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Rechercher : Levroux

Silvain et Sucellus

« La rencontre phonétique de Silvain et Silvestre suggère également des dédicaces au dieu latin Silvanus (Silvano Silvestris Sacrum) comme des épithètes que l'on peut rapporter au dieu Mars et renvoie à la tradition d'une construction de la première église de Levroux sur les ruines d'un édifice romain. »

(Jean-Paul Saint-Aubin, Saint Silvain)


Selon Joël Schmidt, Silvain n'avait pas l'honneur d'un culte officiel dans la Rome antique, mais il était très populaire dans les campagnes, où fruits et jeunes animaux d'étable lui étaient offerts. Divinité associée aux bocages, aux vergers et aux petits bois, adoré tout d'abord sous la forme d'un arbre avant de prendre apparence humaine et d'être assimilé à Pan ou à Faunus, il est ordinairement représenté sous la forme d'un joyeux vieillard, couronné de lierre, et une serpe à la main : « Son caractère malicieux, enclin à la taquinerie, le faisait craindre des voyageurs qui traversaient les bois, et les parents menaçaient leurs enfants du courroux de Silvain lorsqu'ils cassaient les branches d'arbres. » (Dictionnaire de la Mythologie Grecque et Romaine, Larousse, 1998, p. 192.)

 


 
Tiens, ce courroux nous rappelle incidemment le nom du fiancé déchu de Rodène... Ceci dit, Silvain est un dieu romain, et il ne se présente pas tel quel sur le territoire gaulois. Paul-Marie Duval le montre cependant associé au dieu celtique Sucellus, le dieu au maillet, mais seulement en Narbonnaise : « Sucellus prend dans le Midi l'allure de Silvain et ne garde que ses attributs, maillet et vase, avec son chien : toujours barbu, il se dénude et porte seulement un court manteau ou une peau de loup jetée sur les épaules ; sa tête se couronne de feuillage, un arbre pousse auprès de lui, des fruits chargent ses bras. Il arrive que les deux types se mêlent et que le dieu vêtu à la gauloise soit couronné de feuilles ou tienne une serpe, une flûte de Pan, un couteau de chasse ; inversement, les autels dédiés Silvano se couvrent de maillets. La pénétration est ici tout à fait réciproque. » (Les dieux de la Gaule, Payot, 1976, p.78.)

 

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Sucellus lui-même est surtout honoré dans le bassin du Rhône et de la Saône. Ses représentations les plus occidentales sont celles de Lailly-en-Val et de Bourges. J'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion de l'évoquer à propos de la géographie sacrée de la vallée de l'Arnon, où j'ai cité les travaux d'Anne Lombard-Jourdan qui l'assimile à Cernunnos, le dieu-cerf, envisagé comme le dieu-père celtique, le Dis Pater dont parle Jules César dans la Guerre des Gaules.

Le préhistorien Jean-Jacques Hatt, écrit lui aussi, en conclusion de son analyse, que « Silvain-Sucellus-Dispater est l'un des dieux les plus importants du panthéon celtique et gallo-romain. Il a participé à la formation de ce dernier, comme à son évolution. Divinité plurivalente, simultanément sidéral et chtonien, il est, comme le Mars indigène, antérieur à l'introduction du système tripartite des grands dieux celtiques. (...) Ses racines archaïques le rapprochent des traditions irlandaises, correspondant elles-mêmes en grande partie à un état religieux plus ancien que le Ve siècle avant J.C. » 1

Il importe maintenant de développer ce « simultanément sidéral et chtonien ».

________________________________________

1Ce texte fait partie d'un document précieux mis en ligne par les héritiers de Jean-Jacques Hatt. Décédé en 1997, il « n'a pas pu terminer le deuxième tome de " Mythes et dieux de la Gaule"; suite du tome I publié chez Picard en 1989. Son épouse et ses enfants ont trié et rassemblé le texte et les photographies, réalisé la saisie informatique du manuscrit. Son petit fils Ambroise Lassalle, conservateur territorial du patrimoine, a numérisé les illustrations disponibles à partir d'un stock imposant de photographies souvent non légendées. Bernadette Schnitzler, conservateur en chef du Musée Archéologique de Strasbourg, a relu et effectué la mise en forme de l'ensemble du texte après saisie, mis au point une maquette éditoriale et réalisé une sélection de documents d'illustration, parmi les documents disponibles. Thierry Hatt a assemblé les chapitres et les images en fichiers Adobe Acrobat et a installé ces derniers sur le site Internet dédié. Cette publication a été mise en ligne en septembre 2005. » (Avertissement de la famille.) 



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09 avril 2006 | Lien permanent | Commentaires (5)

Saint-Georges

Dans la vitrine du magasin d'orfèvrerie Jacob, trônait depuis pas mal de temps la plus belle chose qui fût au monde. C'était une pendule d'onyx noir, avec un cadran d'or. La pendule était couronnée (c'était bien ce qu'il y avait de plus beau) d'un saint Georges terrassant le dragon. Le dragon était sur le dos, la gueule dressée, et la poitrine offerte à l'épée de saint Georges ; le saint était couvert de son armure, la visière du casque levée, monté sur un cheval de labour. La chose inouïe, c'est qu'il portait une barbe en pointe et ressemblait un peu à Doc.

John Steinbeck (Rue de la Sardine, Folio/Gallimard, p.188)


Examinons encore une fois le no man's land bordant le carré buissé. Dans l'angle SO, nous avons vu que la plus proche localité était Saint-Georges-les-Landes. Ce saint est peu représenté dans la toponymie de la région. Pour le Cher, l'Indre et la Creuse et, dans une moindre mesure,  la Haute-Vienne, qui composent l'essentiel de nos territoires d'investigation, nous ne relevons (grâce au logiciel CartoExploreur3 de l'IGN) que dix Saint-Georges et dérivés. Dans l'espace proprement dit du carré buissé, un seul Saint-Georges est notable, que nous connaissons bien puisqu'il s'agit de Lys Saint-Georges. Or, le petit village se situe à seulement quatre kilomètres à vol d'oiseau du centre du carré, et, qui plus est, il est situé sur le même parallèle.
Dans le pourtour proche du carré, dans la  zone frontalière dont j'ai déjà amplement parlé, se situe donc Saint-Georges-les-Landes, mais aussi, diagonalement, au Nord-Est, Saint-Georges-sur-Arnon, un peu en aval de Saint-Ambroix. D'ailleurs, l'alignement qui les réunit s'avère perpendiculaire à l'axe Saint-Genou-Levroux-Diou.

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Au Sud-Est, c'est Bussière-Saint-Georges qui retient notre attention. Situé à trois kilomètres de l'angle SE du carré, proche du méridien de Saint-Ambroix, il réunit en une seule appellation le buis et le saint.


La démonstration eût été décisive si j'avais relevé un quatrième Saint-Georges près de l'angle NO. Hélas, aucune trace de Saint-Georges dans les parages. Il y a bien un lieu-dit Saint-Georges, sur la commune de Mézières-en-Brenne, mais nous sommes déjà trop éloignés de Saint-Genou (à peu près 16 km) pour que ce soit pris en compte.
Il reste que la présence de trois Saint-Georges dans les alentours des angles et au centre du carré buissé doit nous interroger. Qu'est-ce que cela signifie ?
On sait que ce saint est assez sulfureux, c'est un cas à part dans l'hagiographie chrétienne. Comme saint-Christophe, il ne s'agit pas d'un martyr identifiable historiquement. Même Jacques de Voragine, d'ordinaire peu regardant,  reconnaît, dans sa Légende dorée,que sa légende est mise au nombre des pièces apocryphes dans les actes du concile de Nicée, parce que l'histoire de son martyre n'est point authentique. Cela ne l'a pas empêché de devenir le saint patron des chevaliers, et des villes de Gênes, Venise, Barcelone et celui de l'ordre Teutonique. Il est même devenu celui de toute l'Angleterre et sa bannière (argent sur croix de gueules) est à la base de l'Union Jack. L'iconographie de saint Georges est des plus riches : on le représente généralement à cheval, armé le plus souvent d'une lance et terrassant le dragon, tandis que la princesse prie à l'arrière-plan.

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Saint Georges terrassant le dragon
Bréviaire de Martin d'Aragon,

Catalogne, XVe siècle,
Bibliothèque nationale de France, Paris
(ROTH 2529, fol. 444v)


Observons ce fait primordial : la scène se passe au-delà des murs de la ville. Saint Georges garde la frontière ; il empêche le désordre et le chaos de pénétrer dans la sphère des activités humaines. Les Saint-Georges disposés aux angles du carré buissé sont les témoins de cette fonction protectrice. Saint Georges est le gardien du seuil qui a très certainement remplacé une divinité païenne.


Pourquoi maintenant l'absence  de saint Georges à l'angle nord-ouest ? On peut hasarder une hypothèse : saint Genou fait face aux démons comme saint Georges fait face au dragon, et les deux noms ne sont point trop éloignés phonétiquement. A-t-on estimé que la présence de saint Genou suffisait à sécuriser la zone nord-ouest ? Ou bien les deux saints ne sont-ils que deux hypostases de la même puissance sacrée ?

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14 juin 2008 | Lien permanent

La Dame de la Font-Chancela

L'investigation sur les fontaines initiée en Vierge nous a conduits, on l'a vu, à dépasser le cadre strict de la zone lui étant dévolue, sans pour autant renoncer à cette rigueur profonde présidant à l'élaboration de la géographie sacrée. Simplement les secteurs zodiacaux ne sont pas étanches, sévèrement cloisonnés, séparés les uns des autres comme si chacun était une entité distincte et indépendante : chaque signe, nous avertit Alexandre Ruperti, résonne d'une manière ou d'une autre à tous les autres signes (La Géométrie du Ciel, I, avec Marief Cavaignac, Rocher, 1987, p. 53). Aussi certaines configurations comme celle que nous venons d'étudier se développent-elles sur le zodiaque tout entier, car les thèmes qui les sous-tendent dépassent le seul moment représenté par un signe particulier.

Mais s'il s'agit de désigner simplement un moment particulier, une période bien déterminée, les indices internes au signe sont suffisants. Ainsi en Balance, non loin de Lourouer Saint-Laurent, à Thevet Saint-Julien, se déroule tous les ans un pélerinage en l'honneur de saint Silvain, le dimanche qui suit le 22 septembre, c'est-à-dire le dimanche suivant l'équinoxe d'automne. Même date à la Celle-Bruère, près de Meillant, dans le Cher, qui conserve le tombeau du saint (sur la vie légendée de celui-ci, lié à l'origine à la cité de Levroux dans le Capricorne, nous reviendrons plus longuement lors de l'étude de ce signe).

 

D'autres villages des environs de La Châtre sont également riches de références à l'équinoxe : à Lacs, encore en Vierge mais très proche de l'axe équinoxial, on rapporte qu'autrefois les jeunes filles, aux approches de l'équinoxe, cueillaient dans les prés des primevères pour en faire des bouquets qu'elles jetaient en l'air en direction du soleil, pour s'attirer ses bienfaits. Il s'agit évidemment là de l'équinoxe de printemps. Plus significative encore est la légende de la Font-Chancela, recueillie par Laisnel de La Salle :

 

« Dans la paroisse de Lacs, quelques vieilles filandières parlent encore de la Dame de la Font-Chancela, qui avait coutume de prendre ses ébats par les beaux clairs de lune, dans un pré qui avoisine la fontaine de ce nom et qui, pour cette raison, est appelé le pré à la dame. Elle était douée d'une incomparable beauté. Un seigneur des environs qui était tombé amoureux, parvint plusieurs fois à l'enlever mais à peine l'avait-il placée sur son cheval pour l'emporter à son manoir, qu'elle lui fondait entre les bras et lui laissait, par tout le corps, une impression de froid si profonde et si persistante que toute flamme amoureuse s'éteignait à l'instant dans son coeur et qu'il en avait pour une année avant de songer à un nouvel enlèvement. » (Traditions Populaires Comparées, in Revue du Berry, 1864, p, 307-308).


« Il s'git vraisemblablement d'un mythe en rapport avec le cycle des saisons (...) », explique B, Rochet-Lucas, qui relate aussi la légende. Cet enlèvement évoque bien sûr celui de Perséphone par Hadès, mais son échec renouvelé chaque année illustre le moment décisif et fugace de l'équinoxe, où les nuits sont égales aux jours en durée. Equilibre précaire puisque les nuits ne tardent pas à l'emporter, laissant le froid automnal s'installer en maître. La Dame ne serait autre que la Vénus Aphrodite de Balance, déesse de la beauté idéale, tandis que ces vieilles filandières dont Laisnel de la Salle a recueilli la mémoire ne sont pas sans nous rappeler les Fileuses de Crozant, en Taureau, signe également sous la maîtrise de Vénus.

Ce combat du jour et la nuit, de ce qui croît et de ce qui diminue, « était symbolisé, nous dit Jean Richer, par la lutte dramatique de l'Aigle qui monte vers le soleil et du Serpent qui rampe dans l'ombre. En fait la meilleure représentation de cette période de l'année montre le Serpent redressant la tête, car c'est lui qui triomphe alors. » (Géographie Sacrée du Monde Grec, op. cit. p. 155). Au nord de La Châtre, se hissant au-dessus de l'axe équinoxial, voici donc Montgivray, à l'origine Maugivray, la mauvaise guivre, autrement dit la vipère. Quant à l'Aigle, peut-on en voir un rappel dans les trois alérions d'azur du blason d'Issoudun (armes reprises à la famille de La Trémoille), cette ville se situant en Sagittaire, au plein nord de Montgivray ?

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31 octobre 2005 | Lien permanent

Inventaire des Souvigny

Quatre lieux nommés Souvigny sont recensés en France. L'idée m'est donc venue de mener une petite enquête sur chacun d'eux, afin de voir si des points communs les rassemblaient au-delà de la dénomination. Je n'insiste pas sur Souvigny en Allier, dont j'ai déjà beaucoup parlé (même si certains éléments importants n'ont pas encore été évoqués, mais cet inventaire sera précisément l'occasion de le faire), et je porte d'abord mon attention sur les trois autres Souvigny.

1. Souvigny-en-Sologne


Petit village de 419 habitants, dans le Loir-et-Cher, Silviniacus en 938, vestiges préhistoriques et gallo-romains, église Saint-Martin du XIIème siècle, fête de la Saint-Blaise (31/1).


 
Deux observations importantes : on voit bien sur la carte que, d'une part Souvigny-en-Sologne est cerné par la forêt, d'autre part il est situé à l'extrémité du département, en un point de contact entre Cher, Loiret et Loir-et-Cher, en limite des anciens diocèses de Bourges et d'Orléans.



2. Souvigny-de-Touraine

Ce village  est proche d'Amboise, l'ancienne capitale des Turons,  cité royale depuis  la Guerre de Cent Ans jusqu'au XVIème siècle.

Extrait de la présentation du site cg37 :


"Souvigny-de-Touraine est un village en grande partie boisé et traversé par le cours sinueux de l'Amasse qui faisait autrefois tourner jusqu'à cinq moulins.
Le nom de Souvigny apparaît pour la première fois au XIème siècle (Salviniacum du latin Silva : forêt). De l'occupation néolithique, on passe à un habitat gaulois, puis gallo-romain.
Le village s'est développé autour de l'église actuelle construite au XIIème siècle, sur l'emplacement d'un ancien édifice religieux : des fonts baptismaux datant du Vème-VIème siècle en témoigne et dans son enceinte un préau a été récemment bâti.
Un lavoir construit à l'emplacement d'une ancienne fontaine sacrée gauloise a été remis en valeur.
"



Le porche de l'église du village, placée sous le vocable de Saint-Saturnin, est  orné de signes du zodiaque entourant l’Agneau pascal.
Là encore, on constate que le village est  au centre d'un important massif forestier, et à la limite d'un département. Une ancienne carte des diocèses montre qu'il était proche du carrefour de l'archevêché de Tours avec les deux évêchés de Blois et d'Orléans.



3. Souvigny (dans les Yvelines)

Ce Souvigny, signalé par ViaMichelin, a été le plus difficile à repérer. En effet, le site donnait l'emplacement sans préciser le nom, et la carte Michelin plus précise restait muette sur un quelconque Souvigny.
Seul renseignement exploitable : le lieu faisait partie de la commune de Boissière-Ecole, qui fut au Moyen Age fief de la châtellenie de Saint-Léger.  Saint-Léger-en -Yvelines se dresse en effet à quelques kilomètres au nord-est, au coeur une nouvelle fois d'une région très boisée, en limite de la grande forêt de Rambouillet, elle-même vestige de l'antique forêt d'Yveline : "Important à l'époque gallo-romaine, le village de St Léger fut, avec son ancien château, résidence royale de 987 à 1203 et, de nouveau, de 1499 à 1875 avec le nouveau château-pavillon de chasse des rois de France. Entre les deux châteaux furent d'ailleurs installés les premiers haras royaux."

Heureusement, j'ai fini par mettre la main sur une carte datée du 17 septembre 1788, où Souvigny apparaît sous la forme Savigny, maison isolée à la lisière de la forêt, près de la route de Saint-Léger.

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Enfin, Saint-Léger se situe non loin de la limite des diocèses de Chartres et de Paris.

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Essai de synthèse


1. L'omniprésence de la forêt pour les quatre Souvigny étudiés nous autorise à abandonner l'hypothèse du nom propre romain pour expliquer leur étymologie : la silva est bel et bien motif central.


2. Le caractère royal de cette forêt est établi pour Souvigny-de-Touraine (forêt d'Amboise), et Souvigny en Yvelines (résidence capétienne). Souvigny en Allier, déjà honorée par la visite de papes et de rois,  fut longtemps sépulture des Bourbons à tel point qu'on a pu écrire que Souvigny était le Saint-Denis du Bourbonnais.

         Rappel : Souvigny en Allier
 

3. Le caractère frontalier des quatre Souvigny est également patent. Que Souvigny (Allier) et Souvigny (Yvelines) soient liés à saint Léger corroborent l'observation réalisée lors de l'inventaire des Saint-Léger, à savoir que la grande majorité des Saint-Léger prenant place  dans la géographie sacrée est située sur des marches, des points de contact entre plusieurs entités géographiques et politiques.


4. L'eau semble avoir aussi de l'importance : fontaine sacrée à Souvigny-de-Touraine ; à Souvigny (Allier), "les deux saints étaient représentés en gisant sur le tombeau, au centre de l’église. En dessous, il y avait une hypogée avec une source, où se rendaient les pèlerins."

Cet aspect est moins flagrant pour les deux autres Souvigny, mais Souvigny-en-Sologne, arrosé par un affluent du Beuvron, est tout de même au coeur d'une région d'étangs, tandis que le  Souvigny yvelinois se place juste à l'amont de la naissance d'un ruisseau.


5. Le zodiaque est figuré à Souvigny-de-Touraine ainsi qu'à Souvigny en Allier. En effet, la cité renferme une des pièces les plus extraordinaires de la sculpture romane, un fût en pierre octogonal de la fin du XIIe siècle dite la Colonne du Zodiaque (ou Calendrier de Souvigny), dont quatre faces sont couvertes de bas-reliefs :   mois de l'année, signes du Zodiaque, peuples et animaux étranges et fabuleux. Hélas, la colonne est mutilée,  la partie basse correspondant aux premiers mois de l'année a disparu.

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Cet inventaire des Souvigny semble donc  mettre en lumière un complexe cultuel situé sur des zones frontalières, au coeur d'un massif forestier, en relation avec les puissances souterraines incarnées par la présence de sources sacrées. Si l'on recherche quelle divinité celtique pourrait bien avoir été au centre d'un tel complexe, on ne peut que penser au Silvain gallo-romain,  assimilé au gaulois  Sucellus, le dieu au maillet que j'ai déjà évoqué au sujet de Levroux.

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10 juillet 2007 | Lien permanent

Phalier, Priape et les vergers

Flava Ceres, tibi sit nostro de rure corona spicea,
quae templi pendeat ante fores;
pomosisque ruber custos ponatur in hortis,
terreat ut saeva falce Priapus aves;

Tibulle (Elégie I)


(Traduction : Blonde Cérès, que te soit donnée une couronne d'épis venant de notre domaine, pour qu'elle soit suspendue devant les portes de ton temple, et que l'on installe un Priape, rouge gardien, dans nos vergers pleins de fruits, pour que de sa faux cruelle il effraie les oiseaux.)



Etrange destinée mythologique que celle de Priape : le fils de Dyonisos et d'Aphrodite (certaines traditions disent même de Zeus), originaire de Lampsaque en Aise Mineure,  dieu de la fécondité et de la fertilité à qui l'on dédie chants et poésies, finit dans les vergers romains sous forme de statues grossières en bois de figuier vermillonné, autrement dit en épouvantail.

Mais c'est cette association latine entre vergers et Priape qui me retient d'exclure complètement l'hypothèse phallique du nom de saint Phalier. En effet, si l'on veut bien revenir quelque peu en arrière, examinons à nouveau la légende de Saint-Outrille, près de Graçay, où se trouve le premier Saint-Phallier que j'ai mentionné :
"Un jour, on aperçut le diable dans le village. Aussitôt, les braves villageois se mirent en devoir de lui donner la chasse. Le diable se réfugia sur le clocher. Une vaillante commère entreprit de l'en déloger et commença l'escalade. Le diable, sentant son refuge menacé, sauta dans le verger avoisinant. Mais sa queue se prit dans la flèche et la tordit de telle façon que, de nos jours, elle demeure vrillée ...."

Bien sûr, on peut juger que c'est somme toute assez banal, la présence d'un verger au pied d'une église. Poursuivons donc avec le Saint-Phalier levrousain : ceux qui se sont penchés sur la carte IGN du site, que j'ai déjà insérée deux fois, y auront peut-être aperçu sur la route qui mène à Levroux le lieu-dit nommé précisément Le Verger.



Trouverons-nous un troisième verger sur la troisième pointe du triangle, à savoir à Chabris, terre d'élection du saint ermite ?  Je n'en ai point décelé, il est vrai, mais il existe, me semble-t-il, d'autres indices. Encore une fois, c'est l'excellente recension de Jean-Louis Desplaces (Florilège de l'eau en Berry, vol. 3) qui va nous servir de guide. La dernière procession à la fontaine Saint-Phalier, proche de l'oratoire du même nom ( dont j'ai noté qu'elle balisait l'alignement avec le Saint-Phalier de Graçay), a eu lieu en 1973 où elle ne recueillit qu'une centaine de personnes. Cruel contraste avec la même procession avant-guerre, décrite par l'écho paroissial de Chabris en septembre  1934. La narration est enthousiaste :
 
" (...) C'est un pèlerinage champêtre par la traversée des champs et des vignes, la montée d'un chemin abrupt, mais mystique aussi, par une sorte de poésie médiévale qui se dégage des ombres de la crypte, des eaux de la fontaine, des invocations naïves au " guérisseur des douleurs et des enfants en langueur" (...) Aux messes du matin, les dévotions privées et la visite indispensable à la crypte. Un escalier de pierre usé par les pas de quarante générations, conduit au sanctuaire souterrain où trône sur l'autel une statue antique de saint Phalier, curieusement couverte d'un camail de chanoine et d'une étole. (...) Tous les prêtres sont descendus en même temps pour leur visite d'hommage, ils s'agenouillent, prient et passent sous le tombeau de saint Phalier. Ce tombeau est tailladé par les couteaux des pèlerins qui emportaient autrefois de la poussière précieuse ainsi recueillie.
A dix heures et demie, "les  chiens de Saint-Phalier" cloches au timbre argentin, aboient à la population qui, à ce signal, se presse vers l'église et la remplissent. La longue nef ogivale est décorée à chaque arceau d'oriflamme au chiffre du saint Patron. la tribune porte en pendentifs d'immenses grappes de roses d'un merveilleux effet. Le sanctuaire est tapissé de verdure et de roses aux vives couleurs. Deux bosquets de palmiers et de plantes vertes encadrent l'autel dont les degrés sont chargés de bégonias éclatants et superbes, ensemble qui retient les regards
."

C'est cette profusion de verdure et de roses qui m'intrigue et me fait penser aux vers virgiliens :
Vere rosa, autumno pomis, aestate frequentor 
spicis : una mihi est horrida pestis hiemps.

Traduits ainsi par Maurice Rat :
Au printemps je suis couvert de roses, en automne  de fruits , en été d'épis ; seul l'hiver m'est un horrible fléau.

"La rose, explique-t-on icisymbole de l'amour et du désir, est la fleur de Vénus, de Bacchus et de Priape, auquel on offre aussi, à l'occasion, d'autres fleurs : violettes, pavots, etc."
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Mosaïque d'El Jem (Tunisie)

Pascal Quignard : "A Rome, on ne peut distinguer  lusus et religio, sarcasme et sacrifice, Dieu raillé ou Dieu puissant. Fascinus ou Priapus fut honoré de stèles durant tout l'Empire. Priapus est "le premier des dieux", le dieu Prin, le dieu Priopoien (le dieu qui crée-avant la création elle-même). Priapus fut sans la moindre hésitation le dieu le plus représenté de l'Empire. Sarcasme vient du grec sarx, qui est le mot qu'employait Epicure, pour dire le corps (sôma) de l'homme et le lieu unique du bonheur possible. Le sarkasmos, c'est la peau prélevée sur le corps de l'ennemi qu'on a tué. En cousant ces peaux "sarcastiques", le soldat formait un manteau de victoire. Le plus souvent Athéna arbore la tête de Gorgone sur son bouclier, mais il arrive que la déesse porte sur son épaule la dépouille (le sarkasmos) de Méduse. Le latin carni-vore traduit mot à mot le grec sarko-phage." (Le sexe et l'effroi, Gallimard, pp. 104-105)

Difficile de ne pas songer au sarcophage vide de saint Phalier, au profond de la crypte, en calcaire monolithe reposant sur deux piliers, auge de pierre dont on grattait donc "sarcastiquement" la surface pour recueillir la poussière guérisseuse.

 







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26 octobre 2007 | Lien permanent | Commentaires (4)

Le chaos et la forêt

Hé Dieux! que le temps m'anuie,

Un jour m'est une sepmaine;

Plus qu'en yver longue pluie,

M'est ceste saison grevaine.

Helas! car j'ay la quartaine,

Qui me rent toute estourdie

Souvent et de tristour pleine:

Ce me fait la maladie.

Christine de Pizan (Ballade XLIII) 

 

 Revenons sur l'axe Saint-Genou ¬ Saint-Ambroix, parallèle d'où a émergé la géométrie sacrée de saint Outrille et de saint Phalier : j'ai pu mettre en évidence le point commun entre les deux saints donnant leur nom aux deux localités, à savoir que tous les deux furent évêques de Cahors. Cette dernière ville devant être mise en rapport elle-même avec le chaos.

L'autre grande direction cardinale issue de Saint-Genou, son méridien, nous avait amenés à Sainte-Gemme et au bois de Souvigny, toponyme dont un inventaire a mis «  en lumière un complexe cultuel situé sur des zones frontalières, au coeur d'un massif forestier, en relation avec les puissances souterraines incarnées par la présence de sources sacrées. Si l'on recherche quelle divinité celtique pourrait bien avoir été au centre d'un tel complexe, on ne peut que penser au Silvain gallo-romain,  assimilé au gaulois  Sucellus, le dieu au maillet que j'ai déjà évoqué au sujet de Levroux. »

 

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 Christine de Pizan instruisant son fils

 

Or, les thématiques portées par ces deux directions cardinales, le parallèle et le méridien, ne sont pas sans lien dans l'imaginaire des hommes du Moyen Age ; c'est ce que j'ai découvert grâce à un de ces livres glanés au Bleu fouillis des mots, la librairie d'ancien de Châteauroux. Dans La couleur de la mélancolie sous-titrée La fréquentation des livres au XIVe siècle 1300-1415 (Hatier, 1993), Jacqueline Cerquiglini-Toulet écrit que la matière, « c'est l'unité primitive, le chaos primordial tel que Christine de Pizan le présente au début de L'Advision, l'indivision première.

Le grand ymage, dont a son commencement ce dit livre parle, pour tout le monde puet estre pris ; c'est asavoir ciel, terre et abeisme. Son nom qu'escript en son front portoit, c'est assavoir Chaoz, puet estre entendu que a son commencement les pouetes anciens nommerent la masse que Dieu fourma, dont il trey ciel et terre et toutes choses, chaos, qui est a dire confusion, qui encore assez est au monde. Les .ii. Conduis qu'il avoit par ou peüz estoit et purgiéz se puet entendre la naissance de toutes corporelles choses, et aussi la mort de toute creature vive.

« Glose sur la premiere partie de ce present volume », in L'Advision Christine (Ed. C. Réno), pp. 1-2.

( La grande image dont parle ce livre à son début peut être prise pour l'ensemble du monde ; à savoir le ciel, la terre et l'abîme. Le nom qu'elle porte écrit à son front, chaos, peut être entendu de cette manière : au commencement du monde, les anciens poètes nommèrent la masse que Dieu forma et dont il tira le ciel, la terre et toutes choses, chaos, c'est-à-dire confusion, laquelle est encore bien présente dans ce monde. Par les deux tuyaux de l'image, par lesquels elle était nourrie et purgée, on peut comprendre la naissance de toutes les choses corporelles, et aussi la mort de toute créature vivante.) »

L'auteur poursuit ainsi : « Ce chaos peut être vu comme forêt, materia prima, hylè des Grecs. C'est la forêt obscure dans laquelle se trouve Dante au début de La Divine Comédie, « chose dure à dire, sauvage et âpre et forte » (Enfer, chant 1er, vv. 4-5), cette « silve » qu'évoque Christine de Pizan dans son Chemin de Long Estude (v. 1131), profondeur ténébreuse de l'informe à valeur d'enfance. La matière en tant qu' origine renvoie à l'élémentaire et la forêt en constitue, métaphoriquement, le paradigme. » (p. 70)



Cette longue citation - trouvée presque accidentellement alors que je feuilletais ce volume longtemps après l'avoir l' acheté - donne encore plus de cohérence au schéma symbolique ordonné autour de Saint-Genou et donne un sens jusque-là encore inaperçu à certains noms présents sur les cartes. Ainsi, j'étais intrigué par cette forêt de Chaon près de Souvigny-en-Sologne ; vue à la lueur du passage ci-dessus, c'est presque un pléonasme qu'on peut alors y lire.

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L'idée de naissance attachée au chaos est également illustrée par l'importance donnée dans ce village à la fête de saint Blaise. Placée là au 31 janvier, selon le Quid, elle est plus traditionnellement attribuée au 3 février. Or, ce 3 février est précisément la date donnée par Rabelais pour la naissance de Gargantua, dont nous avons déjà vu avec la vieille de Brise-Paille le lien avec Saint-Genou. Situé exactement quarante jours après Noël et quarante jours avant Pâques, le 3 février a sans doute été choisi, pense Anne Lombard-Jourdan, parce que la spécialité du saint était de soigner la gorge, « si présente dans la nomenclature de la famille Gargantua et dans l'histoire du géant. Mais il faut prendre aussi en considération la signification du nom du saint. » (Aux origines de Carnaval, Odile Jacob, 2005, p.52). Analyse partagée par Philippe Walter pour qui Rabelais inscrit « délibérément le mythe gargantuesque dans la tradition et la religion carnavalesque. A la fois lieu de parole, lieu d'absorption des aliments, , lieu de circulation du souffle vital (en allemand blasen signifie « souffler »), la gorge de Blaise (ou de Gargantua) renvoie à celle du loup divin, l'homme-loup (ou l'homme-ours) qui gouverne les cycles du Temps mais aussi les liturgies de Carnaval : la musique sur les instruments à vent, le grand manger, la sortie de l'ours (ou du loup-garou) prédateur, autant de rites qui renvoient à un temps originel cherchant à établir les principes d'un ordre par rapport auquel l'homme devra se définir. » (Mythologie chrétienne, Imago, 2005, p. 103)

 

Pour conclure provisoirement, je songe encore à la rivière qui coule à Souvigny-de-Touraine, dont le nom, l'Amasse, renvoie peut-être à « la masse que Dieu forma et dont il tira le ciel, la terre et toutes choses, chaos ». Ici encore, la naissance est sur-signifiée par la présence de fonts baptismaux très anciens (Vème-VIème siècle) et d'un lavoir construit à l'emplacement d'une fontaine sacrée gauloise.

 


 

 

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06 décembre 2007 | Lien permanent | Commentaires (4)

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