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29 septembre 2005

Saints Archanges

29 septembre, fête des Saints Archanges. L'occasion est trop belle de continuer l'enquête sur Saint-Michel-en-Brenne. Faute de temps, je reprends ici in extenso, sans en corriger une ligne, un passage de mon essai de 1989, relatif à la Brenne.

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« Près du château du Bouchet, s'étend le plus vaste des étangs brennous : l'étang de la Mer Rouge, ainsi baptisé, d'après la légende, par le seigneur du Bouchet, au retour d'une croisade en Terre Sainte. Il aurait aussi fait construire la petite chapelle blanche, sise entre les arbres et les eaux, en souvenir d'une apparition de la Vierge dans le creux d'un vieux chêne, alors qu'il recherchait un épervier perdu. Rien n'est gratuit dans cette fable : le vieux chêne est l'arbre cosmique, symbole de la fonction zénithale, polaire, principe moteur de toute vie. Aussi trouvons-nous, à la verticale de la chapelle, la cité de Bélâbre, qui doit son nom au Bel Arbre, peut-être l'arbre de Bel, Bélénos, l'Apollon gaulois, dont les traits seront repris par l'archange Michel, qui signe la paroisse de Saint-Michel-en-Brenne, située au nord du même méridien. Celui-ci survole l'étang de la Gabrière, que la seule chaussée d'une route sépare de son jumeau, l'étang du Gabriau. Font-ils référence à cet autre archange, Gabriel ? Figurent-ils les deux ailes de cet épervier perdu, de cet autre ange, lui déchu, Lucifer, « porte-lumière » ? Mais l'épervier est aussi une sorte de filet pour attraper le poisson, ce qui fait écho au signe tout en servant d'image concrète de la géographie sacrée emprisonnant dans les mailles de sa logique villes, église, châteaux, rivières et sites naturels. L'épervier est enfin ce jeu d'enfant qui consiste en une chaîne toujours grandissante de ses successives captures, illustrant par-là même la contamination initiatique, la sève spirituelle se disséminant dans les canaux du chêne cosmique. Cette cabale phonétique s'enracine en Navarre, à l'horizon de Toulouse : le blason de cette province est de gueules aux chaînes d'or mérellées, chargées en coeur d'une émeraude au naturel. L'émeraude fut, dans le conte, détachée du front de Lucifer, puis taillée dans la forme du Graal pour y recueillir le sang du Christ. A l'horizon de Belâbre est ce village déjà repéré de Luzeret -dérivé de l'ancien français lusier, "porte-lumière" précisément. Par ailleurs, assure Doumayrou, « le sang du supplice est, d'un point de vue païen, la pierre vomie par Saturne, roi déchu, c'est-à-dire le Bétyle. L'origine delphique de ce monument étant perdu, on en ignore la forme première, mais sur les représentations antiques il est toujours semblable à un oeuf prisonnier d'un filet, ou des spires d'un long serpent enroulé. C'est la semence lapidaire enchaînée par la Mérelle (la toile ou les étoilements du filet) où serpente Mélusine, dans un embrassement qui l'emportera de la chute à la régénération.(Géographie sidérale, p. 160-161) » Ce Bétyle ne serait-il pas inscrit, à peine voilé, dans le nom de Béthines -village du proche Poitou, domaine de Mélusine- placée exactement sur l'horizon de Bélâbre ? D'autant plus que l'axe Béthines-chapelle de Notre-Dame de la Mer Rouge aboutit à Sainte-Gemme tout en rasant la ville haute du Blanc, ville sacrée à l'époque gallo-romaine, où se trouvait, selon Jacques Pineau, un « Orgeon », association religieuse s'adonnant au culte de Cybèle, celle qui causa la chute du vieux Saturne."

 

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23:45 Publié dans Poissons | Lien permanent | Commentaires (1)

26 septembre 2005

La génisse et le marteau

Revenons sur la légende de la fondation de Vaudouan, sur ce maître-maçon qui jette son marteau, retrouvé par une génisse blanche huit cent mètres plus loin. Dans la mythologie grecque, c'est la fondation de la ville de Thèbes qui est associée au même bovidé.

Cadmos, sommé par Agénor, son père, de retrouver sa soeur Europe capturée par Zeus, parvient à Delphes où l'oracle lui annonce, outre l'insuccès de sa quête, qu'il fondera une ville au lieu où le mènera une génisse blanche. Ce fut donc Thèbes. Curieusement, Jean Richer place cette ville en Balance du zodiaque centré sur Delphes alors que manifestement, sur la carte qu'il a lui-même élaborée, Thèbes est située en Vierge. « La Balance, écrit-il, est signe « vénusien ». Le rôle considérable joué par une génisse dans l'histoire légendaire de Thèbes marque l'association des deux signes vénusiens du Taureau et de la Balance, culminant dans le mariage de Cadmos et Harmonie. » (Géographie Sacrée du Monde Grec, Trédaniel, 1983, p. 43). N'est-il pas plus simple de considérer que la génisse, en tant que jeune vache qui n'a pas encore vêlé, ressort du champ symbolique de la virginité, aspect renforcé par sa couleur qui est le blanc ?

 

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Zodiaque delphique (d'après Jean Richer)

Le mythe de Cadmos résonne étrangement avec l'histoire de Vaudouan : le héros grec suit une génisse qui s'écroule à terre, vaincue par la fatigue, dans la vallée de Tanagra.

Roberto Calasso (Les Noces de Cadmos et Harmonie, Gallimard, 1991, p. 393) : « Cadmos se mit aussitôt à la recherche d'une source pour se purifier avant d'accomplir le sacrifice de la génisse. » Voici la source, mais elle est gardée par le grand serpent d'Arès, qui brise les os de plusieurs compagnons de Cadmos avant de s'en prendre au héros lui-même. Et il aurait succombé à l'étreinte du monstre si Athéna ne lui avait pas porté secours. Athéna, autrement dit Minerve, la vierge olympienne.

 

Passons au marteau. Dans la note 11 de son opuscule, J.J. Meunier précise qu' « il existe, en Berry, d'autres exemples de fondations localisées par le point de chute d'un outil. Bourges aurait une origine identique, ainsi que Neuvy Saint-Sépulchre. » Remarque très intéressante, mais je n'ai pas connaissance de ces légendes et, malheureusement, le docteur ne donne pas ses sources. Nous avons de notre côté rencontré le même mode d'élection sacrale au seul sujet de la Chapelle-du-Fer, en secteur Taureau. Là, je le rappelle, c'est justement un taureau qui découvre le marteau perdu.

J'ai signalé aussi dans la note précédente que les pélerins du Mont Saint-Michel faisaient halte à Vaudouan. Ajoutons maintenant que l'alignement Neuvy-Vaudouan vise Saint-Michel-en-Brenne.

Cet axe symbolique Vierge-Poissons, unissant donc le signe marial au signe traditionnellement dévolu au Christ - union exprimée plastiquement par la statue de la légende - mérite un examen attentif.


01:15 Publié dans Vierge | Lien permanent | Commentaires (0)

23 septembre 2005

Au milieu du chemin

Or, que l'Autonne espanche son usure,
Et que la Livre à juste poids mesure
La nuict egale avec les jours egaux,
Et que les jours ne sont ne froids ne chaux
(...)

Ronsard (Epître d'Automne)


La Vierge du zodiaque toulousain abrite la région du Minervois. « Minerve, nous rappelle G.R. Doumayrou, étant l'antique vierge olympienne que ses pouvoirs égalaient au maître des cieux. » (Géographie Sidérale, p. 104) Or, le secteur Vierge du zodiaque centré sur Rome renferme la localité de Castrum Minervae sur la côte de Calabre (Jean Richer, Géographie sacrée dans le monde romain, Trédaniel, p.146). Au reste, elle est aussi située dans la Vierge d'un système centré sur Cumes. Son importance mythique est attestée par Denys d'Halicarnasse (I, 51,3) :

« Le plus grand nombre des navires d'Énée jetèrent l'ancre au promontoire de Iapygia et les autres en un endroit nommé d'après Minerve où il se trouva qu'Énée lui-même mit pour la première fois le pied en Italie. »

Les pélerins qui partaient de La Châtre – en somme, notre Castrum Minervae berrichon – en direction du Mont Saint-Michel ne manquaient pas, à ce qu'il paraît, de faire halte à Notre-Dame de Vaudouan, près de Briantes. Isolée en pleine campagne, une chapelle reconstruite au 19ème siècle, aussi vaste qu'une église de village, témoigne encore du prestige du lieu, qui se fonde sur la découverte le 25 mars 1013, jour de la fête de l'Annonciation, par une jeune fille de la région, d'une statue en bois de la Vierge à l'Enfant (lui-même tenant dans ses mains une colombe), flottant sur les eaux d'une source. Portée à l'église de Briantes, puis à la chapelle des Religieux de Saint-Germain de La Châtre, la statue chaque fois disparaît et est retrouvée le lendemain dans l'eau de la source. Devant cette obstination, où l'on voit très vite une intention de la Vierge de demeurer en ces lieux champêtres, on décide d'édifier une chapelle. « Peut-être la Sainte-Vierge indiquait-elle par son insistance, écrit le Docteur J.J. Meunier, auteur en 1959 d'une pieuse monographie sur Vaudouan, qu'elle voulait purifier par sa présence ce lieu qui avait du être jadis le témoin des faux-cultes druidiques et barbares. »

Le seigneur du Virolan qui possédait la terre la donne sans délai et l'on commence à creuser les fondations. Las, l'eau les envahit. On creuse un peu plus haut sur un talus voisin sans plus de succès. Dépité, le maître-maçon jette son marteau dans les airs.

« Miracle encore, poursuit le bon docteur Meunier : un tourbillon emporta le marteau jusqu'à 500 pas et il alla choir dans une clairière éloignée où on le chercha vainement jusqu'à ce que qu'une génisse blanche que personne n'avait remarquée se mit à mugir d'une manière inaccoutumée. On se rendit auprès d'elle et, à ses pieds, on retrouva l'outil. Puis la génisse disparut sans que l'on comprit par où elle était passée. »

Évidemment, on choisit de bâtir à cet endroit précis, à 800 mètres de la fontaine. On met six mois à élever l'édifice qui est béni au mois de septembre « en présence d'un extraordinaire concours de clercs et de laïques. » C'est encore aujourd'hui en septembre, le deuxième dimanche après la Nativité de Marie, qu'on célèbre la fête et que se déroule le pélerinage de Notre-Dame de Vaudouan. La fête du 22 septembre 1912 fut particulièrement remarquable puisqu'elle fut présidée par Mgr Dubois, archevêque de Bourges, venu honorer les cinquante années de pastorat de l'abbé Semelet qui avait entrepris la reconstruction de la chapelle. Plusieurs milliers de pélerins assistaient à la cérémonie, et pas moins de quarante prêtres étaient présents. C'est dire l'importance symbolique du lieu à cette époque encore. Un certain Villebanois pouvait écrire en 1679 : « ainsi je croy, sans dessein de charger, qu'il n'y a point de dévotion de Notre-Dame en France plus grande que celle de Vaudouan. »

Sans dessein de charger non plus, remarquons tout de même que, du 25 mars à la fin septembre, nous avons cheminé d'équinoxe à équinoxe, de Bélier à Balance. Sous le couvert du culte marial, se dissimulent les vieilles déterminations zodiacales.

Je suis arrivé moi aussi, en cet équinoxe d'automne, au milieu du chemin. Un peu en retard sur le calendrier, je ne suis pas encore prêt à aborder Balance. Vierge et Lion, très riches, m'ont demandé plus de temps que prévu. Pensez que j'avais cinq articles en réserve pour Vierge, d'après mon étude de 1989, et que, suite aux digressions champenoises, je commence seulement le deuxième avec Vaudouan...

C'est l'occasion aussi pour moi de remercier les lecteurs fidèles et les commentateurs inspirés qui me donnent désir et énergie de persévérer.

Merci à Marc et à LKL, good fellows, pour leurs aimables phrases.

00:05 Publié dans Vierge | Lien permanent | Commentaires (1)

21 septembre 2005

Le jongleur de Dieu

Au Moyen Age, le jongleur est le plus souvent considéré comme un suppôt de Satan, un serviteur du Malin. L'enfer lui est promis, la terre chrétienne refusée. Cet amuseur héritier des bardes celtiques, qui va d'un château l'autre, jongleur « de bouche » ou acrobate, est l'exemple même, selon Jacques Le Goff, du héros ambigu. « Je suis surtout frappé, écrit-il dans son beau livre Héros et Merveilles du Moyen Age1 ( Seuil, 2005) par ses liens étroits avec la nouvelle société féodale qui se met en place du Xe au XIIe siècle. » En effet, à la même époque où Honorius Augustodunensis et Abélard enfoncent le clou sur la nature démoniaque du jongleur, Bernard de Clairvaux entreprend sa première réhabilitation. « Pour saint Bernard, précise J. Le Goff, les jongleurs offrent aux hommes un exemple d'humilité. Et, devenus humbles, les hommes ressemblent « aux jongleurs et aux acrobates qui, la tête en bas et les pieds en l'air, font le contraire de ce qui est l'usage des hommes, marchent sur les mains et attirent ainsi sur eux le regard de tous. Ce n'est pas un jeu puéril, ce n'est pas un jeu de théâtre qui provoque le désir par des ondulations féminines honteuses et qui représentent des actes ignobles, mais c'est un jeu agréable, décent, sérieux, remarquable, dont la vue peut réjouir les spectateurs célestes. » N'est-il pas réjouissant de voir le cistercien austère vanter les mérites du saltimbanque ? Saint Bernard alla même jusqu'à se dire jongleur de Dieu par humilité.

Amusons-nous à notre tour à jongler avec les mots. Le nom du jongleur vient du latin jocus, jeu. Or, le village de Saint-Denis de Jouhet était dénommé De Joco en 1200. Rappelons qu'il est placé sur le méridien de l'abbaye cistercienne de Notre-Dame de Varennes. Sur la même verticale, étaient donc réunies les deux figures mises en avant par saint Bernard, le jongleur et surtout la Vierge Marie. Voici ce qu'on peut lire par exemple, au sujet de cette dernière , sur un site consacré au pélerinage de Chartres :

« Le XIIe siècle marque, avec Saint Bernard, l'ouverture d'un culte de la Vierge considérée comme porteuse en soi de valeurs spirituelles originales. Bernard de Clairvaux voit en elle la médiatrice par excellence, celle qui ne cesse de plaider auprès de son fils la cause du genre humain dans son ensemble. Entre le naturel et le surnaturel, elle est l'intermédiaire voulu par Dieu, plus qu'une autre capable de comprendre la fragilité de l'homme. Selon l'idée maîtresse suivant laquelle il n'est pas de faute inexpiable, l'intercession de Marie, c'est l'ultime recours du pécheur. " Le Fils exaucera sa Mère, écrit Saint Bernard, et le Père exaucera son Fils ".
Dès le milieu du XIIe siècle, l'enthousiasme marial de Saint Bernard porte ses fruits à travers tout l'occident. C'est à Notre-Dame que l'on dédie les grandes cathédrales gothiques. Cette émergence de la Vierge comme personnage central de l'humanité chrétienne porte très haut les sanctuaires dont elle était déjà la référence spirituelle. Un tel mouvement met Chartres hors de pair : parce qu'elle est le sanctuaire de la Vierge, la cathédrale s'inscrit au sommet des lieux où rayonne la grâce. A l'époque des grandes croisades, Chartres prend donc rang parmi les tout premiers pèlerinages du monde occidental. »

Nous allons voir maintenant, après nos excursions champenoises et bourguignonnes,  comment le secteur Vierge du zodiaque de Neuvy Saint-Sépulchre porte haut les valeurs mariales.

 

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1L'iconographie de cet ouvrage est remarquable. J'ai été heureux d'y retrouver dans ce chapitre consacré au jongleur le superbe Jongleur roman que j'avais pu admirer voici plus de dix ans au Musée des Beaux-Arts de Lyon. Dans la légende, on a néanmoins oublié de préciser que cette sculpture était originaire du Berry : on l'appelle le jongleur de Bourges.

10:40 Publié dans Vierge | Lien permanent | Commentaires (3)

19 septembre 2005

Echappée : Jacques Lacarrière

"Un village aux confins des collines, à la rencontre des vallées, au concile des forêts, voici le lieu où je vis depuis bientôt dix ans. Voici le paysage que j'ai chaque jour sous les yeux : collines, vallées, forêts. Ces trois éléments se répètent, changeant depuis des siècles selon le hasard des jachères et des remembrements mais toujours associés en cette trinité. S'il fallait dessiner leur mouvance à travers l'histoire, on s'apercevrait que ces trois éléments n'ont cessé de se déplacer, de s'opposer différemment sans jamais perdre pour autant leur séculaire relation. Un peu comme L'image dans le tapis d'Henry James. Le parcours insensible des jours, le filigrane des labours où se lit la narration d'un paysage, voilà ce qui sans cesse se fait et se défait autour de moi. Comme ces constellations, si stables en apparence mais qui n'ont cessé, depuis les temps préhistoriques, d'être dessins changeants d'étoiles. Il y a plus de cent mille ans la Grande Ourse avait vraiment l'apparence d'une ourse. Aujourd'hui, les distances entre ses étoiles ont changé et elle est devenue cette grande marmite qui désigne le nord, une figure strictement ménagère bien à l'image de notre temps. Dans cent mille ans, à force d'étirer ses étoiles, elle nous apparaîtra comme un long ruban ou un ver tortueux. Mais faut-il se soucier des dessins et des desseins de notre ciel dans cent mille ans ? Pourtant, si tant est que la nuit porte vraiment conseil, elle me suggère par ces figures la joie de l'inutile, autrement dit de l'essentiel. "

Journal (Octobre 1978) in Errances (Christian Pirot, 1983)
Jacques Lacarrière nous a quittés samedi, il avait 79 ans.

22:15 Publié dans Echappées | Lien permanent | Commentaires (0)