce symbolisme et la Bouzanne apparaît comme une véritable rivière matricielle : prenant naissance en Cancer, signe des eaux-mères, elle arrose l'ombilic neuvicien avant de se jeter dans la Creuse au Pont-Chrétien, en secteur Poissons, dans le signe des eaux océanes.
Près de la source, s'élève la cité d'Aigurande, l'antique Equoranda, dont le nom signifie selon Dauzat « limite de l'eau ». Comme Ingrandes, elle indique par son suffixe randa, frontière, qu'elle est située à la limite de deux peuples celtes : Aigurande séparait les Lémovices des Bituriges. D'ailleurs, elle a gardé jusqu'à nos jours son caractère frontalier, délimitant ensuite Marche et Berry, et aujourd'hui Indre et Creuse.
Puits à Aigurande
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