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31 octobre 2005

La Dame de la Font-Chancela

L'investigation sur les fontaines initiée en Vierge nous a conduits, on l'a vu, à dépasser le cadre strict de la zone lui étant dévolue, sans pour autant renoncer à cette rigueur profonde présidant à l'élaboration de la géographie sacrée. Simplement les secteurs zodiacaux ne sont pas étanches, sévèrement cloisonnés, séparés les uns des autres comme si chacun était une entité distincte et indépendante : chaque signe, nous avertit Alexandre Ruperti, résonne d'une manière ou d'une autre à tous les autres signes (La Géométrie du Ciel, I, avec Marief Cavaignac, Rocher, 1987, p. 53). Aussi certaines configurations comme celle que nous venons d'étudier se développent-elles sur le zodiaque tout entier, car les thèmes qui les sous-tendent dépassent le seul moment représenté par un signe particulier.

Mais s'il s'agit de désigner simplement un moment particulier, une période bien déterminée, les indices internes au signe sont suffisants. Ainsi en Balance, non loin de Lourouer Saint-Laurent, à Thevet Saint-Julien, se déroule tous les ans un pélerinage en l'honneur de saint Silvain, le dimanche qui suit le 22 septembre, c'est-à-dire le dimanche suivant l'équinoxe d'automne. Même date à la Celle-Bruère, près de Meillant, dans le Cher, qui conserve le tombeau du saint (sur la vie légendée de celui-ci, lié à l'origine à la cité de Levroux dans le Capricorne, nous reviendrons plus longuement lors de l'étude de ce signe).

 

D'autres villages des environs de La Châtre sont également riches de références à l'équinoxe : à Lacs, encore en Vierge mais très proche de l'axe équinoxial, on rapporte qu'autrefois les jeunes filles, aux approches de l'équinoxe, cueillaient dans les prés des primevères pour en faire des bouquets qu'elles jetaient en l'air en direction du soleil, pour s'attirer ses bienfaits. Il s'agit évidemment là de l'équinoxe de printemps. Plus significative encore est la légende de la Font-Chancela, recueillie par Laisnel de La Salle :

 

« Dans la paroisse de Lacs, quelques vieilles filandières parlent encore de la Dame de la Font-Chancela, qui avait coutume de prendre ses ébats par les beaux clairs de lune, dans un pré qui avoisine la fontaine de ce nom et qui, pour cette raison, est appelé le pré à la dame. Elle était douée d'une incomparable beauté. Un seigneur des environs qui était tombé amoureux, parvint plusieurs fois à l'enlever mais à peine l'avait-il placée sur son cheval pour l'emporter à son manoir, qu'elle lui fondait entre les bras et lui laissait, par tout le corps, une impression de froid si profonde et si persistante que toute flamme amoureuse s'éteignait à l'instant dans son coeur et qu'il en avait pour une année avant de songer à un nouvel enlèvement. » (Traditions Populaires Comparées, in Revue du Berry, 1864, p, 307-308).


« Il s'git vraisemblablement d'un mythe en rapport avec le cycle des saisons (...) », explique B, Rochet-Lucas, qui relate aussi la légende. Cet enlèvement évoque bien sûr celui de Perséphone par Hadès, mais son échec renouvelé chaque année illustre le moment décisif et fugace de l'équinoxe, où les nuits sont égales aux jours en durée. Equilibre précaire puisque les nuits ne tardent pas à l'emporter, laissant le froid automnal s'installer en maître. La Dame ne serait autre que la Vénus Aphrodite de Balance, déesse de la beauté idéale, tandis que ces vieilles filandières dont Laisnel de la Salle a recueilli la mémoire ne sont pas sans nous rappeler les Fileuses de Crozant, en Taureau, signe également sous la maîtrise de Vénus.

Ce combat du jour et la nuit, de ce qui croît et de ce qui diminue, « était symbolisé, nous dit Jean Richer, par la lutte dramatique de l'Aigle qui monte vers le soleil et du Serpent qui rampe dans l'ombre. En fait la meilleure représentation de cette période de l'année montre le Serpent redressant la tête, car c'est lui qui triomphe alors. » (Géographie Sacrée du Monde Grec, op. cit. p. 155). Au nord de La Châtre, se hissant au-dessus de l'axe équinoxial, voici donc Montgivray, à l'origine Maugivray, la mauvaise guivre, autrement dit la vipère. Quant à l'Aigle, peut-on en voir un rappel dans les trois alérions d'azur du blason d'Issoudun (armes reprises à la famille de La Trémoille), cette ville se situant en Sagittaire, au plein nord de Montgivray ?

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27 octobre 2005

Le méridien de Lourdoueix

Examinons aujourd'hui le méridien de Lourdoueix Saint-Pierre. Dans sa partie sud, il s'enfonce dans la Marche, d'où est originaire le saint Pardoux vénéré à la fontaine de Lourouer Saint-Laurent. Après avoir traversé le Bourg d'Hem, qui relevait de Déols, l'axe atteint Saint-Sulpice-le-Guérétois et Saint-Eloi avant d'aboutir sur une chapelle placée sur une éminence et précisément nommée chapelle Saint-Pardoux. Nous retrouvons donc trois saints rencontrés lors de l'exploration des signes de la Vierge et de la Balance. Remarquons incidemment que les trois communes creusoises dédiées à saint Sulpice, archevêque de Bourges et grand ami de saint Eloi, sont alignées avec une extrême précision (il s'agit de Saint-Sulpice-le-Dunois, Saint-Sulpice-le-Guérétois et Saint-Sulpice-des-Champs).

 

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Le village de Sardent, d'où le saint est originaire, n'est qu'à quelques centaines de mètres, à l'est de la chapelle Saint-Pardoux. « La vie de saint Pardoux, est-il écrit sur le site du diocèse de Poitiers, semble fortement teintée de légende. Dit natif de la Creuse en 617 (plus probablement vers 658), il aurait d'abord vécu, aveugle et ermite, dans une grotte et aurait attendu l'âge de... 103 ans pour fonder le monastère bénédictin de Garactum (Guéret). Contre les Sarrasins, il l'aurait défendu par sa seule prière, alors que tous ses moines avaient pris la fuite. Frappés de cécité, les envahisseurs auraient recouvré la vue après une aspersion d'eau bénite et auraient passé leur chemin en épargnant la ville. Après sa mort en 737 ou 738, les reliques de saint Pardoux auraient été transportées au prieuré d'Arnac. II est fêté le 6 octobre."

Il est à noter que l'aspersion d'eau bénite, commune à Mosnay et Lourouer, se retrouve dans la Vita même du saint. Selon l'historienne Martine Larigauderie Beijeaud, spécialiste des Grandmontains, Pardoux apparaît « à la fois comme un saint guérisseur et un saint protecteur. Son rôle lui vient de son métier. Il rappelle les miracles accomplis durant sa vie. Il agit en outre en tant que relais de culte des fontaines et peut-être même des pierres. »

medium_gueret2.gifBras-reliquaire de saint Pardoux
2e tiers XIIIe siècle
Guéret, musée des Beaux-Arts
Provient de l'église de Sardent.

 

Ayant repéré sur les cartes un Saint-Pardoux-les-Cards, je me suis demandé s'il n'existait pas un alignement des Saint-Pardoux, analogue à celui des Saint-Sulpice. Je traçai donc la ligne unissant les deux sites déjà reconnus et, effectivement, je constatai qu'elle rejoignait un troisième Saint-Pardoux, dit le Pauvre, proche d'Evaux-les-Bains. Mais ce n'était pas tout : la ligne désignait vers le sud-ouest, Saint-Goussaud, « à tous les sens du mot, selon Gilles Rossignol, un haut-lieu de la Creuse ». Le village doit son nom à un autre ermite, Gonsalvus, qui vécut là au VIIème siècle, à la même époque donc que Pardoux. Or, on retrouve ces deux saints typiquement marchois associés dans l'histoire de Lourouer Saint-Laurent, avec une quittance de 1681 payant le règlement « de trois figures : Saint-Pardou, Saint Goussaud, Saint Laurent. » (J.L. Desplaces, op. cit. p. 69).

En suivant maintenant l'alignement vers l'est, c'est au village de Montjoie, dans les collines de Combrailles, que l'on aboutit, sur la rive de la Bouble, en amont de Saint-Eloy-les-Mines. J'ai déjà évoqué par ailleurs le rôle de ces Montjoies, qu' Alphonse Dupront décrit comme le « lieu de la découverte illuminante du sens » : « Découverte d'être ainsi neuf et donc joie : quasi au terme du chemin, sur les grandes routes de pélerinage, existent encore, ici et là, des Montjoies. Raccourci empoignant, le mot, dans sa nudité d'éclat, alors que la passion de la route s'achève, d'une route vécue, corps entier et souffrant, dans une maîtrise inlassée d'âme à mettre un pied l'un devant l'autre, parfois dans une tenaillante angoisse de l'indéfini, voire de l'impossible. A la Montjoie, tout se délivre du vécu du pélerinage. » (Du Sacré, Gallimard, 1987, p. 49).

 

medium_axes-saint-pardoux.2.jpg

Montjoie aussi probablement, ce signal de Montjouer, ou Puy de Jouer, culminant à 697 mètres au-dessus de Saint-Goussaud. L'antique Praetorium, cité par la table de Peutinger, comme station sur la route de Saintes à Sens, se situerait en ce lieu.

Il n'est sans doute pas fortuit que le méridien de Lourdoueix passe au nord par le hameau du Petit Jouhet, sur la commune de Saint-Denis-de-Jouhet.

Un autre alignement de Saint-Pardoux suit strictement le parallèle de la chapelle : du côté occidental, il est jalonné par Saint-Sulpice-Laurière et rejoint Saint-Pardoux, près du lac du même nom ; du côté oriental, il désigne, via Mainsat, le village de Saint-Pardoux, situé comme Saint-Eloy-les-Mines sur la route de Clermont-Ferrand, non loin par ailleurs du bourg d'Ebreuil, où les moines de Saint-Maixent vinrent trouver refuge contre les Normands, en 898, avec dans leurs bagages les reliques de saint Léger.

Nous retrouvons ce saint bien connu au village de Saint-Goussaud, où l'on accède par le col de Laléger, mais aussi en poursuivant la remontée du méridien, juste au-dessus du triangle de l'eau, à Lys Saint-Georges, sur une colline dominant le Gourdon. L'église du village lui est dédiée.

Enfin, si nous nous permettons un petit retour sur le mythe de Déméter, nous apprenons que « c'est en cueillant un lis (ou un narcisse) que Perséphone fut entraînée par Hadès, épris d'elle, dans une ouverture soudaine du sol, jusqu'en son royaume souterrain ; le lis pourrait à ce titre symboliser la tentation ou la porte des Enfers. « (Dict. des Symboles, art. Lis, p. 577).







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25 octobre 2005

Le Magny

Sur le côté Lourdoueix Saint-Pierre – Lourouer Saint-Laurent du triangle de l'eau que nous avons mis en évidence à partir d'une étude des fontaines sacrées liées à la terre, nous retrouvons Le Magny. Une fontaine, dont je n'ai pas encore parlé, est là aussi étroitement liée à l'église du village : à moins de deux cents mètres en contrebas, sur le bord de la route de La Châtre, elle porte le nom de Saint-Rémi. Pourtant, rien dans l'église, ni dans la procession associée ne rappelle le célèbre évêque rêmois. En effet, c'est le 29 juillet, jour de la fête de saint Loup, que l'on descendait à la fontaine, où le curé bénissait l'eau : « (...) à l'église, des évangiles étaient dits, des cierges brûlaient devant la statue de saint Loup. La procession est abandonnée depuis une dizaine d'années mais une messe est toujours célébrée pour la saint Loup. On invoque celui-ci pour la peur ou la guérison des fièvres ; selon Michel Garraut, curieusement, on déposait des pièces de monnaie dans la gueule du monstre terrassé par saint Michel et non devant la statue de saint Loup. » (J.L. Desplaces, op.cit. p. 74).

Saint Loup étant un saint peu fréquent en Berry, ( il n'est d'ailleurs pas répertorié par Mgr Villepelet parmi les saints berrichons), on peut s'interroger sur sa présence ici. C'est le lieu de se souvenir que Le Magny est situé sur l'alignement des saint Eloi. Or, Mgr Villepelet, encore lui, raconte que la reine Bathilde suivit à pied le cortège funèbre de saint Eloi, qui s'était endormi « dans le Seigneur, à Noyon, le dernier jour de novembre de l'an 659. » Il précise ensuite en note que cette reine Bathilde (qui était une ancienne esclave originaire d'Angleterre), aurait voulu transférer au monastère de Chelles - qu'elle avait elle-même fondée et où elle prit voile à la mort de son mari Clovis II - le corps de saint Eloi. « Mais quand on souleva son cercueil, il devint si pesant qu'on comprit que la volonté de Dieu était que le corps du saint restât à Noyon. Il fut en effet enseveli d'abord dans l'abbaye de Saint-Loup qui prit dans la suite le nom de saint Eloi. C'est ce convoi funèbre que suivit à pied et dans la boue, en plein hiver, la reine Bathilde avec ses trois fils Clotaire III, Childéric II et Thierry III. Plus tard les ossements de saint Eloi furent transportés dans la cathédrale de Noyon, qui les conserve encore en grande partie aujourd'hui. » (Les Saints Berrichons, Tardy, 1963, p. 202, c'est moi qui souligne).

L'église du Magny mérite une visite. Outre les statues de saint Loup et de saint Michel (celle-ci en pierre polychrome du XVème siècle), on y admirera des vestiges de fresques et des chapiteaux romans de belle facture, dont une saisissante sirène.

 

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Il y a là sans aucun doute matière à méditation prochaine.

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22 octobre 2005

Lourouer Saint-Laurent

J'ignorais qu'elle fût si belle. Personne ne m'en avait jamais parlé. Je l'avais mentionnée en 1989 sans même daigner lui faire une petite visite. Je veux parler de la petite église romane de Lourouer Saint-Laurent.
Mon incuriosité d'alors me stupéfie. Il faut dire que je ne savais rien des fresques qui l'ornaient, et qui, si elles n'ont pas la majesté et l'ampleur de celles de Vic, toutes proches, n'en sont pas moins merveilleuses. Et je dois dire que l'édifice en lui-même, placé au coeur du modeste village, me séduit plus encore que Vic : ses dimensions réduites vous donnent un sentiment d'intimité, de nid calme et chaleureux, qui vous étreint sitôt passé le seuil obscur. Sensation de pénétrer une caverne paléolithique. L'éclairage automatisé se met en route, sinon vous resteriez dans une épaisse pénombre. La beauté des fresques vous saisit alors immédiatement.

 

 

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Saint Michel terrassant le dragon

Un petit dépliant à l'entrée donne quelques informations. J'y apprends justement que l'église a été restaurée, que la première phase a été réalisée entre 1989 et 1991, que deux autres phases lui ont succédé, de 1999 à 2002, et enfin que « des sondages effectués dans le choeur laissent entrevoir d'autres fresques très riches et très intéressantes, mais le coût de ces travaux serait trop élevé pour être envisagés prochainement. »

En ce qui concerne les fresques visibles, je reproduis ici le texte de la plaquette :


« Les fresques sont importantes, et offrent, comme l'architecture décor multiple et fort curieux tant les superpositions de peintures sont nombreuses (lors des derniers sondages dans le choeur, jusqu'à cinq époques de peintures ont été recensées). Elles portent ainsi témoignage de différentes époques de l'art religieux au Moyen Age.

Les peintures laissent apparaître :

  • Un premier décor en faux appareil, dont les restes sont visibles sur le mur Est de la nef (XI – XIIème siècles)

  • Toujours du XIIème siècle, une fresque représentant une Vierge à l'Enfant (mur Est de la nef, à gauche).

  • XIIème siécle encore, une peinture dont ont été conservés quatre fort beaux visages exécutés par un artiste de talent (mur Sud) et de même facture que les visages de Thevet Saint-Julien.

  • XIIIème siècle, sur la partie droite du mur Est de la nef, registre inférieur, une crucifixion et une mise au tombeau (visible à droite).

  • Fin XIIIème, début XIVème siècles, dans la nef, mur Nord :

Registre supérieur : un paysan et un personnage tenant des fleurs, avec une inscription « AGRICOLANUS », deux oiseaux, un saint Jacques bénissant uns scène de martyre.

Registre inférieur : deux personnages séparés par des végétaux et des colonnes, saint Nicolas libérant les enfants du saloir ; à l'angle, un évâque bénissant (autre saint Nicolas ?)

  • Sur le mur Sud : au niveau du registre supérieur, un chevalier ; saint Michel pesant les âmes face au Diable ; le repas chez Simon le Pharisien (scène semblable à celle de Vic) et une scène inspirée de l'Evangile selon saint Jean « Noli me tangere » articulée avec le mur Est.

  • Au niveau du registre médian, une série de médaillons représentant des animaux fantastiques.

  • Au niveau du registre inférieur, vestiges d'un calendrier, chacun des personnages représentant un mois de l'année, de janvier à août.

  • Sur le mur Est, registre supérieur : une scène de crucifixion : Christ entouré de deux soldats (porte-lance appelé Longinus et porte-tampon). Au-dessus de la croix, Soleil et Lune qui se voilent la face. A droite, un saint jean, à gauche, Marie. A l'extrême droite, une femme en prière, à l'extrême gauche une femme richement vêtue (mode fin XIIIème siècle). La femme de droite complète le « Noli me tangere » du mur Sud.

  • Dans le choeur, sur le mur diaphragme, se trouve une peinture représentant Saint Michel terrassant le dragon.

  • D'autres éléments remarquables ont été mis à jour dans le choeur, notamment au fond de celui-ci, autour des vitraux, qui n'ont pas encore été interprétés. »


A l'occasion de mon passage, j'ai pris quelques photos à découvrir dans l'album, côté droit.

D'autres photos sur ce site.

On peut retrouver par ailleurs plusieurs des fresques de Lourouer dans le très bel ouvrage de Michel Maupoix et Xavier Anquetil, paru en 2004 : Peintures murales de l'Indre, De la couleur au symbole révélé, co-édité par l'Association Rencontre avec le patrimoine religieux et le Conseil Général de l'Indre.





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19 octobre 2005

Ora et labora

Une des objections que l'on fait souvent au type de travail auquel je me consacre est la sélection, consciente ou inconsciente, des données, autrement dit on ne prendrait en considération que ce qui irait dans le sens de l'hypothèse initiale, et l'on écarterait, plus ou moins intentionnellement, tout ce qui pourrait la remettre en question. C'est en effet un danger qui guette le chercheur, à partir du moment où il a enregistré un nombre certain de corrélations troublantes : dissimuler, oublier, omettre l'anomalie, le site, le mythe, le fait historique ou matériel qui ne fait plus sens dans la configuration envisagée. Bien souvent, la remise en cause à partir de cet indice résistant permet d'élargir encore et de découvrir une nouvelle structure symbolique adventice ou plus vaste. Et quand cela n'est pas possible, pourquoi ne pas accepter son impuissance ? De la géographie sacrée, il en va comme de la mythologie, nous n'en connaîtrons jamais que des fragments - d'où le nom de ce blog – à partir desquels nous hasardons nos reconstitutions. Tentatives toujours risquées, incertaines, provisoires, qui nous éloignent de la tentation de prétendre posséder la vérité.

Confrontons par exemple nos derniers développements à une étude extérieure : en 1989, j'avais choisi celle de Brigitte Rochet-Lucas sur les fontaines du Bas-Berry consacrées à la terre.1 Quatre sont citées :

  • Fontaine Sainte-Madeleine du Ponderon

  • Fontaine de Notre-Dame de Vaudouan

  • Fontaine de la Chaise, à Mosnay

  • Fontaine Saint-Pardoux, à Saint-Chartier.

Or les deux premières, on l'a vu, sont situées en Vierge et la troisième trouve place sur ce que j'ai appelé l'axe majeur, qui est un alignement Vierge-Poissons. Seule une fontaine reste en dehors de notre hypothèse zodiacale. On pourrait la passer sous silence, se contenter d'un trois sur quatre déjà édifiant, mais n'est-il pas plus fécond de prolonger l'enquête, d'aller chercher dans le détail ce qui se rattache à cette fontaine rétive ? Observons déjà qu'une coutume identique à celle de Mosnay, abandonnée aujourd'hui, la caractérisait, c'est-à-dire que les femmes cueillaient des rameaux de buis, les trempaient dans l'eau et aspergaient l'ecclésiastique, lequel devait se laisser faire (sinon la pluie ne venait pas).

De fait, il y a une petite erreur dans la relation de B. Rochet-Lucas : la fontaine se trouve en réalité sur la commune de Lourouer Saint-Laurent, à deux kilomètres environ du bourg, vers le sud-ouest. Or, le titulaire de l'église est saint Pardoux et non saint Laurent. « Fondateur de l'église de Guéret, rappelle J.L. Desplaces, il n'est pas vénéré dans l'Indre où aucune autre paroisse ne lui est dédiée. » (op.cit. p. 69). Quelle est la raison d'une telle originalité ?

Première constatation : la fête de saint Pardoux étant fixée au 6 octobre, cela la place donc dans le signe de la Balance, où se situe précisément Lourouer Saint-Laurent. Je note ensuite que ce village est sur le même parallèle que Mosnay. Saisissons-nous alors de la figuration du signe par une balance avec son fléau et ses deux plateaux : « La flèche, lorsque les plateaux sont en équilibre (équinoxe), ou l'épée qui s'identifie à elle, c'est le symbole de l'Invariable Milieu. » (Dict. Des Symboles, art. Balance, p. 99). Si nous traçons maintenant la ligne Mosnay-Lourouer, le méridien passant par le milieu du segment désigne le village de Lourdoueix Saint-Pierre, dans la Marche. Comme Lourouer (en 1249, cité comme « Decima de oratorio »), Lourdoueix doit son nom à un oratoire.

 

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Remarquons tout de suite que la figure qui se dessine ici, joignant les trois pôles Mosnay-Lourouer-Lourdoueix, est un quasi triangle équilatéral, symbole bien connu de divinité, d'harmonie, de proportion et d'équilibre. Triangle renversé en l'occurence, avec sa pointe en bas, il représente également l'eau et le sexe féminin (d'où, peut-être, les rites d'aspersion que nous avons vus menés par des femmes).

1Ce n'est certes pas la plus exhaustive. Mieux vaudrait maintenant prendre celle de Jean-Louis Desplaces, avec ses trois volumes du Florilège de l'eau en Berry. Je m'y emploierai un de ces jours.

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