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18 août 2005

L'autre Léger

Je l'ai découvert par  hasard au cours de mes dernières recherches internautiques, sur le très riche site de Jacques Duguet,  Etudes et documents historiques sur la région Poitou-Charentes. Dans le fatras de résultats de googlage  sans intérêt, d'offres de location et de ramifications généalogiques interminables, émerge parfois une page qui ouvre soudain d'autres perspectives. C'est le cas ici. Je résume la biographie qui est donnée de ce Léger qui, bien que religieux, n'a pas été canonisé. D'origine inconnue, il apparaît comme archidiacre de Thouars le 10 février 1096, dans un acte par lequel Pierre II, l'évêque de Poitiers, rétablit la discipline ecclésiastique dans l'abbaye d'Airvault. Immédiatement, cette date nous interpelle : c'est cette année-là que le pape Urbain II avait donné à Robert d'Arbrissel mandat d'être un " semeur du verbe divin ". Nous avons vu naguère le rôle important du prédicateur breton dans l'édification de la géographie sacrée.

Revenons sur cette fonction d'archidiacre de Thouars (ville près de laquelle nous avons décelé un alignement de saint-Léger). En 1096, le diocèse de Poitiers comptait trois archidiaconés : outre Thouars, il y avait Poitiers et Brioux. Archidiacre, saint Léger l'avait été, je le rappelle,  avant de rejoindre l'abbaye de Saint Maixent. De Saint-Maixent, il est d'ailleurs question le 15 janvier 1099 : Léger souscrit alors pour son évêque qui donne à l'abbaye les églises de Nanteuil, d'Augé et de Romans. La même année, il assiste au concile de Rome cette fois en qualité d'archevêque de Bourges. « Il ne rompt pas toutefois avec Poitiers et, dans les premières années de sa nouvelle charge, on le voit intervenir dans les affaires de son ancien diocèse. Avant le 23 mai 1100, il souscrit en compagnie des archidiacres Hervé, de Brioux, et Pierre Gautier, de Poitiers, et en l'absence de celui de Thouars, une confirmation des acquisitions de l'abbaye de Saint-Cyprien, faite par Pierre II à la demande de l'abbé Rainaud. En 1104 ou 1105, un plaid réunit autour du duc et de l'évêque une nombreuse assistance de dignitaires ecclésiastiques, pour terminer un conflit entre l'abbaye de Saint-Maixent et Hugues de Lusignan; c'est encore Léger qui représente le pays thouarsais; il est désigné en tête des assistants. C'est sans surprise qu'on le voit présider, en 1107, une cour convoquée par l'évêque pour trancher un litige au sujet de la possession de l'église Saint-Laon de Thouars; parmi les chanoines de Saint-Laon délégués pour défendre les intérêts de leur communauté, on remarque un certain "maître Chauchard, archidiacre de Bourges", qui a dû être appelé en Berry par l'ancien archidiacre de Thouars. »

Léger meurt le 31 mars 1120 et est inhumé « dans le diocèse qu'il a administré pendant une vingtaine d'années au prieuré d'Orsan fondé par son ami Robert d'Arbrissel. »

 

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 Jardin du prieuré d'Orsan

Ce bref portrait, certainement très lacunaire, permet néanmoins de considérer Léger comme un personnage essentiel dans le processus de construction de l'espace sacré berrichon-poitevin (ou pictavo-biturige, si l'on veut). Qu'il soit enterré à Orsan, terre fontevriste, n'est pas fortuit. Qu'il porte le nom d'un saint des plus populaires, patron de nombreuses églises et abbayes, ne l'est pas moins. C'est la puissance spirituelle du martyr qu'il investit symboliquement.




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16 août 2005

Se l'estoire ne ment

Donnons un dernier exemple montrant l'étroite association symbolique entre saint Léger et Bayart sous l'égide solaire. Léger, comme les fils Aymon, fut très populaire dans les campagnes : son martyr s'apparentait en quelque sorte aux souffrances du cheval et des quatre frères traqués sans relâche par Charlemagne. Dans l'une des chansons de la geste, l'empereur fait suspendre au cou de Bayart une meule de moulin, et du pont de Meuse le fait précipiter dans le fleuve. Le cheval s'enfonce aussitôt dans les flots à la grande douleur des autres chevaliers présents, mais il parvient ensuite à briser la pierre, traverser le fleuve et fuir dans la grande forêt de l'Ardenne. « On a dû jadis, assure Henri Dontenville, d'un côté comme de l'autre du Rhin, éprouver des chevaux sacrés, observer s'ils pouvaient, bien entravés, traverser une rivière, et cette pratique s'alliait, à n'en pas douter, au culte de l'astre solaire ; il devait s'agir de provoquer la renaissance ou le maintien de l'astre en sa puissance. Trois lignes du poème, que nous pouvons citer dès maintenant, glorifient inconsciemment le solstice d'été. Bayart échappe à l'empereur chrétien, erre, sauvage et libre, dans la forêt :

Encor i est Baiars, se l'estoire ne ment,
Et encore l'i oït-on, a feste sainct Jehan
Par toutes les années hanir moult clerement. »

(La France Mythologique, p. 108)


Or, lorsque les troupes protestantes du maréchal d'Aumont, comte de Châteauroux, assiégèrent en vain la ville d' Autun en 1591, du 18 mai au 21 juin, cette délivrance fut attribuée à une mystérieuse apparition de saint Léger, si bien que fut instituée, tous les 21 juin, la fête de l'apparition de saint Léger. Est-il besoin de préciser que le 21 juin est précisément la date du solstice d'été ?


 


 



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15 août 2005

Translatio Leodegariis

Le corps de saint Léger est donc acheminé d'Arras jusqu'à Saint-Maixent : l'Artois se situant en secteur Sagittaire, le retour des reliques décrit donc le périple de la lumière dans la période allant du solstice d'hiver à l'équinoxe printanier. A l'image du jour qui croît quotidiennement en durée, le cortège mené par Audulf, abbé de Saint-Maixent et ancien disciple de Léger, va être suivi d'une foule toujours plus fervente, émerveillée par les miracles qui jalonnent l'itinéraire. Le moine Ursin de Poitiers, biographe de Léger, rapporte qu'ils étaient si nombreux qu'on ne pouvait les énumérer. « Un psautier contiendrait à peine tous ceux que j'ai vus. » Ainsi, à Ingrandes , à la frontière des diocèses de Tours et de Poitiers, un boiteux et un paralytique sont guéris. Pierre Riché, encore : « A Antran, près de Chatellerault, le cortège s'arrête quelque temps : l'évêque Ansoald en prend la tête, conduit d'abord les restes de saint Léger à Sainte-Radegonde, puis à Saint-Hilaire, et confie enfin le précieux chargement aux moines de Saint-Maixent (1). Ces derniers installent le corps de Léger dans un tombeau au centre du monastère. » (op. cit. p. 201).

Curieux, ces miracles en limite de diocèse, que marque bien le vocable Ingrandes qui, comme Aigurande et Ingrandes sur l'Anglin, indique initialement la frontière entre deux civitas celtiques. Un alignement Ingrandes-Antran, orienté Nord-Nord-Est, passe bien au sud par un lieu-dit Saint-Léger (sur la rive gauche du Clain, que suivaient les pélerins de Compostelle) et la forêt de Saint-Hilaire, tandis qu'un autre alignement pratiquement parallèle est décelable près de Thouars, qui joint Saint-Léger de Montbrun et Saint-Léger-de-Montbrillais à Mont-Forton et le bois de la Motte.

 

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Ceci est particulièrement intéressant dans la mesure où se confirme la connivence profonde de saint Léger avec le Bayart et les quatre fils Aymon. En effet, la geste des Fils Aymon parle d'une « roche haute, contre-mont, vers le ciel », dans la plaine de Vaucouleurs où Charlemagne attend les quatre frères en embuscade. Henri Dontenville, qui suggère, arguments à l'appui, que l'Ardenne du poème pourrait fort bien se situer en Aquitaine, propose une nouvelle localisation du lieu : « Ce pourrait être cette Roche Mombron, dans un bois, à « la Lustre », commune de Tauriac (...) un hameau est là, de ce nom, à environ 1,5 km du fleuve, avec une roche émergeant des bois et où nulle empreinte de cheval ne subsiste (la pierre s'est désagrégée). La carte porte bien « la Lustre » sur la route n°669 et une habitante de la Rochemonbron dit la suite. Le manuscrit La Vallière porte « roche Mabon ». Le frère de Renaud, « Richard vint poignant à la roche Mabon » (v.7043). Les livrets populaires restituent : Roche « Montbron ». » (La France Mythologique, pp.111-112).

La popularité du récit a favorisé l'essaimage du thème : ajoutons, pour finir, que Saint-Léger de Montbrillais précède sur l'axe les villages de Roche et de Montbrillais tandis que l'alignement passant par Ingrandes rase Saint-Ustre (avec son église Saint-Maixent de la fin du XIème - le nom Ustre viendrait d'Adjutor, premier nom de saint Maixent) et touche Buxeuil (enfermant le château de la Roche-Amenon et rappelant incidemment Luxeuil où Léger fut emprisonné), près de Descartes, avant d'atteindre Bléré où Henri Dontenville, encore lui, a retrouvé la plainte déchirante de la femme de Renaud, elle qui vient d'accoucher et qui découvre au matin la mort de son mari :


Elle a jeté un si grand cri

Que l'église en a retenti :

Prenez mes bagues, mes anneaux,

Je veux mourir avec Renaud. (op. cit, p. 134)


  1. Sur la commune creusoise de Saint-Maixant, située sur le méridien de Toulx, la courte notice du Quid est éloquente, qui nous rappelle les thèmes abordés dans l'étude de la montagne polaire :

    « La paroisse de Saint-Maixant était jusqu'au 19ème église matrice de celle de Saint-Amand. Berceau au 13ème de la famille de La Roche-Aymon. Jean de Malleret, marquis de Saint-Maixant, fut député de la noblesse aux Etats généraux de 1789. La commune prit le nom de "La Victoire" pendant la Révolution. »








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13 août 2005

Sanctus Leodegarius

« Le nom dit la vérité de la personne, permet de retracer son histoire, annonce ce que sera son avenir. La symbolique du nom propre joue ainsi un rôle considérable dans la littérature et dans l'hagiographie. Nommer est toujours un acte extrêmement fort, parce que le nom entretient des rapports étroits avec le destin de celui qui le porte. C'est le nom qui donne sens à sa vie. Bien des saints, par exemple, doivent leur vita, leur passion, leur iconographie,leur patronage ou leurs vertus à leur seul nom. »

(Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Age occidental, Seuil, 2004, p. 16)


Sanctus Leodegarius, c'est saint Léger en latin. La racine leo, lion, est au départ du nom. Mais fi du latin, La Vie de saint Léger (seconde moitié du Xème siècle), inspiré d'écrits monastiques, est un des premiers textes de la langue française, en strophes de six vers octosyllabiques assonancés.

Léger naît au début du VIIème siècle ; sa famille, installée aux confins de la Bourgogne et de l'Alsace, envoie le jeune homme auprès de son oncle Didon, évêque de Poitiers. Archidiacre peu après l'âge de 20 ans, il est désigné pour reprendre la charge de l'abbé de Saint-Maixent qui venait de mourir. « L 'abbaye de Saint-Maixent, précise Pierre Riché, était construite autour de la cellule de saint Maxence, un saint contemporain de Clovis. Grégoire de Tours raconte que les guerriers de Clovis, lorsqu'ils étaient allés combattre le roi wisigoth Alaric en 507, avaient, à la suite d'un miracle, épargné cette abbaye. » (Histoire des Saints, tome IV, p. 197, Hachette, 1986). Léger reste là six ans puis, sa réputation ayant gagné la cour, la reine Bathilde l'appelle auprès d'elle.

Le maire du palais, Ebroïn, le fait ensuite nommer, en 663, évêque d'Autun. Léger s'installe dans la cathédrale, située dans la partie fortifiée de la ville, au sud de ce qui avait été Augustodunum, la ville romaine, et qui demeurait une étape importante sur la grande route de Lyon à Boulogne. Il entreprend là de grands travaux d'urbanisme et légifère en faveur de l'Eglise et des pauvres. Il devient aussi le porte-parole des aristocrates bourguignons en lutte avec Ebroïn, qui souhaite restaurer l'unité du royaume divisé en deux parties depuis la mort de Dagobert, en 639. Léger parvient même à le faire enfermer au monastère de Luxeuil. Conseiller ensuite du roi Chilpéric II, il s'aliène son appui dans une affaire de justice et se retrouve exilé lui aussi à Luxeuil. « L'assassinat de Chilpéric et l'évasion des deux prisonniers, poursuit Pierre Riché, relancent les tractations. Ebroïn finit par l'emporter ; les dernières années de Léger ne sont qu'un long supplice. Affreusement torturé, il meurt décapité en 678 ou 679. » Il devient tout naturellement un martyr ; à l'instar des frères Aymon dressés contre Charlemagne, sa lutte contre le pouvoir politique central fait de lui un personnage populaire : « Le nom même du saint a contribué à sa gloire posthume, puisqu'il passe pour alléger les obèses, et pour donner un pied léger à ceux qui ont des difficultés à marcher »(op. cit. p.196). Belle illustration de la remarque de Michel Pastoureau citée plus haut.

 

Martyre de saint Léger

Or, il s'avère que ce destin tourmenté suit les voies de la géographie sacrée et peut pratiquement être résumé par une grande loxodromie (Robert : courbe suivie par un navire lorsqu'il coupe les méridiens sous un même angle) issue de la cathédrale d'Autun. Elle se dirige au sud-ouest par Chevannes, Montaigu, Saint-Léger-sous-Beuvray (au pied donc du Mont Beuvray, site de l'ancienne Bibracte, capitale des Eduens), Montjouan, Chevannes, Saint-Léger-les-Vignes au nord de Decize, Saint-Amand Montrond et Orval. Elle passe alors à deux kilomètres au nord de Neuvy Saint-Sépulchre puis rejoint Argenton, le bois de Souvigny, Chapelle-Viviers, Morthemer, Vivonne avant d'aboutir à Souvigné à seulement cinq kilomètres de Saint-Maixent. Un Saint-Maixent que nous retrouvons sur la partie sud du méridien de Toulx.

 

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Ce grand axe symbolique a sa correspondance historico-légendaire avec l'assemblée de Pâques 681 au palais royal, où l'évêque de Poitiers, Ansoald, et celui d'Autun, Hermenaire, réclamèrent tous deux l'honneur de ramener dans leur diocèse la dépouille du saint, tandis que l'évêque d'Arras (ville où il avait été mis à mort) le revendiquait au prétexte que des miracles avaient déjà eu lieu sur sa tombe. On en appela à un jugement de Dieu pour attribuer le trophée. « Après trois jours de jeûne et de prières, on écrivit les noms des trois évêques sur trois billets qu'on déposa sur l'autel. Le lendemain, un clerc tira au hasard celui sur lequel était inscrit le nom d'Ansoald de Poitiers.» (op. cit. p. 201).

 

Le saint fit donc retour aux lieux mêmes de son initiation. Le récit de la translation, d'Artois en Poitou, est en lui-même chargé d'enseignement.




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10 août 2005

Bayart et Saint-Léger

« Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent » (Apollinaire, Nuit Rhénane)


Bayart, comme le cheval blanc, s'identifie, selon Doumayrou, « à la vibration même de la lumière », son nom dérivant d'après lui de Béliart, Bélien le soleil gaulois (Géographie Sidérale, p.140). Toujours est-il que La Roche-Aymon balise le lever de l'astre au solstice d'hiver de Toulx. A ce moment de l'année, le soleil est au plus bas, mais il n'aura de cesse de retrouver sa puissance en s'élevant progressivement sur l'horizon. Ainsi Renaud de Montauban, le plus valeureux des frères Aymon, jeté vers la fin de ses aventures dans le Rhin, est-il élevé en lumière par les poissons, au point que « l'eau elle-même paraît ardente ».

 

 

 

Mais d'autres alignements significatifs convergent sur Toulx. Ceux des Saint-Léger vont faire porter très loin nos investigations. Le premier s'inscrit exactement sur l'horizon ouest de la cité : issu de Saint-Léger Magnazeix, il se dirige vers notre montagne polaire en suscitant sur son passage Saint-Léger Bridereix et le hameau de Puyléger. Le second s'origine à Saint-Léger-la-Montagne, au coeur des monts d'Ambazac, près de l'abbaye de Grandmont, et vise le château de Montaigut-le-Blanc, Saint-Léger-le-Guéretois et Guéret, avant de s'échouer à Toulx.

Pourquoi Saint-Léger ? La biographie du saint va nous livrer quelques éclaircissements.


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