17 janvier 2007
Denis Gaulois (14) : Giraldus fecit istas portas
Revenons à nos bêtes féroces. La mention par Anne Lombard-Jourdan du tympan de Saint-Ursin de Bourges prend place dans la chapitre III de son livre Aux origines de Carnaval (Odile Jacob, juin 2005), chapitre intitulé Carnaval - Un moment païen au coeur du calendrier chrétien. Pour elle, ce terme de "Carnaval" "désignait primitivement le moment où les cerfs perdent leurs bois. La racine carn ne se rapporterait pas à caro, carnis, la chair, mais à cern, corn, carn (latin cornu), qui nomme la "corne" des animaux et, en particulier, "les bois du cerf". Et donc Carnaval signerait le temps où la corne va à val ou avale, autrement dit tombe : "L'adverbe "aval" et le verbe "avaler", précise-t-elle, étaient très employés au Moyen Age. Dès la Chanson de Roland, on trouve "aval" opposé à "amont". Avaler a vieilli dans le sens de "descendre" et, depuis le XVIIe siècle, on l'emploie surtout pour "faire descendre dans le gosier, déglutir". Mais Rabelais joue encore au XVIe siècle sur le double sens du mot : descendre et déglutir. Dans les Propos des bien yvres, un des buveurs s'exclame : "Si je montois aussi bien comme j'avalle, je feusse pieça hault en l'aer." Le même auteur emploie aussi la forme pronominale "s'avaler" dans le sens de " se laisser glisser en bas"." (op. cit. p. 241)
Or, cette chute des bois du cerf, placée en février sous nos latitudes, comme on peut par exemple le vérifier sur Le Grant Kalendrier et compost des Bergiers, (1491), a peut-être marqué le début de l'année dans bon nombre de sociétés païennes. Anne Lombard-Jourdan en donne quelques indices (entre autres le calendrier celtique de Coligny, la création du mois de Hornung pour février par Charlemagne, la fête du lundi du cerf (Hirschmontag) en Alsace, en Lorraine et dans le Sundgau) avant d'attirer l'attention sur le tympan de l'ancien portail de l'église de Saint-Ursin de Bourges : "Ce petit chef d'oeuvre de l'art roman offre une composition et une iconographie exceptionnelles, dont l'inspiration entièrement profane a pourtant dû être approuvée par le clergé du lieu. Chose très rare au Moyen Age, le nom du sculpteur est gravé au-dessous : GIRALDUS FECIT ISTAS PORTAS. Ce tympan comprend trois registres. Au premier sont figurés les douze mois et -voilà ce qui nous intéresse - c'est février qui commence la série. La scène représentée, un homme qui se chauffe à un feu, évoque le froid de l'hiver, qu'il commence ou s'achève. Elle a été fréquemment utilisée aux portails d'autres églises pour symboliser janvier ou février et, plus rarement, décembre. Mais au tympan de Saint-Ursin, les lettres FEB gravées au-dessous, les premières de FEBRUARIUS, écartent toute équivoque.
Au second registre se déroule, sur toute la longueur, une chasse au cerf et au sanglier remarquablement animée.*
Au troisième, sont figurées des fables : celle de la cigogne qui retire un os de la gorge du loup et celle des funérailles de Renard, lequel ressuscite et se jette sur les coqs qui le portent en terre. Ici, aucun rappel de l'Ancien ou du Nouveau Testament, aucune religieuse leçon, mais la seule évocation de ce qui faisait la vie de chaque jour et le bagage culturel de chacun. Comment expliquer une telle icinographie, par ailleurs exceptionnellement signée et donc revendiquée par l'artiste GIRALDUS ? Dans ce pays de Berry, mal irrigué par les courants novateurs et singulièrement attaché à ses traditions les plus lointaines -nous le verrons encore avec Gargantua et Mélusine -, elle traduit une inspiration profonde que les spectateurs du moment étaient parfaitement capables d'interpréter." (Op. cit. p.85. C'est moi qui souligne).
Cette spécificité du Berry, comme province "conservatoire" des traditions, revient plusieurs fois dans l'ouvrage et renforce bien évidemment notre conviction qu'ici, plus qu'ailleurs, s'est maintenue dans ses formes et ses mythes la géographie sacrée qui devait autrefois mailler tout le territoire.
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* En note, l'historienne précise que cette scène de chasse peut avoir été inspirée par celles sculptées sur les sarcophages de l' Antiquité tardive, mais qu'elle n'en est pas la copie : " Le veneur qui chevauche en tête et sonne du cor est bien médiéval : il monte avec étriers et les jambes tendues en avant, comme les chevaliers si souvent représentés sur les miniatures des XIIe et XIIIe siècles."
Sarcophage de saint Ludre (dessin de Meyer)
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12 janvier 2007
Cinq choses peu connues à mon sujet
J'avais vu fleurir le jeu ces derniers jours sur le net. Je suis très méfiant vis-à-vis des chaînes ( aversion pour ces messages qui, d'un côté vous promettaient le bonheur, et de l'autre vous enjoignaient de les propager autour de vous, sous peine de malheur dans la quinzaine à venir), mais je dois dire que je lisais toujours avec curiosité ces billets souvent amusants et insolites (un brin de voyeurisme devait aussi entrer là-dedans). Et puis voilà que l'Ornitho, dont je guette toujours la fiction nouvelle, entre dans le jeu et me convie in fine à le partager. Après mûre réflexion (non, le cliché n'est pas très juste, la réflexion est plutôt verte car je ne sais pas trop pourquoi je sacrifie à l'exercice alors que j'ai sous le coude des travaux plus sérieux - mais il y a plaisir parfois à perdre son temps, non ?), après tergiversation donc, je me lance.
J'ai vécu plusieurs années de mon enfance à Saulzais-le-Potier, un des trois villages qui revendiquent être le Centre de la France (d'où peut-être ma dilection pour les omphalos...). Paradoxe : ce village rouge s'appuyait sur les calculs de l'abbé Moreux.Je me souviens avoir assisté à des jeux inter-villages qui opposaient Saulzais à Vesdun et Bruère-Allischamps, les deux autres prétendants au titre. Cela n' a pas suffi à les départager.
J'ai été initié à vingt ans à la Méditation Transcendantale. Cela m'a coûté un quart de mon salaire de l'époque et j'ai dû acheter des fruits et des mouchoirs blancs pour la cérémonie. Tout ça pour un mantra, à sussurer soir et matin. Je n'ai pratiqué que quelques mois. Sur une plage de Bretagne, en hiver, j'ai initié à mon tour trois amis. Nous n'en avons jamais reparlé.
J'ai bataillé pendant un an avec une amie guérisseuse qui tenait ses secrets de sa mère (elle officiait en Brenne où elle intervenait apparemment avec beaucoup d'efficacité sur le bétail). Je refusais d'accorder quelque crédit que ce soit à cette charlatanerie. Avec sa tranquille assurance, mon amie a réussi à ébranler mon scepticisme, à tel point qu'elle a tenu à me confier un des ses charmes. Ainsi puis-je panser les piqûres (guêpes, abeilles et même serpents), disposant du geste et de la formule ad hoc. J'ai peu usé de mes pouvoirs (personne ne s'étant avisé de se faire mordre par une vipère en ma présence), mais les enfants aimaient venir se faire panser quand ils étaient tombés dans les orties...
J'ai failli être champion de l'Indre de cyclisme, en catégorie cadets. Cette année-là, la course se déroulait au Blanc. Au dernier tour, nous n'étions plus que six en tête. L'arrivée était jugée au sommet de la Ville Haute. J'abordai la dernière côte en première position, bien décidé à lancer le sprint de loin. Manque de chance, sous ma pédalée rageuse, ma chaîne a dégringolé sur le petit pignon et je me suis retrouvé planté dans le fort raidillon. Mes concurrents me dépassèrent allègrement et je ne terminai que sixième. Je renonçai l'année suivante au sport cycliste.
J'ai ouvert depuis quelque temps un autre blog, un blog noir, sur une plateforme dépourvue de statistiques. Je n'ai donné l'adresse à personne, absolument personne (et je ne la donnerai pas plus maintenant que j'en ai fait l'aveu). Il me plaît que cet objet, tout à fait accessible par ailleurs, mène une vie anonyme au sein du réseau, trou noir au milieu de la galaxie webique. Je me doute bien qu'un jour, de par le jeu des moteurs et si je continue à l'alimenter, un visiteur posera un oeil sur le météore et y laissera peut-être une trace, mais c'est qu'alors le temps sera venu de la visibilité. Je ne suis pas pressé.
Je passe la main à Colette (l'Ornitho pense que ça va la fatiguer, mais ça ne coûte rien de lui proposer), Marc Briand, Jean-Marc Bellot, Gatito et Marc Lebeau (qui n'a pas de site, mais que j'accueillerai volontiers dans ces pages).
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03 janvier 2007
Denis Gaulois (13) : 7 J 17
Aux Archives Départementales, j'ai trouvé copie de la légende de Denis Gaulois. Le manuscrit faisait partie du lot 7 J 17 : il ne paie pas de mine. Rédigé - à ce qu'on peut lire en préambule- par le prieur Jean Devineau, à la demande de son altesse sérénissime le Prince de Condé, il ne se présente pas en effet comme un acte prestigieux, objet de soins particuliers : l'écriture s'y dégrade considérablement au fil des pages, les ratures et les corrections y sont nombreuses, mais peut-être s'agit-il d'une simple copie d'un document plus officiel ? C'est d'ailleurs en tant que copie qu'il est répertorié aux Archives. Impossible d'en savoir plus pour l'instant : je l'ai déjà dit, cette légende n'a guère mobilisé l'attention des historiens et érudits locaux, qui ont sans doute été désarçonnés par la fantaisie d'un texte dont le statut reste improbable, n'étant manifestement ni légende populaire, ni chronique historique un tantinet crédible.
C'était donc un beau moment d'émotion que de relire sous l'encre priorale les épisodes de la vie de Denis, mais je dois confesser que ça ne m'a guère fait progresser dans la réflexion. Nous allons donc reprendre l'histoire là où je l'ai laissée fin novembre, avec l'arrivée de Denis à Bourges et sa rencontre avec le patriarche Ursin. Léocade fait alors son entrée :
"Le patriarche fit venir Léocade, qui promit de suivre le père Gaulois ; mais, après sa mort, il vouloit avoir ses biens ; il lui dit : Je le veux, mais il faut vous faire baptizer. - Il fit refus, disant : Je n'ai quitté mon pays pour cela. -Cependant le patriarche et le bon vieillard le firent consentir, et en passèrent acte que Léocade apporta lui-même aux habitants de ces cantons, pour leur faire voir qu'il avoit reçu le sacrement de baptême avec son fils Ludre et sa famille, tous des mains du patriarche Ursin, en l'église de saint Etienne. Avant que de partir, Léocade fut nommé gouverneur de la Gaule, en présence du seigneur Gaulois, qui y consentit. Ils firent leurs adieux au patriarche, qui, en les quittant, leur dit : Dieu soit avec vous ; ne vous quittez pas ; ne vous lassez point de bâtir des temples ; secourez les affligés. - Ils partirent ensuite et prirent leur route vers le canton de Déols."
Nous assistons ici à un sacré marché qui n'a rien de mystique: Léocade met ses compétences de chasseur au service du vieux Gaulois mais exige ses biens en retour après trépas (qui ne saurait bien tarder logiquement vu l'âge canonique du héros). Revendication somme toute colossale. Réponse de Denis : d'accord mais après baptême. Refus tout d'abord du Nemrod avec cette réplique qui ne manque pas de sel : Je n'ai quitté mon pays pour cela.
Notons bien qu'il ne dit pas : Je ne quitterai pas mon pays pour cela. Non, il emploie le passé, or à aucun endroit de la légende, il n'a été dit que Léocade a quitté son pays, il a toujours été donné comme vivant à Bourges. L'auteur du texte commet une légère incohérence qui révèle en creux la source scripturaire qui n'est autre que Grégoire de Tours, où Léocade quitte en effet sa ville de Lyon pour celle de Bourges. Finalement, il accepte le baptême, après forcing des deux ancêtres. Mais, pour être plus sûr, il est nommé gouverneur de la Gaule "avant que de partir"... Fin de la transaction.
Il est intéressant maintenant de scruter les détails où l'auteur innove par rapport à la source : ainsi Léocade est donné, on l'a dit, comme un chasseur, quand Grégoire de Tours ne le désigne que comme un haut dignitaire romain. Pourquoi un chasseur ?
Sur le site Apemutam (Archéologie musicale médiévale), dans un article sur le cor de chasse roman, il est écrit que "Dans la sculpture romane, la chasse constitue une prédicationpour montrer la poursuite du bien et du mal, les Etapes de la vie du Chrétien, les Ages de la vie." Et devinez quel est l'exemple qui en est aussitôt donné : "Le tympan de Saint-Ursin de Bourges représente le temps de la vie du Chrétien avec les travaux des mois, la chasse aux tempéraments représentés par divers animaux (âne, sanglier, cerf), les Ages de la vie avec les arbres figurés en différentes saisons, comme sur les sarcophages romains de Déols, de Reims et sur la frise romaine remployée sur le mur extérieur de la cathédrale du Puy. La chasse à l'épieu aurait suffi pour exprimer l'activité cynégétique, mais on remarque que le sculpteur a placé un cor dans la bouche du cavalier." (C'est moi qui souligne.)
" Grégoire de Tours raconte la terrible colère du roi Gontran à la suite du vol du cor qui lui servait à rassembler ses chiens et à mettre en fuite les troupeaux de cerfs "aux cornes arborescentes". Il jeta dans les fers beaucoup de gens à cause de cette perte." Anne Lombard-Jourdan qui rapporte cette anecdote (Aux origines de Carnaval, p.94) non seulement s'est longuement penchée sur la valeur rituelle de la chasse, mais a consacré quelques paragraphes de première importance au tympan de Saint-Ursin de Bourges. Examen d'iceux au prochain épisode.
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30 novembre 2006
Denis Gaulois (12) : De l'influence des druides
Tentons de résumer : l'analyse de la tradition (reprise dans la légende de Denis Gaulois) faisant remonter l'établissement des chrétiens à Bourges à un certain Léocade a fait émerger une constellation symbolique exaltant la blancheur et la lumière, en relation avec Leucade, haut-lieu de la géographie sacrée du monde grec (Jean Richer, 1967). Ce fait qui ne m'est apparu que lors de ma dernière recherche me porte à une nouvelle hypothèse au sujet de la généalogie des systèmes symboliques : en effet, jusque-là, j'avais tendance à penser qu'une première géographie sacrée celtique, non géométrisée, principalement organisée autour des rivières (Bouzanne, Arnon) avait précédé la géographie sacrée zodiacale, avec ses douze signes et son omphalos basé à Neuvy Saint-Sépulchre.
Or, il ne me semble plus impossible que déjà, à l'époque gauloise, une géographie sacrée zodiacale similaire à celle qui existait en Grèce ait pu être élaborée. La lecture, elle aussi toute récente du livre de Jean-Louis Brunaux, Les Druides, sous-titré Des philosophes chez les barbares (Seuil, 2006), me conforte dans cette vue. L'auteur, archéologue et chercheur au CNRS, y procède à une relecture critique des rares documents écrits que nous possédons sur les Druides. Et c'est peu dire que, bousculant les conceptions pseudo-ésotériques qui foisonnent encore de nos jours, il renouvelle très largement la vision que nous avions de ces énigmatiques personnages. Mettant en évidence les liens étroits qu'ils auraient eu avec les Pythagoriciens grecs, il montre que, plus que des prêtres et des devins, les druides auraient été avant tout des philosophes et des savants :
« C'est, à coup sûr, dans le domaine de la science proprement dit qu'ils se sont imposé comme des êtres supérieurs et surtout comme les rouages indispensables au bon fonctionnement des communautés auxquelles ils appartenaient. Leur domaine de prédilection, en tout cas celui qui remonte le plus loin dans le temps, est l'astronomie avec toutes ses applications à la vie quotidienne. Elle est la seule science dont les auteurs anciens nous apprennent tout à fait explicitement qu'elle était non seulement régulièrement pratiquée par eux, mais qu'elle était l'une de leurs préoccupations primordiales : « Les druides dissertent abondamment sur les astres et leur mouvement, sur la grandeur de l'univers et sur celle de la terre [...] et ils transmettent ces connaissances à la jeunesse. » Comme l'exprime avec précision, quoique sous une forme ramassée, cette phrase de César, l'observation du ciel et des astres entrait dans une série de spéculations plus vastes qui comprenaient aussi des interrogations sur la nature et la forme de la terre et plus largement encore de tout l'univers. En cela, ils ne différaient guère des premiers penseurs grecs, les Présocratiques puis les Pythagoriciens, pour lesquels l'astronomie était à la fois un domaine de recherche propre et un instrument pour comprendre des phénomènes plus généraux (la nature et l'origine de la matière) ou particuliers (la nature et la forme de l'astre sur lequel nous vivons, la géographie de la Terre).(p. 260) » (C'est moi qui souligne)
A l'époque de la conquête romaine, Jean-Louis Brunaux montre que les druides avaient déjà perdu une grande partie de leur pouvoir sur la société celtique (le seul druide mentionné nommément dans la Guerre des Gaules, l'éduen Diviciac, ne correspond lui-même plus vraiment à la définition canonique du druide), mais il fait remonter très haut dans le temps leur emprise : ainsi considère-t-il que les druides, « depuis le Ve siècle av. J.-C., et peut-être sous l'influence des courants d'idées pythagoriciens, étaient devenus des maîtres de la géométrie. (p. 263) »
Géométrie et astronomie trouvaient leurs applications les plus cruciales en matière de culte :
« Depuis les temps les plus anciens, les hommes étaient persuadés que, pour rendre efficaces les cérémonies religieuses, il fallait les mettre en accord avec l'univers et ses éléments les plus proches des hommes, le ciel et les astres. Sacrifices, offrandes, banquets se déroulaient à des dates déterminées par la révolution du soleil, celle de la lune et la position de quelques étoiles. L'établissement de quelques lieux de culte fixes, destinés à durer toujours, nécessité un plus grand respect encore de l'harmonie entre les créations des hommes sur la terre et l'univers immédiat. On orienta les enceintes vers le soleil levant en se basant sur des événements remarquables comme le solstice. Parfois on procéda même à des doubles orientations, de l'enceinte tout d'abord dont chaque côté fait face à un point cardinal, ensuite de l'autel et du porche d'entrée dont l'alignement est aussi celui du solstice d'été. Cette mise en place des éléments architecturaux en fonction de réalités célestes nécessitait force calculs et de réelles capacités en géométrie.(p. 261) » (C'est moi qui souligne)
Bourges et Déols n'ont-ils pas été de ces lieux sacrés, accordés aux conjonctures célestes, dont toute trace des sanctuaires celtiques a sans doute disparu, mais dont le souvenir a été préservé dans les légendes, orales tout d'abord, puis partiellement transcrites, par exemple dans les écrits de Grégoire de Tours, jusqu'à cet ultime témoignage voilé par la fantaisie qu'est la fable de Denis Gaulois ?
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25 novembre 2006
Denis Gaulois (11) : Léocade et la lumière
GUIDO : Je pensais que vous voulussiez donner jusques à Saint-Denis et parler de frère Jérôme, qui cherchait la pierre à casser les oeufs.
ALAIN : Qu'est-ce à dire ?
VIVÈS : Vous le saurez tantôt. Ce moine, pour le dire plus gaiement, cherchait la pierre philosophale et était parisien – et de fait, j'ai été en beaucoup de lieux et plages du monde habitable philosophique, et je ne vis jamais en aucun endroit tant de Parisiens qu'à Paris. (...)
Béroalde de Verville (Le Moyen de parvenir, Folio Gallimard, p. 91)
« Ursin, écrit Mgr Villepelet, fut ordonné évêque par les disciples des Apôtres, qui l'envoyèrent dans les Gaules ; il atteignit bientôt la ville des Bituriges, où il prêcha aux habitants Jésus-Christ Notre-Seigneur, salut du monde. » Grégoire de Tours n'en dit pas plus sur le rôle d'Ursin dans le devenir de la communauté qu'il fonde. En effet, s'il déclare que les nouveaux convertis cherchent une maison pour établir leur église, il ne précise pas qu' Ursin mène cette quête. Quête qui, devant l'obstruction des sénateurs et autres grands personnages de la ville restant « très attachés au culte des faux dieux », conduit ces pauvres gens jusqu'à Lyon où réside Léocade, le premier sénateur des Gaules. Contre toute attente – l'homme étant encore païen – il donne sa maison de Bourges, refusant même les trois cents pièces d'or et le plat d'argent que les chrétiens lui proposent en échange, plus précisément, n'en prenant que trois, « par déférence ». Peu après, il abjure l'idolâtrie « où il était encore plongé » et se fait baptiser avec son fils Ludre. Son palais devient église, qu'on enrichit des reliques de saint Etienne. Grégoire de Tours ne reparle d'Ursin que pour signaler qu'à sa mort « son corps fut enseveli près de la ville, dans un champ où, quelques siècles plus tard, il fut retrouvé dans un état de parfaite conservation. »
Mgr Villepelet considère que bien que Grégoire de Tours ait écrit environ trois siècles après les faits, on peut néanmoins accepter son témoignage comme digne de foi ( au contraire des Acta Sancta Ursini, selon lesquels saint Ursin aurait été un des soixante-douze disciples de Jésus, peut-être même Nathanaël, et aurait même assisté à la Cène). Je suis bien sûr plus sceptique. Avec trois cents pièces d'or, les chrétiens ne pouvaient-ils acheter ou faire bâtir une église ? Comment pouvaient-ils espérer être même reçus par un haut dignitaire encore fidèle à la religion romaine ? Improbable voyage, improbable conversion que nul événement ne provoque. Ne faut-il pas plutôt lire ce passage de Grégoire de Tours comme un mythe justifiable d'une interprétation symbolique ?
Je m'interroge tout d'abord sur ce nom : Léocade. Quelle en est l'étymologie ? Et bien Léocade, si l'on en croit ce site, renvoie à Leukada, autrement dit Leucade, nom d'une île de l'archipel des Ioniennes, sur la côte occidentale de la Grèce. Or, j'ai déjà traité de Leucade en une précédente note sur Henri de Monfreid. Qu'on me permette de me citer un peu longuement :
« "Le point initial du cycle, en relation avec l'équinoxe de printemps et correspondant symboliquement au point vernal, tombait dans la mer Ionienne juste en avant du saut de Leucade. Il était donc commode, pour la lecture ultérieure de la figure, de tracer un cercle ayant pour rayon la distance Delphes-Leucade et de le diviser en douze parties égales à partir du point que nous venons d'indiquer." (Géographie Sacrée du Monde Grec, Guy Trédaniel, 1983, p.37). Jean Richer cite le géographe grec Strabon qui signale que, de son temps, chaque année le jour de la fête d'Apollon, un criminel était précipité du haut du rocher de Leucade. "Des plumes étaient collées sur son corps et on l'attachait même à des volatiles vivantes pour ralentir sa chute. Il était gracié s'il sortait vivant de l'eau."
De même, dans la roue zodiacale centrée sur Sardes, en Anatolie, la localité située à la latitude de Sardes se nomme Leuca. Un autre cap du même nom, à la pointe sud-est de la Calabre, au Promontoire Iapygium Sallentinum, "semble avoir été considéré, au moins à un certain moment, comme une sorte de relais jouant le même rôle symbolique que Leucade et avoir donc été mis en relation avec le point vernal."(Géographie Sacrée dans le Monde Romain, Guy Trédaniel, 1985, p.66). Le nom même de Leucade est apparenté à celui de la blancheur (leukè) et de la Lumière (lycos). »
Que le fils de Léocade se nomme Ludre est un autre indice remarquable : Ludre est en effet la traduction populaire du latin Lusor, où la racine lux se laisse lire avec évidence. En occitan existe encore le mot lusor qui signifie lueur : L'alba es la primièra lusor del jorn que pareis a l'asuèlh, just al moment quand lo solelh es en vam de se levar (L'aube est la première lueur du jour qui paraît à l'horizon, juste au moment où le soleil est sur le point de se lever).
C'est dans le juste prolongement de ce symbolisme de la lumière naissante que la tradition rapporte que saint Ludre mourut encore vêtu de la robe blanche des néophytes. Il n'est jusqu'à son sépulcre à Déols à n'être pas sans raison en marbre de Paros : cette pierre, dont on usa pour la Vénus de Milo ou la Victoire de Samothrace, étant d'une blancheur éclatante.
Énée se tenait droit, resplendissant dans la claire lumière ;
il avait le visage et les épaules d'un dieu ; car sa mère en personne
avait insufflé à son fils une chevelure magnifique, l'éclat vermeil
de la jeunesse et elle avait empli ses yeux d'une grâce charmante :
comme lorsque des mains artistes rehaussent la beauté de l'ivoire,
ou lorsque l'argent ou le marbre de Paros se parent d'or.
Enéide (1, 588-593)
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