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19 avril 2006

La croix de saint Roch

Saint Roch n'est pas très présent dans la toponymie du département. Dans son livre sur les noms de lieux de l'Indre, Stéphane Gendron ne relève que quatre occurrences  : un moulin sur le Renom dans la commune de Sainte-Cécile (sise au nord-est de Levroux, donc encore en Capricorne), une mention sans précision à La Châtre, une croix dite de Saint-Roch à Lourdoueix Saint-Michel et surtout - apparemment le plus intéressant - une fontaine Saint-Roch à Crozon-sur-Vauvre. Détail crucial, ce beau village encaissé dans sa vallée verdoyante se situe sur l'axe des -Roux, qui joint Levroux à Mortroux en passant par Déols, Châteauroux et Neuvy Saint-Sépulchre.

Jean-Louis Desplaces a consacré plusieurs pages à la fontaine dans son volume 2 du Florilège de l'eau en Berry. Aujourd'hui à sec, elle n'était qu'à une centaine de mètres de l'ancienne église Saint-Germain dont il ne reste aucune trace. Dans la nouvelle église, bâtie sur la colline en 1857, deux statues de saint Roch, l'une en bois, l'autre de plâtre, montrent la pérennité du culte en ces lieux. Il se manifestait par deux processions : la « petite Saint Roch » qui avait lieu en janvier pour les bêtes, « la date, précise J.L. Desplaces, en était fixée par les membres du conseil de fabrique » et « la grande Saint Roch » qui était célébrée le 16 août, jour traditionnel de la fête. Mais déjà, la veille, « dans la soirée du 15, une procession se dirigeait vers l'ancien prieuré ; les fidèles buvaient de l'eau ou en emportaient. Le 16, au matin, la statue de saint Roch était menée à la Croix des Forges, soutenue par quatre porteurs, au chant de « Iste Confessor » sur un air sautillant. » Il est à noter que cette dévotion faisait de l'ombre à l'Assomption, ce dont témoigne l'abbé Doucet, curé avant 1939 : « Tout le monde, le 15 août, manque les offices pour aller pêcher le poisson qui, le lendemain, permettra de tenir le voeu de saint Roch. L'Assomption est blackboulée par le poisson de saint Roch. »

 

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Le tableau de saint Roch à Levroux
(on remarquera qu'il est accompagné de saint Sébastien, qui était invoqué aussi pour la peste)

 

Une autre coutume a disparu dans les années 60, tout comme la petite Saint Roch : le Reinage, qui consistait, au retour de la procession, en une vente aux enchères de la Royauté de saint Roch. « Se présentaient, écrit J.L. Desplaces, ceux qui étaient désireux d'obtenir la bénédiction du saint pour leurs enfants. (...) Roi et Reine n'exerçaient aucune fonction particulière : seule une place d'honneur leur était attribuée, comme nous l'avons dit, à l'office qui suivait. »

Toutes ces pratiques peu orthodoxes s'enracinaient pourtant sur une terre depuis longtemps abreuvée de religion, puisque Crozon est cité dès 1087 en tant que prieuré dépendant de l'abbaye de Marmoutier, près de Tours. En 1772, le patronage de la paroisse est encore attribué à l'archevêché de Tours. Or, qui avait fondé Marmoutier, en 372 ? Saint Martin lui-même, lorsqu'il était devenu l'évêque de la ville. Le lien avec Levroux se confirme un peu plus. Notons que c'est à Neuvy, devant l'autel du Saint Sépulcre, et en présence de Richard, l'archevêque de Bourges, que s'effectue la donation du prieuré par le curé Durand.


Un autre réseau est détectable. On aura peut-être remarqué la proximité phonique de Crozon et de Crozant, ce dernier lieu étant lui aussi en relation avec Levroux, de par sa position sur le même méridien. Or, deux autres cités proches se ressemblent aussi par leurs toponymes, à savoir Aigurande et Eguzon (longtemps dénommée Aiguzon). Les axes Aigurande-Eguzon et Crozon-Crozant se croisent très exactement au coeur de la forêt de Grammont, près de Lourdoueix Saint-Michel, où était établi, comme le nom l'indique, un monastère de l'Ordre de Grandmont.

 

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Or, le carrefour le plus proche de ce noeud n'est autre que celui de la Croix de Saint Roch, autour de laquelle, rapporte S. Gendron, la coutume veut que les mariés viennent faire la ronde. Effectivement tout tourne autour de ce pivot forestier. Rappelons aussi que c'est en ce même lieu qu'aboutissait l'axe graalique issu du bois de Fonteny, en Cancer.

 

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Il faut savoir qu'en même temps que Crozon, le curé Durand avait donné l'église Saint-Michel-du-Puy. J.L. Desplaces précise que celle-ci n'a jamais été identifiée. On peut maintenant se demander si elle n' était pas édifiée à Lourdoueix Saint-Michel, antérieurement à l'oratoire cité en 1154, Oratorium Sancti Michaelis, qui a donné son nom au village1. A l'appui de cette hypothèse, on peut noter que le puy signale une hauteur (latin podium), or la Croix de Saint Roch est, avec ses 382 mètres, au point culminant de ce micro-territoire (il faut se rapprocher très sensiblement d'Aigurande pour trouver des hauteurs plus importantes).


Avec cette note qui nous déporte vers le sud du département ( alors que nous n'en avons pas fini, loin de là, avec Levroux) j'observe, comme l'an passé, une pause aquitaine qui me tiendra momentanément éloigné de ce blog. Je vais aller chercher repos et inspiration chez le grand frère, en secteur Verseau du zodiaque toulousain...

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1Curieusement, un des derniers titulaires de la royauté de Saint Roch fut le collège privé de Lourdoueix Saint-Michel (une collectivité pouvait prétendre à ce titre)...

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15 avril 2006

De Sucellus à saint Roch

Hypothèse : à Levroux, le culte païen marqué par un templum opulentissum et éradiqué par saint Martin ou saint Silvain, était rendu à Sucellus, le dieu celtique au maillet. Divinité que J.J. Hatt définit comme simultanément sidérale et chthonienne.

Sidérale : son alliance, voire sa fusion, avec Taranis, le Jupiter gaulois, « nous est prouvée de façon formelle, par un certain nombre d'images figurant sur des monnaies gauloises des IIIe et IIe siècles avant J.C. Sur une monnaie attribuée aux Unelli, le maillet de Sucellus apparaît, lancé au bout d'un ruban ondulé, par le conducteur d'un cheval. Ce dernier domine lui-même un chaudron, qui est, comme nous le verrons, un attribut probable de Sucellus. Cette image exprime, au revers d'une médaille dont l'avers porte une tête humaine stylisée, assimilable à celle de Taranis, le lancer de la foudre par un auxiliaire du dieu sur la terre, afin d'en obtenir des effets bénéfiques, notamment par le jaillissement des sources, conséquence directe de la pluie fertilisante. » (Mythes et Dieux de la Gaule, II, p. 13.) Plus largement, J.J. Hatt montre que c'est aussi avec une divinité préceltique, le Mars indigène, que Sucellus s'est confondu ; et à la question de savoir sur quel domaine a eu lieu la rencontre, il écrit que c'est « vraisemblablement par l'intermédiaire du culte des sources, qui, comme l'a bien prouvé E. Thévenot, est une des attributions majeures du dieu indigène. »

Ceci confirme bien entendu le rôle central des sources dans le système cultuel de Levroux : Hatt précise encore un peu plus loin que l'«association ou la fusion de Taranis avec Sucellus-Silvain est tout à fait conforme à ce que nous ont révélé les monnaies gauloises. En réalité, si Jupiter est parfois tout à fait assimilé à Sucellus, il arrive plus souvent que le couple Jupiter-Sucellus-Silvain ou Vulcain complète l'action sidérale venue d'en haut, par une action sur les sources, venue d'en bas. » (op. cit. p. 15.) Des têtes de maillet percées et encochées ont servi d'ex-voto dans les sanctuaires de sources (Bouze, Dijon, Largillière).

 

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Le chien de saint Roch (collégiale Saint-Silvain)

Nous retrouvons là cette communication entre le haut et le bas sur laquelle nous avons inauguré notre investigation levrousaine, en venant de Vatan. Il semble donc bien qu'elle ne date pas du christianisme, mais qu'elle s'origine profondément dans les temps les plus anciens, cette mise en relation des abymes avec le paradis. Le côté infernal de la ville mis en évidence par les légendes de saint Martin et saint silvain apparaît aussi très clairement dans l'assimilation de Sucellus à Sérapis, dieu égyptien assimilé à Hadès, « à partir d'une certaine époque, probablement le début du IIe siècle ». Sur certains bas-reliefs, le maillet est entouré d'un serpent, ce qui exprime la maîtrise des Enfers. Un autre indice est la présence fréquente d'un chien sur les stèles dédiées à Sucellus. « Chez les Triboques, le chien à une seule tête est remplacé par Cerbère, le chien à triple tête gardien des Enfers. Cet animal a une signification chtonienne et funéraire. Je pense qu'il constituait une défense , sur le plan psychologique, contre la crainte inspirée aux fidèles devant la mort, par le mythe du monstre carnassier androphage. Le chien, compagnon fidèle et amical de l'homme, est aussi compagnon du dieu protecteur des morts, il aide le défunt à travers les espaces dangereux, parsemés de périls où règnent les monstres dévorants qui le séparent de son dernier séjour. » (op. cit. p. 21.)

 

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On peut maintenant se demander si le célèbre saint Roch, saint qui fut longtemps le plus populaire de nos campagnes, ne serait pas un avatar de Sucellus. Son bourdon (bâton de pèlerin) qui est son signe le plus distinctif n'est pas sans rappeler la longue hampe du maillet du dieu celtique. Et que dire du chien qui le suit fidèlement et avec qui il est invariablement représenté ? Et l'ange qui l'accompagne ne fait-il pas lui aussi, pour le soigner, jaillir une source ?

Serons-nous surpris de le retrouver sur un tableau, à l'intérieur même de la Collégiale Saint-Silvain ?

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09 avril 2006

Silvain et Sucellus

« La rencontre phonétique de Silvain et Silvestre suggère également des dédicaces au dieu latin Silvanus (Silvano Silvestris Sacrum) comme des épithètes que l'on peut rapporter au dieu Mars et renvoie à la tradition d'une construction de la première église de Levroux sur les ruines d'un édifice romain. »

(Jean-Paul Saint-Aubin, Saint Silvain)


Selon Joël Schmidt, Silvain n'avait pas l'honneur d'un culte officiel dans la Rome antique, mais il était très populaire dans les campagnes, où fruits et jeunes animaux d'étable lui étaient offerts. Divinité associée aux bocages, aux vergers et aux petits bois, adoré tout d'abord sous la forme d'un arbre avant de prendre apparence humaine et d'être assimilé à Pan ou à Faunus, il est ordinairement représenté sous la forme d'un joyeux vieillard, couronné de lierre, et une serpe à la main : « Son caractère malicieux, enclin à la taquinerie, le faisait craindre des voyageurs qui traversaient les bois, et les parents menaçaient leurs enfants du courroux de Silvain lorsqu'ils cassaient les branches d'arbres. » (Dictionnaire de la Mythologie Grecque et Romaine, Larousse, 1998, p. 192.)

 


 
Tiens, ce courroux nous rappelle incidemment le nom du fiancé déchu de Rodène... Ceci dit, Silvain est un dieu romain, et il ne se présente pas tel quel sur le territoire gaulois. Paul-Marie Duval le montre cependant associé au dieu celtique Sucellus, le dieu au maillet, mais seulement en Narbonnaise : « Sucellus prend dans le Midi l'allure de Silvain et ne garde que ses attributs, maillet et vase, avec son chien : toujours barbu, il se dénude et porte seulement un court manteau ou une peau de loup jetée sur les épaules ; sa tête se couronne de feuillage, un arbre pousse auprès de lui, des fruits chargent ses bras. Il arrive que les deux types se mêlent et que le dieu vêtu à la gauloise soit couronné de feuilles ou tienne une serpe, une flûte de Pan, un couteau de chasse ; inversement, les autels dédiés Silvano se couvrent de maillets. La pénétration est ici tout à fait réciproque. » (Les dieux de la Gaule, Payot, 1976, p.78.)

 

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Sucellus lui-même est surtout honoré dans le bassin du Rhône et de la Saône. Ses représentations les plus occidentales sont celles de Lailly-en-Val et de Bourges. J'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion de l'évoquer à propos de la géographie sacrée de la vallée de l'Arnon, où j'ai cité les travaux d'Anne Lombard-Jourdan qui l'assimile à Cernunnos, le dieu-cerf, envisagé comme le dieu-père celtique, le Dis Pater dont parle Jules César dans la Guerre des Gaules.

Le préhistorien Jean-Jacques Hatt, écrit lui aussi, en conclusion de son analyse, que « Silvain-Sucellus-Dispater est l'un des dieux les plus importants du panthéon celtique et gallo-romain. Il a participé à la formation de ce dernier, comme à son évolution. Divinité plurivalente, simultanément sidéral et chtonien, il est, comme le Mars indigène, antérieur à l'introduction du système tripartite des grands dieux celtiques. (...) Ses racines archaïques le rapprochent des traditions irlandaises, correspondant elles-mêmes en grande partie à un état religieux plus ancien que le Ve siècle avant J.C. » 1

Il importe maintenant de développer ce « simultanément sidéral et chtonien ».

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1Ce texte fait partie d'un document précieux mis en ligne par les héritiers de Jean-Jacques Hatt. Décédé en 1997, il « n'a pas pu terminer le deuxième tome de " Mythes et dieux de la Gaule"; suite du tome I publié chez Picard en 1989. Son épouse et ses enfants ont trié et rassemblé le texte et les photographies, réalisé la saisie informatique du manuscrit. Son petit fils Ambroise Lassalle, conservateur territorial du patrimoine, a numérisé les illustrations disponibles à partir d'un stock imposant de photographies souvent non légendées. Bernadette Schnitzler, conservateur en chef du Musée Archéologique de Strasbourg, a relu et effectué la mise en forme de l'ensemble du texte après saisie, mis au point une maquette éditoriale et réalisé une sélection de documents d'illustration, parmi les documents disponibles. Thierry Hatt a assemblé les chapitres et les images en fichiers Adobe Acrobat et a installé ces derniers sur le site Internet dédié. Cette publication a été mise en ligne en septembre 2005. » (Avertissement de la famille.) 



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04 avril 2006

De Septem Fontibus

La question est maintenant de savoir quel culte païen a été recouvert par les figures de saint Martin, saint Silvain, saint Silvestre et autres Rodène et Corusculus. Comme à Vatan, il est très certainement lié à une ou plusieurs sources : « A l'origine, écrit Stéphane Gendron, le village semble avoir joué un rôle important dans le culte de l'eau guérisseuse. La fontaine guérisseuse de sainte Rodène (scrofuleux, feu de saint Sylvain, ou érysipèle, engelures...) est fréquentée au moins depuis le XIIIe siècle. » (Les Noms de Lieux de l'Indre, op. cit. p. 25.) Un ruisseau prend source à Levroux, à l'est de la ville intra muros, ruisseau nommé Céphons, c'est-à-dire Septfons, les sept fontaines, près d'une métairie appelée déjà Sept Fonds au XIIIe siècle. Stéphane Gendron encore : « Selon Ardouin-Dumazet, la source est l'objet de légendes : On prétend qu'une grosse pierre bouche le fond de l'abîme et empêche les eaux d'être trop abondantes ; si on l'enlevait, Levroux serait inondé ! ».

Il semble qu'il y eut par le passé des débats passionnés sur l'orthographe du cours d'eau (Céphons ou Septfonds) et pour savoir s'il y avait bien sept fontaines à Levroux. A mon humble avis, c'était être aveugle à la portée symbolique des termes choisis. Je ne m'étendrai pas sur la valeur universelle du septenaire qui est bien connue, sinon pour dire qu'il signe, entre autres, le Septentrion, c'est-à-dire les sept étoiles de la Grande Ourse1 . Cette valence cosmique se répète peut-être avec la graphie de Céphons, qui évoque irrésistiblement Céphée, autre constellation boréale dont les étoiles alpha et gamma furent polaires, voici 21 000 et 19 000 ans avant notre ère.

 

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Céphée « est reconnaissable à sa forme de pentagone irrégulier, ou de dessin enfantin d'une maison à toit pointu. » Or, la cité médiévale de Levroux avec sa ceinture de remparts nous présente une figure étrangement proche, comme l'attestent la carte de Cassini ou l'atlas de Trudaine.

 

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Carte de Cassini

 

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Levroux en 1747 (atlas de Trudaine)

 

Sources des cartes : Histoire et Archéologie du pays de Levroux (Indre), 2003

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1 Je ne parviens pas à remettre la main sur une note prise lors de la lecture du Journal de Paul Claudel : il y mentionnait, si j'ai bonne mémoire, avoir vu sept puits à l'intérieur d'un temple chinois, figurant la constellation boréale.

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01 avril 2006

Le Feu de saint Silvain

« Discourez par les sacres bibles: vo' trouverez que de ceulx les prières n'ont iamais esté esconduites, qui ont mediocrité requis. Exemple on petit Zachée, duquel les Musaphiz de S. Ayl près Orleans se ventent avoir le corps & relicques, & le nomment sainct Sylvain. Il soubhaitoit, rien plus, veoir nostre benoist Servateur au tour de Hierusalem. C'estoit chose mediocre & exposée à un chascun. Mais il estoit trop petit, & parmy le peuple ne pouvoit. Il trepigne, il trotigne, il s'efforce, il s'escarte, il monte sus un Sycomore. Le tresbon Dieu congneut sa syncère & mediocre affectation. Se praesenta à sa veue: & feut non seulement de luy veu, mais oultre ce feut ouy, visita sa maison, & benist sa famile. »

Rabelais, Quart Livre (Prologue)

 

Martin n'est pas le seul saint attaché à Levroux, il n'y patronne d'ailleurs aucune église, aucune chapelle, comme si on lui tenait rigueur de son prosélytisme virulent. Plus important pour la cité est saint Silvain, que Sulpice Sévère ne mentionne pas, mais dont un manuscrit daté du VIIIe siècle et conservé à la bibliothèque de Berne, atteste du culte, conjugué à celui de saint Silvestre, dès cette époque. « La charte de fondation du chapitre de 1012 et une autre charte de 1072, précise Jean-Paul Saint-Aubin, donnent saint Silvain comme patron de l'église collégiale et mentionnent que son corps ainsi que ceux de saint Silvestre et d'autres saints y reposent. » (Saint Silvain, in Histoire et archéologie du pays de Levroux (Indre), ouvrage collectif, Levroux, 2003.)

Ce saint Silvain est identifié avec le publicain Zachée de l'Evangile de Luc (comme en témoigne encore Rabelais dans l'extrait placé en exergue). Il est envoyé en Gaule par saint Pierre, en compagnie de saint Silvestre, pour évangéliser le Berry. Mais en chemin, Silvestre meurt. Selon Mgr Villepelet, Silvain le ressuscite immédiatement ; Jean-Paul Saint-Aubin rapporte, lui, qu'il retourne à Rome où saint Pierre lui confie son bâton pastoral avec lequel il ressuscite Silvestre. Ceci rappelle furieusement la légende de saint Martial, qui, de même, ressuscite son compagnon Austriclinien avec le bâton de saint Pierre qu'il est allé rechercher à Rome.

medium_stalle-levroux2.jpgQue ce rapprochement ne soit pas fortuit, nous en avons la preuve avec la Vita prolixior, vie de saint Martial écrite par Adémar de Chabannes vers 1027-1028. Ce moine de Saint-Cybard d'Angoulême et de Saint-Martial de Limoges s'était fait le défenseur acharné de l'apostolicité de saint Martial, premier évêque de Limoges, envoyé selon Grégoire de Tours par le pape au IIIe siècle pour évangéliser cette ville. Il en fit, selon Raphaël Richter, un « contemporain du Christ, présent à la résurrection de Lazare comme à la Cène, ayant reçu comme les autres apôtres l'Esprit saint au jour de la Pentecôte, cousin de saint Pierre et parent du premier martyr, le diacre Etienne. Il s'agissait pour les moines de Saint-Martial de glorifier leur patron, de faire s'accroître la dévotion des fidèles à son égard, afin d'attirer l'argent nécessaire à la construction d'une nouvelle église abbatiale, plus grande, et de contrer la concurrence d'autres saints de cette région, comme saint Front à Périgueux. »

Or le personnage de Zachée apparaît dans la Vita prolixior : « Adémar utilise la légende de l'invention de la sainte Croix par un dénommé Cyriaque ou Judas : celui-ci aurait dévoilé son lieu de conservation à sainte Hélène, mère de l'empereur Constantin. Il l'aurait, d'après cette légende, connu par son père, Simon, fils de Zachée ; Zachée aurait enterré la Croix pour la soustraire aux Juifs. Zachée est ce riche publicain de Jéricho qui apparaît dans l'Evangile de Luc (19, 1-10). Il est mentionné dans la Vita prolixior comme ayant reçu le baptême en même temps que saint Martial et ses parents. Cette légende fait en outre de Zachée un parent du premier martyr, le diacre Etienne ; or la Vita prolixior affirmant à trois reprises que Martial et Etienne étaient liés par le sang, cette légende de l'invention de la Croix par Judas-Cyriaque sert à Adémar pour suggérer que Zachée est peut-être un parent de Martial, ce qui expliquerait pourquoi il est mentionné dans la Vita. »

 

Cette invention se retrouve dans certaines traditions locales, ainsi le port de Vieux-Soulac aurait servi de point de départ au Ier siècle de plusieurs campagnes d'évangélisation de l'Aquitaine par Zachée, son épouse Véronique et Saint Martial.

 

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Collégiale Saint-Silvain (portail)

 

Mais reprenons le fil de l'histoire berrichonne. Notre Zachée-Silvain et Silvestre arrivent donc à Levroux, où ils convertissent une riche jeune fille, Rodène, fiancée au noble Corusculus. Renonçant au mariage, pour le repousser, Rodène se mutile et se défigure. Silvain la guérit et Corusculus, touché par ce miracle, se convertit à son tour. « Il devient également saint, ajoute Mgr Villepelet, son corps sera transféré plus tard à Déols et honoré sous le nom de saint Courroux (que les hérétiques par dérision appeleront plus tard saint Greluchon. » (Les Saints Berrichons, Tardy, p. 141.)

Après sa mort, saint Silvain est l'objet d'un culte fervent et l'on vient de loin pour se faire guérir, d'une boiterie, de la lèpre ou surtout de cette maladie précisément appelée le « feu de Saint-Silvain ». Dit encore « feu d'enfer » (nous ne quittons pas le registre infernal qui nous a conduits à Levroux), il désignait une sorte d'érysipèle. « Ceux qui en étaient atteints, écrit Mgr Villepelet, étaient reçus par les chanoines de Levroux, dans un hôpital spécial, appelé le Porche, où ils étaient gardés pendant neuf jours. »

Le même auteur signale qu'aujourd'hui seule la tête de saint Silvain est conservée à Levroux, les autres ossements ayant été transportés au XVIème siècle dans une chapelle proche de La Celle-Bruère, dans le Cher. Cette tête est vénérée le cinquième dimanche après Pâques, qui s'appelle pour cette raison la fête du chef (Rappelons que saint Laurian et saint Clair, saints sans chef, sont fêtés à Vatan le quatrième dimanche après Pâques).

Notons enfin que le Chapitre de chanoines de l'église de Saint-Silvain fut fondé le 6 mai 1013, par Eudes de Déols, dit Eudes l'Ancien, en présence de l'archevêque Dagbert et des principaux nobles du voisinage, Dreux de Buzançais, Gilbert de Brenne, Béraud de Dun, Adelard de Châteaumeillant, Hubert de Barzelle (Hubert, Le Bas-Berry, p.53.) Or, Eudes l'Ancien n'est autre que l'un des fondateurs de la rotonde de Neuvy Saint-Sépulchre.




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