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29 septembre 2008

Le carré buissé et le Quadriparti heideggerien

Si Augustin Berque cite la cruche de Heidegger, c'est pour développer sa réflexion personnelle sur le concept de la "chose". Pour le géographe," il est essentiel d'avoir à l'esprit que toute chose rassemble en un faisceau des renvois à divers domaines, matériels et immatériels, écologiques, techniques et symboliques, pour les faire se tenir ensemble en ce qui est sa concrétude première. Nous avons tendance au contraire à nous figurer la concrétude comme le côté matériel, statique et borné de la chose, dans le sens qui a fini par devenir en anglais celui de "béton" (concrete). Rien n'est plus faux, ou du moins partiel. Un aspect seulement de sa réalité. Une chose en fait est concrète quand on ne l'abstrait pas  de l'ensemble des qualités et des processus, de l'histoire et des fins qui concourent à en faire ce qu'elle est. Cela veut dire beaucoup d'immatériel en sus du matériel. Beaucoup de symboles en sus de l'écologique et du technique, et beaucoup de temps qui court dans le présent."
C'est à ce moment qu'il fait appel à Heidegger et à son concept du Geviert, le Quadriparti, qui "symbolise l'idée qu'une chose rassemble tout cela ; telle la cruche :
"Verser" n'est pas seulement transvaser ou déverser. [...] Dans le versement du liquide offert, la terre et le ciel, le divin et les mortels sont ensemble présents. Unis à partir d'eux-mêmes, les Quatre se tiennent. Prévenant toute chose présente, ils sont pris dans la simplicité d'un unique Quadriparti [...] Or, la cruche comme cruche accomplit son être dans le versement. Celui-ci rassemble ce qui appartient au verser : le double contenir, le contenant, le vide et le versement comme don. Ce qui est rassemblé dans le versement s'assemble lui-même en ceci qu'il retient et fait apparaître le Quadriparti. Simple en mode multiple, ce rassemblement est l'être même de la cruche."

 

verseau_antonins.gif

Aquarius - Heures à l'usage des Antonins, Clermont-Ferrand,  ms. 0084, f. 001v

(Via http://hdelboy.club.fr/oeuvre.htm)

N'y a-t-il pas coïncidence ici avec la géographie sacrée, qui se veut tout entière  projection du ciel sur la terre, noces du divin et de l'humain, rassemblement autour d'un centre unique ? Ce Quadriparti apparu avec cette simple chose, cette cruche versant son eau ou son vin, ne fait-il pas écho avec la figure du Carré buissé, le mot quadrata désignant en latin le carré (Rome est dite Roma quadrata parce que sa forme originelle est celle d'un carré) ?

"L'illusion dont il faut se départir, poursuit Augustin Berque, c'est que nous serions devant les choses comme des astrophysiciens, qui connaîtrions d'abord leur aspect matériel, puis plaquerions dessus du symbolique, à commencer par un nom. D'abord il y aurait l'objet, plus tard la chose représentée, dite et socialement significative. Cela c'est l'illusion moderne, qui renverse le monde en univers, comme si nous pratiquions la physique avant de vivre. Dans sa concrétude première, une chose est au contraire toujours déjà symbolique. En particulier, elle a toujours déjà un nom - ne serait-ce que la plus général de tous : "quelque chose"." (Ecoumène, p. 95)

En prolongeant cette idée, je dirais que la géographie sacrée n'est pas plaquée sur une réalité de territoire déjà présente, comme un ornement somme toute superflu. Elle naît en même temps que l'effort de l'homme pour prendre des repères sur la terre qu'il arpente tous les jours. Cette terre dont il tire sa subsistance, il l'ordonne et y place des jalons, il la géométrise et lui donne des référents célestes. De même qu'il  trace des lignes dans le chaos nocturne et définit donc des constellations, imaginant des histoires pour mémoriser ses assemblages, il balise les horizons terrestres, baptise les reliefs et exalte  sources et  rivières qui les premières unissent et relient.




18:23 Publié dans Verseau | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cruche, heidegger, berque

24 septembre 2008

De l'entonnoir à la cruche

"Sable, éponge, outre, entonnoir, barrique, siphon, sac à vin, tu excites ma pitié "

(Gautier, Fracasse, 1863, p. 156)

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- Cette histoire d'Entonnoir, n'est-ce pas un peu n'importe quoi ? Un pur délire interprétatif ? Vous savez que l'on représente ainsi les fous, avec un entonnoir renversé sur la tête...
- C'est vrai. Je me demande bien pourquoi d'ailleurs. Il serait intéressant d'y réfléchir.
- Avouez, un Entonnoir au centre d'une figure que vous décriviez comme une des plus sacrées de la région, ce n'est pas sérieux.
- Ce n'est peut-être pas sérieux, mais c'est cohérent. Cet entonnoir est situé en Verseau dans le zodiaque neuvicien. Or, à quoi sert un entonnoir sinon à transvaser, à verser un fluide d'un récipient dans un autre ?
- Le Verseau verse l'eau de sa cruche dans un fleuve, et non dans un autre récipient.
- Exact. Mais vous remarquerez au passage que cette image est paradoxale : d'ordinaire, on puise au fleuve, on ne le remplit pas. Il y a sans doute quelque chose à comprendre là-dessous. Mais vous parlez de cruche : savez-vous qu'un de nos grands philosophes a écrit à son propos des lignes fort belles qui s'accordent bien avec mon propos ?
- Heidegger ?
- Bingo ! Heidegger en effet ;  laissez-moi vous citer le passage : "Ce qui fait de la cruche une cruche déploie son être dans le versement de ce qu'on offre (in geshenk des Gusses). [...] Dans l'eau versée la source s'attarde. Dans la source les roches demeurent présentes, et en celles-ci le lourd sommeil de la terre, qui reçoit du ciel la pluie et la rosée. Les noces du ciel et de la terre sont présentes dans l'eau de la source. Elles sont présentes dans le vin, à nous donné par le fruit de la vigne, en lequel la substance nourricière de la terre et la force solaire du ciel sont confiées l'une à l'autre. Dans un versement d'eau, dans un versement de vin, le ciel et la terre sont chaque fois présents"*. Alors que pensez-vous de ça ? L'entonnoir, qui au fond n'est pas si éloigné de la cruche,  ne vous apparaît-il pas moins trivial ? Augustin Berque, chez qui nous avons trouvé cette citation, écrit qu'il y a "dans ces lignes une cosmophanie, voire une hiérophanie" (Ecoumène, Belin, 2000, p. 91). Allez, à la bonne vôtre !
- Ne pensez pas m'avoir convaincu à si bon compte ! Ceci dit votre vin n'est pas mauvais, je reviendrai.

 

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*In "La chose", Essais et conférences, Paris, Gallimard, 1958, pp. 203-204 (trad. André Préau)

PS : Ma bannière a mystérieusement disparu pendant l'été, me rendant à l'austérité originelle. Ma foi, je reste là-dessus pour l'instant. Je me passerais bien en revanche de la bannière meetic qui surplombe parfois mes divagations mythiques...

22 septembre 2008

Les bien yvres sont de retour

« Sur le monde je porterai le regard clair prêté par l’aigle à Ganymède »
Jean Genet, Journal du voleur


Après un long intermède estival, retour donc avec l'automne sur les terres berrichonnes. Je m'étais arrêté sur la figure de Saint-Georges, figure hautement symbolique de cette géographie sacrée mêlant paganisme et christianisme. Que me reste-t-il à inventorier ? En ai-je fini avec la longue évocation du carré buissé ? Pas tout à fait, me semble-t-il. Il me faut revenir sur le point de départ de l'investigation en signe du Verseau, en appeler encore une fois à Rabelais. La boucle sera alors bouclée et nous pourrons passer au dernier signe de ce circuit zodiacal : les Poissons, qui couvre une des régions les plus fascinantes du Berry, totalement différente des autres territoires naturels qui  composent la province, j'ai nommé la Brenne. A vrai dire, je l'ai déjà évoqué brièvement, avec l'étang du Bois-Secret, dont Doumayrou  faisait le point central de l'une de ses grandes perspectives symboliques. On essaiera d'aller plus loin.

Souvenons-nous : Verseau convoquait Ganymède, l'échanson des dieux et il était donc question de boire, ce à quoi s'employaient gaiement les compagnons de Grangousier, les "bien yvres". On se souvient que  l'accoucheuse de Gargantua est désignée comme étant une vieille de Saint-Genou : ceci me donnant le départ d'une longue enquête sur ce saint qui déboucha sur la découverte du carré buissé. Allons donc maintenant au centre même de ce carré. J'ai déjà dit que le village le plus proche était Buxières d'Aillac, mais il est possible de préciser encore en cherchant  le toponyme le plus proche. Or, il semblerait que ce soit l'Entonnoir, entre l'Orme et le Châtaignier, non loin de la queue de l'étang de Brenne. Nous ne quittons pas le motif de la beuverie...



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Car le mot même apparaît chez Rabelais, au chapitre V de Gargantua, justement dans "Les propos des bien yvres" :

"-Non moy, pecheur, sans soif, et, si non presente, pour le moins future, la prevenent comme entendez. Je boy pour la soif advenir. Je boy eternellement. Ce m'est eternité de beuverye, et beuverye de eternité.

-Chantons, beuvons, un motet entonnons ! Où est mon entonnoir?

-Quoy! Je ne boy que par procuration !"

 

On le retrouve aussi au dernier chapitre du Tiers-Livre :

 

"Ce que ie vous ay dict, est grand & admirable. Mais si vouliez vous hazarder de croire quelque aultre divinité de ce sacre Pantagruelion, ie la vous dirois. Croyez la ou non. Ce m'est tout un, me suffist vous avoir dict verité. Verité vous diray. Mais pour y entrer, car elle est d'accès assez scabreux & difficile, ie vous demande. Si i'avoys en ceste bouteille mis deux cotyles de vin, & une d'eau ensemble bien fort meslez, comment les demesleriez vous? comment les separeriez vous? de manière que vous me rendriez l'eau à part sans le vin, le vin sans l'eau, en mesure pareille que les y auroys mis. Aultrement. Si vos chartiers & nautonniers amenans pour la provision de vos maisons certain nombre de tonneaulx, pippes, & bussars de vin de Grave, d'Orleans, de Beaulne, de Myrevaulx, les avoient buffetez & beuz à demy, le reste emplissans d'eau, comme font les Limosins à belz esclotz, charroyans les vins d'Argenton, & Sangaultier: comment en housteriez vous l'eau entierement? comment les purifieriez vous? I'entends bien, vous me parlez d'un entonnoir de Lierre. Cela est escript. Il est vray & averé par mille experiences. Vous le sçaviez desià. Mais ceulx qui ne l'ont sceu & ne le veirent oncques, ne le croyroient possible. Passons oultre."(C'est moi qui souligne)

 

Remarquons qu'à la ligne du dessus, sont évoqués les vins d'Argenton et Sangautier (Saint-Gautier), autrement dits des cépages berrichons. Argenton, on le sçait desià, sur le parallèle de Neuvy Saint-Sépulchre, donc sa ligne équinoxiale, séparant Bélier de Poissons ; Saint-Gaultier, un peu en aval sur la Creuse, pratiquement sur le parallèle de l'Entonnoir. N'est-ce pas là aussi grand & admirable ?

 

09 septembre 2008

Retour équinoxial

Prochaine reprise des pérégrinations en géographie sacrée à l'équinoxe d'automne.

Belle fin d'été à tous !

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Cluis-Dessous, Eté 2008