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25 août 2005

La Chapelle-Aude

Trouvé tout récemment sur le net, le document de l'Ecole des Chartes sur les possessions de Saint-Denis, non seulement m'a confirmé ce que je savais déjà de Reuilly par une autre source, mais aussi m'a appris l'appartenance à l'abbaye royale de La Chapelaude et de Vaux.

La Chapelaude, je connaissais : j'ai souventes fois traversé cette bourgade de l'Allier en me rendant à Montluçon. Son nom est une contraction de la Chapelle-Aude (Capella Aude du cartulaire blanc de Saint-Denis). Ce que désignait ce nom de Aude fut la première question que je me posai. La réponse vint rapidement : il s'agirait d'une moniale disciple au VI ème siècle de Sainte Geneviève. Le legs de la terre de la Chapelaude se situe, lui, au XIème siècle. Voici ce qu'on peut lire sur un site intéressant consacré au canton d'Huriel : « En 1060, le chevalier Jean de Saint Caprais, avec l'assentiment d'Humbault le Vieux, sire d'Huriel, donne à Rainier, abbé de St Denis, le terroir du Mont-Jullian. L'abbé y fait alors élever un prieuré à l'origine du bourg actuel, appelé successivement La Chapelle, La Chapelle Saint Denis, La Chapelle Audes puis La Chapelaude. »

Nous ne sommes guère qu'à une vingtaine de kilomètres, à vol d'oiseau, de Toulx Sainte-Croix. Je trace alors la ligne réunissant les deux localités et je m'aperçois qu'elle vise, au-delà de la Chapelaude, le bois d'Audes, près du village précisément nommé Audes (et dont l'église, je le découvre peu après, appartenait elle aussi à l'abbaye de Saint-Denis).

Quand on met à jour une telle association, on y regarde ensuite d'un peu plus près. Or, si mes calculs sont bons, La Chapelaude indique, par rapport à Toulx, le lever héliaque au solstice d'été.

 

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On peut d'ailleurs se demander si le choix de Aude, au-delà de la sainte référence historique qui rattache clairement le prieuré à Paris et Saint-Denis, ne relève pas d'un jeu de mots avec aube (alba) ?

Est-ce fortuit également de constater que non loin de La Chapelaude se situe le village de Vaux, sur les rives du Cher, qui fait écho à Vaux, la possession poitevine des dyonisiens ?

De ce Vaux picton, parlons-en, en retrouver la trace fut une autre paire de manches...


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22 août 2005

Saint-Denis-de-Jouhet

« En 1140, la plus royale des églises n'était pas une cathédrale, mais un monastère : saint-Denis-en-France. Depuis Dagobert, les successeurs de Clovis avaient choisi ce sanctuaire pour nécropole, et les trois races qui successivement dirigèrent le royaume n'avaient cessé d'y ensevelir leurs morts ; Charles Martel, Pépin le Bref, Charles le Chauve y reposaient dans le caveau royal près de Hugues Capet, de ses ancêtres les ducs de France, et de ses descendants, les rois. » (Georges Duby, L'Europe des Cathédrales, 1140-1280, Skira, 1984, p. 13)


C'est dans la crypte de Saint-Denis que ces rois descendaient chercher l'oriflamme déposée sur les reliquaires des saints martyrs. « Le vitrail de Saint Denis à Chartres (vers 1210/1220), les descriptions et les meilleures peintures des XIIIème et XIVème siècles montre qu'elle consistait en une bande de soie légère, rouge uni (couleur impériale ou encore celle du martyr, en l'honneur des saints Denis, Rustique et Eleuthère), assez longue, découpée de deux, trois ou cinq queues, ornée de houppes vertes et attachée par des anneaux à une lance dorée pouvant tuer l'ennemi » (Encyclopaedia Universalis, Thesaurus, p. 2177). On l'appelait aussi, du fait de sa provenance, l'enseigne Saint-Denis. On raconte qu'à Roosebeke, en 1382, les armées étant sous la bruine, le soleil ne daigna se montrer que lorsque l'oriflamme fut déployée : les Français de Charles VI purent alors assaillir les Flamands et les écraser.

L'oriflamme fut ainsi un des signes de ralliement autour de la puissance royale, à l'instar du cri de guerre des Capétiens : Montjoie Saint-Denis ! qui succéda au simple Montjoie ! des XIème et XIIème siècles. Ce terme de Montjoie, que j'ai déjà évoqué, mérite un approfondissement particulier.

Selon Anne Lombard-Jourdan, entre autres, il dérive du francique mundgawi, « protège-pays » : « Après avoir localisé au nord de Paris, dans la plaine du Lendit, le "lieu consacré, au centre de la Gaule" dont parle Jules César, elle indique comment ce sanctuaire où s'assemblaient les druides se développa autour de la "Montjoie", tombe de l'ancêtre héroïsé protecteur du pays. Dans le but de masquer et d'exorciser ce lieu de culte païen, les premiers chrétiens situèrent à cet endroit précis le martyre de saint Denis et sainte Geneviève érigea à proximité la première basilique dédiée à celui-ci. Saint-Denis devint l'équivalent et le substitut du "Protège-Pays". Son nom rejoignit celui de "Munjoie" dans l'appel des guerriers en détresse » (Note de l'éditeur). Plus largement, la montjoie désignera toute éminence, colline ou tas de pierres servant à indiquer la voie d'un pélerinage. C'est le lieu de se souvenir que sur l'axe Autun – Saint-Maixent, un des premiers indices relevés fut un Montjouan. Or, un axe quasi perpendiculaire à celui-là, passant par Montjouan, se dirige au nord vers Saint-Léger-de-Fougeret et au sud vers la grande ville de pélerinage de Paray-le-Monial en traversant Gueugnon, Chevagny et Saint-Léger-les-Paray. Tout en passant près de Mont Dardon et du hameau de Dardon, qui évoquent fortement Dordon, le lieu de naissance des fils Aymon.

 

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Eglise de Saint-Denis-de-Jouhet

Saint-Denis-de-Jouhet n'aurait-il pas la même fonction indicatrice ? N'a-t-on pas cultivé l'identification, toutes proportions gardées, avec le Saint-Denis de l'Ile-de-France ? Ainsi, de même que celui-ci est célèbre au Moyen Age pour sa foire du Lendit « où les bateliers de Seine, écrit Duby, venaient charger les fûts de vin nouveau pour les conduire vers l'Angleterre ou vers la Flandre », Saint-Denis -de-Jouhet est connu dans toute la région pour sa foire annuelle (à l'origine, dédiée aux chevaux), le 4 octobre. La date mérite examen : deux jours avant, le calendrier marque la Saint-Léger et, cinq jours après, indique la Saint-Denis.

 

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Un nouvel alignement dirigé pratiquement plein Nord, en direction donc de Paris et de Saint-Denis achèvera de fonder notre conviction : issu donc de Saint-Denis-de-Jouhet, il remonte à Saint-Denis, faubourg d'Issoudun (ancienne ville royale, qui reçut une charte de franchises de Charles VII et Louis XI lui concédant sept foires annuelles) et traverse le Bois Saint-Denis, à la sortie de Reuilly, non sans avoir frôlé au passage le hameau de Saint-Léger (unique exemple de ce toponyme dans le département de l'Indre).

Et il faut enfin savoir que l'église primitive de Reuilly, église Saint-Denis il va de soi, appartenait en propre à l'abbaye Saint-Denis-de-France.

 

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Doc : Ecole des Chartes

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21 août 2005

Signum Leonis Signum Arietis

Après ces détours par la Bourgogne et le Poitou, retour sur nos terres de Berry et de Marche, en ce secteur du Lion dominé par la haute présence de Toulx Sainte-Croix. Le « rex animalium », le roi des animaux, y incarne la puissance souveraine et la force noble, la magnificence des étés et le feu rayonnant. « Pleine flamme de vie », déclare l'astrologue André Barbault. Aussi ne faut-il pas s'étonner de rencontrer dans cette zone un Lusignat, à quelques kilomètres au sud de Toulx, et un hameau dit Lusignan, près de Saint-Denis-de-Jouhet, faisant écho tous les deux au Lusignan de Bélier où triomphe le feu initial. Cette résonance entre les deux signes de feu a trouvé sa plus belle expression artistique dans un marbre conservé à Toulouse, au Musée des Augustins :

 

 

Deux femmes tiennent dans leurs bras l'une un lion, l'autre un bélier. Signum Leonis Signum Arietis, lit-on de chaque côté des têtes. Cette oeuvre datée du premier quart du XIIème siècle reste énigmatique pour les historiens : « Cette sculpture, dont les étrangetés n'ont pas fini d'intriguer, a fait l'objet de plusieurs interprétations, mais aucune de ses explications n'est satisfaisante. » (Corpus des inscriptions de la France Médiévale, 7, ville de Toulouse, CNRS, Paris, 1982, p. 61) « Le pied nu et le pied chaussé de chacune des deux femmes, lit-on un peu plus loin, constituent une figuration qu'offrent plusieurs bas-reliefs antiques. Cette représentation connue de la parthénogenèse, traduit également une démarche religieuse. Ainsi dans l'Enéide, Didon s'approche des autels un pied dépouillé de ses bandelettes, la robe dénouée, pour prendre à témoin avant de mourir les dieux et les constellations qui sont au courant de son destin. »

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Suicide de Didon
Bibliothèque Nationale de France
Français 60 fol. 148
Paris, XIVe s.


C'est maintenant vers Saint-Denis-de-Jouhet que nous allons diriger nos regards.

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18 août 2005

L'autre Léger

Je l'ai découvert par  hasard au cours de mes dernières recherches internautiques, sur le très riche site de Jacques Duguet,  Etudes et documents historiques sur la région Poitou-Charentes. Dans le fatras de résultats de googlage  sans intérêt, d'offres de location et de ramifications généalogiques interminables, émerge parfois une page qui ouvre soudain d'autres perspectives. C'est le cas ici. Je résume la biographie qui est donnée de ce Léger qui, bien que religieux, n'a pas été canonisé. D'origine inconnue, il apparaît comme archidiacre de Thouars le 10 février 1096, dans un acte par lequel Pierre II, l'évêque de Poitiers, rétablit la discipline ecclésiastique dans l'abbaye d'Airvault. Immédiatement, cette date nous interpelle : c'est cette année-là que le pape Urbain II avait donné à Robert d'Arbrissel mandat d'être un " semeur du verbe divin ". Nous avons vu naguère le rôle important du prédicateur breton dans l'édification de la géographie sacrée.

Revenons sur cette fonction d'archidiacre de Thouars (ville près de laquelle nous avons décelé un alignement de saint-Léger). En 1096, le diocèse de Poitiers comptait trois archidiaconés : outre Thouars, il y avait Poitiers et Brioux. Archidiacre, saint Léger l'avait été, je le rappelle,  avant de rejoindre l'abbaye de Saint Maixent. De Saint-Maixent, il est d'ailleurs question le 15 janvier 1099 : Léger souscrit alors pour son évêque qui donne à l'abbaye les églises de Nanteuil, d'Augé et de Romans. La même année, il assiste au concile de Rome cette fois en qualité d'archevêque de Bourges. « Il ne rompt pas toutefois avec Poitiers et, dans les premières années de sa nouvelle charge, on le voit intervenir dans les affaires de son ancien diocèse. Avant le 23 mai 1100, il souscrit en compagnie des archidiacres Hervé, de Brioux, et Pierre Gautier, de Poitiers, et en l'absence de celui de Thouars, une confirmation des acquisitions de l'abbaye de Saint-Cyprien, faite par Pierre II à la demande de l'abbé Rainaud. En 1104 ou 1105, un plaid réunit autour du duc et de l'évêque une nombreuse assistance de dignitaires ecclésiastiques, pour terminer un conflit entre l'abbaye de Saint-Maixent et Hugues de Lusignan; c'est encore Léger qui représente le pays thouarsais; il est désigné en tête des assistants. C'est sans surprise qu'on le voit présider, en 1107, une cour convoquée par l'évêque pour trancher un litige au sujet de la possession de l'église Saint-Laon de Thouars; parmi les chanoines de Saint-Laon délégués pour défendre les intérêts de leur communauté, on remarque un certain "maître Chauchard, archidiacre de Bourges", qui a dû être appelé en Berry par l'ancien archidiacre de Thouars. »

Léger meurt le 31 mars 1120 et est inhumé « dans le diocèse qu'il a administré pendant une vingtaine d'années au prieuré d'Orsan fondé par son ami Robert d'Arbrissel. »

 

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 Jardin du prieuré d'Orsan

Ce bref portrait, certainement très lacunaire, permet néanmoins de considérer Léger comme un personnage essentiel dans le processus de construction de l'espace sacré berrichon-poitevin (ou pictavo-biturige, si l'on veut). Qu'il soit enterré à Orsan, terre fontevriste, n'est pas fortuit. Qu'il porte le nom d'un saint des plus populaires, patron de nombreuses églises et abbayes, ne l'est pas moins. C'est la puissance spirituelle du martyr qu'il investit symboliquement.




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16 août 2005

Se l'estoire ne ment

Donnons un dernier exemple montrant l'étroite association symbolique entre saint Léger et Bayart sous l'égide solaire. Léger, comme les fils Aymon, fut très populaire dans les campagnes : son martyr s'apparentait en quelque sorte aux souffrances du cheval et des quatre frères traqués sans relâche par Charlemagne. Dans l'une des chansons de la geste, l'empereur fait suspendre au cou de Bayart une meule de moulin, et du pont de Meuse le fait précipiter dans le fleuve. Le cheval s'enfonce aussitôt dans les flots à la grande douleur des autres chevaliers présents, mais il parvient ensuite à briser la pierre, traverser le fleuve et fuir dans la grande forêt de l'Ardenne. « On a dû jadis, assure Henri Dontenville, d'un côté comme de l'autre du Rhin, éprouver des chevaux sacrés, observer s'ils pouvaient, bien entravés, traverser une rivière, et cette pratique s'alliait, à n'en pas douter, au culte de l'astre solaire ; il devait s'agir de provoquer la renaissance ou le maintien de l'astre en sa puissance. Trois lignes du poème, que nous pouvons citer dès maintenant, glorifient inconsciemment le solstice d'été. Bayart échappe à l'empereur chrétien, erre, sauvage et libre, dans la forêt :

Encor i est Baiars, se l'estoire ne ment,
Et encore l'i oït-on, a feste sainct Jehan
Par toutes les années hanir moult clerement. »

(La France Mythologique, p. 108)


Or, lorsque les troupes protestantes du maréchal d'Aumont, comte de Châteauroux, assiégèrent en vain la ville d' Autun en 1591, du 18 mai au 21 juin, cette délivrance fut attribuée à une mystérieuse apparition de saint Léger, si bien que fut instituée, tous les 21 juin, la fête de l'apparition de saint Léger. Est-il besoin de préciser que le 21 juin est précisément la date du solstice d'été ?


 


 



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