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Si souvent la fortune ôte
A ma mère, dont c'est aujourd'hui l'anniversaire. La source de la Bouzanne est le but d'un pélerinage le Mardi de la Pentecôte. Une statue de Notre-Dame de la Bouzanne y est conduite en procession. Il est encore d'usage de jeter des pièces de monnaie dans le bassin du sanctuaire, offrande gratuite ou espérance d'être exaucé de quelque voeu... Autrefois, l'affaire était plus grave. S. Clément rapporte qu'on apportait de l'eau de la fontaine aux malades en danger de mort : « A cet effet, trois pélerins de même sexe, de même âge et de même condition que le malade partent ensemble en récitant le rosaire. »(Aigurande et ses sanctuaires, Châteauroux, 1910) Alors que beaucoup de fontaines ayant fait l'objet d'un rite sont de nos jours tombées dans l'oubli, ne sont plus parfois qu'un bouillonnement obscur dans le coin d'un pré, la source de la Bouzanne se présente dans un lieu vaste et bien dégagé, et le pélerinage a même connu cette année un surcroît de ferveur, en raison de la présence de Monseigneur Barbarin, archevêque de Lyon, tout juste revenu du conclave.
Pentecôte. (BNF, LAT 18014) fol. 69 Petites Heures de Jean de Berry France, Paris XIVe s. (55 x 45 mm) La Pentecôte chrétienne commémore la descente de l'Esprit-Saint sur les Apôtres et, en définitive, marque la naissance de l'Eglise, car c'est à partir de ce jour-là qu'elle va se développer par toute la terre. Elle est aussi le point de départ obligé de l'action de plusieurs romans arthuriens. Ainsi, Yvain, le chevalier au lion, de Chrétien de Troyes, commence-t-il par ces mots : « Arthur, le noble roi de Bretagne, dont la valeur exceptionnelle nous enseigne à être vaillants et courtois, tint une cour splendide, bien digne d'un roi, à l'occasion de cette fête, qui, si souvent la fortune ôte, qu'on a bien raison de l'appeler Pentecôte. » (trad. C.A. Chevalier, Livre de Poche, 1988) De même, la Quête du Graal : « A la veille de la Pentecôte, vers l'heure de none, les compagnons de la Table Ronde qui venaient d'arriver à Camaalot se mettaient à table, après avoir assisté à l'office, quand une très belle Demoiselle entra à cheval dans la salle. » (Edition présentée par Albert Béguin et Yves Bonnefoy, Seuil, 1965) De la même manière, c'est à la Pentecôte que Galaad surgit dans le palais du roi Arthur, en armure vermeille rappelant les langues de feu descendues sur les apôtres ce jour-là. Selon Yves-Albert Dauge, le Graal correspond à l'essence même de l'ésotérisme universel, et tout particulièrement à la clef de l'ésotérisme judéo-chrétien. La géographie sacrée, s'inscrivant avec évidence dans le champ de manifestation de celui-ci, ne peut pas ne pas avoir tissé de liens avec cet extraordinaire symbole : la zone Cancer, et singulièrement cette bande de territoire partant d' Aigurande et suivant la ligne de partage des eaux de l'Indre et de la Creuse, illustre pleinement, nous allons le voir, cette rencontre.08 juillet 2005 | Lien permanent | Commentaires (2)
Summetria
Vladimir Rosgnilk ( L'Emergence de l'Enel ou l'Immergence des Repères, Ark'All 1998, p. 950) explique ainsi la méthode de Léon Sprink :
« D'abord Sprink détermine les axes de symétrie de l'édifice, puis il trace des cercles qui reliaient entre eux les points équidistants du centre de l'édifice. Il obtient ainsi un certain nombre de cercles dont il arrive à retrouver les rayons à partir du rayon d'un de ces cercles, en se servant des divisions des cercles par les axes. Cette méthode s'applique depuis les édifices des premiers siècles chrétiens jusqu'à la Renaissance. Sprink fait remarquer que tous les cercles obtenus ne furent peut-être pas forcément utilisés pour l'établissement du plan de la construction. »
Eglise de Youriouv Polski
(Harmonie en 8, tracé Léon Sprink en 1932, in op. cit. p. 956)
Saint-Genès de Châteaumeillant illustre parfaitement cet énoncé : il est aisé d'y reconnaître ce que Sprink appelle une symétrie d'ordre 8 presque parfaite. Le monument s'ordonne selon une série de cercles concentriques équidistants les uns des autres, dont le module de base est le cercle s'inscrivant dans le carré du transept.
La collégiale de Neuvy, cas particulier d'une basilique accolée à une rotonde, présente également une symétrie d'ordre 8. Les cercles sont bien sûr matériellement tracés, du fait de la forme circulaire de l'édifice. Restait à déterminer les axes de symétrie : l'un d'eux relie le centre du rond-point avec le point médian de la porte ouvrant sur le nord. L'axe basilical passant par le centre constitue l'autre axe directeur.
On remarquera d'une part que les axes 1-4 et 7-4 atteignent les angles de la nef basilicale en tangentant les colonnes les plus importantes, et d'autre part que l'axe 2-6 traverse une des onze colonnes de la rotonde, les dix autres se distribuant symétriquement par rapport à lui.
Maintenant, si nous plaquons sur Neuvy le schéma directeur établi pour Châteaumeillant, en prenant soin de respecter d'une part l'orientation, d'autre part l'axe de symétrie traversant la porte Nord, nous sommes frappés par plusieurs coïncidences.
- Le premier cercle épouse parfaitement le cercle intérieur du rond-point des onze colonnes.
- Le troisième cercle se confond avec le parement extérieur de la rotonde.
- L'axe longitudinal rase le mur de séparation entre la rotonde et la nef basilicale et traverse le chevet en tangentant le bord d'une étroite ouverture dans celui-ci.
C'est la très légère distorsion de perpendicularité (2°) entre les axes 4-8 et 2-6 de Châteaumeillant qui entraîne ce dernier effet. Qu'elle soit voulue ne paraît donc pas faire de doute...
Des vertus de l'imperfection...
Rosgnilk écrit plus loin (p. 954) que Sprink s'est aperçu que « dans certains cas il y avait eu des entorses méthodiques à un tracé parfait " et il ajoute qu' "elles semblent correspondre à des exigences liturgiques nouvelles. »
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N.B : Pour une meilleure lisibilité des plans et schémas, vous pouvez télécharger le fichier suivant (en PDF) : Symétries.
06 janvier 2006 | Lien permanent | Commentaires (4)
Retour d'hibernation
Le site a bien failli disparaître. Et de fait il avait bel et bien disparu des écrans.
Les administrateurs de Hautetfort avaient, semble-t-il, décidé de faire le ménage dans les blogs dormants, non alimentés depuis des années, et, certes, on peut les comprendre. C'était le cas de Fragments où je n'avais pas posté de notes depuis le 12 septembre 2012. J'avais achevé mon périple mais, passant de temps à autre dans la section administrative, je constatais d'après les statistiques que le blog continuait d'être bien fréquenté (maintenant les stats ont disparu elles aussi, il faut charger un module externe, ce que je n'ai pas fait). Donc j'avais décidé de laisser en l'état, m'étant lancé par ailleurs dans la rédaction d'un livre qui reprendrait l'ensemble des travaux sous une forme un peu nouvelle, l'écriture d'un livre ne pouvant être la simple recopie des articles d'un site.
Ce projet a bien avancé, mais il n'est pas encore achevé, d'autres travaux d'écriture ayant requis mon attention et mon temps. Et puis voilà qu'un beau jour, voulant consulter un article, je découvre que Fragments était inaccessible. Je voulus retourner dans mon compte, et il y avait si longtemps que cela ne s'était pas produit que j'avais même oublié mon mot de passe. Une fois celui récupéré, ce fut pour constater que le blog n'était même plus accessible en mode admin : tout était verrouillé.
Un mail à la plateforme a heureusement rétabli le compte et le site, et j'en remercie les administrateurs de Hautetfort, mais pour que la mésaventure ne se répète pas, je suis bien prévenu qu'il va falloir à nouveau publier.
Bien sûr, j'avais déjà archivé tous les billets, et je pourrais très bien décider de supprimer le site, mais n'y aurait-il qu'une seule personne à qui cela pourrait encore apporter un peu de lumière et de sens, à la faveur de cette hypothèse improuvable, je préfère continuer encore un peu l'aventure.
Et puis j'annonce qu'il y a du nouveau : un haut-lieu que je n'avais pas encore exploré, ou du moins qui ne m'avait encore rien donné en ce qui concerne la géographie sacrée, s'est révélé au printemps, et je donnerais ici quelque jour les résultats de cette investigation. Il s'agit de l'église Saint-Martin de Vic, avec ses fresques médiévales sublimes de beauté.
J'en ai profité aussi pour faire un peu de ménage dans les liens proposés : beaucoup de sites avaient eux aussi disparu ou mal évolué.
Merci aux lecteurs, qu'ils soient fidèles ou de passage. Et à bientôt donc pour de nouveaux fragments de géographie sacrée...
16 juin 2016 | Lien permanent | Commentaires (2)
Paris ne finit jamais
Entracte dans le feuilleton Denis Gaulois. Ceux qui me lisent régulièrement savent que je tire deux fils distincts sur ce site, l'un est bien entendu l'enquête autour de la géographie sacrée du Bas-Berry et ses alentours, l'autre est cette interrogation sur les coïncidences qui vient sporadiquement s'intercaler dans le cours de mes investigations zodiacales. Ces deux fils ne cessent d'ailleurs de se croiser, formant un brin qu'il serait bien artificiel de démêler. C'est comme une de ces pièces de théâtre élizabéthaines avec ses deux intrigues : la principale et la secondaire qui se dénouent ensemble au final. Sauf que le final ici n'est pas de mise...
Ce préambule pour dire qu'au même moment où je m'évertuais à pénétrer cette obscure légende déoloise en poursuivant ma lecture de Montjoie et saint Denis !, je me suis offert le luxe d'une digression dans l'univers romanesque de l'écrivain espagnol Enrique Vila-Matas. Je dis bien luxe, car cette initiative n'avait rien de raisonnable : le temps me manque déjà pour venir à bout des lectures entamées et je me rajoute une nouvelle dose d'imprimé. Cela, on en conviendra aisément, frise l'inconséquence... Pour venir à bout des scrupules qui naturellement me tenaillent (« Finis donc déjà ce que tu as commencé, tu verras bien après »), je me donne d' « excellents » prétextes : Villa-Matas, dont je n'ai lu jusqu'à présent que des extraits et quelques articles de revue, est un écrivain qui fait lui aussi la part belle aux coïncidences (avec une savante ironie qui est, semble-t-il, sa marque de fabrique et qui fait se demander toujours si ce qu'il raconte est, comme l'on dit trivialement, du lard ou du cochon). Par ailleurs, le livre de lui que j'ai choisi se nomme Paris ne finit jamais, ce qui fait écho à l'étude d'Anne Lombard-Jourdan dont il est dit (quatrième de couverture) qu'elle « éclaire ainsi de façon décisive les causes profondes de la primauté de l'abbaye royale de Saint-Denis et de la singularité et de l'ascendant de Paris capitale. » Ce livre se tenait donc dans le droit fil de mes deux problématiques (allons-y pour le mot pédant) exposées au-dessus.
Quel est l'argument du livre ? Quatrième de couverture encore : « A l'occasion d'une conférence qu'il doit donner à Barcelone, un écrivain revient sur ses années de bohême et d'apprentissage littéraire à Paris. Sous la figure tutélaire d'Ernest Hemingway, il dit son amour pour cette ville à travers les souvenirs de ses premiers pas dans l'écriture. »
Bon, là-dessus, j'achète ce matin le Journal du Dimanche et voici qu'en dernière page du supplément Paris-Ile de France, je tombe sur un grand article de l'écrivain américain Jérôme Charyn, intitulé Le grand Paris de Hemingway. C'est une promenade jalonnée par les différents lieux parisiens marqués par le passage de « Papa », promenade où Charyn ne se prive pas d'égratigner le mythe à l'occasion.
Ainsi évoque-t-il la rencontre avec Scott Fitzgerald en 1925, au Dingo Bar, dans le 14ème : « A l'époque, l'auteur de Gatsby le Magnifique est idolâtré dans le monde entier. Mais il reconnaît tout de suite le talent de Hemingway. Et semble même impressionné par le jeune écrivain. Il l'aide d'ailleurs à faire publier Le soleil se lève aussi, le roman qui fait de lui une star.
C'est le début d'une amitié. Même si lors de cette première rencontre Scott pose des questions indiscrètes sur la sexualité de Hem' et finit la soirée ivre mort. Hemingway s'amuse à noter que, quand Scott est assis au bar, ses jambes sont si courtes qu'elles ne touchent pas le sol. Comme à son habitude, il ne peut s'empêcher de se moquer de la personne qu'il encense. »
Or, la page sur laquelle j'avais arrêté ma lecture du livre, la page 54, relatait précisément cette rencontre de 1925 entre Fitzgerald et Hemingway : « Ce fut le début d'une amitié qui commença sur un bon rythme et finit très mal. Paris est une fête raconte que, quelques jours après cette première rencontre , ils partirent tous les deux en train pour Lyon afin de récupérer la voiture décapotable que l'écrivain à succès y avait abandonnée, l'un l'écrivain très riche, brillant et déjà très célèbre (Scott Fitzgerald), et l'autre, un peu plus jeune et encore un débutant (Hemingway), un écrivain sans argent, avide de triompher et content d'avoir fait la connaissance de cette grande étoile de la littérature. »
Il faut savoir que lorsque j'ai commencé à prendre note quasi systématiquement des coïncidences (en février 1991, dans un cahier Clairefontaine à couverture rose), la première page mentionnait déjà Hemingway, à travers une de ses nouvelles intitulée Une très courte histoire.
Cette histoire-ci promet en revanche d'être très longue...
01 octobre 2006 | Lien permanent | Commentaires (2)
Le chemin de lumière de Vézelay
Notre esprit moderne est tenté de projeter des oppositions entre le narthex, la nef et le choeur. En fait, ces moments de la construction, de structure architecturale différente, sont dans une étonnante continuité ; les bâtisseurs ont conféré au monument sa signification particulière : àla fois église monastique et église de pélerinage, la Madeleine offre aux fidèles de passer, en son espace intérieur, des ténèbres de l'Ouest à la lumière du soleil levant, signe du triomphe définitif du Christ sur la mort.
Hugues Delautre et Jacqueline Gréal, Vézelay, Editions franciscaines 2001, p.8.
A Vézelay, comme à Sauzelles, pour la prestigieuse basilique romane comme pour la discrète stèle funéraire gallo-romaine, l'orientation, au sens propre du mot, est, on l'a vu, décisive. On peut maintenant nous objecter que ceci n'a rien d'extraordinaire : la grande majorité des églises ne sont-elles pas dirigées vers l'est ? Suivant en cela les leçons d'une certaine théologie où le soleil levant apparaît comme le symbole de la résurrection. « Il est convenable, écrivait ainsi Saint Thomas d'Aquin au XIIIe siècle, que nous adorions le visage tourné vers l'orient parce que le Christ, lumière du monde, est appelé orient par le prophète Zacharie, et parce que c'est à l'Orient qu'il viendra au dernier jour. »
Avec Vézelay, cependant, l'architecture ne se contente pas d'une simple orientation de l'axe majeur allant du porche au chevet : la prise en compte des coordonnées cosmiques, de l'inscription du monument dans son espace-temps singulier débouche sur un dispositif beaucoup plus subtil, où la lumière matérielle vient exalter la nef en des endroits précis, à l'occasion des rendez-vous cruciaux de l'éphéméride : « A Vézelay, note Paul Gagnaire,* dans la basilique de la Madeleine, lors du solstice d'été, le Soleil, traversant les vitraux de la nef, côté Sud, projette, au milieu de l'allée centrale, un chapelet de dix grosses taches de lumière, circulaires, qui, telles des "pas chinois", tracent un chemin depuis le narthex jusqu'au chœur . »
A 14h27 le 23 juin 1976 dans la nef de la basilique de Vézelay, le Père Hugues Delautre o.f.m. a donné rendez-vous au soleil, à cet instant précis en culmination par rapport à la terre, pour qu'il lui manifeste le secret de l'édifice. Photographie de François Walch
C'est donc un véritable chemin de lumière que présente la Madeleine. Hugues Delautre, le père franciscain qui a le premier, semble-t-il, remis en évidence l'architecture cosmique de l'édifice, écrit qu'au solstice d'été, la fête de saint Jean-Baptiste marque le triomphe de la lumière, « selon les derniers versets du Cantique prononcé par Zacharie, le père du Précurseur, à l'occasion même de cette nativité :
« Et toi, petit enfant, tu précéderas le Seigneur pour donner à son peuple la connaissance du salut, oeuvre de la miséricordieuse tendresse de notre Dieu qui nous amènera d'en haut la visite du Soleil levant, afin d'illuminer ceux qui se tiennent dans les ténèbres et l'ombre de la mort, afin de guider nos pas dans le chemin de la paix. » (Luc 1, 76-79)
Pendant que la communauté monastique psalmodiait ce cantique d'actions de grâces au terme de l'office de l'aurore, l'homme roman, dont la sensibilité était informée d'instinct dans le langage si précis et intime des pierres, debout dans le galilée encore enfoui de ténèbres, voyait le soleil à son lever irradier progressivement le choeur, « Gloire du Christ ressuscité, Soleil véritable, tout éclatant de splendeur éternelle. » (p. 28)
Je suis heureux de poster cet article le jour même de Pâques (ce qui n'est nullement prémédité de longue date, n'ayant moi-même retrouvé l'opuscule sur Vézelay dont j'use ici amplement que depuis quelques jours). Et je laisserai à Grégoire de Nysse, lui-même cité par Hugues Delautre, le soin de conclure :
« A Pâques, les jours sont égaux aux nuits, et la lune étant à son 14ème jour de sa course, n'a aucune partie d'elle-même qui soit ténébreuse. Elle brille donc elle-même de l'éclat qu'elle reçoit du soleil. Aussi le jour de Pâques la lumière luit le jour comme la nuit, sans que les ténèbres lui fassent obstacle. »
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* Il faut lire absolument la remarquable étude que cet auteur a consacrée à la gnomonique religieuse, hébergée sur le site de l'Ecole Normale Supérieure de Lyon. Je l'ai trouvée très récemment grâce à cet autre lien, une étude de André E. Bouchard.
NB : Cette note est inscrite en Scorpion, car Vézelay se situe dans le signe du Scorpion dans le zodiaque neuvicien. Je rappelle à cette occasion que la colline de Vézelay est dénommée le Mont Scorpion, ce que rappelle Paul Gagnaire dans son étude.
12 avril 2009 | Lien permanent | Commentaires (7)
Le buis et le net
Il faudra un jour réfléchir un peu plus profondément sur l'étrange relation qui lie la géographie sacrée - ce réseau d'autrefois que je me plais parfois à nommer pour moi-même l'Archéo-réseau - et l'internet, ce réseau de réseaux qui a bouleversé et continue de bouleverser la culture et l'économie de notre temps. Bien sûr la géographie sacrée n'a pas émergé avec l'internet ; Jean Richer, Guy-René Doumayrou, pour en citer les principaux découvreurs, n'ont utilisé que leur immense érudition pour jeter les bases d'un examen renouvelé des rapports que les anciens avait noués avec leur milieu naturel et social. Poursuivant leurs recherches sur un petit coin de cette planète, je me suis moi aussi fondé dans un premier temps sur mes seules lectures. La publication de mes investigations sur le net, sous la forme du présent blog, se voulait avant tout une tentative de partage. Or, j'ai très vite constaté que l'expérience débordait très largement ce cadre très étroit de la seule transcription de l'existant. Sans doute, chaque fois que j'avais repris le travail autour du zodiaque de Neuvy Saint-Sépulchre, la nouvelle mouture avait gagné en épaisseur, de nouvelles connections s'étaient imposées et des horizons nouveaux s'étaient déployés. Mais ce qui était nouveau avec le net, c'était l'ampleur de ces révisions. A tel point que trois ans plus tard, je n'en ai pas fini avec une étude qui devait à l'origine être terminée en un an. Si en elle-même la géographie sacrée n'avait guère d'existence sur la toile - et c'était bien une des raisons qui me poussaient aussi à l'investir - la richesse documentaire sur les sites étudiés, sur le légendaire, l'hagiographie, le folklore populaire... me poussèrent souvent vers des prolongements inattendus. La sérendipité était reine et me conduisit bien des fois sur de nouvelles pistes. Ajoutez à cela la qualité des commentaires de quelques lecteurs peu nombreux mais fidèles, qui influèrent également sur la marche de l'entreprise.
Donnons un nouvel exemple de cette ouverture que donne le net, dans le cadre de cette étude entamée autour du grand carré au buis.
Cette figure définissant naturellement deux grandes croix, celle des diagonales et celle des médianes, je recherchai par googlage les résultats de l'association des mots-clés croix et buis.
Or, le second résultat me dirigea tout droit vers une étude parue dans la revue Aquitania en 1997-1998 sur un entrepôt du 1er siècle avant J.C. situé à La Croix du Buis, à Arnac-la-Poste en Haute-Vienne.
Le troisième résultat avait également un lien avec le même site, à travers une étude parue dans la même revue, appartenant à un auteur différent, J.P. Guillaumet. En voici le résumé :
"Un monument à quatre faces humaines a été découvert sur le site laténien de la Croix du Buis, en Haute-Vienne. Il s'agit d'un quadrifons dont on connaît quelques autres exemplaires datés de la protohistoire récente, l'un provenant d'Espagne (Puentedeume, La Coruña), l'autre de la commune de Thiant, dans le département du Nord, et le troisième du Titelberg, au Luxembourg. Ce thème est inconnu dans la mythologie celtique. L'oeuvre d'Arnac-la-Poste semble être liée à des cultes domestiques et date de la charnière entre période celtique et période gallo-romaine."
Sur cette sculpture, on en apprend un peu plus grâce à l'article de José GOMEZ de SOTO et Pierre-Yves MILCENT sur "La sculpture de l’âge du Fer en France centrale et occidentale": "En Limousin, de l’enclos fossoyé de La Croix du Buis à Arnac-la-Poste (Haute-Vienne) proviennent des fragments de protomés de bovidés en terre cuite et une sculpture à quatre visages en grès (Toledo i Mur 1997 ; Guillaumet 1997). Ces visages – l’un a été détruit – sont portés par de longs cous, leurs yeux sont largement ouverts en amande, les chevelures en mèches se réunissaient au sommet de la sculpture en formant un motif disparu, peut-être une sorte de chignon. La fréquentation de l’enclos de la Tène D à la période augustéenne rend la datation de ces diverses œuvres légèrement imprécise. Le site avait été interprété comme un entrepôt stockant du vin d’Italie. M. Poux (2000, 226 sq.) propose d’identifier l’enclos comme un lieu de banquet et un de ses deux bâtiments comme une salle analogue aux hestiatoria du monde greco-romain, hypothèse qui nous paraît plus recevable et rend mieux compte de la présence en ces lieux de ces éléments sculptés exceptionnels, inconnus à la même époque ailleurs dans la région."
Sur les hestiatoria, on pourra lire, toujours sur le net, cette présentation de Karim Mahdjoub.
Récapitulons : nous voilà en présence d'une sculpture décrite comme exceptionnelle, unique dans la région, avec un thème inconnu dans la mythologie celtique (ce monument à quatre faces humaines me fait bien sûr penser à la colonne de Souvigny, avec ses quatre faces sculptées en bas-relief).
Maintenant arrêtons-nous sur le lieu : où donc est située La Croix du Buis ? Où donc est situé Arnac-la-Poste ? Haute-Vienne, avons-nous lu, mais, plus précisément, cette petite commune (qui, soit dit en passant, en août 2006, a organisé les 4es Rencontres des communes de France au nom burlesque[1] organisée par l'association des communes de France aux noms burlesques et chantants.) se trouve à
02 mai 2008 | Lien permanent | Commentaires (2)
Geminae columbae
Sur la façade ouest de l'église de Villesalem, à la voussure supérieure d'une fenêtre aveugle, des mains humaines tiennent des branches feuillues.
La rareté de cette composition nous interloque : mais ne s'agit-il pas tout simplement d'une figuration des Rameaux ? Cette fête chrétienne commémore l'entrée triomphale à Jérusalem de Jésus monté sur une ânesse, ses disciples l'accueillant avec des rameaux de palmier. « C'était une tradition orientale, déclare le Dictionnaire des Symboles (p. 800), d'acclamer les héros et les grands en brandissant des rameaux verts, qui symbolisent l'immortalité de leur gloire. » Les Rameaux se célèbrent le dimanche qui précède Pâques, dont la date est fixée au premier dimanche suivant la pleine lune de l'équinoxe de printemps, donc entre le 21 mars et le 25 avril (35 jours que l'on appelle les journées pascales). Ce qui place la fête pratiquement toujours dans le signe du Bélier. On ne fait plus guère attention de nos jours à cette subordination du temps humain à la temporalité cosmique, à cette double détermination luni-solaire, pourtant nous continuons tous de fonctionner, croyants, laïcs et mécréants dans ce cadre multi-millénaire – et il n'est même aucun rationaliste farouche pour proposer de le modifier (la seule tentative en ce sens, celle du calendrier révolutionnaire, a fait long feu et, encore une fois, personne ne s'aviserait aujourd'hui d'y faire retour). Avec les Rameaux, c'est toujours la thématique du triomphe qui est exaltée, comme le souligne la prière de bénédiction des Rameaux : « Bénissez, Seigneur, ces rameaux de palmier ou d'olivier, et donnez à votre peuple la parfaite piété qui achèvera en nos âmes les gestes corporels par lesquels nous vous honorons aujourd'hui. Accordez-nous la grâce de triompher de l' ennemi et d'aimer ardemment l'oeuvre de salut qu'accomplit votre miséricorde. » « La victoire célébrée ici, précise encore Le Dictionnaire des Symboles, est toute intérieure, c'est elle qui est remportée sur le péché, qui s'accomplit par l'amour et qui assure le salut éternel : c'est la victoire définitive et sans appel. Le symbolisme du rameau atteint à la plénitude de son sens. Il était déjà préfiguré dans le rameau d'olivier que la colombe apporta dans son bec, pour annoncer la fin du déluge : La colombe revint vers Noé sur le soir et voici qu'elle avait dans son bec un rameau tout frais d'olivier. (Genèse, 8, 11). C'était un message de pardon, de paix recouvrée et de salut. Le rameau vert symbolisait la victoire de la vie et de l'amour. » Villesalem est précisément, de par son nom, le village (ville) de la paix (salem). Et justement, sur la même façade ouest, on rencontre la colombe, dédoublée, buvant dans un calice - une des plus belles sculptures de l'édifice. Celui-ci est le réservoir de vie, la source éternelle d'énergie divine. Un autre récit antique, l'Enéide de Virgile, associe les deux colombes, geminae columbae, et le rameau, sous la forme du rameau d'or qui n'est autre que la branche de gui, dont les feuilles vert pâle se dorent à la saison nouvelle : « Un rameau, dont la souple baguette et les feuilles d'or, se cache dans un arbre touffu, consacré à la Junon infernale. Tout un bosquet de bois le protège, et l'obscur vallon l'enveloppe de son ombre. Mais il est impossible de pénétrer sous les profondeurs de la terre avant d'avoir détaché de l'arbre la branche au feuillage d'or... Enée, guidé par deux colombes, se met à la recherche de l'arbre au rameau d'or dans les grands bois et soudain le découvre dans les gorges profondes. » (Eneide, chant VI, traduction d'André Bellessort ) Giuseppe Gambarini (Bologne, 1680 - 1720) Énée détachant le rameau d'or Nanti de ce rameau d'or (homologue, en vérité, à la toison d'or, elle aussi cachée dans un bois), Enée pourra visiter les Enfers. Yves-Albert Dauge, pratiquant, selon ses propres termes, la polyexégèse de ce passage, écrit : « Chacun d'entre nous, méditant sur le récit virgilien et en saisissant la signification universelle, rencontrera à son tour, dans l' « intermonde » de son propre itinéraire, les deux colombes et les suivra jusqu'à l'Arbre de Vie, pour se relier, lui aussi, au circuit des Energies créatrices, et avancer sur la voie de la métamorphose. Car un symbole correctement compris dans sa multiple unité devient à jamais vivant pour celui qui l'a déchiffré, comme la substance même de son esprit et la source même de sa ferveur. » (Virgile, Maître de Sagesse, Archê, 1984, p. 224). L'arbre de vie C'est clairement désigner l'enjeu de la géographie sacrée. Elle n'est pas un jeu superflu et gratuit, une ornementation dans le paysage, une création sans but. Dès le principe, elle est investie d'une mission essentielle : amener l'homme sur la voie de la transformation, lui en indiquer les stations et lui en proposer les énigmes. L'aventure zodiacale est analogue au voyage des Argonautes, à la quête d'Enée, au chemin de Saint-Jacques. La leçon de Villesalem, c'est l'apprentissage d'un nouveau regard sur le monde, l'invite à marcher vers la lumière. «La gloire des yeux, dit Saint Grégoire de Nysse, c'est d'être les yeux de la colombe. »14 mai 2005 | Lien permanent | Commentaires (3)
La toison tondez à vos brebis trop drue
« Roma-Amor. Dans les jeux de mots, on appelle palindromes les mots et les phrases qu'on peut lire aussi en sens inverse. Ils m'arrivèrent tous les deux avec une force de primeur loin de chez moi. Dix-huit années, de la première à la dernière, j'ai vécu à Naples, ma ville de naissance, stérile, sans aimer aucune fille dans les quartiers de mon adolescence. Ce n'est que sur l'île d'en face, un été, que m'est venu un amour pour une fille de Rome. Et quant à dix-huit ans je me suis évadé de mon lieu de fondation et du Sud, je me suis rendu dans cette ville, parce qu'il m'était resté de l'amour, un peu, mais assez pour faire passer par là celui qui se détachait de son centre et qui était équidistant de toute gare d'arrivée.»
Erri de Luca (Le contraire de un, Gallimard, 2004, p.63)
Signe de terre gouverné par Mercure, la Vierge ne suscite guère, en général, l'emballement des astrologues : c'est que le type qu'il représente est généralement décrit comme rationaliste et inhibé, de tempérament froid et ne goûtant guère l'effusion lyrique, la démesure et le baroque. En d'autres termes, il est le plus souvent un adversaire coriace de l'astrologue. La géographie zodiacale de la roue toulousaine porte les stigmates d'un tel conflit. Rome est en secteur Vierge et représenta, pour le monde occitan gagné par l'hérésie cathare, un pôle funeste. Guy-René Doumayrou cite le troubadour toulousain Guilhem Figueira, en 1226 :
Rome tricheuse, de convoitise perdue,
Qui la toison tondez à vos brebis trop drue...
Le pape Innocent III déclare que le danger cathare est plus menaçant que le danger sarrasin. Les diverses campagnes de prédication n'ayant rien donné, la croisade est décrétée, prêchée par l'abbé de Cîteaux. Le 22 juillet 1209, elle est inaugurée par le massacre de Béziers. « Béziers, remarque Doumayrou, s'aligne sur l'axe Toulouse-Rome, montrant par cette coïncidence que même l'action destructrice suit les voies énigmatiques du symbole, avec la cruelle indifférence de la nature » (Géographie Sidérale, p.110).
La région que nous étudions - semble-t-il restée à l'écart du catharisme – renferme en zone Vierge une ville au nom significatif : La Châtre, castrum latin, à rapprocher de Rome, appelée par les Anciens urbs quadrata, et même par Plutarque, Roma quadrata. Le castrum, le camp militaire qui a donné ensuite le château fort médiéval, adopte une forme géométrique en carré, partagée par deux artères médianes, le cardo et le decumanus. L'architecture de l'Urbs a connu, à l'avènement de l'empire, « un type d'agglomération rationnel, la colonie, au plan strictement géométrique, inspiré à la fois par l'urbanisme grec dérivant d'Hippodamos de Milet et par l'ordonnance des camps militaires (les colons sont des vétérans chargés de garder un point stratégique) » (Encyclopaedia Universalis, 16, 139).
L'ordre de Cîteaux manifesta à des siècles de distance le même souci de la quadrature. Villard de Honnecourt nous a laissé les plans d'une église cistercienne du XIIème siècle tracée ad quadratum. Elle s'inscrit dans un rectangle et sa longueur comporte trois carrés d'égale mesure. « Les cisterciens, écrit Jean-Yves Hugoniot, sont des mathématiciens qui ont pris dans leurs constructions l'homme pour nombre d'or. Rigueur mathématique, rigueur des proportions, ainsi la salle capitulaire présente partout où elle subsiste en Berry les rapports largeur = 2/3 de la longueur (dimension de la salle capitulaire de Noirlac : L : 12,64 m, l : 8,44 m, ht : 4,50 m). L'abbatiale elle-même croix latine tout en orthogonalité et en alignement comme à Noirlac ou à Fontmorigny est fondé sur un module carré. » (Cîteaux en Berry, Ville de Saint-Amand Montrond, Librairie Guénégaud, 1998, p. 47).
Varennes, l'abbaye cistercienne la plus proche de Neuvy Saint-Sépulchre, se situe précisément dans le secteur de la Vierge.
C'est Ebbe II de Déols qui fait venir en 1148, du diocèse de Sens, des moines de l’abbaye de Vauluisant , pour fonder ce monastère qu'il place d'emblée dans l'orbe de Cîteaux. Pourquoi une telle volonté de bâtir ici, près de ce gué obscur sur le Gourdon ? Pourquoi, sept ans plus tard, un autre souverain et pas le moindre, Henri II Plantagenêt, fait-il arracher la pierre de fondation originelle pour se proclamer fondateur à son tour, Varennes devenant l'abbaye royale de Notre-Dame de Varennes ? Il faut croire que ce lieu a une importance symbolique assez forte pour que des seigneurs aussi considérables s'en disputent aussi violemment la paternité. Aucune des autres abbayes cisterciennes du Berry, même Noirlac, n'a engendré, à ma connaissance, une semblable rivalité.
Il y a une première énigme : pourquoi Ebbes de Déols va-t-il chercher si loin des bâtisseurs ? Pourquoi choisit-il les moines bourguignons de Vauluisant ? De quel prestige ceux-ci pouvaient-ils bien se prévaloir ?
Pour répondre à ces questions, il faut se pencher sur une autre grande figure de l'époque, Hugues de Toucy, archevêque de Sens.
10 septembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (2)
Le rayon d'or
Suite au commentaire de Colette, j'ai changé la catégorie de la note précédente : la vallée de larmes, pour s'originer à Montgivray, ne s'en déployait pas moins pour l'essentiel sur le secteur Vierge. Nous allons voir aujourd'hui un autre alignement qui, lui, relève exclusivement de Balance et justifiera quelque peu, de par sa nature, l'appellation du lien que notre fidèle lectrice a eu la bonté d'imaginer pour le présent site. Je l'ai nommé, cet alignement, le rayon d'or. Pour la bonne et simple raison qu'il relie, à partir du centre même - Neuvy Saint-Sépulchre - les bourgs d'Orcenais et d'Orval, le lieu-dit l'Ormeray et surtout l'ancien prieuré d'Orsan, fondé par Robert d'Arbrissel.
J'ai déjà évoqué ce lieu dans une note consacré à l'autre Léger, l'archevêque de Bourges, qui meurt précisément à Orsan le 31 mars 1120. Sur les circonstances de la fondation par Robert d'Arbrissel, voici ce qu'on peut lire sur un excellent document présentant le jardin d'inspiration monastique médiévale, créé en ce lieu par les architectes Sonia Lesot et Patrice Taravella, aidés du jardinier Gilles Guillot :
«C’est au début du XIIe siècle que fut fondé le prieuré d’Orsan. Robert d’Abrissel, créateur de l’abbaye de Fontevraud, parcourait l’année 1111 le Berry, en visite chez un de ses compagnons de la première heure, Pierre de l’Etoile, qui venait de fonder sur les rives de la Creuse le monastère de Fontgombault. Le siège épiscopal de
Bourges était alors occupé par Leodegaire ou Léger qui souhaita rencontrer ce célèbre évangélisateur et le persuada de créer dans sa province un prieuré de son Ordre. Orsan, lieu marécageux donc inculte et de grande solitude , fut choisi probablement en raison de son appartenance au seigneur de Châteaumeillant, Allard ou Adelard de Guillebault. Robert d’Arbrissel installa tout d’abord ses religieuses et religieux dans des constructions de bois ainsi qu’il l’avait fait auparavant à Fontevraud et reprit bientôt la route, confiant Orsan à sa première prieure, Agnès de Châteaumeillant. Sous sa direction éclairée et sous la protection de Léger, le prieuré d’Orsan prospéra. Léger devint l’ami de Robert ; il s’installa une maison de campagne près du prieuré et les seigneurs du voisinage firent d’importantes donations. Le prieuré devint puissant, disposant d’une grande fortune qui avait bien sûr pour origine le renom et l’aura de son créateur. Remarquablement géré par les prieures successives, de ces possessions, outre le revenu en argent, découlait une grande puissance morale. Orsan était alors un lieu très fréquenté, affaires temporelles ou pèlerinages au coeur de Robert, et de grandes foires s’y tenaient. La prieure avait donc un rôle important. La communauté l’élisait pour trois ans et cette nomination était ratifi ée par l’abbesse de Fontevraud. Les prieures avaient charge de faire appliquer la règle de l’Ordre double fontevriste avec pour principe premier, un monastère unique divisé en deux cloîtres distincts et séparés, l’un destiné aux religieuses, l’autre aux religieux, les religieux étant soumis aux religieuses.»
Comme Fontevraud et Villesalem, Orsan est situé sur une zone frontalière, comme en témoigne encore cet extrait de la carte de Cassini. Son implantation n'est donc pas uniquement dûe à sa position en vallée marécageuse et à son caractère de grande solitude, ici franchement exagérée.
Orsan est aussi particulièrement important dans la biographie de Robert d'Arbrissel puisque c'est là que l'inlassable prédicateur rend l'âme à Dieu, le 25 février 1116 , peu après être tombé gravement malade en voyage le 18 février. Comme il fallait s'y attendre, on se dispute âprement sa dépouille. Son corps regagne Fontevraud le 7 mars 1116 où il est enterré à droite du maître autel de l'abbatiale, contrairement à ses vœux, semble-t-il. Son coeur seul reste à Orsan.
Le rayon d'or marque, par rapport à Neuvy Saint-Sépulchre, la direction du soleil levant à l'entrée du signe du Taureau (zodiaque temporel). D'où, peut-être, la présence du village d'Orsennes dans le secteur Taureau. Il s'établit ainsi comme un jeu entre les deux systèmes de références observables d'un lieu terrestre quelconque. Pour ne pas s'y perdre, il s'agit de ne pas les confondre : « Le système zodiacal (...), explique Guy-René Doumayrou, est une projection du cercle de l'écliptique sur le cercle de l'horizon terrestre où n'évoluent que des astres spirituels. Il ne traduit pas les mêmes rapports que l'éventail des visées de levers et couchers des luminaires physiques, sur l'horizon occidental et oriental. Il relève les correspondances symboliques entre le ciel fixe et la terre limitée par son horizon et considérée comme un disque, ou mieux, un carré plan, tandis que les visées astronomiques n'intéressent qu'une étroite portion de l'horizon, en une série de positions dont les plus extrêmes sont celles du solstice d'été au nord et du solstice d'hiver au sud des positions médianes équinoxiales, est et ouest. » (op. cit. p. 43-44). Le rayon d'or relève de cette seconde modalité, mais son inscription en Balance le fait participer également de la première : Balance et Taureau sont gouvernés par Vénus.
Et l'on n'oubliera pas que Robert d'Arbrissel fut celui qui donna pouvoir aux femmes sur les hommes, ainsi que le rappelle un site du CNRS :
« Robert d'Arbrissel, qui ne connut jamais de culte manifeste, a en revanche été l'objet des interprétations les plus diverses de la part des historiens : défenseur des exploités pour les uns, promoteur de l'émancipation de la femme pour les autres. Son itinéraire spirituel, qui explique l'étrangeté de la fondation de Fontevraud, est sans doute plus complexe : choisissant de soumettre ses frères aux sœurs par sens de la pénitence, il n'en ouvre pas moins des voies nouvelles pour les femmes, sous le patronage de Marie Madeleine. »
07 novembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (2)
Fortis imaginatio generat casum
Le facteur de coïncidences sonne souvent plusieurs fois. Fait qui s'est vérifié encore aujourd'hui. Suite au commentaire que m'avait laissé Sylvie Durbec sur mon dernier billet, je suis retourné sur La Petite Librairie des Champs, et j'ai cliqué sur le lien de Karlatone, intitulé Una fuerte imaginación hace que las cosas sucedan, daté du 14 août 2010. Il s'agissait indubitablement de cette amie mexicaine dont elle me parlait dans le commentaire, mais sans me donner ses coordonnées précises.
J'ai lu* ce texte passionnant à maints égards, qui ne craint pas d'attribuer à Montaigne la création du concept de hasard objectif (azar objetivo). Entendons bien que si le terme en est bel et bien créé par André Breton, Karlatone (Karla Olivera) voit l'ébauche de l'idée chez Montaigne. Cette filiation intellectuelle n'a, à ma connaissance, jamais été relevée, et je ne m'attarderai pas ici à en discuter la pertinence. Je veux juste verser un élément de plus à ce dossier du hasard objectif (si l'on veut bien garder pour l'instant ce concept sous la main) tel qu'il s'est présenté à moi, une fois de plus, avec la récurrence de la même citation de saint Luc, dans un journal de Julien Green acheté à Angles sur Anglin et dans un livre de pensées fragmentées nommé Etincelles.
Au début de l'article, Karla cite Enrique Vila-Matas : "En las primeras páginas de Doctor Pasavento, Enrique Vila-Matas (EVM) advierte “Fortis imaginatio generat casum, es decir, una fuerte imaginación generó el acontecimiento, que decían los clérigos en tiempos de Montaigne.”"** Il se trouve tout de suite qu'Enrique Vila-Matas est l'un de ces écrivains de la coïncidence dont j'ai déjà eu l'heur de parler. Il se trouve encore que ce livre-là, Doctor Pasavento, je l'ai lu (et je suis encore loin d'avoir tout exploré de l'oeuvre du catalan), mais j'avoue que j'avais complètement oublié ce début à la tour de Montaigne, et a fortiori la devise. Il se trouve enfin que je l'avais acheté, comme Ce qui reste de jour, à Angles sur Anglin, le 14 août 2007, trois ans donc jour pour jour avant la parution de l'article de Karla (dont je n'aurais sans doute jamais pris connaissance sans le commentaire de Sylvie).
Est-ce ma (puissante ?) imagination qui a engendré cet événement (qui ne bouleversera pas la face du monde, j'en conviens) et provoqué cette nouvelle coïncidence ? J'ai plutôt l'impression d'une confluence des imaginaires ; d'une rencontre polarisée par un lieu, un moment, un thème ; d'un rendez-vous impromptu auquel nul ne s'attendait. Aucune intention, aucune image au départ, juste l'attention à ce qui survient, à ce qui tombe, oui, comme un coup de dés, improbable et lumineux.
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* Merci à Stéphanie, qui a établi la traduction intégrale de l'article. J'ai dit que je lisais l'espagnol, mais de terribles lacunes de vocabulaire m'en obscurcissaient ici et là le sens.
** Dans les premières pages de Doctor Pasavento, Enrique Vila-Matas avertit : « Fortis imagination generat casum, autrement dit une forte imagination engendre l'évènement, disaient les clercs au temps de Montaigne ».
18 août 2010 | Lien permanent | Commentaires (1)