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30 août 2005

Saint Gaucher d'Aureil

« Le pauvre traîneux qui serait arrivé dans la nuit et se réveillerait, aux premiers coqs, devant l'église de Saint-Denis-De-Jouhet, pourrait se demander s'il est encore en Bretagne ou vraiment en Bas-Berry, tellement la pierre identique a créé le même style. »

Adrien Bobèche, Berry, Lieux et Mythologies, Privat, 1996, p. 59

 

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Oui, vraiment, cette église de Saint-Denis déconcerte parmi les églises romanes de ce Boischaut-Sud. Le porche d'abord, inhabituel dans la région, large, ouvert au midi. L'influence limousine s'y fait clairement sentir : rien que de normal puisque Saint-Denis, loin d'appartenir comme Reuilly à l'abbaye royale, était dans la dépendance du prieuré d'Aureil, dont la maison-mère était proche de Limoges. Le chevet plat à trois baies se retrouve au monastère de Bost las Mongeas, qui fut édifié pour les moniales à 500 mètres d'Aureil.

 

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Bost las Mongeas

« Dans la région d'Aigurande, de Sainte Sévère et de Châteaumeillant, écrit Guy Devailly, de nombreux laïcs font des aumônes à la communauté d'Aureil qui peut établir un prieuré à Saint-Denis-de-Jouhet et dispose des églises paroissiales de Vigoulant et de Saint-Priest-la-Marche. » (Le Berry du Xe siècle au milieu du XIIIe siècle, Mouton § co, Paris La Haye, 1973, p.278) Ces deux églises, également situées dans le signe du Lion (Saint-Priest étant même sur la pointe du signe), très proches l'une de l'autre (7,5 km à vol d'oiseau), s'alignent sur les églises de la Forêt-du-Temple (chevet plat à trois baies, là encore) et de Lourdoueix Saint-Pierre , avant d'atteindre le hameau du Chézeau-Limousin.

 

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La Forêt du Temple

J'essaie maintenant de comprendre la présence de l'ordre limousin dans ces terres berrichonnes largement inféodées à l'abbaye de Déols. Si on se penche sur son origine, que découvrons-nous ? Un jeune homme de 18 ans, Gaucher, venu de Meulan sur Seine (de nos jours, dans les Yvelines), pour prier sur la tombe de Saint Léonard, en compagnie de son maître Humbert, chanoine et écolâtre de Limoges. C'est avec l'assentiment de celui-ci qu'il fonde Aureil entre 1081 et 1085, dédié à Saint Jean l'Evangéliste en 1093 et dont la règle s'inspire de celle de Saint Ruf de Valence, approuvée par Urbain II (décidément très présent dans notre histoire symbolique). Michel Fougerat précise que c'est Gaucher, plus tard canonisé, qui a donné ce nom d'Aureil à cette première fondation dans la forêt de Silvaticus qui appartenait, cela tombait bien, aux chanoines de Limoges.

C'est bien l'or (aurum) qui est à la racine du nom, cet or du soleil solsticial renaissant à la Saint-Jean d' hiver (27 décembre).

Creusons davantage. Pourquoi Gaucher est-il venu de l'Ile-de-France se recueillir sur la tombe de saint Léonard ? Pourquoi ce saint avait-il une si grande renommée ? Quelle était là encore son histoire ?



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26 août 2005

Vaux-sur-Net

Et comme celui qui a morigéné les Rois, j’écouterai monter en moi l’autorité du songe.
(Saint-John Perse, Vents)

 

 

Tapez « Vaux » dans Google, le moteur vous annonce aussitôt 975 000 résultats. Evidemment vous vous en doutiez, le terme est tellement commun. Vaux-le-Vicomte a droit à la première place, suivi de Vaux-sur-Mer, et plus loin Vaux-sur-Sure, Vaux-le-Pénil, etc. Notre Vaux est poitevin, c'est tout ce que nous en savons pour l'instant. Allons donc pour « Vaux Poitou » : plus que 96 100 résultats, où Vaux-sur-Mer se paie la part du lion, en campings, hôtels, locations... Serait-ce là notre Vaux dyonisien ? On a des doutes... Essayons donc « Vaux Saint-Denis » : 76 000 résultats seulement, on progresse. On trouve même un Saint-Denis-de-Vaux : las, ce beau village, qu'on peut visiter virtuellement (mais j'ai décliné la ballade), est sis en Saône-et-Loire... Fausse piste donc. Et « Vaux Saint-Denis Poitou » ne nous donne plus que 9060 réponses en français (bizarrement le premier site indiqué est espagnol...), sans nous apporter plus de lumière.

Je commence à désespérer lorsque soudain me revient en mémoire un détail de ma récente recherche sur Ingrandes, où l'on se souvient que le convoi translatant le corps de saint Léger avait fait halte : l'église de la ville dépendait d'un prieuré de Saint-Denis. J'avais noté ça dans un coin de ma tête en m'amusant de la coïncidence, je ne pensais pas alors y revenir si vite. Vérification sur le site du diocèse de Poitiers : il est bien écrit que « Sous l'Ancien Régime, la cure d'Ingrandes était à la nomination du prieur de Saint-Denis-en-Vaux, qui dépendait de la grande abbaye de Saint-Denis-en-France. »

La question était maintenant de savoir où se situait ce Saint-Denis-en-Vaux. C'est un autre site sur la même page de résultats, consacré aux églises romanes du Poitou, qui m'apporta la solution : « Trois kilomètres à l'Est d'Ingrandes, à Oyré, se trouve une autre très belle Eglise Romane dédiée à Saint Sulpice. Elle relevait jadis du Prieuré de Vaux sur Vienne qui lui meme dépendait de l' Abbaye de Saint Denis, près de Paris. L'église possèdait à l'origine des fresques murales. »

Vaux-sur-Vienne : il ne restait plus qu'à remonter le cours poitevin de la Vienne pour repérer le haut-lieu tant attendu. Et à vrai dire, il n'y eut pas à remonter loin, Vaux-sur-Vienne était là, tout près d'Ingrandes et de Oyré. Il aurait dû me crever les yeux : il me jouait le coup de La lettre volée d'Edgar Poe.

 

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Ceci dit, le mystère demeurait : la carte Michelin n'indiquait aucun bâtiment religieux remarquable et une nouvelle recherche sur Vaux-sur-Vienne fut très décevante : aucune mention du prieuré, qui semble avoir disparu dans les ténèbres de l'Histoire. J'ai eu beau scruter la carte de Cassini, publiée en 1815, elle ne mentionne aucun prieuré Saint-Denis. Il sera bien bon celui (ou celle) qui me donnera des informations précises sur l'histoire de ce Vaux pictave décidément bien fuyant.

Il reste que la localisation de Vaux près d'Ingrandes montre bien encore une fois, s'il en était besoin, l'intrication serrée entre les deux saints martyrs Léger et Denis. L'histoire de l'abbaye dyonisienne et celle de l'évêque déchiré entre les pouvoirs de son époque ne cessent de corréler. Toutes les deux ont en commun d'interroger la fonction royale. J'ai la nette impression que notre réflexion sur celle-ci ne fait que commencer.


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Léger et le roi Chilpéric

P.S : Un site rassemble tous les Saint-Léger de France, de Suisse et de Belgique. J'y ai puisé nombre d'informations. Merci aux concepteurs du site, que l'on peut consulter ici.


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25 août 2005

La Chapelle-Aude

Trouvé tout récemment sur le net, le document de l'Ecole des Chartes sur les possessions de Saint-Denis, non seulement m'a confirmé ce que je savais déjà de Reuilly par une autre source, mais aussi m'a appris l'appartenance à l'abbaye royale de La Chapelaude et de Vaux.

La Chapelaude, je connaissais : j'ai souventes fois traversé cette bourgade de l'Allier en me rendant à Montluçon. Son nom est une contraction de la Chapelle-Aude (Capella Aude du cartulaire blanc de Saint-Denis). Ce que désignait ce nom de Aude fut la première question que je me posai. La réponse vint rapidement : il s'agirait d'une moniale disciple au VI ème siècle de Sainte Geneviève. Le legs de la terre de la Chapelaude se situe, lui, au XIème siècle. Voici ce qu'on peut lire sur un site intéressant consacré au canton d'Huriel : « En 1060, le chevalier Jean de Saint Caprais, avec l'assentiment d'Humbault le Vieux, sire d'Huriel, donne à Rainier, abbé de St Denis, le terroir du Mont-Jullian. L'abbé y fait alors élever un prieuré à l'origine du bourg actuel, appelé successivement La Chapelle, La Chapelle Saint Denis, La Chapelle Audes puis La Chapelaude. »

Nous ne sommes guère qu'à une vingtaine de kilomètres, à vol d'oiseau, de Toulx Sainte-Croix. Je trace alors la ligne réunissant les deux localités et je m'aperçois qu'elle vise, au-delà de la Chapelaude, le bois d'Audes, près du village précisément nommé Audes (et dont l'église, je le découvre peu après, appartenait elle aussi à l'abbaye de Saint-Denis).

Quand on met à jour une telle association, on y regarde ensuite d'un peu plus près. Or, si mes calculs sont bons, La Chapelaude indique, par rapport à Toulx, le lever héliaque au solstice d'été.

 

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On peut d'ailleurs se demander si le choix de Aude, au-delà de la sainte référence historique qui rattache clairement le prieuré à Paris et Saint-Denis, ne relève pas d'un jeu de mots avec aube (alba) ?

Est-ce fortuit également de constater que non loin de La Chapelaude se situe le village de Vaux, sur les rives du Cher, qui fait écho à Vaux, la possession poitevine des dyonisiens ?

De ce Vaux picton, parlons-en, en retrouver la trace fut une autre paire de manches...


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22 août 2005

Saint-Denis-de-Jouhet

« En 1140, la plus royale des églises n'était pas une cathédrale, mais un monastère : saint-Denis-en-France. Depuis Dagobert, les successeurs de Clovis avaient choisi ce sanctuaire pour nécropole, et les trois races qui successivement dirigèrent le royaume n'avaient cessé d'y ensevelir leurs morts ; Charles Martel, Pépin le Bref, Charles le Chauve y reposaient dans le caveau royal près de Hugues Capet, de ses ancêtres les ducs de France, et de ses descendants, les rois. » (Georges Duby, L'Europe des Cathédrales, 1140-1280, Skira, 1984, p. 13)


C'est dans la crypte de Saint-Denis que ces rois descendaient chercher l'oriflamme déposée sur les reliquaires des saints martyrs. « Le vitrail de Saint Denis à Chartres (vers 1210/1220), les descriptions et les meilleures peintures des XIIIème et XIVème siècles montre qu'elle consistait en une bande de soie légère, rouge uni (couleur impériale ou encore celle du martyr, en l'honneur des saints Denis, Rustique et Eleuthère), assez longue, découpée de deux, trois ou cinq queues, ornée de houppes vertes et attachée par des anneaux à une lance dorée pouvant tuer l'ennemi » (Encyclopaedia Universalis, Thesaurus, p. 2177). On l'appelait aussi, du fait de sa provenance, l'enseigne Saint-Denis. On raconte qu'à Roosebeke, en 1382, les armées étant sous la bruine, le soleil ne daigna se montrer que lorsque l'oriflamme fut déployée : les Français de Charles VI purent alors assaillir les Flamands et les écraser.

L'oriflamme fut ainsi un des signes de ralliement autour de la puissance royale, à l'instar du cri de guerre des Capétiens : Montjoie Saint-Denis ! qui succéda au simple Montjoie ! des XIème et XIIème siècles. Ce terme de Montjoie, que j'ai déjà évoqué, mérite un approfondissement particulier.

Selon Anne Lombard-Jourdan, entre autres, il dérive du francique mundgawi, « protège-pays » : « Après avoir localisé au nord de Paris, dans la plaine du Lendit, le "lieu consacré, au centre de la Gaule" dont parle Jules César, elle indique comment ce sanctuaire où s'assemblaient les druides se développa autour de la "Montjoie", tombe de l'ancêtre héroïsé protecteur du pays. Dans le but de masquer et d'exorciser ce lieu de culte païen, les premiers chrétiens situèrent à cet endroit précis le martyre de saint Denis et sainte Geneviève érigea à proximité la première basilique dédiée à celui-ci. Saint-Denis devint l'équivalent et le substitut du "Protège-Pays". Son nom rejoignit celui de "Munjoie" dans l'appel des guerriers en détresse » (Note de l'éditeur). Plus largement, la montjoie désignera toute éminence, colline ou tas de pierres servant à indiquer la voie d'un pélerinage. C'est le lieu de se souvenir que sur l'axe Autun – Saint-Maixent, un des premiers indices relevés fut un Montjouan. Or, un axe quasi perpendiculaire à celui-là, passant par Montjouan, se dirige au nord vers Saint-Léger-de-Fougeret et au sud vers la grande ville de pélerinage de Paray-le-Monial en traversant Gueugnon, Chevagny et Saint-Léger-les-Paray. Tout en passant près de Mont Dardon et du hameau de Dardon, qui évoquent fortement Dordon, le lieu de naissance des fils Aymon.

 

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Eglise de Saint-Denis-de-Jouhet

Saint-Denis-de-Jouhet n'aurait-il pas la même fonction indicatrice ? N'a-t-on pas cultivé l'identification, toutes proportions gardées, avec le Saint-Denis de l'Ile-de-France ? Ainsi, de même que celui-ci est célèbre au Moyen Age pour sa foire du Lendit « où les bateliers de Seine, écrit Duby, venaient charger les fûts de vin nouveau pour les conduire vers l'Angleterre ou vers la Flandre », Saint-Denis -de-Jouhet est connu dans toute la région pour sa foire annuelle (à l'origine, dédiée aux chevaux), le 4 octobre. La date mérite examen : deux jours avant, le calendrier marque la Saint-Léger et, cinq jours après, indique la Saint-Denis.

 

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Un nouvel alignement dirigé pratiquement plein Nord, en direction donc de Paris et de Saint-Denis achèvera de fonder notre conviction : issu donc de Saint-Denis-de-Jouhet, il remonte à Saint-Denis, faubourg d'Issoudun (ancienne ville royale, qui reçut une charte de franchises de Charles VII et Louis XI lui concédant sept foires annuelles) et traverse le Bois Saint-Denis, à la sortie de Reuilly, non sans avoir frôlé au passage le hameau de Saint-Léger (unique exemple de ce toponyme dans le département de l'Indre).

Et il faut enfin savoir que l'église primitive de Reuilly, église Saint-Denis il va de soi, appartenait en propre à l'abbaye Saint-Denis-de-France.

 

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Doc : Ecole des Chartes

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21 août 2005

Signum Leonis Signum Arietis

Après ces détours par la Bourgogne et le Poitou, retour sur nos terres de Berry et de Marche, en ce secteur du Lion dominé par la haute présence de Toulx Sainte-Croix. Le « rex animalium », le roi des animaux, y incarne la puissance souveraine et la force noble, la magnificence des étés et le feu rayonnant. « Pleine flamme de vie », déclare l'astrologue André Barbault. Aussi ne faut-il pas s'étonner de rencontrer dans cette zone un Lusignat, à quelques kilomètres au sud de Toulx, et un hameau dit Lusignan, près de Saint-Denis-de-Jouhet, faisant écho tous les deux au Lusignan de Bélier où triomphe le feu initial. Cette résonance entre les deux signes de feu a trouvé sa plus belle expression artistique dans un marbre conservé à Toulouse, au Musée des Augustins :

 

 

Deux femmes tiennent dans leurs bras l'une un lion, l'autre un bélier. Signum Leonis Signum Arietis, lit-on de chaque côté des têtes. Cette oeuvre datée du premier quart du XIIème siècle reste énigmatique pour les historiens : « Cette sculpture, dont les étrangetés n'ont pas fini d'intriguer, a fait l'objet de plusieurs interprétations, mais aucune de ses explications n'est satisfaisante. » (Corpus des inscriptions de la France Médiévale, 7, ville de Toulouse, CNRS, Paris, 1982, p. 61) « Le pied nu et le pied chaussé de chacune des deux femmes, lit-on un peu plus loin, constituent une figuration qu'offrent plusieurs bas-reliefs antiques. Cette représentation connue de la parthénogenèse, traduit également une démarche religieuse. Ainsi dans l'Enéide, Didon s'approche des autels un pied dépouillé de ses bandelettes, la robe dénouée, pour prendre à témoin avant de mourir les dieux et les constellations qui sont au courant de son destin. »

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Suicide de Didon
Bibliothèque Nationale de France
Français 60 fol. 148
Paris, XIVe s.


C'est maintenant vers Saint-Denis-de-Jouhet que nous allons diriger nos regards.

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