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Denis Gaulois (17) : Déols, Cahors et le chaos

"Avant que de retourner à Bourges, le patriarche Ursin recommanda au père gaulois de penser souvent à la loi de Dieu ; il lui répondit qu'il ne l'oublieroit jamais.

Le même jour, au soir, Denis gaulois fut à l'oraison ; étant à genoux, les bras croisés, il mourut après l'oraison. Le religieux voulut lui parler, mais il fut surpris de voir son seigneur mort. Il en avertit Léocade qui vint avec sa famille et ses gens ; il le fit enterrer dans le même endroit. Il fut fort regretté de tous les habitants de ses cantons.

Léocade, Ludre et ses gens eurent bien de la peine à contenir les animaux du défunt : ils pleuroient leur maître et vouloient entrer dans la chapelle.

Léocade fut héritier de tous les biens de Denis Gaulois ; mais il ne garda pas longtemps les animaux, qui moururent bientôt après leur maître."

Le retour d'Ursin à Bourges coïncide donc avec la mort presque subite de Denis Gaulois : ces deux personnages patriarcaux sont comme des avatars de cette antique divinité  désigné aussi comme l'Homme Sauvage, celui qui vit au milieu des animaux. La douleur de ceux-ci au trépas de Denis, leurs pleurs et leur décès rapide après celui de leur maître, montrent encore une fois le lien viscéral, organique qui les reliaient. Ursin, l'ours (ursus) désigne une nouvelle fois la direction boréale.
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De ce tropisme, on peut voir une dernière illustration avec le tympan du Christ de Déols, dont quelques fragments sont conservés au Musée de Châteauroux. Selon Jean Favière (Berry Roman, Zodiaque, 1970, p. 201), il évoque "plus spécialement le Christ du tympan de Cahors." Or Cahors est situé au Nord géographique de Toulouse, l'autre grand centre zodiacal héritier des omphaloi égéens. Le tympan lui-même de cette cathédrale Saint-Etienne est celui du portail Nord.

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Le socle sur lequel repose le Christ de Déols est porté par deux animaux : le lion et le dragon. "Cette représentation des symboles de l'Antéchrist et du Diable suivant Honorius d'Autun, poursuit Jean Favière, fréquente dans la sculpture gothique, est unique dans l'iconographie des portails romans."

Est-ce là encore un écho à Cahors, que Doumayrou rattache au chaos primordial ? "Ce nom, ainsi que celui du Quercy, vient des celtes Cadurques, avec le souvenir des racines grecques cha, s'entrouvrir (d'où vient chaos) et chad, prendre, saisir, caractérisant l'avidité bien connue de cette gueule d'enfer qu'est le chaos." (Géographie sidérale, p.168)

Cette représentation répond en tout cas, sur le territoire berrichon, à la présence en bas de l'axe Cancer-Capricorne, des villages de Mortroux, Moutier-Malcard, Malval, Châtelus-Malvaleix, qui tous portent la marque d'un symbolisme "maléficié". Malval, la "vallée mauvaise", est ainsi l'exact opposé de la montagne céleste que figure  le pôle déolois.

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18 avril 2007 | Lien permanent | Commentaires (2)

Denis Gaulois (18) : D'argent et de gueules

"Ensuite Léocade écrivit à Rome et marqua son aventure à quelques sénateurs romains ; il leur disoit : Quoi que vous m'ayez nommé gouverneur de la Gaule, il m'a fallu l'être aussi des habitants de Bourger et des cantons. Je fais actuellement ma demeure dans le canton de Déols ; j'ai fait bâtir des temples ; je me suis fait baptizer, ainsi que ma famille et mes gens ; j'observe la loi de Dieu et je la fais observer à tous ceux de mes cantons ; je suis nommé prince de Déols, gouverneur de la Gaule en Berry. "

"Telle est la légende de Denis Gaulois, conclut le docteur Fauconneau-Dufresne, qui se trouve en tête de la pièce intitulée : .Petite chronique et généalogie des seigneurs qui ont possédé les terres de Déols et Châteauroux, depuis l'an 218 jusqu'en 900, et depuis l'an 900 jusqu'à l'an 1620, et les dons qu'ils ont fait"

Avant de conclure à mon tour cette petite étude de la légende, je voudrais revenir sur  un point d'héraldique abordé récemment.
J'ai dit qu'Argenton possédait au centre de ses armes celles de Déols. Pour être plus précis, il s'agit d'un demi écusson fascé d'argent et de gueules.
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Blason d'Argenton
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Blason de Déols
 

Ces deux couleurs apparaissent également dans le blason des Chauvigny, qui succèdent aux princes de Déols à partir de 1187. D'ailleurs ce sont leurs armes qui figurent aussi en haut à gauche du blason d'Argenton (d'argent à cinq fusées et deux demies de gueules accolées et rangées en fasce, accompagnées en chef d'un lambel de six pendants du même).

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Par sérendipité, j'ai découvert ensuite qu'argent et gueules étaient également les couleurs de Dol-de-Bretagne, dont j'ai déjà mis en relief la parenté étymologique, géophysique et mythologique avec Déols.

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Pour être tout à fait précis, le blason actuel de la ville est très différent, mais le site Geobreizh confirme bien que "
Le premier blason de l'archevêché de Dol datant de 1173 était de gueule fuselé d'hermine (rouge avec des losanges d'hermine). Le second était écartelé d'argent et de gueules."
Pourquoi maintenant ces deux couleurs : d'argent et de gueules ? Selon le tableau de correspondances des couleurs héraldiques établi par Gérard de Sorval (Le langage secret du blason, Bibliothèque de l'Hermétisme, Albin Michel, 1981, p.108-109), Argent peut être rattaché à la Lune et à Artémis, tandis que Gueules est logiquement dévolu à Mars. Or, nous avons encore en mémoire les épisodes mythologiques du sarcophage de saint Ludre, où Artémis se taillait la part belle. Marc Lebeau avait justement fait observer que la relation Bélier-Capricorne visible sur le terrain avec Argenton-Leucade se reflétait dans la légende où Méléagre, le tueur du sanglier de Calydon, était selon certaines sources considéré comme le fils d'Arès.


Ici se clôt notre périple capricornien. Je laisse à chacun le temps de la réflexion, le temps d'une pause océane ainsi que nous en avons pris l'heureuse habitude. Les commentaires seront aussi momentanément fermés. Au retour, nous arpenterons enfin les terres encore indéfrichés de Verseau (le seul signe qui n'a pas encore sa catégorie). Merci à vous tous, lecteurs de plus en plus nombreux, qui me donnez désir et courage de continuer ce voyage en symbolisme.


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22 avril 2007 | Lien permanent | Commentaires (2)

Denis Gaulois (1) : les licornes sans cornes

Je vous propose de suivre pas à pas, sur la mode du feuilleton, la curieuse légende de Denis Gaulois.


« L'an 218, Denis Gaulois possédoit le canton de la Gaule, en partie les terres de Dieux et celles de Déols ; il avoit aussi le canton de Roux. Il étoit fils de Denis Gaulois et de Jeanne de Dieux.

En l'année 196, ils firent bâtir une chapelle, qu'ils dédièrent à Sainte- Marie de Déols ; puis ils firent bâtir une autre chapelle, sur les bords de la rivière d'Indre, près leur luant ou châtel, où ils faisoient leur résidence avec Denis, leur fils. Ils la nommèrent Saint-Denis en Gaule ; ils firent venir des moines pour dire des oraisons à la louange du Seigneur.

Après quelque temps, la mère de Denis Gaulois vint à mourir ; elle fut enterrée dans la chapelle de Sainte-Marie de Déols. Son père l'ayant suivie de près fut enterré dans la même chapelle.

Denis Gaulois étant resté seul avec les amis de sa maison, continua de faire valoir les mêmes cantons que ses père et mère lui avoient laissés. »


Selon Grégoire de Tours, Denis aurait été décapité sous le règne de l'empereur Decius (248-251), on voit donc mal comment, en 196, on aurait pu édifier une chapelle consacrée au célèbre saint céphalophore. C'est l'une des nombreuses invraisemblances du texte, dont la géographie qu'il met en avant est tout aussi truffée de fantaisies : à côté de Déols, lieu avéré, voici les cantons de Dieux et de Roux, qui sont sans doute des jeux de mots formés sur Châteauroux ou le Bourg-Dieu (autre appellation de Déols). La suite n'offre plus aucun doute sur la teneur mythique de l'histoire :


« Il fit voeu de jamais ne se marier. Il éleva dans son luant quantité d'animaux féroces qui sembloient à des licornes, mais sans cornes ; dangereux envers les habitants de ces cantons mais non envers lui, il les avoit élevés de jeunesse et leur faisoit faire le labour de ses terres ; il les montoit comme des chevaux. Ces animaux multiplièrent un grand nombre d'animaux dont grande partie se retirèrent dans les forêts ; et ces cantons sont plantés en bois jusqu'à la rivière d'Indre, qui sépare les cantons de Dieux, Déols, Roux et Saint-Denis, tous situés en la gauche du Berry. »

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« Tous situés en la gauche du Berry » : on voit mal ce que signifie l'expression. Qu'est-ce que la droite et la gauche d'une province ? On se demande parfois si le copiste a bien fait son travail... Ces licornes sans cornes ne manquent pas d'un certain humour, sans doute involontaire. Un terme également nous étonne : luant, que le narrateur donne comme équivalent de châtel. Or, mon dictionnaire d'ancien français ne mentionne pas le mot. Il existe cependant une paroisse du canton de Châteauroux qui se nomme Luant, attestée en 1202 comme appartenant à Guillaume de Luant (Willelms de Luens), devenue Seigneurie de Luans en 1596 (Stéphane Gendron propose comme étymologie possible le nom propre germanique Leudincus). Et je viens de lire que Luant, où existait aussi un prieuré, dépendait de l'abbaye de Saint-Gildas (ce qui nous renvoie incidemment à un commentaire récent de Marc Lebeau...).


Tiendrions-nous là une piste sérieuse ?

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27 septembre 2006 | Lien permanent

De Dolus en Pierre Folle

Je m'aperçois que je vais trop vite en besogne. Avant d'en venir à Déols, attardons-nous un moment sur les deux autres Dolus que nous livrent les moteurs de recherche. Le site de la Société de Mythologie Française nous apprend par exemple qu' aux « deux extrémités de l'île d'Oléron, à Saint-Denis et à Dolus, les restes de deux anciens dolmens constituent les Palets de Gargantua. »

Quant à Dolus-le-Sec, minuscule commune près de Loches, j'en ai retrouvé la trace sur un site traitant des légendes de Touraine. Trois fées auraient bâti en une nuit le grand dolmen de Saint-Antoine-du-Rocher, où elles auraient élu domicile ainsi que « dans les trois cimetières des fées ou pucelles de Neully-le-Brignon, Marcé-sur-Esves et Saint Epain, sans compter la Chambre aux dames de Semblançay, la Pierre Folle de Bueil et la Fontaine de la Pierre Couverte de Dolus. » (C'est moi qui souligne.)

Cette récurrence de mégalithes liée à un légendaire populaire (de type fée ou Gargantua), rencontrée sur chacun des Dolus, me laisse à penser que Déols ne doit pas faire exception à la règle, et qu'à l'origine de la dévotion et du pélerinage en ces lieux doit se trouver une ou plusieurs pierres sacrées. Or, je l'ai dit, rien de tel officiellement à Déols.

Sauf que l'étude de la toponymie proche de Déols nous apporte quelques indices pour le moins troublants. A la sortie du centre-ville actuel, le quartier des Maussants porte trace d'une antique occupation : un temple gallo-romain y a été fouillé en 1990, et le nom même de Maussants dérive, selon S. Gendron, du bas-latin muro-cinctus « ceint de murs », et désignait donc une localité ou un domaine fortifié. On retrouve d'ailleurs le terme à Saint-Marcel, où sur le plateau dit des Mersans sont localisées les fouilles de l'antique Argentomagus, ainsi qu'à Levroux (ça faisait longtemps...), avec le hameau de Maussant où se trouve l'emplacement de l'oppidum des Tours, occupé à partir du 1er siècle av. J.C.

 

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Or, près des Maussants de Déols, que lit-t-on sur la carte IGN ? De l'autre côté du rond-point de la D135, le hameau des Grandes Pierres Folles nous laisse rêver à une hypothétique allée couverte... Sur la même page 197 de son livre sur Les Noms de Lieux de l'Indre, S. Gendron signale encore la Pierre Folle, « à Déols, près des Etollières, Cloux de Pierre Folle 1539 (...) ». Ce lieu-dit est situé sur une étroite éminence entre deux petits affluents de l'Indre.

Tout ceci est pure conjecture, je l'avoue, rien ne subsistant de ces dolmens ou menhirs dont seule la toponymie nous conserve peut-être le souvenir. Mais je tiens tout de même à préciser que c'est seulement après avoir formulé cette hypothèse mégalithique, à partir de l'examen des autres lieux dolus, que je me suis reporté à la carte IGN et ai constaté la présence de ces Pierres Folles - dont on a vu qu'un autre exemple, en Touraine, à Bueil, entrait dans la mythologie populaire.



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08 juin 2006 | Lien permanent | Commentaires (2)

Les enfants du marais

Les mégalithes ne sont pas le seul point commun entre les lieux Dolus. Il en existe au moins un autre, d'ordre géographique. Reprenons l'inventaire.

Mont-Dol, Dol-de-Bretagne : « On passe, écrit Jacques-Pierre Amette, devant la cathédrale de Dol, on suit une descente goudronnée parmi des maisons basses aux teintes chocolatées, on glisse sous la nationale 176 qui va de Pontorson à Dinan, la grande route à quatre voies de pénétration de la Bretagne nord ; on découvre alors un espace infini et si plat qu'il en miroite : le marais de Dol. Magique. »

Dolus d'Oléron : Le marais aux oiseaux, situé aux Grissotières, « est à la fois un parc animalier à vocation pédagogique mais aussi un centre de sauvegarde et une réserve de faune sauvage. »

Déols : « Les mentions faites de marais -paludis – indiquent assez son action déterminante sur la nature du terrain : l'Indre décrit ici « des méandres divagants s'inscrivant dans une large vallée marécageuse, à fond plat et à pente très faible »1
De vastes prairies -
pratum Longum, pratum Ubarense – sont cernées par ses nombreux bras morts. Un ruisseau coule parallèlement à son lit, avec lequel il communique par plusieurs bras avant de s'y jeter ; il emprunte son nom au Montet - Monte Batolio – escarpement calcaire qui borde la vallée de l'Indre. C'est sur la rive droite de cette vallée que s'est formée une agglomération humaine -villa Dolis-, au point de rencontre de la rivière et du ruisseau. » (Patricia Duret, La sculpture romane de l'abbaye de Déols, Issoudun, 1987, p. 19.)

medium_marais.jpgLa proximité de marais se vérifie donc sur ces trois lieux Dolus. La signification mythique du marais ne fait aucun doute : lieu de la matière indifférenciée, il joue dans la Grèce antique, nous dit le Dictionnaire des Symboles, le même rôle que le labyrinthe. Glastonbury, en Angleterre, qui passe pour l'ancienne île d'Avalon, s'est édifiée au-dessus des marécages.

Pour résumer, le dol serait en somme un espace surplombant un marais, un affleurement naturel de roche que les hommes sur-signifient en y implantant des mégalithes, et plus tard, des autels et des églises.

Et Dolus-le-Sec, me direz-vous ? Point de marais dans le proche voisinage, certes. Mais le village n'est qu'à dix kilomètres au nord-ouest de Loches, la cité royale avec son donjon et sa collégiale Saint Ours (qui n'est pas sans nous rappeler évidemment le saint Ursin berruyer). Or, Loches se serait nommée dans l'Antiquité Castrum Locae, le « Camp des Marais ».

Point commun entre Loches et Dolus : leurs églises ont été semblablement fondées au Vème siècle par le second successeur de saint Martin à la tête de l'évêché de Tours, saint Eustoche, si l'on en croit Grégoire de Tours, dans le dixième livre de l'Histoire des Francs :

« Le cinquième fut Eustoche, homme saint et craignant Dieu, de naissance sénatoriale. On dit qu’il institua des églises dans les bourgs de Brisay, d’Iseure, de Loches et de Dol. Il bâtit aussi, dans les murs de la cité, une église dans laquelle il plaça les reliques des martyrs saints Gervais et Protais, apportées d’Italie par saint Martin, comme le raconte saint Paulin dans son épître. Il tint dix-sept ans le siège épiscopal , et fut enterré dans la basilique qu’avait élevée l’évêque Brice sur le tombeau de saint Martin. » (C'est moi qui souligne.)

C'est le même Grégoire de Tours qui fait mention pour la première fois de Déols comme Vicus Dolensis.

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Clocher de Beaulieu-lès-Loches

 Ce rapprochement que j'opère entre Déols et Loches, par le biais de Dolus, se trouve enfin renforcé par la très forte parenté entre le clocher de Déols et celui de Beaulieu-lès-Loches, aux portes de Loches, comme son nom l'indique, parenté relevée dans l'étude très fouillée de Patricia Duret :

« Si l'abbatiale de Déols puise aux sources aquitaines son inspiration, sa situation en marge des pays de la Loire la tient cependant en contact avec d'autres formes. L'étonnante similitude du clocher de Déols avec le clocher de Beaulieu-lès-Loches, du milieu du XIIe siècle, en témoigne : même volume, à la fois élancé et robuste, mêmes baies géminées en plein-cintre sur les quatre faces de l'étage des cloches -baies exemptes d'arcs de décharge mais enrichies par de nombreuses voussures et colonnettes -, mêmes colonnes logées dans les angles de la tour quadrangulaire, mêmes corniches pour parachever la composition. » (op. cit. p. 64.)

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1G. Coulon, J.N Delétang, M. Garraut, R. Pécherat, J. Tournaire, Histoire de Châteauroux et de Déols, Roanne, 1981, p. 7.

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13 juin 2006 | Lien permanent | Commentaires (5)

Denis Gaulois (15) : lui faisant caresses comme s'ils avoient su parler

Retour, comme annoncé, à la légende de Denis Gaulois (résumé des épisodes précédents : Denis revient de Bourges avec Léocade et sa suite ) :

"En approchant du canton de Déols, les autres animaux qui étoient restés au luant du seigneur Gaulois le sentirent arriver ; ils furent au devant de lui ; lui faisant caresses comme s'ils avoient su parler. Léocade et ses gens ne laissèrent pas d'avoir peur : mais le bonhomme leur ayant parlé, les fit tous connoître.
Léocade et sa femme étant donc arrivés au luant du seigneur Gaulois, demeurèrent quelque temps dans ce luant. Leurs gens étaient logés dans le canton de Dieux. Tous les jours Denis Gaulois menoit Léocade, Ludre et ses gens chasser les bêtes féroces et en tuèrent beaucoup. Avant que de partir, ils furent dans la chapelle entendre la prière que faisoient les moines ; ensuite ils montèrent sur chacun de ces animaux, à la faveur des quels ils en tuèrent beaucoup d'autres, surtout dans le canton de Roux."

On retrouve dans ce passage cette indétermination que j'ai déjà signalé sur l'identité des animaux compagnons de Denis Gaulois. Leur apparence doit être assez redoutable puisqu'ils effraient des chasseurs aussi aguerris que Léocade et sa troupe. Sensitifs et affectueux, ils entourent Denis de retour en son luant et comprennent ses paroles quand celui-ci les "fit tous connoître". Ils servent ensuite de montures pour la chasse aux bêtes féroces, elles aussi non désignées formellement. Ce flou dans les désignations renforce le sentiment d'étrangeté de cette histoire. Denis Gaulois apparaît encore plus qu'ailleurs comme un maître de la faune, un Homme Sauvage gouvernant les puissances animales. Cet aspect païen est contrebalancé par la référence à la prière, aux moines, à la chapelle, mais ceci est comme plaqué artificiellement sur l'intrique et ne contribue en rien au dénouement.

 

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El salvaje y el civilizado - Sculpture gothique présentant l'homme sauvage (homo sylvestris) au côté de l'homme civilisé à Valence.
Photo : Chosovi



Notons aussi le décalage dans les noms des cantons : Dieux renvoie certainement au Bourg-Dieu, autre nom ancien de Déols, et Roux à Châteauroux, mais pourquoi ces inventions lexicales, alors que les noms de Bourges et de Déols sont par ailleurs mentionnés ?

"Il arriva un jour que Ludre se trouva malade ; il pria Léocade de le changer de canton, parce que les chaleurs des bois le feroient mourir. Léocade n'ayant que ce fils, pria instamment le seigneur Gaulois de lui donner un autre canton : à quoi reprit le bonhomme : - Cherchez, vous êtes maître ; si vous n'avez pas de trésor, prenez dans mon luant ce qu'il vous faut  ; mais ne vous écartez pas de moi bien loin.
Alors Léocade fit bâtir un châtel entre  Dieux et Déols, sur une petite montagne, où il n'y avait qu'une prairie à passer entre son châtel et celui du seigneur Gaulois."

L'on voit à travers ce passage que Denis reste maître sur ces terres : Ludre malade prie son père qui en appelle lui-même à Denis. On retrouve également  le thème de la chaleur dans les bois, celle-là même qui en faisait sortir les bêtes féroces et ravager les cantons. Curieuse chaleur en vérité, puisqu'à rebours de l'expérience ordinaire de tout un chacun, où l'on va chercher la fraîcheur dans ces mêmes bois.
La description de l'emplacement du châtel de Léocade fait penser au château Raoul, édifié sur le coteau de la rive gauche de l'Indre, séparé de Déols par la seule prairie Saint-Gildas.

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16 avril 2007 | Lien permanent

Vicus Dolensis et Mont-Dol

Déols. Enfin nous y sommes. Déols l'inspiratrice, dite aussi le Bourg-Dieu. Combien de fois déjà ce nom a-t-il hanté ces notes ? N'ai-je pas depuis longtemps affirmé que Déols et Bourges étaient à la source de la geste zodiacale, bouillonnante du feu souterrain de la mythologie celtique ? Pourtant, que sait-on de Déols elle-même ? Pas grand chose, en vérité. Quelques lignes dans le Quid résument l'essentiel : « Anciennement "Vicus Dolensis", cité gallo-romaine administrée au 3ème par le sénateur Léocade, dont le fils, saint Ludre, fut le premier disciple de saint Ursin. Les tombeaux de saint Ludre et de son père devinrent un important lieu de pèlerinage, célèbre dès le 6ème. Au 10ème, Déols était un gros bourg appartenant à une puissante famille féodale dans la mouvance des ducs d'Aquitaine. En 917, Ebbe Le Noble fonda l'abbaye de Saint-Pierre, Saint-Paul et Notre-Dame qu'il donna à des moines de Cluny. L'abbaye, qui était l'une des plus belles et des plus riches du royaume, fut ravagée par les huguenots au cours des guerres de Religion puis sécularisée en 1622 par Henri II de Condé, père du Grand Condé. Engagée dès cette époque, la démolition de l'édifice fut poursuivie jusqu'au milieu 19ème. »

Léocade, Ludre, Ursin, ces personnages cités par Grégoire de Tours ont-ils réellement existé ? Rien n'est moins sûr. Je m'interroge : qu'est-ce qui détermine ce site des bords de l'Indre, qui n'a en apparence, sur le plan strictement géographique, rien d'exceptionnel, à devenir un haut lieu de pélerinage dès le VIème siècle, puis à accueillir l'une des plus formidables abbayes du royaume, fondée sur le modèle de Cluny ?

Si l'on examine l'étymologie, l'incertitude est là aussi de mise : Stéphane Gendron (Les Noms de Lieux de l'Indre, op. cit. p. 9), signale qu'on a proposé le gaulois dol « méandre », « qui convient parfaitement pour Déols, dans une boucle de l'Indre », mais il ajoute aussitôt : « Nous restons cependant méfiant car cette explication ne convient pas pour son principal homonyme, Dolus-le-Sec (Indre-et-Loire, Dolus VIe), loin de tout ruisseau. »

Je reviendrai sur ce fameux Dolus-le-Sec, mais, à ce stade, n'ayant rien à perdre, j'ai songé à un autre Dol : Dol-de-Bretagne que je ne connaissais que de nom. Un petit tour sur le net m'apprend vite que cette petite ville bretonne fut longtemps (jusqu'en 1199) le siège d'un archevêché, en concurrence avec celui de Tours. Le roi des Bretons, Nominoé, y fut sacré en 848. L'évêque de Dol présidait les États en l'absence du duc de Bretagne. Cette prééminence serait redevable au moine gallois saint Samson , l'un des sept saints fondateurs de la Bretagne, qui se serait fixé à Dol au VIe siècle. Son sarcophage est conservé dans la cathédrale de Dol.

Non loin de Dol, on peut visiter le Mont-Dol dont l'histoire est d'une exceptionnelle richesse, comme en témoigne l'exposition qui a semble-t-il lieu actuellement dans l'église même de Mont-Dol.

La tradition attribue à saint Samson la gravure de trois croix pattées sur un pointement granitique à l'est du tertre, sans doute un rocher sacré païen qui fut ainsi christianisé : « Les mêmes croix visibles sur une base de colonne antique réemployée dans l'église, témoignent probablement de la christianisation d'un monument romain à Jupiter, élevé primitivement sur le plateau. »

Notons aussi le légendaire attaché à Gargantua : « Un jour où il se promenait dans la région, une douleur soudaine lui fit retirer sa chaussure qu'il secoua : il en tomba trois cailloux qui sont aujourd'hui le Mont-Dol, le Mont Saint-Michel et le rocher de Tombelaine. Le même géant passait de Normandie en Bretagne en trois pas colossaux, jalonnés par la roche de Carolles, Mont-Dol, le Mont Saint-Michel et Tombelaine. »

Dol ne serait-il pas le premier élément du mot dolmen, élément signifiant "table" ? Marquant ainsi la présence d'une roche tabulaire sacrée ? Mais, me direz-vous, à Déols, aucun dolmen déclaré, existant ou détruit, aucune pierre votive.

Pas si sûr. Je m'en vais vous le montrer tout à l'heure. (A suivre)









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02 juin 2006 | Lien permanent | Commentaires (1)

Eudes l'Ancien et le pentagramme

Complément d'information au sujet de la numismatique déoloise : le premier seigneur de Déols à ouvrir un atelier monétaire dans son donjon  est Eudes dit Eudes l'Ancien. Ses pièces ne présentent pas encore le sceau de Salomon, mais une étoile à cinq pointes, un pentagramme. Or, c'est le même Eudes l'Ancien qui a grandement inspiré la fondation de la rotonde de Neuvy Saint-Sépulchre.

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Frapper monnaie, édifier un monument en forme de réplique du tombeau du Christ, sont les signes d'une puissance manifeste. Eudes n'a pu y parvenir que parce qu'il avait réussi auparavant, dans cette première moitié du XIème siècle,  à mettre sous sa coupe un certain nombre de territoires limitrophes : "C'est ainsi qu'il adjoint à sa chatellenie :
- le fief d'ARGENTON, au Sud, qui lui permet de contrôler la haute vallée de la Creuse ;
- la seigneurie d'ISSOUDUN, au Nord-Est, qui le met en contact avec le domaine royal ;
- les seigneuries de LA CHATRE et CHATEAUNEUF-sur-CHER, à l'Est.
   La suprématie déoloise est donc assurée grâce au contrôle de toute la région comprise entre le Cher, la Gartempe et l'Anglin."

(Histoire de Châteauroux et de Déols (en coll. avec Jean-Noël Delétang, Michel Garraut, René Pêcherat et Jacques Tournaire), Coll. Histoire des Villes de France, Ed. Horvath, Roanne, 1981, p. 17.)


A ceci il faut ajouter qu'il avait participé au rétablissement de l'abbaye Saint-Ambroix de Bourges et fondé en 1013 le chapitre de Levroux. Toutes ces terres, nous l'avons vu, portent les traces d'une géographie sacrée.
Eudes de Déols que l'écolâtre de Poitiers, Hildegarde, recommandait à Fulbert de Chartres comme un "homme de grande sagesse", apparaît donc véritablement comme le grand ordonnateur de ce symbolisme sidéral.
Le pentagramme n'est-il pas le symbole majeur des pythagoriciens de l'Antiquité, qui y voyaient le signe de l'harmonie et de la perfection ?

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12 avril 2007 | Lien permanent

Saint-Ursin et sceau de Salomon

Avant de reprendre enfin l'étude de la légende de Denis Gaulois, je voudrais juste signaler une curiosité : sur le portail de Rennes-le-Château, Marc Lebeau a naguère consacré une petite étude à Circuit, texte d'un certain Philippe de Chérisey ;  or, au centre de la carte affichée sur la couverture, figure le nom désormais bien connu de Saint-Ursin, désignant plus précisément la Chapelle Saint-Ursin, village situé à quelques kilomètres de Bourges. Saint-Ursin y apparaît  également comme le centre d'un sceau de Salomon épousant approximativement les limites de l'hexagone.

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Il se trouve que les seigneurs de Déols ont frappé monnaie à l'effigie d'un tel sceau, comme en témoigne par exemple ce denier d'argent de 0,9gr. de Raoul VI (1160-1176) que j'ai trouvé en vente sur e-bay.

 

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Encore un autre exemple de l'étroite relation entre Bourges (Saint-Ursin) et Déols ?


Il reste que ce marquis  de Chérisey était, semble-t-il,  un humoriste de métier et que le tapuscrit étudié par Marc est un texte très ambigu, où l'on  peine à démêler le canular de l'information sérieuse. Mais, après tout, Rabelais procédait-il autrement lorsqu'il réclamait une lecture  "à plus hault sens" pour son oeuvre ?

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02 avril 2007 | Lien permanent | Commentaires (18)

Du ternaire

 

Un autre point commun entre les légendes de saint Denis et de saint Génitour est l'importance du ternaire. Après avoir rappelé le témoignage de Lucain dans la Pharsale (I, 444-446), poème écrit au 1er siècle de notre ère, qui évoque la triade des dieux gaulois Esus, Teutatès et Taranis, Anne Lombard-Jourdan remarque que la première Vie de saint Denis « situe au « vénérable lieu triple » (venerabilem locum trinum) le martyre des trois saints ; Denis, Rustique et Eleuthère, indissolublement unis dans leur sacrifice, confessent d'une seule voix leur adoration de la sainte Trinité, dogme catholique qui s'oppose à l'hérésie arienne négatrice d'un dieu en trois personnes. » (« Montjoie et saint Denis ! », Presses du CNRS, 1989, p. 66)

Les neuf fils de Maure portent avec évidence le ternaire à la plus haute puissance de lui-même. Et la distribution spatiale et temporelle des martyres relève d'un semblable souci : trois morts près du départ de la fuite, à Tours ; trois morts sur le chemin (Saint-Epain, Barrou, Tournon) ; et enfin, trois morts au Blanc. En outre, comme Génitour choisit sa sépulture en Ville Basse, Tridore et Principin sont enterrés en Ville Haute. Comme cela ne fait pas le compte, on y ajoute Messaire, que pourtant la légende fait mourir à Tournon. Trois toujours. Ce sont eux que l'on nomme les Bons Saints, qu'on invoque pour la protection des enfants, et auxquels les pélerins viennent rendre hommage chaque premier dimanche de septembre. Une date qui place obligatoirement le « voyage »dans le temps de la Vierge, le signe opposé aux Poissons du secteur.

Maintenant, quel peut bien être l'auteur de cette légende, qui offre, on le voit, de si nombreux points de comparaison avec celle de saint Denis qu'on ne peut pas croire qu'elle ne s'en soit pas inspirée ? Selon Patrick Grosjean, il pourrait s'agir d'un moine de la grande abbaye de Déols, un auteur « qui ne s'embarrasse pas du fait que les Wisigoths aient été chrétiens, des hérétiques tout de même puisque ariens. Il ne craint pas davantage les anachronismes : le roi des Goths est présenté comme contemporain de saint Martin tout en portant un nom romain. Bref ce récit n'est représentatif que de l'hagiographie médiévale. »(op. cit. pp. 136-137)

 

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On retouve là la volonté de combattre l'hérésie arienne présente dans la geste dyonisienne. Par ailleurs, le prieuré de Saint Génitour fut  fondé avant 1125 par l'abbaye de Déols. Et il est un autre détail crucial, que l'Inventaire général n'a pas relevé, et qui affermit notablement l'hypothèse d'une origine déoloise, c'est que les trois clochers de Douadic, Pouligny Saint-Pierre et Saint-Génitour sont directement inspirés du clocher de Déols, qui se présente lui aussi comme de plan carré avec étages de baies aveugles (deux au lieu d'un, le modèle se doit de conserver la suprématie.)

 

 

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15 mars 2009 | Lien permanent

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