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Jeanne et Jean
L'union des amants est, dans le principe, la même que celle des deux Creuse : « On a vu, dit Jacques Lacarrière, combien le langage anthropomorphique que nous continuons d'employer à propos de l'eau - « l'eau qui chante », « fondre en larmes » - révèle à notre insu les antiques associations entre l'eau et la vie. Aussi, en voyant deux fleuves « mêler leurs eaux » ou « entremêler leurs bras », les poètes antiques pensèrent-ils naturellement à un entrelacement amoureux. Aimer, pour un fleuve, cela consiste précisément à se jeter dans les « bras » d'un autre fleuve. Les confluents sont des lieux de conjonction amoureuse* et « les eaux mêlées » le symbole de l'union absolue. Le fleuve, en effet, possède le privilège de pouvoir s'unir si complètement à sa partenaire aquatique qu'il est ensuite impossible de distinguer les deux conjoints. » (En suivant les dieux, Philippe Lebaud, 1984, p. 100) A l'intérieur de notre secteur Gémeaux, le dernier écho perceptible de cette symbolique émane du Mas Saint-Jean, sur une hauteur boisée près de Dun-le-Palestel, où une petite chapelle, « dont les origines remontent peut-être au XIe siècle, aurait reçu au XIVe siècle la visite de Jeanne d'Arc, accompagnée par Jean de Brosse. Aucun texte ne confirme, ni n'infirme cette légende. Pourquoi ne pas la croire, apprécier le charme du lieu, et contempler le superbe panorama où le Berry apparaît dans le lointain ? » (Gilles Rossignol, Guide de la Creuse, La Manufacture, 1985, p. 85) Sage décision. En fait, il ne s 'agit pas de prêter foi ou non à la légende, mais bien plutôt de déceler le sens qu'elle renferme, et qui est ici on ne peut plus clair : Jeanne et Jean rééditent en filigrane nos couples mythiques. De plus, la situation élevée du lieu a permis l'érection d'un alignement significatif.
Vers le sud-est, il se dirige sur Puyjean et le Puy de Gaudy, près de Guéret, qui culmine à 651 mètres, ancien oppidum gaulois aux murailles vitrifiées. Des restes de chapelle et une nécropole témoignent de sa fonction religieuse au Moyen Age. Son nom même (du latin gaudium, joie) l'assimile à une montjoie, c'est-à-dire un lieu souvent marqué d'un cairn, d'où les pèlerins ont le grand bonheur d' apercevoir le sanctuaire qui a motivé leur long voyage. Vers le nord-ouest, l'axe passe à Dunet, Dun-le-Palestel (dunum, hauteur fortifiée), pour aboutir aux hameaux de Vaussujean et Lagouttejean. Difficile d'invoquer le hasard, d'autant plus que la carte IGN utilisée pour cette recherche (Dun-le-Palestel, 1/50000) ne mentionne aucun autre lieu « Jean » sur le territoire qu'elle recouvre. La Saint-Jean d'été marque l'apogée de la lumière. Le soleil va maintenant se coucher chaque jour un peu plus vers le sud-ouest. La nuit relève la tête : elle ne domine pas encore en durée, mais elle croît chaque jour, insensiblement tout d'abord. Nous sommes parvenus sous le signe de Cancer. *C'est moi qui souligne.05 juillet 2005 | Lien permanent
Triangulum
« Grâce aux libéralités de Louis VII et du comte Thibaut de Champagne, l'établissement devint rapidement l'un des plus florissants de l'ordre cistercien. »
Cette remarque sur l'abbaye de Vauluisant, trouvée sur un site touristique bourguignon, montre bien que là aussi les deux pouvoirs adossés du roi et du comte se sont entendus pour promouvoir de concert ce qu'il faut considérer comme un des hauts-lieux de la région, situé donc en une zone frontalière particulièrement sensible.
Je lis sur le même site que l'abbaye fut fondée par Artaud, abbé de Preuilly, une autre abbaye-fille de Cîteaux, en Seine-et-Marne. Le site des Rencontres de Provins mentionnait, lui, Anseau de Trainel. Je suppose plutôt que l'abbé oeuvra sur une terre concédée par ce grand seigneur champenois. Le village qui porte encore son nom est situé dans l'Aube, sur l'Orvin, un affluent de la Seine qui marque la limite avec le département de l'Yonne.
Le nom même de Trainel n'est pas anodin : je lis qu'il viendrait du latin « triangulum ». Or, nous sommes bien ici à la croisée de trois départements (Aube, Yonne et Seine-et-Marne), qui reprennent l'ancienne partition provinciale entre Bourgogne, Champagne et Ile-de-France.
Me souvenant de la translation du corps de saint Léger d'Artois en Poitou, je me suis demandé si celle du corps de saint Edme, de Soisy à Pontigny, n'était pas marqué par un alignement quelconque. Sachant que Villeneuve l'Archevêque s'enorgueillit d'avoir vu passer le cortège funèbre, j'ai tracé l'axe Soisy- Villeneuve. Or, il passe exactement par le point nodal de rencontre des trois départements, un peu au sud de Trainel, avant de traverser le bois de Trainel (loin du village en question) et d'atteindre l'abbaye de Vauluisant. Si l'on prolonge cet axe, on touche Cérilly qui appartenait pour partie au chapitre cathédral de Sens et à l'abbaye de Vauluisant,
puis Fournaudin, qui appartenait là encore à Vauluisant, et une chapelle au nord immédiat de Chailley, village qui relevait lui de Pontigny.Aucun autre indice notable à relever ensuite.
Mais nous sommes à ce point précis sur le méridien de Pontigny.
L' emplacement de l'abbaye elle-même illustre à merveille la thématique frontalière que nous ne cessons plus de parcourir. En effet, elle est située au pont sur le Serein qui constitue non seulement le point de rencontre des trois diocèses d'Auxerre, de Langres et de Sens, mais aussi celui des comtés d'Auxerre, de Tonnerre et de Champagne, s'il faut en croire André Ségaud.
« Cette implantation, écrit fort justement J.F.Leroux-Dhuys (op.cit. p. 48), n'est pas sans arrière-pensée politique. »
16 septembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)
La source secrète
« Boand, femme de Nechtan, fils de Labrad, alla à la source secrète qui était dans la prairie du sid de Nechtan. Quiconque y allait n'en revenait pas sans que ses deux yeux éclatassent, à moins que ce ne fussent Nechtan et ses trois échansons dont les noms étaient Flesc, Lam et Luam.
Une fois Boand alla par orgueil pour éprouver les pouvoirs de la source et elle dit qu'il n'y avait pas de pouvoir secret qui atteignît le pouvoir de sa beauté. Elle fit le tour de la source par la gauche par trois fois. Trois vagues se brisèrent sur elle, hors de la source. Elles lui enlevèrent une cuisse, une main et un oeil. Elle se tourna vers la mer, fuyant sa honte, et l'eau la suivit jusqu'à l'embouchure de la Boyne. C'était elle la mère d'Oengus, fils du Dagda. »
Dindshenchas de Rennes, éd. Whitley Stokes, ( in Les Druides, Françoise Le Roux, Christian-J. Guyonvarch, Ogam-Celticum 14, 1982)
Boand (ou Boann) est donc la déesse éponyme de la Boyne, le fleuve qui traverse le comté de Meath (Mide), province centrale dans la géographie sacrée de l'Irlande celtique ( un centre spirituel plus que géographique). J'ai déjà émis l'hypothèse que son équivalent continental serait la Bouzanne berrichonne, qui prend source près d'Aigurande, passe à Neuvy Saint-Sépulchre et se jette dans la Creuse, près du Pont-Chrétien (coulant ainsi de Cancer - les eaux-mères – à Poissons – les eaux océanes ). La Bouzanne serait la rivière matricielle de ce pays biturige qui est par vocation la terre ombilicale (les Bituriges sont, étymologiquement, les Rois-du-Monde, gallois bydd, monde, et rix ou rig, roi).
La source de la Bouzanne est le lieu d'un pélerinage le mardi de Pentecôte (cette année, il a même eu l'honneur d'accueillir l'archevêque de Lyon, Mgr Barbarin, tout juste revenu du conclave). La statue de la Sainte Vierge y est conduite en procession. Il est encore d'usage de jeter des pièces de monnaie dans le bassin du sanctuaire : offrande gratuite ou espérance d'être exaucé de quelque voeu... Autrefois, l'affaire était plus grave. S. Clément rapporte qu'on amenait de l'eau de la fontaine de Notre-Dame de la Bouzanne aux malades en danger de mort :
« A cet effet trois pélerins de même sexe, de même âge et de même condition que le malade partent ensemble en récitant le rosaire. » (Aigurande et ses sanctuaires, Châteauroux, 1910)
La source, la mort, le ternaire et la divinité féminine : ces quatre éléments sont communs au mythe irlandais et à la tradition aigurandaise. Comme à Vaudouan, mais ici de manière encore plus claire, on peut penser que la dévotion à Notre-Dame a remplacé l'ancien culte rendu à la déesse celtique.
Les deux sites ne sont d'ailleurs pas sans se faire écho. En effet, une propriété proche de Vaudouan, précisément nommée Aiguirande, balise la direction d'Aigurande par rapport à la chapelle.
05 octobre 2005 | Lien permanent
Pilgrimage to Vaudouan
Le pélerinage de Vaudouan - qui se déroule le second dimanche après la Nativité de la Vierge, c'est-à-dire le troisième dimanche de septembre, juste avant l'équinoxe d'automne – consiste en une procession conduite de la chapelle à la fontaine et retour, en prenant soin de contourner les deux édifices dans le sens des aiguilles d'une montre. Cette circumambulation est un rite universel qui se pratique le plus souvent de la manière décrite ici, en gardant le centre à sa droite, autrement dit dans le sens du mouvement apparent du soleil. Dans la tradition celtique, le héros marque ainsi ses bonnes intentions. Dans le sens anti-horaire, la manoeuvre indique au contraire l'hostilité ou l'inimitié. Rappelons-nous l'histoire de Boand qui fait trois fois le tour de la source par la gauche. Citons aussi celle de Cùchulainn qui, au retour de sa première aventure sur la frontière d'Ulster, « fait en sorte que son char présente le côté gauche vers l'enceinte de la capitale, Emain Macha. Le roi Conchobar fait aussitôt prendre les mesures de précaution nécessaires. » (Dictionnaire des Symboles, article circumambulation, p. 620)
Notre-Dame de Vaudouan est invoquée pour la préservation des biens de la terre, et de manière plus générale, son culte est lié à la fécondité : jusqu'aux environs de 1900, les jeunes filles faisaient brûler des cierges près de la fontaine pour faciliter leur accouchement. S'étendant du 23 août au 22 septembre, le signe de la Vierge marque le terme du cycle annuel de l'élément Terre : « avant la terre froide du Capricorne, celle des ensemencements d'hiver ; après la terre grasse, humide et chaude, du Taureau, couverte de la végétation verdoyante et parfumée du printemps. Ici, se présente une terre desséchée par le soleil estival et épuisée de vertus nutritives, sur laquelle se couche l'épi fauché, en attendant que le grain sec se détache de l'épi, en même temps que de son enveloppe. Le cycle végétal s'achève sur une terre nouvelle, vierge, destinée à recevoir ultérieurement la semence. D'où la représentation du signe par une jeune fille, vierge ailée portant épi ou gerbe. » (Dictionnaire des Symboles, article vierge, p. 1012) La ville de Sainte Sévère, sur la pointe du secteur, blasonne aux deuxième et troisième quartiers d'azur à trois gerbes de blé d'or, armes de la famille de Brosse. En 1731, on voit encore les habitants de cette ville venir à Vaudouan y implorer la fin d'une terrible sécheresse. Jean-Louis Desplaces signale par ailleurs, dans son Florilège de l'eau en Berry (volume 3, 1986), que le pélerinage était jadis accompagné de la bénédiction des semences.
Ce n'est pas tout : on venait aussi à Vaudouan pour obtenir la guérison des maladies de la pierre, des hernies, de la gravelle. « La ville de La Châtre ayant des enfants subjects à la descente des boyaux, écrit M. de Gamaches, se vouant à la Sainte-Vierge, en étaient aussitôt guéris que la neuvaine était achevée. » (cité par Villebanois, La véritable histoire de N. D. de V., p. 26-29). Or l'on sait que le signe de la Vierge a été mis en rapport avec les intestins, le ventre et les reins.
Il nous reste à examiner le parcours lui-même du pélerinage. Le voici, indiqué sur un extrait du cadastre. Je l'ai longtemps regardé avant de repérer la forme qui y est, à mon sens, dissimulée. Je vous laisse provisoirement sur cette question.
07 octobre 2005 | Lien permanent | Commentaires (3)
Ganymède et Cernunnos
Peu de temps après, elle (Gargamelle) commença à se lamenter et à crier. Aussitôt, arrivèrent en masse des sages-femmes de tous côtés (...). Alors une vilaine vieille de la compagnie, qui avait la réputation d'être guérisseuse, venue de Brisepaille d'auprès de Saint-Genou depuis soixante ans, lui administra un astringent (...). Cet obstacle fit se relâcher, au-dessus, les cotylédons de la matrice, par où l'enfant jaillit, entra dans la veine cave et, grimpant par le diaphragme jusqu'au-dessus des épaules, où ladite veine se sépare en deux, prit le chemin de gauche et sortit par l'oreille gauche.
Dès qu'il fut né, il ne cria pas comme les autres enfants : "Mi! mi! mi!", mais il clamait à pleine voix : "A boire ! A boire ! A boire !", comme s'il invitait tout le monde à boire.
En 1989, dans le première version de cette étude, je continuais ainsi ma pérégrination en Verseau :
"Plus loin, à Vendoeuvres, a été trouvé un autel " provenant sans doute de l'église, dit Brigitte Rochet-Lucas, représentant sur une face un Apollon citharède, accompagné d'un corbeau (ou chouette ?) et sur l'autre face un enfant qui semble tenir une outre ou un vase, entre deux personnages nus debout sur un serpent." Il s'agit là de notre verseau, le Ganymède de la mythologie, dont la grande beauté provoqua l'amour de Zeus, qui se changea en aigle pour prendre le jeune homme dans ses serres et le placer dans l'assemblée des Dieux. Il y verse l'ambroisie, l'hydromel ou le nectar, nourritures et boissons d'immortalité. Dans l'iconographie chrétienne, il devient ange, aussi "Verseau enveloppe-t-il le pays d'Agen, anagramme évident pour l'ange verseur des eaux.(G-R Doumayrou, op. cit. p. 78) Et Michel Serres d'écrire :
"Je ne sais pas vraiment, dit-elle, ce que signifie ce mot d'Yquem. Je constate seulement que le dixième ordred 'anges, chez Ben Maïmon, après les séraphim, éloïm ou cherubim, se nomme ychim. Ofamim, rapides ; seraphim, étincelles ; malakim, envoyés ; ychim, animés.
Esprits animaux survolant la colline ainsi nommée ; archanges en myriades échappés du goulot." (Les cinq sens, op. cit. p. 187-188)
Il importe aujourd'hui de compléter ce passage : l'autel de Vendoeuvres est bien sûr cette stèle de Cernunnos dont j'ai déjà parlé ailleurs.
Le Verseau peut-il vraiment être identifié à ce dieu-cerf que l'historienne Anne Lombard-Jourdan identifie comme le dieu-père, le Dis pater mentionné par César, et dont un avatar ne serait autre que le géant Gargantua, dont la lecture "à plus hault sens" de Rabelais nous permettrait de restituer quelque peu la mythologie ?
Jeune et imberbe sur la stèle, selon les propres termes de sa description, il partage ces traits avec Ganymède, le plus bel adolescent de la Grèce selon la légende. Mais au-delà de ces apparences, c'est leur fonction à tous les deux qui au fond les rassemble : Ganymède sert à boire, on l'a dit, or quelle est la principale préoccupation de Gargantua et de ses compagnons, sinon celle de boire encore et encore. Et ceci dès la naissance, puisque sortant de l'oreille gauche de Gargamelle, l'enfant criait déjà : "A boire ! A boire !"
Anne Lombard-Jourdan rapproche le célèbre passage du "Propos des bien yvres" du mythe du combat du serpent et du cerf, qui lui semble être au fondement de notre passé religieux et culturel :
"Après s'être régalés à satiété de tripes, les compagnons de Grandgousier allèrent tous à la Saulsaie danser et boire sur l'herbe drue au son des flageolets et des cornemuses. Rien là en apparence que d'honnêtes divertissements. Il est pourtant question aussi d'autre chose.
Rappelons que, selon les auteurs classiques et médiévaux, le cerf, après avoir dévoré le serpent dont le venin l'échauffe et le dessèche, éprouve la nécessité incoercible de boire, puis, sa soif assouvie, le besoin de s'agiter pour combattre et évacuer à tout prix le poison qu'il vient d'ingérer et qui menace de circuler jusque dans ses veines.
C'est le processus que Rabelais met en scène dans le chapitre V de Gargantua qui rapporte les Propos des bien yvres. Les compagnons de Grangosier boivent abondamment, mais à bon escient et dans un but précis :"Puis entrèrent en propos de resieuner on propre lieu." L'apparition immédiate de jambons a pu faire comprendre "resieuner" dans le sens de "déjeuner". Mais il s'agit en réalité d'un équivalent forgé par Rabelais du verbe "rajeunir" (l'ancien français dit "rejeunir" et "renjeunir ou rajouvenir").
C'est bien à rajeunir que vont s'employer à la Saulsaie les buveurs compagnons de Grandgosier. Ils appartiennent à toutes les classes et à toutes les professions. Ils boivent sec le vin pur et dansent sur l'herbe, à la façon dont le cerf mythique boit l'eau de la fontaine "et puis court sa et là". Leur but est de faciliter le mélange de la boisson avec le venin du serpent contenu dans les tripes du cerf qu'ils viennent de manger, afin d'expulser leurs humeurs malignes et d'apaiser la fièvre qui les tient. Les "bien yvres" préfèrent boire le vin sans eau, mais ils obtiendront le même résultat : le renouveau du corps après une sérieuse purgation." (Aux origines de Carnaval, Odile Jacob, 2005, p. 40)
Si l'on n'est pas convaincu par ces rapprochements, qu'on retourne maintenant à la citation rabelaisienne ouvrant cette note : qui procède à l'accouchement de Gargantua, alors que des tas de sages-femmes accourues de tous côtés ont failli à la besogne ? Eh bien une vilaine vieille, à la réputation de guérisseuse, "venue de Brisepaille d'auprès de Saint-Genou". Or, où est Saint-Genou, sinon dans l'Indre, sur les rives même de celle-ci, à une quinzaine de kilomètres seulement de Vendoeuvres, en pleine zone Verseau.
Il faut se pencher sérieusement sur Saint-Genou.
15 mai 2007 | Lien permanent
Se delectant au melodieux son des poys
- Je vous ai dit que j'avais retrouvé à Angles sur l'Anglin le livre de ce Pierre Gascar cité par Pirotte : Les Sources...
- Oui, et alors ? Oh, je vous vois venir, vous allez encore me parler coïncidence...
- Je n'ai pas précisé alors le billet où je le citais, il s'agissait du troisième article sur Verseau,
Saint Gildas les foulz, sainct Genou les gouttes,
- Passage de Rabelais, oui, je me souviens.
- Et à moi il me souvient que vous m'avez presque traité de fou avec mon histoire d'entonnoir...
- Plaisanterie, vous le savez bien.
- Je l'entendais bien ainsi, rassurez-vous, mais ce qui m'amuse c'est de retrouver les foulx à cette occasion. Au fait, savez-vous d'où vient le nom ?
- Oui, du latin follis, "outre gonflée" ou "soufflet pour le feu".
- Bravo, alors je ne vous apprendrai peut-être rien en vous disant que dans le rituel de Carnaval, les fous jouent un rôle très important car ce sont eux les maîtres du souffle et de la circulation des vents. Soit dit en passant, c'est ce que j'ai appris dans un excellent Dictionnaire des Vents d'un certain Jean-Loïc Le Quellec, qui s'appelle, je crois, Par vents et par mots. Le plus drôle est que ce livre, je l'ai aussi acheté à Angles, à la Foire du Livre d'août 2006. Mais, promis, j'arrête là avec les coïncidences.
- 2006, vous dites ? C'est aussi en 2006 que j'ai appris ça, en lisant Le village métamorphosé de l'ethnologue Pascal Dibie, dans la non moins excellente collection Terre Humaine. Tenez, le livre doit être dans cette étagère. Et comme c'est un bon livre il est pourvu d'un index : on va facilement retrouver le passage. Essayez donc Carnaval...
- Je vois bien ce que vous sous-entendez avec votre index. Il m'en faudrait bien un à moi aussi, parfois je ne m'y retrouve pas moi-même...
- Content de vous l'entendre dire. Ah, voilà la chose. C'est un peu long, vous m'excuserez : "(...) On inverse tout, c'est le triomphe de la régression, la folie est sur terre, partagée et acceptée le temps limité du carnaval. Etre fou, c'est être animé par la pneuma, par ce drôle de souffle qui traverse les masques et ces voix d'entrailles prohibées ordinairement. Les pierrots lunaires sont des barbouillés de la Chandeleur, des enfarinés de la pleine lune qu'ils ont symboliquement avalée. Folie et inspiration jumelllisent, se croisent, attaquent, scandalisent. Des soufflets (follis en latin) sont cachés sous des bosses ou dans des ventres trop gros qui lâchent des vents pour se protéger du retour des morts qui cherchent des orifices par lesquels ils pourraient réintégrer nos corps de vivants. Alors, dans cette tempête fécondante et mystérieuse du printemps naissant, on se cache, on crie, on éructe, on pète, on tente d'effrayer ce monde plus effrayant encore qui nous entoure."
- Vous venez à ma rescousse maintenant ? Vous savez bien que la date de Carnaval le place précisément en Verseau. Et si Saint Genou a opéré des miracles à l'ancienne Celle-des-Démons, c'est parce que les vents sont depuis la plus haute antiquité personnifiés, dixit Le Quellec, par des esprits, démons ou génies. Le diable lui-même n'est autre que le maître des vents.
- Vous recommencez à extrapoler...
- Je continue votre lecture de Dibie. Tenez, lui aussi évoque Rabelais : "Je sais, les déguisements ont changé, nous ne sommes plus au temps de Rabelais, des soufflaculs, des tiou-tiou et des chienlits, quoique je ne vois pas de grandes différences avec ces enfants déguisés en hommes..." Je vais un peu plus loin : "Qu'importe l'époque et les gens qui y participent, l'esprit est bien là. Ce clergé éphémère de "fous" qui, chaque année, se recrée et dérange pour quelques heures la tranquillité du village, participe bien à ce souffle qui anime l'univers, tout comme saint Blaise, patron de la gorge et du souffle, qui donne le signal de la bataille des vents dont la sagesse populaire sait que le vainqueur, au 3 février, mercredi des Cendres, soufflera toute l'année."
- Allez, aujourd'hui, je suis bon, et pour aller dans votre sens, je vous signale un autre passage de Rabelais qui ne peut que vous complaire.
- Vous êtes trop bon.
- Il faut plonger dans le Tiers Livre, chapitre XLV, "Comment Panurge se conseille à Triboullet." Il s'agit de son mariage, or Triboullet est un fou. Que lui donne donc, entre autres choses, Panurge dès son arrivée ? rien moins qu'une" vessie de porc bien enflée et résonante à cause des poys qui dedans estoient". Puis, pour seule réponse à l'interrogation de Panurge, Triboullet branle la tête et dit : "Par Dieu, Dieu, fol enraigé, guare moine, cornemuse de Buzançay." Impossible d'en tirer quelque chose de plus : "Ces parolles achevées s'esquarta de la compaignie, & iouoit de la vessie, se delectant au melodieux son des poys. Depuys ne feut possible tirer de luy mot quelconques. Et le voulant Panurge d'adventaige interroger, Triboullet tira son espée de boys, & l'en voulut ferir."
- Merveilleux passage. Ce n'est pas hasard si cette cornemuse, autre instrument à souffler, est dite de Buzançay, car l'actuelle Buzançais est précisément en Verseau, en amont de Saint-Genou, dix kilomètres à peine. Comment vous remercier ?
- Mon verre est vide depuis belle lurette...
- Oh, désolé !
03 novembre 2008 | Lien permanent | Commentaires (2)
Vers Poitiers, avec Henry de Monfreid
Lo departirs m'es aitan gries Del senhoratge de Peitieus * Guillaume Le Troubadour Prenons du champ. Quittons notre espace berrichon en mettant le cap à l'ouest. Suivons ce parallèle ombilical qui nous a déjà donné la chapelle de Verneuil et Argenton. Dans son sillage, nous épinglerons Ingrandes, qui précisément sépare le Berry du Poitou, l'ancienne civitas des Bituriges de celle des Pictones. Ce petit village bâti sur les bords de l'Anglin a été identifié comme l'antique Fines de la Table de Peutinger. Son nom actuel renferme le celtique randa, frontière. Ici s'installa en 1948 l'écrivain Henry de Monfreid. Dans sa maison des bords d'Anglin, non loin d'un petit musée à lui consacré, il écrivit nombre de ses ouvrages, allant jusqu'à déclarer dans son autobiographie "Le feu de Saint-Elme" que"Ce qu'on pourrait appeler mon oeuvre littéraire n'est autre que le récit de ma vie, écrit au jour le jour dans un présent absolu où les phases de mon existence se succèdent dans une apparente indépendance, comme autour d'un centre instantané de rotation". * Il m'est si pénible de quitter la seigneurie de Poitiers (cité dans l'anthologie Via Poitiers, une ville, des écrivains, des voyageurs, Atlantique/Le Torii, 1998)
05 avril 2005 | Lien permanent
Bouzanne, rivière matricielle
Sur la méridienne de Neuvy Saint-Sépulchre, ligne de partage entre Gémeaux et Cancer, se trouve la source de la Bouzanne. Cette petite rivière - nous le verrons plus tard en détail lors de l'étude de Bourges et du signe du Scorpion – est un élément très important de la géographie sacrée du peuple biturige. Pour le dire vite, elle marquerait le culte de la souveraineté celtique et serait homologique au fleuve Boyne du comté de Meath (centre spirituel de l'Irlande), dont la divinité éponyme est Boand ou Boann. La géographie zodiacale a, semble-t-il, parfaitement intégré ce symbolisme et la Bouzanne apparaît comme une véritable rivière matricielle : prenant naissance en Cancer, signe des eaux-mères, elle arrose l'ombilic neuvicien avant de se jeter dans la Creuse au Pont-Chrétien, en secteur Poissons, dans le signe des eaux océanes.
Près de la source, s'élève la cité d'Aigurande, l'antique Equoranda, dont le nom signifie selon Dauzat « limite de l'eau ». Comme Ingrandes, elle indique par son suffixe randa, frontière, qu'elle est située à la limite de deux peuples celtes : Aigurande séparait les Lémovices des Bituriges. D'ailleurs, elle a gardé jusqu'à nos jours son caractère frontalier, délimitant ensuite Marche et Berry, et aujourd'hui Indre et Creuse. Puits à Aigurande06 juillet 2005 | Lien permanent
Translatio Graalis
A l'est d'Aigurande, le petit village de la Forêt du Temple est notre premier indice : connu en 1185 sous le nom de Domus fratrum de templo forest, c'est alors une dépendance de la commanderie de Viviers, près de Tercillat. Son église est curieusement située à l'extérieur du bourg, près d'un petit bois de peupliers avec une fontaine surmontée d'une croix de pierre. Grandement restaurée en 1872-1874, elle témoigne encore de sa vocation première avec des épées gravées dans le dallage, attestant de tombes de supérieurs templiers. Or, dans le Parzival de Wolfram Von Eschenbach (v. 1170 – v. 1220), les Templiers sont désignés par l'ermite Trévizent comme les gardiens du Graal. Et dans les romans arthuriens, la forêt est toujours le lieu où chercher l'aventure, l'espace merveilleux et redoutable empli de mystères et de dangers, de monstres effrayants et de jeunes femmes prodigieusement belles : « Ils quittèrent alors le castel et se séparèrent comme ils l'avaient décidé, puis se dispersèrent dans la forêt, pénétrant là où elle était la plus épaisse, sans chemin ni sentier. Au moment de cette séparation, on vit pleurer ceux qui croyaient avoir le coeur dur et orgueilleux. » (La Quête du Graal, p.73)
Beaucoup de ces chevaliers de la Table Ronde engagés dans la Quête du Graal ne rencontreront au bout du compte que l'humiliation et la mort. C'est qu'ils n'ont pas compris le sens de cette épreuve : pour eux, le Graal n'est qu'un prétexte de plus pour se couvrir de gloire. « Ils partent, écrit Albert Béguin, croyant accomplir des exploits tels que l'héroïsme et l'esprit d'aventure les leur ont toujours commandés. Ni la charité, ni la soif de vérité ne les mènent. Ils s'en vont en combattants terrestres pour une quête « célestielle ». » Même celui qui, le premier, est mis en présence du Saint-Vase, Perceval dans le Roman de l'Estoire dou Graal, écrit par Robert de Boron, échouera à le rapporter. Sa faute étant de ne poser aucune question sur le mystère auquel il est admis à assister, « c'est-à-dire, précise encore Albert Béguin, de ne désirer ni la participation effective au sacrement d'eucharistie ni la connaissance qu'il recevrait ainsi des ultimes secrets de la Révélation. » Ce même échec apparaît également chez Wolfram von Eschenbach. « Au premier temps fort du roman, la visite infructueuse au château du Graal, Parzival atteint le point de retournement ; dorénavant, il lui faudra pour ainsi dire revivre sa vie, mais cette fois à rebours et avec une conscience élargie. » (R.Dahlke, Mandalas, comment retrouver le Divin en soi, Dangles, 1988, p. 163) Le même mouvement régit la géographie sacrée : le signe du Cancer symbolise cette récapitulation existentielle, cette réappropriation de soi du héros arthurien, par l'image du crabe marchant à reculons, exprimant primitivement le retrait progressif du soleil à partir du solstice. Pour Doumayrou, le Cancer est ainsi la fontaine de vie, réceptacle de l'eau substantielle où se développeront les germes fécondés : la forêt de la Forêt du Temple, nous la trouverons donc au grand bois de Fonteny où une abbaye, aujourd'hui disparue, avait été implantée. Elle n'a laissé de traces que dans la toponymie locale : hameaux voisins nommés Boucamoine et Ouches-Moines. Dans les romans du Graal, ce sont les ermites qui, à intervalles réguliers, instruisent les chevaliers et leur dévoilent le sens de leurs aventures. Dans un autre bois de cette zone Cancer, nous avons même une fontaine dite de l'Hermite, non loin d'un autre lieu-dit le Temple, situé dans la même direction Sud-Ouest que la Forêt du Temple par rapport à Fonteny. A l'orée de ce bois, vers l'est, le lieu-dit Saint-Joseph rappelle que c'est Joseph d'Arimathie qui a transmis le Graal, en tant que vase contenant le sang du Christ, à ses descendants, avec mission d'évangéliser la Grande-Bretagne. Ce passage du Graal de l'Orient à l'Occident, cette translatio graalis est symbolisé par la présence de l'autre côté du bois, à l'ouest, du hameau du Grand Pommier, qui évoque l'île d'Avallon, Emain Ablach en irlandais, autrement dit la pommeraie. Avalon, destination du Graal dans le Joseph de Robert de Boron. Ou Avallon, l' île dont la tradition brittonique fait le refuge du roi Arthur en attendant de revenir délivrer ses compatriotes gallois et bretons du joug étranger. Et notons encore que Merlin, le fondateur de la Table Ronde, enseigne sous un pommier. Maintenant si nous alignons Saint-Joseph et le Grand Pommier en passant par le centre du bois de Fonteny au point de croisement des deux allées qui le traversent (formant par ailleurs une croix de saint André), nous voyons émerger sur ce quasi parallèle d'autres indices troublants. A l'est, l'axe est balisé par Sazeray et Vijon, deux paroisses qui dépendaient de l'abbaye de Déols. Sazeray n'est pas sans faire penser à Sarraz, la capitale des Sarrazins, où Robert de Boron fait transiter le Graal avant de le faire parvenir en Angleterre. Il y reviendra dans une des versions du mythe : « Une voix céleste, écrit Catalina Girbea, la même qui avait commandé à Joseph de porter le Graal en Occident, demande à Galaad de le mettre à Sarraz dans le Palais Spirituel. Galaad, Perceval et Bohort sont emprisonnés par le roi Escorant, et ils sont réconfortés par le Graal qui leur tient compagnie. L'histoire de Joseph se répète, le cercle se referme. Sarraz est le début et la fin et tout le reste paraît un rêve passager. » Entre Sazeray et Vijon, un minuscule lieu-dit le Monterrant rassemble en un seul vocable les riches symbolismes de la montagne et de l'errance, dont la connivence est superbement suggérée par Gérard de Sorval : « C'est ainsi que le lieu de naissance et d'appartenance d'un homme, terrestre ou cosmique (son zodiaque), est la signature de son point de départ en cette vie et de sa destinée : du centre à partir duquel il est appelé à s'orienter librement et à se retrouver. Et, paradoxalement, l'état nomade pastoral, celui des compagnons passants, des nobles voyageurs, ou l'errance aventureuse des chevaliers, témoignent toujours de l'enracinement dans un centre intérieur à soi-même : clan, confrérie, assemblée des Philosophes, Table Ronde, etc. Qu'il soit physique ou subtil, extérieurement visible ou non, ce pôle de rattachement appelle à la recherche active du lieu où l'errance se transforme en tournoiement de la roue autour du moyeu, de la montagne élevée où se rasemblent ceux qui sont épars : le château tournoyant du Graal ou la chambre du Milieu ouverte par l'escalier à vis. « (La Marelle ou les sept marches du Paradis, Dervy-Livres, 1985, p. 118) L'horizon occidental n'est pas moins révélateur : après le Grand Pommier, il désigne rien moins que le hameau de la Graule... Par une curieuse fantaisie de l'histoire, il est toujours ici question de pierres : ce n'est plus l'énorme pierre précieuse aux vertus magiques du poème de von Eschenbach, mais l'ultra-moderne taille de pierres de granit de haute précision. L'alignement est ensuite parallèle à la départementale 990 jusqu'à Aigurande où il pénètre par le Merin, dont un orme et une croix marquaient jadis la limite entre Aigurande en Berry et Aigurandette en Marche, et qu'il est bien tentant de lire comme un souvenir de Merlin... (et nous pouvons prolonger notre rêve en voyant sur la carte, juste au-dessus du Grand Pommier, les maisons de la Fée, avec son étang alimenté par le ruisseau issant du bois de Fonteny. Petit lac pour Viviane berrichonne...). Enfin, au-delà d'Aigurande, l'axe vise le bois de Grammont, où était implanté un prieuré de l'ordre de Grandmont, un ordre religieux de caractère érémitique fondé par Etienne de Muret en 1076, dont l'abbaye-mère se situait en Limousin, dans les monts d'Ambazac. Saint Etienne de Muret Ce n'est sans doute pas un hasard si l'ordre s'est particulièrement vite développé sur les fiefs du roi d'Angleterre, la Normandie, l'Anjou, la Saintonge, le Poitou et la Gascogne : « Car le roi d'Angleterre, Henri II Plantagenêt, plein d'admiration pour leur ferveur, se fit très vite leur protecteur. »(L'art grandmontain, Zodiaque, 1984). A la lumière de l'étude de Catalina Girbea sur la récupération du roman arthurien, il faut soupçonner également un savant calcul politique. Mais c'est là une autre question sur laquelle nous aurons peut-être l'occasion de revenir. Sur ce, satisfait d'avoir comblé son retard sur la course solaire, l'arpenteur zodiacal observera une petite pause estivale. Il donne rendez-vous au signe du Lion à ses lecteurs fidèles ou occasionnels (qu'il remercie en passant de tout son coeur car ils lui redonnent souvent courage en son périple).11 juillet 2005 | Lien permanent
Silvain et Sucellus
« La rencontre phonétique de Silvain et Silvestre suggère également des dédicaces au dieu latin Silvanus (Silvano Silvestris Sacrum) comme des épithètes que l'on peut rapporter au dieu Mars et renvoie à la tradition d'une construction de la première église de Levroux sur les ruines d'un édifice romain. »
(Jean-Paul Saint-Aubin, Saint Silvain)
Selon Joël Schmidt, Silvain n'avait pas l'honneur d'un culte officiel dans la Rome antique, mais il était très populaire dans les campagnes, où fruits et jeunes animaux d'étable lui étaient offerts. Divinité associée aux bocages, aux vergers et aux petits bois, adoré tout d'abord sous la forme d'un arbre avant de prendre apparence humaine et d'être assimilé à Pan ou à Faunus, il est ordinairement représenté sous la forme d'un joyeux vieillard, couronné de lierre, et une serpe à la main : « Son caractère malicieux, enclin à la taquinerie, le faisait craindre des voyageurs qui traversaient les bois, et les parents menaçaient leurs enfants du courroux de Silvain lorsqu'ils cassaient les branches d'arbres. » (Dictionnaire de la Mythologie Grecque et Romaine, Larousse, 1998, p. 192.)
Tiens, ce courroux nous rappelle incidemment le nom du fiancé déchu de Rodène... Ceci dit, Silvain est un dieu romain, et il ne se présente pas tel quel sur le territoire gaulois. Paul-Marie Duval le montre cependant associé au dieu celtique Sucellus, le dieu au maillet, mais seulement en Narbonnaise : « Sucellus prend dans le Midi l'allure de Silvain et ne garde que ses attributs, maillet et vase, avec son chien : toujours barbu, il se dénude et porte seulement un court manteau ou une peau de loup jetée sur les épaules ; sa tête se couronne de feuillage, un arbre pousse auprès de lui, des fruits chargent ses bras. Il arrive que les deux types se mêlent et que le dieu vêtu à la gauloise soit couronné de feuilles ou tienne une serpe, une flûte de Pan, un couteau de chasse ; inversement, les autels dédiés Silvano se couvrent de maillets. La pénétration est ici tout à fait réciproque. » (Les dieux de la Gaule, Payot, 1976, p.78.)
Sucellus lui-même est surtout honoré dans le bassin du Rhône et de la Saône. Ses représentations les plus occidentales sont celles de Lailly-en-Val et de Bourges. J'ai d'ailleurs déjà eu l'occasion de l'évoquer à propos de la géographie sacrée de la vallée de l'Arnon, où j'ai cité les travaux d'Anne Lombard-Jourdan qui l'assimile à Cernunnos, le dieu-cerf, envisagé comme le dieu-père celtique, le Dis Pater dont parle Jules César dans la Guerre des Gaules.
Le préhistorien Jean-Jacques Hatt, écrit lui aussi, en conclusion de son analyse, que « Silvain-Sucellus-Dispater est l'un des dieux les plus importants du panthéon celtique et gallo-romain. Il a participé à la formation de ce dernier, comme à son évolution. Divinité plurivalente, simultanément sidéral et chtonien, il est, comme le Mars indigène, antérieur à l'introduction du système tripartite des grands dieux celtiques. (...) Ses racines archaïques le rapprochent des traditions irlandaises, correspondant elles-mêmes en grande partie à un état religieux plus ancien que le Ve siècle avant J.C. » 1
Il importe maintenant de développer ce « simultanément sidéral et chtonien ».
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1Ce texte fait partie d'un document précieux mis en ligne par les héritiers de Jean-Jacques Hatt. Décédé en 1997, il « n'a pas pu terminer le deuxième tome de " Mythes et dieux de la Gaule"; suite du tome I publié chez Picard en 1989. Son épouse et ses enfants ont trié et rassemblé le texte et les photographies, réalisé la saisie informatique du manuscrit. Son petit fils Ambroise Lassalle, conservateur territorial du patrimoine, a numérisé les illustrations disponibles à partir d'un stock imposant de photographies souvent non légendées. Bernadette Schnitzler, conservateur en chef du Musée Archéologique de Strasbourg, a relu et effectué la mise en forme de l'ensemble du texte après saisie, mis au point une maquette éditoriale et réalisé une sélection de documents d'illustration, parmi les documents disponibles. Thierry Hatt a assemblé les chapitres et les images en fichiers Adobe Acrobat et a installé ces derniers sur le site Internet dédié. Cette publication a été mise en ligne en septembre 2005. » (Avertissement de la famille.)
09 avril 2006 | Lien permanent | Commentaires (5)