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09 mars 2006

La Couronne de Ménétréols

« Dès la plus haute antiquité, une valeur prophylactique est attribuée à la couronne. Elle tenait cette valeur de la matière dont elle était faite, fleurs, feuillage, métaux et pierres précieuses, et de sa forme circulaire, qui l'apparentait au symbolisme du ciel.

En Grèce et à Rome, elle est un signe de consécration aux dieux. Dans le sacrifice, sacrificateur et victime sont couronnés. Les dieux se détournent de ceux qui se présentent à eux sans couronne, dit un poète grec archaïque. Les statues des dieux sont couronnées, et généralement avec les feuilles des arbres ou les fruits des plantes qui leur sont consacrés, le chêne à Zeus, le laurier à Apollon, le myrte à Aphrodite, la vigne à Dyonisos, les épis à Cérès... »

(Dictionnaire des Symboles, Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, art. Couronne, p. 304, Robert Laffont, 1982)

Genèse d'une figure.

En examinant la semaine dernière sur la carte la position de Saint-Valentin par rapport à Vatan, je constatai que le village de Ménétréols-sous-Vatan était pratiquement situé à mi-chemin des deux bourgs. Un hasard peut-être, mais dans ces cas-là, un réflexe presque professionnel me commande de tracer le cercle ayant comme centre le lieu médian en question, donc ici Ménétréols, dont je sais que le nom indique l'ancienne présence d'un monastère (Monesteriolo, 1154, de monasteriolum, petit monastère).

 

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J'y suis d'autant plus enclin que je suis intrigué par ce nom de Tournemine, désignant la rivière passant à Saint-Valentin.

Tournons donc.

Or, j'ai la bonne surprise de glaner sur cette circonférence le lieu-dit La Ronde et le village de Giroux (Giro, 1214, que S. Gendron fait dériver de Giroldus, nom propre germanique, et sans doute a-t-il raison, mais comment ne pas y lire aussi la giration ?).

 

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A ce stade, je suis encore loin d'être certain de la valeur de mon hypothèse. Je me documente alors sur chacun des villages aux alentours de ce cercle et constate que quatre d'entre eux (Paudy, Liniez, Lizeray et Giroux) possèdent une église Saint-Martin (à Liniez, coule un ruisseau également nommé Saint-Martin). Saint Martin, le grand saint évangélisateur, pourfendeur du paganisme des campagnes. Encore une fois, ce n'est pas un indice décisif, car Martin est le saint « qui possède le plus grand nombre de patronages d'églises (près de quatre mille) alors que les toponymes débutant par Saint Martin ou incluant le nom de saint Martin ne se comptent plus. » (Ph. Walter, op.cit. p. 54), mais il y a tout de même lieu de s'interroger.

J'aurai l'occasion de revenir sur cette grande figure de Martin.

 

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Un deuxième cercle intérieur définit une couronne contenant tous les villages circonvoisins de Ménétréols, isolant celui-ci sur son plateau dominant légèrement les vastes horizons de la Champagne. A propos, quel saint patronne l'église de Ménétréols ? Saint Paul, dont on sait qu'il s'est souvent substitué à Apollon, le dieu de la Lumière : « Toute couronne participe de l'éclat et du symbolisme de la couronne solaire. » (Dictionnaire des Symboles, p. 303.)

 

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Vitrail de saint Paul à Ménétréols

Enfin, je m'avise que ce n'est pas le premier cercle qui apparaît sur ce parcours zodiacal. On se souvient peut-être de la Roue de Taranis, à cheval sur Poissons et Bélier, ou Roue de Nesmes

Or, les diamètres de cette Roue et celle de la Couronne de Ménétréols sont identiques à quatre cents mètres près.

Ménétréols, comme Nesmes, signalerait-il un autre sanctuaire celtique, un autre nemeton ? Les deux noms consonnent étrangement : et si le petit monastère latin dissimulait un important temple pré-chrétien ?

 

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 Apollon tenant la roue du zodiaque
 

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05 mars 2006

Du plus simple des calembours

Evoquant saint Clair, l'érudit Romain Guignard cite plusieurs saints Clair sans pouvoir identifier lequel était honoré à Vatan. Est-ce le saint Clair, successeur de saint Martial ou le saint Clair, « premier évêque de Nantes et apôtre de la Bretagne environnante, venu en Gaule à la fin du IIIème siècle » ? Ou bien encore cet abbé originaire de Saint-Clair, près de Lyon, et mort vers 660 ? Enfin, dernière hypothèse, ce prêtre originaire de Rochester, en Angleterre, assassiné en 894 à Saint-Clair-sur-Epte, dans le Vexin ? Point commun entre tous ces saint Clair : on les invoque tous pour les affections de la vue « sans doute en vertu du plus simple des calembours : saint Clair est un saint qui fait voir clair. »

Un chanoine du chapitre de Saint Laurian rapporte ainsi le culte populaire à saint Clair le quatrième dimanche après Pâques (donc le même jour que la fête de la translation des reliques de Laurian) :

« A côté du choeur, du côté du doyenné, il y a une grande chapelle sous l'invocation de saint Clair, au bout de laquelle il y a une espèce de caveau sous le chapitre. Dans ce caveau, il y a une fontaine et une figure de saint Clair.

Le peuple qui vient en dévotion, après avoir fait ses prières dans la chapelle en entrant, descend dans ce caveau. Chacun se lave les yeux avec l'eau de la fontaine et fait aussi sa prière devant la statue de saint Clair, après quoi on lui ôte la tête de dessus les épaules pour la baiser. Cette dévotion quoique bizarre produit au moins quarante écus chaque année à la mense du chapitre, dans des années meilleures quelquefois plus. » (C'est moi qui souligne.)

Ce chanoine, à l'époque, ne comprend déjà plus cette pratique populaire, ce pourquoi il la trouve bizarre. Evidemment, la tête de la statue que l'on baise rappelle la décapitation de Laurian. Il y a aussi quelque chose de significatif à cette descente au caveau : il s'agit encore une fois d'aller au fond de la terre obscure pour trouver la lumière. Le héros descend aux Enfers pour mieux accéder à la Terre Promise, ce qu'évoque fortement, on s'en souvient, la légende du Rocher des Fileuses, à Crozant.

Même date de fête, même référence à la décapitation, Saint Clair apparaît nettement comme un doublet de saint Laurian. Grâce à une recherche sur le net, j'ai pu en avoir la confirmation, et corollairement trouver l'identité du saint Clair invoqué à Vatan.

 


Il suffit en effet de consulter le site internet de Saint-Clair-sur-Epte. Cette ville du Vexin, située sur la frontière naturelle entre la Normandie et l'Ile-de-France, est célèbre pour le traité de paix signé en 911 entre Charles le Simple et le chef viking Rollon. Vers 878, elle se nomme encore Vulcassum, lorsque s'y réfugie un jeune et beau moine qui a échangé son prénom anglais William contre le nom de Clair. Il vient d'errer pendant douze ans pour échapper aux avances d'une femme riche et puissante. Il édifie son ermitage, mais le site précise qu'« il y rencontre moult gens qui viennent même de très loin pour le voir. » Les ermitages de l'époque sont très courus...

Je recopie la fin de l'histoire telle qu'elle est racontée sur le site :

« Seulement l'implacable dame, frustrée dans ses désirs, ne l'avait pas oublié. Les deux hommes envoyés en Neustrie le poursuivaient inlassablement. En passant à Vulcassum, voyant un homme en prières, ils lui demandèrent: "Toi, connais tu un nommé Clair", "Non" répondit il dans un premier mouvement de frayeur. Ils continuèrent donc leur chemin, mais Clair s'étant ressaisi et croyant avoir commis une grosse faute en cachant la vérité les appela : "Clair, c'est moi". Alors, se mettant à genoux et leur présentant sa tête il ajouta: "Périsse ce corps qui peut être l'objet d'un amour criminel"...Puis l'un de ses bourreaux lui trancha la tête. C'était le 4 novembre 884, Clair était âgé de 39 ans.
S'accomplit alors un miracle qui mit les meurtriers en fuite, Clair prenant sa tête à deux mains alla la plonger dans l'eau de la fontaine,
puis il se rendit à son oratoire. De là il alla à l'église et se couchant à gauche de l'autel y marqua ainsi le lieu de sa sépulture. »(C'est moi qui souligne.)

Nous retrouvons ici non seulement la décapitation par les émissaires d'un ennemi juré, mais l'acte même de laver la tête tranchée à la fontaine.

Les choses ne s'arrêtent pas là : Clair avait débarqué en Neustrie avec un compagnon, Alford, qui échangea lui aussi son nom contre celui de Cyrin. Sanctifié lui aussi, ils sont fêtés tous les deux le 16 juillet, où leurs châsses sont portées en procession dans les rues du village. Ce qui se passe ensuite est bougrement intéressant :

Après une retraite aux flambeaux et le recueillement devant une chapelle, on allume un bûcher au pied d'un bouleau fraîchement abattu. Une couronne de fleurs est disposée à six mètres cinquante du sol. Si le brasier enflamme entièrement la couronne devant les reliques de saint Clair, alors le bonheur pour tous les habitants de saint Clair est assuré pour l'année.

 

Cette couronne de fleurs ne nous rappelle-t-elle pas celle de la légende des Fileuses ? Ne fait-elle pas écho à l'étymologie de Florent, fêté le 4 juillet comme le martyre de saint Laurian ? Et comment ne pas s'étonner de cette nouvelle résonance avec Flore Brazier, l'héroïne de la Rabouilleuse ?

Enfin, cette roue de feu, que nous retrouvons aussi, par exemple, dans un rite lorrain décrit par Philippe Walter1,me semble inscrite sur le sol même de la terre vatanaise.

Il faut revenir à Saint-Valentin.

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1« Une grande roue enflammée dévalait la pente de colline qui surplombe Sierck-lès-Bains en Moselle. Si elle avait été bien lancée, elle devait finir sa course dans les eaux de la Moselle. Cette roue fabriquée à l'aide de paille devait descendre le plus loin possible. Si elle plongeait dans la Moselle, c'était le signe que la récolte de vin serait excellente. » (Mythologie Chrétienne, op.cit. p.157.)

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01 mars 2006

La lumière de saint Valentin

Saint Laurian n'était pas le seul saint honoré à Vatan. La collégiale qui avait recueilli ses reliques s'honorait de plusieurs autres saints témoignages, comme le rapporte La Thaumassière dans son Histoire de Berry, au XVIIème siècle : « Dans la même église sont deux anciens tombeaux au-dessus de l'autel, remplis de reliques, une châsse d'argent doré en laquelle est le bras de saint Valentin et du bois de la vraie croix de Notre-Seigneur et un très beau reliquaire qu'ils appellent le Sancta Sanctorum. Personne n'est inhumé dans le choeur de cette église à cause que l'on estime qu'il renferme les cendres de S. Laurian, les reliques de S. Clair, de S. Troyan évêque de Xaintes, de S. Simplice confesseur, S. Valentin martyr, S. Léonard abbé, Ste Montaine vierge, de tous lesquels l'on fait fêtes particulières et celle de leur patron le 4 de juillet par chacun an. »

Il importe d'examiner de près cette liste de saints : ce saint Valentin, dont l'église prétendait donc posséder un bras, a été lui aussi, comme Laurian, décapité. Sur les cinq saint Valentin connus, deux sont des évêques, c'est d'ailleurs ainsi qu'il est représenté dans le livre de Philippe Walter. Notons que le village de Saint-Valentin, célèbre pour sa fête des amoureux le 14 février, est situé non loin de Vatan, sur les rives de la Tournemine qui arrose ensuite le château de Frapesle, près d'Issoudun, où séjourna Balzac1 , chez son amie Zulma Carraud.

 

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« Un même rite, remarque Ph. Walter, se retrouve dans le contexte de Carnaval et dans la légende de saint Valentin : la mise à mort par décapitation d'une figure divine. Ce rite de décapitation, qui renvoie à une pratique cultuelle par ailleurs bien connue des Celtes, se retrouve dans le Rig Véda associé à une divinité qui porte le nom fort explicite de Karna. Ce dieu hindou subit une décapitation rituelle et cet acte se trouve inscrit dans le temps des saisons comme s'il devait en expliquer le cycle infini (...) Dans le folklore médiéval et contemporain, Carnaval se termine avec la mort du roi géant que l'on sacrifie sur un bûcher au soir de mardi gras.» (Mythologie Chrétienne, op.cit. pp. 88-89.)

Ce n'est pas un hasard, selon lui, si la fête de saint Valentin est situé un 14 février, en pleine période carnavalesque, et si l'élément val du nom du saint se retrouve dans le mot Carnaval.

En tout cas, si l'on examine le récit du martyre de Valentin, on y retrouve la thématique de la lumière qui était clairement apparue, si je puis dire, à l'issue de ma note précédente :

« Le faible Claude, craignant des troubles, abandonna le martyr, qui eut à subir un autre interrogatoire devant un nouveau juge:
"Comment, lui dit celui-ci, peux-tu dire que Jésus-Christ est la vraie lumière?
-- Il n'est pas seulement la vraie lumière, mais l'unique lumière, dit Valentin.
-- S'il en est ainsi, rends la vue à ma petite fille adoptive, aveugle depuis deux ans; je croirai en Jésus-Christ, et je ferai tout ce que tu voudras."

L'enfant fut amenée; le prêtre, lui mettant la main sur les yeux, fit cette prière:
"O Jésus-Christ, qui êtes la vraie lumière, éclairez cette aveugle."

A ces paroles, l'aveugle voit; le juge Astérius, avec toute sa famille, confesse Jésus-Christ et reçoit bientôt le baptême. L'empereur, averti de ces merveilles, aurait bien voulu fermer les yeux sur les conversions nouvelles; mais la crainte lui fit trahir sa conscience et le sentiment de la justice; Valentin et les autres chrétiens furent livrés aux supplices et allèrent recevoir au Ciel la récompense de leur courage, en l'année 268. »

Mais parmi tous les saints cités par La Thaumassière, il en est un dont l'histoire va confirmer d'éclatante manière la force de la thématique lumineuse, un saint dont Romain Guignard relève que la dévotion prit, à une époque indéterminable, un « développement curieux qui en vint à éclipser la dévotion à saint Laurian lui-même. Nous voulons parler de saint CLAIR. » (op.cit. p.32.)

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1Il emprunta ce nom pour désigner le château de Valesnes, du Lys dans la Vallée. Il n'y a pas loin de Valesnes à Valentin...

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24 février 2006

Léviathan, serpent tortueux

« D'où es-tu, ma petite, je ne t'ai jamais vue ?
- Je suis de Vatan, répondit la fille...
- Et que viens-tu faire de Vatan ici ?
- Je rabouille pour mon oncle Brazier que voilà... »

Balzac (La Rabouilleuse)


Première rencontre de la « rabouilleuse », Flore Brazier, avec le vieux médecin Rouget, qui la prendra bientôt à son service à Issoudun. « Elle est programmée par son nom, écrit Claude Duchet, de la fleur au feu (elle finit brûlée par les « liqueurs »).

Il est étonnant de voir ce nom de Flore Brazier s'inscrire aussi parfaitement dans le cadre de la géographie sacrée neuvicienne : patronyme faisant écho au feu du signe, Sagittaire, qui s'étend de Vatan à Issoudun ; prénom qui partage la même racine que le saint Florent sur lequel j'ai achevé la note précédente, et dont la fête est célébrée le 4 juillet, jour anniversaire du martyre de saint Laurian. Il serait bien sûr fantaisiste de penser que Balzac était de quelque façon que ce soit conscient de cette partition zodiacale de l'espace berrichon. Mais le fait est là, et si l'on veut bien concevoir que ce ne soit pas encore une fois une simple coïncidence, il est légitime de chercher une explication. J'ai quelques idées là-dessus, mais qu'il serait prématuré de présenter ici : elles restent à approfondir et je n'en dirais donc rien pour le moment.

Revenons à saint Florent. Une note du site de la Société de Mythologie Française nous précise sa double nature d'ermite évangélisateur et de sauroctone. Je dois dire que j'ai découvert ce dernier terme à cette occasion : le sauroctone désigne « littéralement, en grec, un "tueur de lézards, de sauriens". Autrement dit un exterminateur de dragons, chargé d'éradiquer les vieilles bêtes d'un passé sulfureux, aussi bénéfique pour la société que l'étaient les tueurs de géants. »

Ceci renforce évidemment l'hypothèse posée auparavant d'un saint Laurian substitut d'un héros tueur de dragons, dont nous avons vu que le prototype indo-européen était Indra, d'autant plus que l'on peut relever d'autres similitudes : ces signes particuliers qui sont d'une part la crosse abbatiale et l'Evangile, d'autre part, sa figuration dans une barque conduite par un ange. Florent est donc évêque comme Laurian, et remarquons que s'il existe apparemment plusieurs Florent, celui qui est fêté le 4 juillet est l'un des premiers évêques de Cahors. Et avec cette ville, nous retrouvons la thématique de la terre gaste, ainsi qu'en témoigne ce passage de Doumayrou : « C'est, tout au fond de la terre obscure, le chaos primordial, et sur la carte, la cité de Cahors qui est au Nord géographique de Toulouse, Nord physique distinct du Nord magnétique montalbanais. Ce nom, aussi bien que celui du Quercy, vient des celtes Cadurques, avec le souvenir des racines grecques cha, s'entrouvrir (d'où vient chaos), et chad, prendre, saisir, caractérisant l'avidité de cette gueule d'enfer qu'est le chaos. » (op. cit. p.168)

Cahors au Nord de Toulouse, comme Vatan est au Nord de Neuvy, et le Tempé au Nord de Delphes. Le même tropisme septentrional traverse l'histoire de Laurian.

Maintenant, en ce qui concerne la barque conduite par un ange, elle apparaît dans l'épisode d'Eusèbe d'Arles où l'évêque traverse la Loire de cette manière, pour se rendre à Vatan. Arles où, soit dit en passant, l'on exposait à une certaine époque sur les murs de l'église Saint-Antoine des carcasses de crocodiles qui étaient censées être celles de monstres terrorisant la région.

 

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On me dira que la figure du dragon n'apparaît pas en tant que telle dans la geste de Laurian. Ce n'est même pas sûr. Si l'on veut bien lire avec attention ce passage d' Ésaïe (27/1) : " En ce jour, l'Éternel frappera de sa dure, grande et forte épée le léviathan, serpent fuyard, le léviathan, serpent tortueux ; et il tuera le monstre qui est dans la mer. " on pourra se demander si ce « serpent tortueux » n'est pas indiqué par ce lieu-dit de Rue-Torte, au sud de Vatan, où passe le ruisseau de la fontaine Garnier. Et je soupçonne aussi que le choix de Totila - le roi wisigoth persécuteur de Laurian, dont on sait qu'il est une erreur historique - s'explique par sa proximité phonique avec cette racine « tortueuse ». Le nom même de la tortue dérivant de « tartarucus », qui appartient au Tartare, c'est-à-dire au monde des ténèbres, à l'enfer : « Dans les représentations du christianisme, la tortue (symbole des ténèbres) apparaît combattue par le coq (figure de lumière) ; l'opposition entre les deux animaux existe avec cette valeur dès l'Inde védique, dans le culte de Mitra et ensuite en Perse. » (Dictionnaire Historique de la Langue Française, Robert, p. 2137)

00:35 Publié dans Capricorne | Lien permanent | Commentaires (2)

21 février 2006

Vatan, terre gaste

« Après que l'arc fut détendu, la flèche s'en retrouva fichée au sommet de la tête de la sirène, comme le montrent deux dalles sculptées provenant de la façade ouest de l'abbatiale Saint-Sernin qui sont aujourd'hui au musée des Augustins : étrange scène de chasse, motif classique de l'ornementation romane que l'astrologie traduit en disant que Mars s'exalte en Capricorne. »

(Guy-René Doumayrou, Géographie sidérale, p. 150)

 

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La flèche perçant le crâne symbolise l'illumination, l'inspiration fécondante, l'ouverture de la conscience à l'intuition divine. Sachant cela, nous ne serons guère étonnés des détails merveilleux de la biographie de saint Laurian, venu trouver la mort à Vatan. J'en ai déjà évoqué des détails dans un article sur le Laurier du Tempé , mais il n'est sans doute pas inutile d'y revenir ici plus longuement. Originaire de Pannonie (comme saint Martin, d'ailleurs, et ceci n'est sans doute fortuit), clerc de l'église de Milan, Laurian aurait été nommé évêque de Séville au temps de Totila, roi des Wisigoths. Après un épiscopat de dix-sept ans, Laurian se serait rendu à Rome, puis en Gaule au tombeau de saint Martin, enfin à Vatan, où les émissaires de Totila l'aurait rejoint, puis lui auraient tranché la tête. Le saint aurait alors pris sa tête dans ses mains, poursuivi ses assassins et leur aurait demandé de la rapporter en Espagne. Le "chef" de saint Laurian aurait donc été conservé dans la cathédrale de Séville jusqu'à l'invasion mauresque, pendant laquelle on l'aurait si bien caché que depuis, il n'aurait pu être retrouvé. Par ailleurs, il est dit qu'Eusèbe d'Arles, averti par le Ciel, venu à Vatan pour ensevelir le corps du martyr, le trouva gardé par deux ours. Ces faits tirés de la Passio Sancti Lauriani, peut-être écrite vers la fin du IXè siècle, n'ont très probablement aucune valeur historique, mais ils recouvrent sans nul doute une matière mythique qu'il importe de remettre en lumière. Mgr Villepelet lui-même, bien qu'affirmant que tout n'était pas faux dans ce récit, n'en reconnaît pas moins qu' « il y a trop de détails sujets à caution pour qu'on puisse les admettre sans réserve : tels le rôle de Totila, qui était roi d'Italie et non d'Espagne, la mention d'Eusèbe d'Arles, qui ne se trouve point sur les listes d'évêques de cette ville, l'invraisemblance de certains détails merveilleux. (Les Saints Berrichons, p.116) ».

J'ai suggéré ailleurs que Laurian, de par son nom, pouvait donc renvoyer au laurier de la vallée du Tempé, au nord de Delphes, dont le centre oraculaire faisait grand usage. Si Laurian meurt à Vatan, ce n'est pas un hasard, c'est que la ville est située au Nord géographique de Neuvy Saint-Sépulchre, représentant donc le pôle , le centre céleste autour duquel s'enroule toute la création - les deux ours qui gardent le corps de Laurian figurant évidemment les deux constellations boréales de La Grande et de la Petite Ourse.

Maintenant, quelle est la signification de ce nom de Vatan ? Stéphane Gendron n'hésite pas à écrire que Vatan « est le grand absent des dictionnaires et études générales de toponymie française. M. de La Tramblais risque un rapprochement avec vastus : le nom de Vatan a la même origine [que Gâtine], locus vastae solitudinis, lit-on dans la Vie de saint Laurian « (LA TRAMBLAIS 1867 : 361). P-ê en effet racine *vast, celle de l'afr. gast « jachère, terre inculte ». (Les Noms de Lieux de l'Indre, p. 30).»

Romain Guignard, dans un ouvrage publié en 1944, Vatan, des origines à nos jours (réédité en 1997 par la librairie Arts et Loisirs d'Issoudun), abonde dans ce sens : « Vastinum (ou Vastinium) est un vocable du bas-latin de la famille de vastum et dont la signification selon le glossaire de Du Cange aurait été : champ sablonneux, stérile, inculte. Sens dérivé de vastum qui porte primitivement une idée de destruction (le sens originel du latin classique vastus est : ravagé, dépeuplé ) et qui se dit des champs que l'on ne cultive pas ; vastum se dit en plus d'une terre destinée au pacage des animaux et, dans les forêts, d'un emplacement à découvert, sans arbre. (pp. 9-10)»

Alors Vatan, terre gaste ? Terre littéralement dévastée ? Philippe Walter, dans son livre Mythologie Chrétienne, Fêtes, Rites et Mythes du Moyen Age (Imago, 2003, 2005), qui montre bien que les vies des saints dissimulent souvent d'anciennes divinités païennes, présente ainsi le thème de la terre gaste :

« La malédiction de la terre gaste (dévastée par une stérilité mystérieuse ou une calamité divine) hante l'ensemble de la légende du Graal. Elle se rattache à un vieux mythe saisonnier que l'analyse des rites et du mythe des Rogations permet de mieux comprendre. A l'instar d'Indra, il appartenait à Perceval d'assumer le rôle du héros civilisateur permattant au monde d'échapper à la fatalité d'une terre gaste, dans toute l'acception symbolique du mot. Dans les textes hindous, en effet, c'est Indra, le grand héros, qui transperce le dragon retenant les eaux prisonnières et qui creuse le lit des rivières apportant l'eau à tous les humains. »

Or l'eau est un élément important de la Vie de saint Laurian, car le lieu du martyre est situé au voisinage d'une fontaine. D'ailleurs le saint aurait pris le soin d'y laver sa tête avant de la remettre à ses bourreaux. Vatan est par ailleurs arrosé par deux ruisseaux confluant juste à sa sortie nord, dont le plus important, le Pozon, prend sa source à 4 km environ, à la Fontaine aux Pélerins, sur la commune de la Chapelle Saint-Laurian. Il est intéressant également de lire ce qu'écrivait dans son Mémoire de 1803 le préfet Dalphonse sur la cité de Vatan :

« Cette ville est située dans une vaste plaine et dans une espèce d'enfoncement. La route de Paris à Toulouse la traverse et donne de l'activité et de l'aisance à ses habitants. L'eau y est presque partout à fleur de terre, les maisons y sont extrêmement humides ; dans plusieurs la fontaine est à côté du foyer et dans presque aucune il n'y a de cave par impossibilité d'en établir. Cette abondance d'eau avait fait penser que cette ville était construite sur un vaste étang desséché, son nom l'indique assez mais cette abondance d'eau peut bien provenir aussi de ce que la ville est dominée par des terres calcaires qui rejettent sur elle les eaux qu'elles n'absorbent pas. » (cité par R. Guignard, p.151).

Je ne sais ce qu'il en est aujourd'hui de l'humidité des maisons mais il me paraît clair que Laurian a pris le rôle dévolu à Indra dans le mythe hindou : le passage suivant, cité par Ph. Walter, fait écho à la description du préfet : « Indra a fécondé les jeunes filles et elles se réjouissaient comme des sources qui viennent tout juste de jaillir à travers le sol ; les jeunes épouses respectables qui languissaient peu à peu, il les a fécondées. Il a satisfait la soif des prairies et des champs altérés. »

 

Selon Ph. Walter, c'est le même dragon tué par Indra qui « est porté en procession au Moyen Age pendant les Rogations sous des noms divers : la gargouille de Rouen (tuée par saint Romain), le graoulli messin, la chair-salée de Troyes, la drée de Montlhéry et bien d'autres encore. C'est ce même dragon avaleur des eaux, l'une des formes multiples du dieu préchrétien, que l'Eglise cherchait à exorciser lors des Rogations afin de contenir un imaginaire de la fécondité vis-à-vis duquel elle se sentait démunie. Dans le christianisme médiéval, le héros tueur de monstre est souvent un évêque (...) »

Ce que fut, en effet, Laurian.

Les Rogations tombent le lundi, mardi et mercredi qui précédent le jeudi de l'Ascension, et dépendent donc de la date de Pâques, ce qui les placent en théorie du 28 avril au 1er juin. Laurian était associé, lui, à deux fêtes solennelles : le 4 juillet, anniversaire de son martyre, et le quatrième dimanche après Pâques, célébration de la translation de ses reliques à Vatan, auparavant conservées dans une chapelle proche de la fontaine. Ce qui donne dans ce dernier cas, la semaine précédant les Rogations.

Pour le 4 juillet, ne voyant pas le rapport, ni avec les Rogations, ni avec le signe zodiacal du Capricorne qui s'ouvre avec Vatan, j'ai consulté l'excellent site 366 jours par an et constaté que c'était le jour de la saint Florent (bien proche phoniquement de Laurian, et notons que la commune au nord la plus proche de Vatan n'est autre que Saint-Florentin).

Examinons donc d'un peu plus près ce saint Florent.


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