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12 janvier 2006

Où l'on retrouve le Bouvier

C'était encore au XXème siècle... un cluisien féru d'ésotérisme me confia un jour, comme s'il s'agissait d'un lourd secret à ne pas mettre dans toutes les oreilles, que le château de Cluis-Dessous reproduisait la forme de la constellation du Bouvier. Les lecteurs fidèles se souviennent sans doute du pélerinage de Vaudouan, dont j'ai montré que l'itinéraire sur la carte dessinait aussi le tracé de la constellation. Mais à l'époque dont je parle, je n'avais encore rien repéré de tel. Le Bouvier, je ne connaissais même pas son existence. De fait, le château n'évoque que sa forme générale en cerf-volant. Dans les détails, ce n'est pas vraiment ça. Il n'empêche que ça donnait à rêver. Je me demandais maintenant pourquoi, si vraiment il y avait volonté figurative, construire le château sur ce modèle du Bouvier ? Cluis étant en Taureau, sa place dans le zodiaque neuvicien ne permettait pas de répondre à la question.

 

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Et si Cluis-Dessous, me disais-je, n'était que l'un des éléments d'un schéma plus vaste reliant plusieurs lieux sacrés de la terre berrichonne ? Je savais déjà que Maurice Leblanc avait noté, avant d'autres, précisait Jean-Paul Clébert, que les abbayes bénédictines dessinent sur le terrain les étoiles de la Grande Ourse (Histoire et Guide de la France Secrète, Planète, 1968, p. 385). Et Louis Charpentier, dans son livre sur Les Mystères de la Cathédrale de Chartres (Laffont, 1966), avait fait observer que les cathédrales du Nord de la France placées sous le vocable de Notre-Dame (celles des XIIe et XIIIe siècles) reproduisent sur le terrain, presque exactement, la constellation de la Vierge.


Ceci posé, une intuition me fit dessiner presque immédiatement sur la carte la figure du Bouvier : elle s'inscrivait tout naturellement dans le quadrant estival du zodiaque, qui se termine avec la Vierge, où se situe Châteaumeillant (qui prend donc la place de la géante Arcturus, étymologiquement arktouros, le « gardien de l'ourse »). On voit que si les distances entre les étoiles ne sont pas vraiment respectées, les écarts angulaires sont par contre très proches de leurs modèles célestes.

 

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En ce qui concerne les cités ici reliées, il a déjà été montré les affinités de mesure, sinon de plan directeur, entre Cluis, Neuvy et Châteaumeillant ; quant à Aigurande, on sait que c'est la ville près de laquelle naît la Bouzanne, que j'ai nommée la rivière matricielle et dont l'étymologie la rapproche du boeuf (l'église d'Aigurande est consacrée par ailleurs à Notre-Dame). On remarquera que la ligne l'unissant à Châteaumeillant passe près du lieu-dit Ceresse qui, dans un système zodiacal qui serait centré sur Cluis, se placerait sur la pointe du signe de la Vierge. Le nom fait bien entendu penser à Cérès, la déesse latine des moissons. Les deux étoiles placées entre Arcturus et l'étoile γ (Neuvy) seraient représentées par le village de Briantes (sur la commune de laquelle se trouve Vaudouan). Pour des étoiles, le nom est bienvenu...


La figure n'est pas solitaire : l'alignement Cluis-Neuvy désigne, je le répète une fois encore, la ville de Bourges. Or celle-ci se rattache nommément à la constellation de la Grande Ourse, à la faveur d'un jeu de mots, d'une cabale phonétique. Nous voyons en effet le Duc de Berry adopter l'ours comme emblème héraldique personnel : arme parlante dont le choix est fondé sur la proximité phonétique des mots Berry et bär (ours en allemand) ou bear, en anglais : « De même, écrit Gérard de Sorval, que la constellation de la Grande Ourse occupe le centre du ciel dans l'hémisphère Nord, le Berry et sa capitale, Bourges, est situé au centre du royaume de France. » ( Le Langage Secret du Blason, Albin Michel, 1981, p. 63).

Ainsi étaient reliées les deux parties de la province, le Haut et le Bas-Berry, par la grâce d'une symbolique astronomique.

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08 janvier 2006

Echappée : Picasso

Je lis en ce moment Une leçon d'abîme, neuf approches de Picasso, un livre de Jean Clair qui montre comment, dans l'expérience du peintre, la découverte, avant la première guerre mondiale, des objets magiques et rituels de l'Océanie, mais aussi de la sculpture ibérique, de la statuaire romane des églises du nord de la Catalogne, et plus largement du vieux fonds celte de l'Espagne, l'ouvrent "à ce que Rudolf Otto, en 1917, dans son livre sur Le Sacré, appellera le "numineux". Expérience que Clair désigne comme initiatique, et non pas esthétique.

Je traitais de la symétrie dans la dernière note, or j'en trouve mention dans l'essai Eros et Nomos, ce jour même. Je me permets de citer ici un extrait significatif :

"La symétrie est le fait de la nature, jouer de la symétrie est un fait de l'art. Déjouer la symétrie, tromper l'effet de symétrie, rompre la symétrie, renverser ses équilibres, étonner le regard en déplaçant les accents ou en renversant les équilibres est un artifice. Tout comme on accordera au borgne, au boiteux, au bossu des pouvoirs surhumains, on regardera la licorne ou le narval comme des prodiges de la nature. Le peintre, sans doute, oeuvre du côté de cette contre-nature qui engendre des monstres.

Or Priape et Baûbo, on le sait, sont des divinités contrefaites. Kakomorphos, difforme, amorphos, vilain, sans forme, aiskhros, d'une laideur honteuse, est décrit Priape, le fils d'Aphrodite, la déesse à la beauté démesurée, kalos amétrèton. Choïros, petit cochon, pourceau, c'est le nom qu'on donne à la vulve chez les Anciens. Les modernes l'appellent "le barbu". Elle fait partie de ces choses honteuses et risibles "comme le poil, la boue, la crasse" dont parle Platon dans le Parménide. Masculin ou féminin, phallus ou vulve, le sexe, sans forme fixe, sans volume déterminé, sans proprotions repérables, trop petit ou trop gros, toujours disproportionné, échappe à la mesure. Il échappe donc au domaine de l'art. Il relève de ces turpia visa, qui font rougir de honte. Et qui suscitent le désir.

Picasso joue le désir, demesuré, amorphos, kakomorphos, contre l'art et sa mesure.

Car si la symétrie, étymologiquement, est la juste proportion, eu metron, ou la juste mesure, convenons que tout l'effort de Picasso a été d'éviter la symétrie. A cette loi de la nature, il oppose la fantaisie de l'art ; à la règle de l'évolution biologique, les dérèglements du désir. Le corps se découpe et se tord, ne se reconnaît plus, étonne et surprend comme au premier jour où, adolescent, on a vu un corps nu. Et c'est ce premier choc de la nudité que le tableau doit nous procurer : voici la loi de l'art des hommes, qui n'est pas celle de la création des dieux."

Jean Clair (Une leçon d'abîme, Gallimard, 2005, p. 119-120)

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Picasso, Suzanne et les vieillards, 24 août 1955.

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06 janvier 2006

Summetria

Vladimir Rosgnilk ( L'Emergence de l'Enel ou l'Immergence des Repères, Ark'All 1998, p. 950) explique ainsi la méthode de Léon Sprink :

« D'abord Sprink détermine les axes de symétrie de l'édifice, puis il trace des cercles qui reliaient entre eux les points équidistants du centre de l'édifice. Il obtient ainsi un certain nombre de cercles dont il arrive à retrouver les rayons à partir du rayon d'un de ces cercles, en se servant des divisions des cercles par les axes. Cette méthode s'applique depuis les édifices des premiers siècles chrétiens jusqu'à la Renaissance. Sprink fait remarquer que tous les cercles obtenus ne furent peut-être pas forcément utilisés pour l'établissement du plan de la construction. »

 

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Eglise de Youriouv Polski

(Harmonie en 8, tracé Léon Sprink en 1932, in op. cit. p. 956)

Saint-Genès de Châteaumeillant illustre parfaitement cet énoncé : il est aisé d'y reconnaître ce que Sprink appelle une symétrie d'ordre 8 presque parfaite. Le monument s'ordonne selon une série de cercles concentriques équidistants les uns des autres, dont le module de base est le cercle s'inscrivant dans le carré du transept.

 

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La collégiale de Neuvy, cas particulier d'une basilique accolée à une rotonde, présente également une symétrie d'ordre 8. Les cercles sont bien sûr matériellement tracés, du fait de la forme circulaire de l'édifice. Restait à déterminer les axes de symétrie : l'un d'eux relie le centre du rond-point avec le point médian de la porte ouvrant sur le nord. L'axe basilical passant par le centre constitue l'autre axe directeur.

 

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On remarquera d'une part que les axes 1-4 et 7-4 atteignent les angles de la nef basilicale en tangentant les colonnes les plus importantes, et d'autre part que l'axe 2-6 traverse une des onze colonnes de la rotonde, les dix autres se distribuant symétriquement par rapport à lui.

Maintenant, si nous plaquons sur Neuvy le schéma directeur établi pour Châteaumeillant, en prenant soin de respecter d'une part l'orientation, d'autre part l'axe de symétrie traversant la porte Nord, nous sommes frappés par plusieurs coïncidences.

 

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  • Le premier cercle épouse parfaitement le cercle intérieur du rond-point des onze colonnes.
  • Le troisième cercle se confond avec le parement extérieur de la rotonde.
  • L'axe longitudinal rase le mur de séparation entre la rotonde et la nef basilicale et traverse le chevet en tangentant le bord d'une étroite ouverture dans celui-ci.

C'est la très légère distorsion de perpendicularité (2°) entre les axes 4-8 et 2-6 de Châteaumeillant qui entraîne ce dernier effet. Qu'elle soit voulue ne paraît donc pas faire de doute...

Des vertus de l'imperfection...

Rosgnilk écrit plus loin (p. 954) que Sprink s'est aperçu que « dans certains cas il y avait eu des entorses méthodiques à un tracé parfait " et il ajoute qu' "elles semblent correspondre à des exigences liturgiques nouvelles. »

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N.B : Pour une meilleure lisibilité des plans et schémas, vous pouvez télécharger le fichier suivant (en PDF) : Symétries

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02 janvier 2006

Le prince de Saint-Chartier

Au fil de notre périple zodiacal, il est apparu de plus en plus clairement que l'édification de la géographie sacrée se confondait avec l'histoire de la sainteté chrétienne. Le IVème siècle de notre ère me semble constituer le point de départ de cette entreprise spirituelle. A cette époque, les évêques de Bourges sont déjà à la tête d'une immense province ecclésiastique qui incluait les évêchés de Clermont, Rodez, Albi, Cahors, Limoges, Javols (Mende), Le Puy et Toulouse. La cité elle-même était quatre fois plus vaste que Paris et le commerce y était florissant : marchands grecs, syriens et juifs y exercaient leur négoce. Il importe donc maintenant de se pencher plus avant sur les énigmes que Bourges nous présente et, en premier lieu, de revenir sur cet axe véritablement fondateur Cluis-Neuvy-Bourges, qui est apparu au terme de l'examen de la géographie sacrée biturige.

 

 

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Ruines de Cluis-Dessous (photo Etienne Bailly)

 

Partons de Cluis, dont la direction solsticiale d'été au soleil levant n'est pas indifférente. Elle vise Saint-Chartier, au nord de La Châtre, village qui doit son nom au prêtre Chartier qui servait cette paroisse sous l'épiscopat de Sulpice Sévère, à la fin du VIème siècle. Avant de prendre le nom du saint, le village se nommait Lucaniacus,  qui fait directement référence à la lumière (grec, leukos), qui atteint au solstice son apogée. « La naissance de ce nouveau jour, explique G.R. Doumayrou, est traduite seon la tradition par l'apparition d'un nouveau roi, jeune roi ou Dauphin. » (G.S. p. 72). Or les historiens avouent ne pas savoir pour quelle raison les seigneurs de Gargilesse se dessaisissent au Xème siècle du château de Cluis-Dessous (au pied duquel passe la ligne solsticiale), au profit d'Alard Guillebaud, seigneur de Châteaumeillant appelé aussi, mais nous comprenons ici pourquoi, le prince de Saint-Chartier (princeps castelli Sancti Karterii).

 

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Châteaumeillant lui-même vaut qu'on s'y arrête : on sait qu'il s'agit là du Mediolanum de la Table de Peutinger . Son église Saint-Genès est reconnue, à l'instar de la collégiale de Neuvy, comme un des plus remarquables sanctuaires romans du Berry. Or, il est possible de déceler des rapports précis entre les deux édifices ainsi qu'avec l'église Saint-Paxent de Cluis.

Il faut tout d'abord relever une identité de dédicaces : Cluis est sous le haut patronage de saint Paxent (martyr parisien du premier siècle), mais aussi de saint Etienne, premier martyr, comme la collégiale de Neuvy et la cathédrale de Bourges. Et Saint-Genès de Châteaumeillant fut dédiée elle aussi, primitivement, à saint Etienne, le vocable actuel ne datant que du XVIIème siècle.

Ensuite, il se trouve que les dimensions des trois édifices en question se recoupent bien souvent. Jugez-en : la largeur moyenne dans oeuvre de la nef de Saint-Genès est de 5 m 50, ainsi que la largeur moyenne du carré du transept ; à Neuvy, la hauteur à la clef des arcades du rond-point est aussi de 5 m 50, mesure qui est, à Cluis, la largeur du transept. La hauteur à la clef des grandes arcades de Saint-Genès est de 8 m 20, tandis que le diamètre du rond-point de Neuvy est de 8 m 30. La longueur du transept de Cluis est de 18 m, qui est exactement la mesure du diamètre de la rotonde.

On objectera à juste titre qu'il est toujours possible, avec un peu d'obstination, d'isoler des mensurations semblables entre deux monuments par ailleurs sans rapport. Cependant, dans le cas qui nous occupe, il peut être prouvé une conception unitaire, c'est-à-dire non plus seulement quelques analogies numériques mais une véritable relation d'homologie. Il suffit pour cela d'appliquer la méthode adoptée par un certain Léon Sprink dans son étude sur l'Art Sacré en Occident et en Orient.1

 

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1Léon Sprink, L'Art Sacré en Occident et en Orient, essai d'une synthèse, Ed. Xavier Mappus, Lyon, 1962. Mais j'ai recueilli ma documentation dans le tome 3 de L'émergence de l'Enel ou l'Immergence des Repères, de Vladimir Rosgnilk (Ark'All, 1988).

23:40 Publié dans Scorpion | Lien permanent | Commentaires (0)