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22 décembre 2007

La Malnoue, saint Généfort et la Vierge au goître

Revenant du Musée Bertrand jeudi dernier, je me suis attardé un moment au Plaisir de Lire, la petite librairie solitaire du bout de la rue Grande. En feuilletant un livre sur Les Mystères du Berry, j'ai trouvé de nouvelles informations bien intéressantes. Je me méfie en général de ce genre d'ouvrages qui aime à monter en épingle les soi-disant traditions de sorcellerie berrichonne. Je ne prétends pas qu'elles n'existent pas, mais elles occupent dans l'esprit du paysan berrichon beaucoup moins de place qu'on a bien voulu le faire accroire. Une enfance tout entière passée à la campagne fonde ma conviction sur ce point. Certes, il existe de nombreux "panseurs" et guérisseurs ; une véritable médecine traditionnelle perdure discrètement. Cela n'a pas grand chose à voir avec la sorcellerie. Jamais je n'entendis parler de sorcier ou de sorcière avant certaines émissions de télévision qui firent grand bruit.
Bref, je feuillette le livre (que je n'achète point, que l'auteur - Jean-François Ratonnat -  m'en excuse) - une sorte de compilation où se mêlent jeteurs de sorts, légendes, saints et sources miraculeuses. A l'article Chabris, je n'apprends rien de plus sur saint Phalier ; en revanche, je découvre des aspects de Chaon tout à fait inédits pour moi. Chaon, qu'on se rappelle, est cette petite ville au sud de Souvigny-en-Sologne qui fleure bon le Chaos... Il est d'ailleurs curieux qu'elle soit répertoriée en Berry, mais il est vrai que nous sommes dans une zone frontalière.

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De mémoire, je vous redis ici ce que j'ai lu. Tout d'abord sous l'église du village coulerait la Malnoue, une rivière souterraine, fille du Diable, qui serait à l'origine de certaines crues catastrophiques. On entendrait son murmure inquiétant si on plaçait son oreille contre la dalle.

En cherchant sur le net, j'ai appris que la Malnoue était une légende commune à toute la Sologne, recouvrant une entité géologique tout à fait réelle, à savoir une nappe phréatique très importante : "La légende de la Malnoue, est partout dans la Sologne et l’on affirme que dans certains de ses exécutoires l’on envoya des canards bagués dont certains refirent leurs apparitions dans la source du Loiret. Si cela est le cas, cela referait l’histoire du Loiret qui ne serait donc pas seulement alimenté par des pertes de la Loire, mais aussi par une nappe phréatique de la Sologne." Sur un site perso, un certain Antoine Peillon définit ainsi la Malnoue : " Selon d'anciennes légendes de Sologne, on appelait "malnoues" les mares et les étangs ensorcelés, où le malin engloutissait celles et ceux qu'il destinait à ses marmites infernales. Chants mystérieux, silhouettes de jeunes femmes dévêtues, gibiers fabuleux... : autant de sortilèges qui attiraient fatalement les bergères trop curieuses, les avides braconniers et les voyageurs égarés par la brume, jusqu'aux vases maléfiques des malnoues. Dans La Malvenue de Claude Seignolle, le meunier de Ménétréol explique aussi : "En ce moment, sous nos pieds, il y a un grand fleuve qui court d'un bout à l'autre de la grande bouche de la Loire. Toute la Sologne flotte comme ces îlots d'herbes que tu vois sur les étangs. Ce fleuve, d'aucuns l'appellent la Malnoue, on dit qu'il va se jeter dans l'Océan, toujours courant par en dessous la terre."

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Ce roman de Claude Seignolle (par ailleurs auteur lui-même d'un ouvrage sur le Berry des traditions et des superstitions) est décrit ainsi par Roland Ernould : "Dans La Malvenue  le récit s'organise surtout autour du marais qui jouxte les champs peu généreux du paysan Moarc'h, un breton venu dans le pays jadis. Lieu réputé aux alentours comme habité par une entité maléfique, s'y risquer ne peut amener que la mort du téméraire. Or, par appât du gain, Moarc'h a commis une double violation en cherchant à gagner de la terre sur le marécage. En fin de journée lui a pris l'idée d'aller plus loin que ses limites ordinaires, et il a volé au marais quelques sillons complémentaires, alors qu'un pressentiment l'en détournait :"Quelque chose l'oppresse. Il se sent seul avec ce mystère dont il se gaussait avant. Il a soudain envie d'en finir, de rentrer à la Noue. Mais un sillon en appelle un autre, aussi vrai qu'un verre demande à être rempli aussitôt vide." (268)Cette première transgression, pénétrer la nuit tombante dans l'espace maléfique de la Malnoue, rivière souterraine liée à Mélusine, est doublée d'une seconde, une profanation, puisqu'il a tranché avec le soc de sa charrue la tête d'une statue. Il l'emporte chez lui.

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Cette relation à Mélusine nous intéresse bien sûr au plus haut point ; R. Ernould développe cette allusion un peu plus loin : "Le marais dépend du vaste ensemble hydrogéologique de la Malnoue, nappe d'eau ou fleuve souterrain, symbolisé par l'évocation de Mélusine, bien connue en Bretagne. Mélusine a une double caractéristique aquatique et lunaire, et elle est considérée comme ayant un pouvoir de fécondité. La tête de la statue a eu jadis un pouvoir érotique puissant. La femme de Moarc'h ne pouvait pas avoir d'enfant et son époux n'était guère vaillant au lit. Mais la nuit où la pierre pénètre dans la maison, les époux entrent en émoi et conçoivent l'enfant, une fille, Jeanne."

Tout ceci confirme en tout état de cause la place essentielle des sources sacrées qui a été mise en lumière lors de l'inventaire des Souvigny.


En ce qui concerne les statues, l'église de Chaon en renferme deux de première importance. Tout d'abord un saint Généfort, dont le rôle aurait été, selon l'auteur,  de vivifier les "membres faibles" (en interprétant donc la racine gen comme celle de la génération, comme avec saint Genou). Autant dire qu'il serait là l'analogue de saint Phalier. Nous connaissons bien saint Généfort qu'Anne Lombard-Jourdan rapproche de Sucellus- Cernunnos, à la faveur d'une autre étymologie (le verbe guiner qui voudrait dire frapper). Il n'y a peut-être pas d'antinomie entre les deux propositions et Généfort/Guinefort condenserait les deux symbolismes sexuel et guerrier si l'on veut bien admettre, comme je le suggérai récemment,  que "sur le système symbolique celtique, les Romains ont greffé ensuite leur propre mythologie, sans toucher à l'essentiel. Ainsi Priape se serait-il plus ou moins substitué à Sucellus, sans doute par le truchement d'une divinité comme Sylvain qui présente des caractères communs aux deux divinités en question. "


La seconde statue est celle d'une Vierge dite au goître, une représentation très inhabituelle de la madone. Rappelons que le goître, affection résultant d'une hypertrophie de la thyroïde (maladie fréquente chez les solognots, explique Ratonnat, mais cela ne saurait justifier qu'on en affuble la Mère du Christ), tire son nom du latin guttur, gorge. Et nous sommes donc là en totale cohérence avec le symbolisme de saint Blaise du Souvigny voisin dont j'ai parlé naguère.


Et ce n'est sans doute pas  fortuitement que Seignolle choisit le prénom de Blaise pour l'amoureux de la Malvenue :

"Après diverses péripéties, la Malvenue jette les débris de la tête de la statue dans le marais, avec des conséquences physiques et météorologiques, comme toutes les fois où une puissance infernale est concernée :"La surface écume en gros bouillons qui montent du fond et éclatent avec des puanteurs fétides. On dirait que la Malnoue est soudain un immense chaudron bouillant sur une des bouches de l'enfer". (356)L'orage éclate, électrise la Malvenue, qui offre son pucelage à l'amoureux qui l'avait accompagnée :"Jeanne tire Blaise à elle. Il s'allonge à côté d'elle, sous la pluie, dans la boue. Blaise veut le corps de Jeanne. Il tire l'étoffe collée à la peau. La fille s'allège pour l'aider. Il pleut, pleut... Blaise s'impatiente. il a un geste plus brusque. Tout vient d'un coup. L'eau du ciel ruisselle, ruisselle... Jeanne est nue, luisante de pluie. Elle dresse les bras et les referme sur Blaise." (359) La Malvenue ne pouvait devenir femme que dans l'élément constitutif de la Malnoue, l'eau, et sous l'influence de Mélusine, son entité."

 

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Pour finir :

le 3 février 1978, jour de saint Blaise, Truphémus et Calaferte conversent à la suite d'une exposition de peinture qu'ils ont jugé sévèrement :

 "(...) Nous sommes tombés d'accord sur cette constatation que ce que nous apprenons au cours de notre vie et grâce à nos travaux n'est que confirmation de ce que nous pressentions dans notre jeunesse, alors que mille connaissances nous faisaient encore défaut.

- Nous ne faisons en vieillissant, m'a-t-il dit, que nous approcher du noyau.

- Mais nous savions à seize ans que le noyau existe, ai-je ajouté, à son approbation."

(Le Spectateur Immobile, Carnets IV, p. 21)




20 décembre 2007

L'Esprit de la Salamandre

5dcc2eb368126fb7f4c17397d7974b36.gifIl y avait longtemps que le facteur de coïncidences n'était pas passé. Et puis voilà qu'hier il est apparu à l'improviste, comme à son habitude. Je venais juste de terminer la lecture de La Montagne magique, excellente bande dessinée du japonais Jiro Taniguchi. Je n'en donnerai pas ici le résumé ( cliquer sur les liens pour l'avoir) ; il suffira pour mon propos de savoir que l'un des personnages principaux n'est autre qu'une salamandre, prisonnière, au début du récit, du petit musée de la ville, et qui se révèlera comme étant l'esprit gardien de la montagne qui la domine. Taniguchi, dans un riche entretien  avec Stéphane et Muriel Barbéry (l'auteur du surprenant best-seller, L'élégance du hérisson), nous livre l'origine du choix de cette salamandre géante du Japon : "J’en avais vu une vivante dans le musée de ma ville et j’en avais gardé une impression très forte : un animal qui peut vivre plus de cent ans, est amphibie, continue à vivre s’il est coupé en deux, ne peut vivre que dans une eau parfaitement pure, etc. Je n’ai pas fait de recherches particulières pour faire la part de la réalité et de la mythologie, mais j’ai eu envie de la choisir pour mon histoire parce que c’est un animal extraordinaire, associé à des phénomènes surnaturels."


Sur ce, j'enchaîne sur la lecture du dernier Chronic'art (ou plus exactement, je la reprends, l'ayant déjà entamée la veille). Chronique *Warez#41, page 12,  Le mutant du mois : désigné ainsi, c'est Thierry Ehrmann, milliardaire ultra-controversé, créateur entre autres du site art-price.com, leader mondial de l'information sur le marché de l'art.
L'auteur de l'article conclut ainsi : " En 2006, Thierry Ehrmann atteint la 237ème marche du podium des 500 plus grosses fortunes françaises. Mais Thierry Ehrmann n'est pas seulement riche, il "mène une vie bicéphale" qui explose en 1999 avec la fondation du musée "l'Organe" (avec le A de anarchie). Son idée : transformer systématiquement  et progressivement la villa bourgeoise de 12000 m2 qu'il possède dans la banlieue lyonnaise en "monumentale création artistique", où se succèdent, entre autres, piscine de sang et ruines du World Trade Center. 45 artistes pour un happening continu, un procès avec le maire de la commune, 6000 visiteurs par week-end et beaucoup d'ésotérique, telle est sa Demeure du Chaos "dont la dualité est l'Esprit de la Salamandre, le souffle alchimique"."

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L'esprit de la salamandre soufflait-il aussi sur moi en cet après-midi de froidure ? J'éprouvais une nouvelle fois cette petite commotion que procure l'irruption de la coïncidence. Celle-ci était d'autant plus troublante qu'elle était associée à la notion de chaos, sur laquelle  j'ai abondamment disserté ces derniers temps.


Je réfléchissais encore à cette rencontre ce matin, en voiture, dans les rues de Déols, lorsque j'ai allumé la radio. Sur France-Inter, à l'heure de la rubrique Interactives, je tombai sur Monseigneur Barbarin, primat des Gaules, archevêque de Lyon, répondant aux questions des auditeurs. Or, Philippe Barbarin est directement lié à l'histoire de la Demeure du Chaos : la lecture des sites sur l'affaire Ehrmann m'ayant appris qu'une véritable guerre de religion opposait les deux hommes depuis quelques mois : " Depuis sa nomination au siège primatial des Gaules, cinq ans se sont écoulés où, le vice-benjamin du sacré collège, Monseigneur Barbarin a démontré sa stratégie « faite d'ombre et de lumière mais qui est pour le moins redoutable par ses incursions dans la société civile » analyse Thierry Ehrmann. Selon lui, ce n'est donc pas par hasard, si, un beau matin, l’archevêque de Lyon déclare au Progrès, après une question pertinente sur la polémique de la Demeure du Chaos et sa position sur le plan de l'art : "ce n'est pas de l'art mais la négation de l'art. Ce n'est pas un bon signe quand on arrive à faire coïncider chaos et œuvre d'art."


Plus curieux encore : Mgr Barbarin n'est pas sans lien avec le Berry, puisque ses racines familiales sont pour une part à Aigurande ( qui est par ailleurs la  ville où j'ai séjourné le plus longtemps  dans ma propre enfance). Il le rappelle lui-même dans son dernier discours de remerciement prononcé à Lyon il y a deux jours seulement (nous sommes dans l'actualité la plus brûlante) :

"Certes, je suis heureux d’avoir découvert, après de petites recherches généalogiques, les racines multiséculaires de ma famille, dans cette terre de France, à Gramat, dans le Quercy ou à Aigurande en Berry où l’on rencontre des traces de la famille dès 1450. Mais l’ancienneté ne donne aucun droit ni aucune supériorité, et ceux qui font partie de l’Église ou de la nation en sont membres à part entière, quelle que soit leur date d’arrivée dans la communauté. Je ne sais si s’applique en ce domaine la phrase de Jésus qui dit : « Les premiers seront les derniers », mais ce dont je suis sûr, c’est de l’importance de l’aujourd’hui, présent presque à toutes les pages de l’Évangile, et encore dans celle qu’il nous était donné de méditer ce matin (Luc, 5, 26)."


Remarquons aussi qu'avant Aigurande, Philippe Barbarin cite Gramat en Quercy. Or, qu'est-ce que le Quercy ? sinon la province dont Cahors est la capitale.
Le chaos à la racine même des Barbarin...

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Jacques Truphémus,  Fenêtre en Cévennes, huile sur toile, 2003

 

Dernière petite chose : cet après-midi, je visitais le Musée Bertrand, l'occasion de revoir les restes du tympan de Déols et la stèle de Cernunnos, et j'appris de la bouche même de la conservatrice qu'une des prochaines expositions au couvent des Cordeliers serait consacrée au peintre lyonnais Truphémus.

Je ne connais guère sa peinture, mais je me souvenais que son nom était souvent cité par Louis Calaferte, lorsque je découvris son Journal en 1993 (acheté dans un magasin de récupération de stocks d'usine - Récup'Auto). Calaferte, l'anarchiste mystique, peut-être le seul qui aurait pu réconcilier, qui sait ? Ehrmann et Barbarin... Je reprends le volume pas ouvert depuis longtemps et je ne peine guère  à trouver le passage suivant : " Quelques heures en compagnie d'un homme de la qualité de Truphémus est un privilège pour l'esprit." (Le spectateur Immobile, carnets IV, 1978-1979, L'Arpenteur, p. 79)

Or, dans le billet de Lyonpeople déjà cité, on peut lire : "Sa rencontre avec Jacques Truphemus nous apprend que le cardinal aime les arts et les lettres chez ses protégés. Alors pourquoi une telle violence contre les 2 700 œuvres de la DDC ?"