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Compostelle

Il faut que je parle de Compostelle. Certes, j'en ai déjà parlé ici et là, mais jamais je n'y ai consacré une note complète. Pourquoi aujourd'hui ? Tout simplement parce que Compostelle n'a cessé d'apparaître dans mes lectures tout dernièrement, et que j'ai vite fait d'interpréter la récurrence d'un événement comme un signe, ce qui est certainement très abusif mais, pour ainsi dire, c'est plus fort que moi. Signe de quoi ? en plus je n'en sais rien. Si j'écris cette note, c'est sans doute un peu pour essayer de le savoir.

Commençons par le commencement. A l'espace Leclerc Culture de Châteauroux, début juillet, je vois dans le présentoir des nouveautés en poche En avant, route ! d'Alix de Saint-André. Je sais qu'elle y raconte ses trois pélerinages à Compostelle, mais finalement, malgré l'envie que j'en ai, je n'achète pas le volume. Deux semaines plus tard, sur la côte aquitaine, j'ai la bonne surprise de le retrouver dans le chalet de nos vacances (c'est mon beau-père qui en a fait l'achat, inutile de préciser que je ne lui en ai nullement parlé). Je le dévore en deux jours, car c'est un livre très agréable, plein d'humour, qui ne cherche pas à donner la leçon ou à administrer un message. Alix de Saint-André est croyante, mais ne fait pas de prosélytisme ; elle ne se fait pas de cadeaux (elle effectue son second voyage parce qu'elle a la sensation d'avoir raté le premier, par égoïsme), et accorde une grande place à ses compagnons du camino.

"Le troisième, je l’ai vraiment fait pour moi, j’ai fait ce qu’on appelait au Moyen Âge le « vrai chemin », qui consiste à partir de chez soi. Donc, je suis partie de Saint-Hilaire-Saint-Florent, Maine-et-Loire, pour aller jusqu’au bout de la terre, à Finisterre. Parce que le pèlerinage ne se termine pas au tombeau de l’Apôtre, mais trois jours plus tard au bord de la mer, où l’on brûle symboliquement un vieux vêtement au coucher du soleil : on dépouille le vieil homme pour devenir un homme nouveau."

De retour en Berry, j'emprunte à la médiathèque plusieurs ouvrages dont La carte de Guido, sous-titré Un pélerinage européen, de Kenneth White. Poète, écrivain, essayiste, je l'avais découvert il y a longtemps à travers les Lettres de Gourgounel, où il relatait son séjour en 1966 dans un images?q=tbn:ANd9GcRuFEPlNJriS86jnGFgkQ6GNmrqNqqhoR9DzA6r0nOM1rhQ-FRiwApetit hameau ardéchois. Un livre qui m'avait, comme beaucoup d'autres, enthousiasmé à l'époque. J'ai ensuite longtemps suivi son parcours, puis je l'ai un peu perdu de vue, car il m'a semblé que quelque chose commençait à tourner en rond chez le géopoéticien (c'est ainsi qu'il se désigne parfois). Ce dernier ouvrage en donne à mon sens une nouvelle preuve : composé à partir des multiples voyages de l'auteur en différentes parties de l'Europe, il ne parvient guère à nous éclairer sur le sens même, la figure, les perspectives de cette Europe. Il s'applique souvent à rapporter des conversations entendues ici et là, comme s'il voulait restituer un peu de l'air du temps, mais il ne parvient guère à leur donner vie - et cela manque souvent cruellement d'empathie. Moins érudite, Alix de Saint-André parvient beaucoup mieux à dessiner des portraits d'hommes et de femmes, en cernant de près leurs désirs, leurs motivations, leurs blessures, aussi en deviennent-ils attachants, au lieu que Kenneth White reste dans une distance qui nous prive de l'humain.

Ainsi de cet homme rencontré dans un petit village de Galice, un afrikaner qui en était lui à son quatrième pélerinage : parti cette fois de Séville, il comptait marcher jusqu'au cap Finisterre. Extrait :

"Vous connaissez le cap Finisterre, demanda-t-il.

"Non", répondis-je, ce qui n'était pas vrai car, vu mon attirance pour les finisterres en général, j'y étais allé des années auparavant, mais je sentais qu'il voulait m'apprendre quelque chose, alors je l'ai laissé parler.

"C'est du latin. Ça signifie "la fin de la terre". Pas la fin du monde, comme dans l'Apocalypse, mais la fin des terres.

- D'accord.

- C'est comme Compostela. C'est aussi du latin? Campus stella, "le champ des étoiles"."

Je ne lui ai pas dit que cette étymologie était contestée, ni que son latin n'était pas fameux. Je me suis contenté d'un "Je vois"." (p. 88-89)

J'ai préféré, à cette posture légèrement condescendante, l'attitude de l'auteur d'un autre livre emprunté le même jour, Jean-Louis Hue et son Apprentissage de la marche (Grasset, 2010). Les trois derniers chapitres sont consacrés à Compostelle (ce que je ne savais pas en l'empruntant), et la dernière page au cap Finisterre où, "blottis dans les niches de la falaise, les pélerins attendent que le soleil couchant s'ensevelisse dans la mer." "Le Finisterre, poursuit-il, marque la symbolique frontière d'une vieille vie qui s'achève et d'une autre qui naît. De ce face-à-face avec l'immensité de l'Océan, les pélerins reviendront métamorphosés. Ils seront comme des hommes neufs."

Les pélerins peut-être, mais pas Jean-Louis Hue : "Je n'avais pas envie de rentrer. Et pas davantage l'ambition de devenir un homme neuf. L'idée d'en avoir fini me laissait désemparé." Les dernières lignes sont malgré tout pleines d'optimisme : "Je sais que demain d'autres chemins s'ouvriront à moi. Rien ne pourra me priver d'une liberté que j'ai mis des siècles à conquérir. J'ai enfin appris à marcher."

Un quatrième écho compostellan me fut donné à entendre. Une autre recherche, distincte, me conduisit à réouvrir ce merveilleux livre d'Olivier Clément*, Anachroniques (Desclée de Brouwer, 1990), et, si je n'y trouvais point ce que j'étais censé y trouver (une référence à Léon Chestov), j'y redécouvris le chapitre qu'il écrivit sur Compostelle "ou : saint Occident."

Le mystère de Saint-Jacques de Compostelle, en effet, c'est le mystère de l'Occident. La Galice est le finistère le plus occidental de l'Europe, le seul où se soit fixé l'un des lieux saints de la chrétienté. Ici la terre s'enfonce dans l'océan, le désigne, lieu de l'ouverture et de l'aventure. Dans le ciel nocturne, la voie lactée dessine le "chemin de Saint-Jacques", et sa contemplation transforme les pélerins en rois-mages s'apportant en offrande. "Mille et mille étoiles font de saint Jacques le chemin", dit un texte du XVIe siècle. Et Compostelle veut dire "le champ de l'étoile", l'étoile de Bethléem brillant comme un phare à l'extrême de l'Occident, pour les aventuriers qui, sur l'océan, reprendront l'injonction du pélerinage, ultreia, "toujours plus loin". (p. 301)

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Carte  : Wikipedia

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*La note où, en 2009, j'évoquais Olivier Clément, débutait avec Vézelay, qui n'est autre qu'un des points de départ vers Compostelle. La Voie de Vézelay, aussi dénommée Via lemovicensis, est celle qui passe par Déols et Neuvy Saint-Sépulchre.

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12 août 2011 | Lien permanent | Commentaires (9)

Crozant

Reprenons : Gérald (ou Géraud) de Crozant concède la villa Sosteranea aux chanoines de saint Martial. Crozant où s'élève la forteresse des Comtes de la Marche, un peu plus au nord de La Souterraine, en secteur Taureau, sur l'éperon rocheux dominant le confluent de la Creuse et de la Sédelle. Site impressionnant, sauvage, que l'on atteint par de petites routes escarpées, tortueuses. George Sand, en découvrant ce lieu en 1827, en assura sa célébrité et toute une pléiade de peintres paysagistes s'en enticha au point qu'on parle encore aujourd'hui d'une Ecole de Crozant. Lieu retiré, mal accessible, pourtant sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, étape entre Gargilesse et La Souterraine, ayant longtemps appartenu à la famille des Lusignan que nous connaissons bien maintenant. A l'intérieur des ruines, nous retrouvons une crypte, sise entre la Tour dite du Renard et celle dite d'Isabelle d'Angoulême, épouse de Hugues de Lusignan (XIIème siècle).

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01 juin 2005 | Lien permanent

Taureau

« Je note, ce soir, dans La vie de Jésus de François Mauriac ce passage où il parle de la Résurrection : « Nous imaginions plutôt un soir de printemps pareil à tous les autres soirs de printemps, cette odeur de terre chaude et mouillée, cette lassitude charnelle, ce vide que je ressentais enfant, après la mort du premier taureau, quand l'arène se vidait, comme si mon propre sang s'était appauvri de tout ce sang répandu. » » ( Jacques Chauviré, Journal d'un médecin de campagne, 26 août 1950) Quand, armé d'une règle et d'un rapporteur, je plaquai pour la première fois la ronde galette d'un zodiaque sur une carte de la région, la présence dans le secteur du Taureau, signe de Terre par excellence, de la ville de La Souterraine fut une de ces fortes coïncidences qui me poussèrent plus avant dans cette aventure herméneutique d'un nouveau genre. De fait, la cité marchoise doit officiellement son nom à une villa gallo-romaine nommée Sosterranea à cause de son sanctuaire souterrain, lequel devint la crypte de l'église actuelle érigée au 12ème siècle par les moines de l'abbaye Saint-Martial de Limoges. C'est Gérald de Crozant qui leur avait fait don du terrain en 1017. Placée sous le vocable de l'Assomption de la Vierge, l'église fut une étape importante sur la route de Saint-Jacques de Compostelle comme en témoigne encore la pierre blanche placée à l'angle sud-ouest : repère indubitable pour le pèlerin d'alors.

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Saint Martial La question, encore une fois, est très simple : pourquoi les moines de Saint-Martial ont-ils tenu à bâtir sur une nécropole souterraine ? Ne serait-ce parce que leur saint patron, Martial, avait lui aussi une sépulture similaire ? La crypte Saint Martial est en effet le haut lieu de Limoges, qui renferme depuis le IVème siècle les tombeaux du saint et de ses deux compagnons, Alpinien et Austriclinien.

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27 mai 2005 | Lien permanent

Le voyage alchimique (3)

De Compostelle, Flamel choisit de revenir par mer. Le pilote de la nef hermétique sera son ami et initiateur, Maître Canches, en réalité symbole du soufre blanc, de même que Flamel se représente sous les traits du mercure, sujet des Sages. Semblablement, nous reviendrons à Cluis en suivant la rive droite de la Bouzanne, passant par Limanges, puis par Mouhers qui, au XIIIe siècle était « Moers » et incarnait donc cette Mer philosophique contenant le fruit du Mariage des deux principes : Ange, Mercure double, Hermaphrodite, Androgyne, autant de noms désignant le Rebis (littéralement : chose-deux), matière prochaine de la Pierre Philosophale. « Dans l'allégorie classique, note Philippe Audoin (Bourges, cité première, p. 261), le Rebis est le poisson qui nage dans la Mer philosophique – l'échinéïs remora qui a tout pouvoir « d'arrêter le vaisseau ». Le terme de vaisseau devant s'entendre à la fois du contenant et du contenu, cet arrêt marque la fixation définitive du composé dont la première volatilité est enfin conjurée. » Or, le blason des Gaucourt, seigneurs de Cluis au XVème siècle, est semé d'hermines, à deux bars adossés de gueules : ces bars sont poissons de mer et participent de la même cabale phonétique que l'ours (bear) du duc de Berry (d'ailleurs on a vu que sa soeur Marie, avec qui il commande l'histoire de Mélusine à Jehan d'Arras est duchesse de Bar). Relevons aussi le fait que ces armes contiennent les trois couleurs fondamentales du Grand Oeuvre, à savoir le noir, le blanc et le rouge (gueules, en héraldique), qui marquent les trois étapes de la réalisation et du perfectionnement de la Pierre.

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Ces trois couleurs apparaissent après que la matière obtenue ait été, explique Philippe Audoin, « tirée de son eau-mère et placée dans l'oeuf (elle est oeuf elle-même) c'est-à-dire dans un matras de verre épais, hermétiquement luté. Ce ballon va prendre place dans le fourneau (l'Athanor) où il sera maintenu, des jours durant, à la température égale, modérée, qui convient à une couvaison. C'est la coction. » Et c'est merveille, bien sûr, de découvrir sur la route qui mène de Mouhers au château de Cluis-Dessous, le hameau du Fourneau, lié à la présence d'un haut-fourneau sur la Bouzanne.

 

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Qu'il soit attesté seulement depuis le XVIIIème siècle n' arrêtera pas notre marche rêveuse, nous trouverons même, plus près de nous encore, la marque de l'ouverture de ce livre fermé dont nous étions partis, à travers la création, en 1959, de ce festival du Livre Vivant (ainsi était-il nommé à l'origine, même s'il ne porte plus ce nom aujourd'hui) donné sous les étoiles, à l'intérieur des ruines de la forteresse de Cluis-Dessous. Ainsi furent montés, par exemple, « Quatre-Vingt-Treize », « Les Misérables », « Notre-Dame de Paris », « Ivanhoé », « « Les Chardons du Baragan », « Jacquou le Croquant », « Aliénor »... et dernièrement, en 2004, « Martin Guerre ».

Sans le savoir, la vieille cité retrouvait là, dans l'enceinte en miroir du Bouvier céleste, sa vocation essentielle : livre de vie, livre de pierre, dont le message est toujours actuel, à qui sait ouvrir ses pages. George Sand, elle-même, passant une nuit en ces lieux, y rêva longuement, comme en témoigna son ami Charles-Robin du Vernet.

 

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Il ne nous reste plus (si l'on peut dire, car la tâche sera à reprendre infiniment) qu'à décrypter cette partie de l'axe fondamental qui, partant de Neuvy, s'exalte à Bourges.

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30 janvier 2006 | Lien permanent

Le voyage alchimique (2)

Suivons sur notre droite le déambulatoire. La troisième colonne engagée est remarquable à plus d'un titre : sa base, contrairement à celle des autres colonnes, est cubique et sculptée sur trois faces. « On y reconnaît sur les côtés, écrit Jean Favière (Berry Roman, Zodiaque, p. 140), des animaux fabuleux de profil, la tête de face pour l'un, la tête retournée vers l'arrière pour l'autre ; sur la face antérieure, deux personnages que l'on a cru être des lutteurs sont disposés de part et d'autre d'une sorte de tige. »

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Ne serait-ce point là l'image du combat de nos deux principes, cette phase de putréfaction de la Matière Première souvent symbolisée par des dragons affrontés ? Dans les figures de Nicolas Flamel, par exemple, dragon sans ailes (figurant le soufre fixe) et dragon ailé (figurant le mercure volatil) sont ainsi mis face à face.

 

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Au chapiteau de cette colonne engagée nous découvrons des coquilles Saint-Jacques, mérelles de Compostelle, que nous ne retrouverons que sur la neuvième colonne engagée, laquelle fait face à celle que nous venons de voir et indique ainsi un axe Bélier-Balance. Or, Doumayrou a signalé que Saint-Jacques de Compostelle - « ce finisterre de Galicie qui est le point le plus avancé vers l'Occident » (G.S. p. 91) – est situé dans le prolongement de l'alignement Toulouse-Saint-Jean-de-Luz, qui n'est autre qu'un axe Bélier-Balance. Ce qui montre encore une fois la connivence profonde entre Neuvy et Toulouse.


Au portail occidental de la cathédrale de Chartres, une statue du XIIème siècle citée par Fulcanelli recèle un ésotérisme similaire : « C'est un grand vieillard de pierre, couronné et auréolé, -ce qui signe déjà sa personnalité hermétique, - drapé dans l'ample manteau du philosophe. De la main droite, il tient une cithare et élève de la gauche une fiole à panse renflée comme la calebasse des pélerins. Debout entre les montants d'un trône, il foule aux pieds deux monstres à tête humaine, enlacés, dont l'un est pourvu d'ailes et de pattes d'oiseau (...). La calebasse, qui renferme la breuvage du pérégrinant, est l'image des vertus dissolvantes de ce mercure, cabalistiquement dénommé pèlerin ou voyageur. C'est, dans les motifs de notre cheminée [Fulcanelli parle ici de la cheminée du grand salon du château de Terre-Neuve, autre demeure philosophale], ce que figurent aussi les coquilles de Saint-Jacques, appelées aussi bénitiers parce qu'on y conserve l'eau bénite ou benoite, qualifications que les Anciens ont appliquées à l'eau mercurielle. Mais ici, en dehors du sens chimique pur, ces deux coquilles apprennent encore à l'investigateur que la proportion régulière et naturelle exige deux parts du dissolvant contre une du corps fixe. De cette opération, faite selon l'art, provient un corps nouveau, régénéré, d'essence volatile, représenté par le chérubin ou l'ange qui domine la composition. Ainsi la mort du vieillard donne naissance à l'enfant et lui assure la vitalité. Philalèthe nous avertit qu'il est nécessaire, pour atteindre le but, de tuer le vif afin de ressusciter le mort. « En prenant, dit-il, l'or qui est mort et l'eau qui est vivante, on forme un composé dans lequel, par une brève décoction, la semence de l'or devient vivante, tandis que le mercure vif est tué. L'esprit se coagule avec le corps, et tous les deux se putréfient sous forme de limon, jusqu'à ce que les membres de ce composé soient réduits en atomes. Telle est la nature de notre Magistère. » (Fulcanelli, op.cit. pp. 339-340) »

 

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Que l'on me pardonne cette longue citation, mais sans elle on ne saurait comprendre le rôle insigne du château de Limanges, situé sur la voie du retour vers Cluis, (il eut l'honneur, dit-on, de recevoir Louis XIII, lors d'une chasse). Ce nom – Limanges - est à lire cabalistiquement comme l'ange issu du limon. Et c'est un autre auteur hermétique cité par Fulcanelli et nommé – doit-on être étonné par la coïncidence ? - Limojon de Saint-Didier, qui nous donne une clef d'interprétation des onze colonnes de la rotonde :

« Vous ne devés pas ignorer que notre vieillard est notre mercure ; que ce nom lui convient parce qu'il est la matière première de tous les métaux ; le Cosmopolite dit qu'il est leur eau, à laquelle il donne le nom d'acier et d'aimant, et il adjoute, pour une plus grande confirmation de ce que je viens de vous découvrir : Si undecies coït aurum eo, emittit suum semen, et debilitatur fere ad mortem usque ; concipit chalybs, et generat filium patre clariorem (Si l'or se joint onze fois à elle (l'eau), il émet sa semence et se trouve débilité jusqu'à la mort ; alors l'acier conçoit et engendre un fils plus clair que son père. » (Lettre aux Vrays Disciples d'Hermes, dans le Triomphe Hermétique, p. 43).

Il nous reste maintenant à explorer ce que j'ai nommé la voie du retour.

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25 janvier 2006 | Lien permanent

Lusignan, Luzeret et les Wisigoths

La question est depuis longtemps de savoir si Mélusine tire son nom de Lusignan, le château qu'elle a fondé, ou bien si c'est celui-ci qui lui doit son nom ? Claude Lecouteux penche pour la première hypothèse, réhabilitant ainsi la thèse souvent raillée de Léo Desaivre, selon laquelle Mélusine serait la déformation de "mère des Lusignan" : "Cette fée bienveillante qui a édifié la forteresse de Lusignan est donc, dans l'esprit des hommes de l'époque, aussi bien à l'origine de la réussite de la lignée que de son déclin. Au Moyen Age, on appelait ces fées "bonnes dames", et il n'est pas impossible, ni même invraisemblable de penser que le génie tutélaire du château fut nommé "bonne dame de Lusignan", puis par extension "mère Lusignan" comme il est fréquent dans nos campagnes. L'usure de la langue conduit alors à une contraction de cette appelation en "merlusignan", et, les liquides /r/ et /l/ ayant presque le même point d'articulation, nous aboutissons à la forme "mellusignan", avec gémination du /l/ puis à Mellusigne, forme attestée par les manuscrits." (Mélusine et le chevalier au cygne, p. 45)

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Mais la question n'en est que repoussée : pourquoi la fée a-t-elle été rattachée à cette famille, à ce lieu même de Lusignan ? La ville, qui se situe à la bifurcation des chemins Poitiers-Saintes (route de Saint-Jacques) et Poitiers-Niort-La Rochelle, se place donc dans le signe du Bélier du zodiaque neuvicien. Or, dans le secteur homologue du zodiaque toulousain, on rencontre Saint-Jean-de-Luz. Doumayrou : "port extrêmement actif au XIIe siècle : l'attribut de ce nom venu d'un mot basque (lohitzun) signifiant marais, a pris tout naturellement la forme romane (lutz) du nom de la lumière, que le tourbillon du Bélier doit extraire de la tourbe ; on sait déjà, si l'on se souvient de ce qui a été dit à propos du mot troubadour, que cette lumière est la trouvaille par excellence." Ajoutons que dans le prolongement de l'axe Toulouse-Saint-Jean-de-Luz, on découvrira Saint-Jacques de Compostelle. La même forme se retrouve-t-elle à la racine du nom des Lusignan ? Ce serait cohérent avec la logique du signe et ferait en quelque sorte de Mélusine une mère-Lumière. A l'appui de cette hypothèse, on peut avancer la présence en Bélier, non loin d'Argenton, du village de Luzeret qui, au-delà de son nom (Albert Dauzat le dérive de l'ancien français lusier : porte-lumière), ne laisse pas d'être intéressant. Tout d'abord, remarquons qu'il est situé sur le méridien de Toulouse. Ensuite son église est la seule de la région à être consacrée à saint Vivien, mort en 460. Le site nominis en donne la biographie suivante : "Originaire de Saintes, il devint administrateur de la région de Saintes par décision de l'empereur Honorius, puis renonçant à cette charge, il devint prêtre et évêque. Il connut l'invasion des Visigoths d'Espagne et accompagna les prisonniers jusqu'à Toulouse pour les soutenir dans leur épreuve. Il gagna l'estime du roi Théodoric et put obtenir de lui, quelque temps plus tard, la libération des prisonniers. Il est reconnu au martyrologe romain, mais n'est fêté que dans le diocèse de La Rochelle." Il n'est pas sans intérêt de retrouver là encore les Wisigoths, que l'on a déjà vus à l'oeuvre avec saint Laurian. Toulouse et Tolède (où Jean Richer voit le centre zodiacal de la péninsule hispanique) ayant été leurs capitales successives, Doumayrou suggère qu'ils ont peut-être joué un rôle important de relais dans la chaîne traditionnelle. (Petite pause océane pour le géographe sidéral. De retour ici dans quelques jours.)

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15 avril 2005 | Lien permanent

Translatio Leodegariis

Le corps de saint Léger est donc acheminé d'Arras jusqu'à Saint-Maixent : l'Artois se situant en secteur Sagittaire, le retour des reliques décrit donc le périple de la lumière dans la période allant du solstice d'hiver à l'équinoxe printanier. A l'image du jour qui croît quotidiennement en durée, le cortège mené par Audulf, abbé de Saint-Maixent et ancien disciple de Léger, va être suivi d'une foule toujours plus fervente, émerveillée par les miracles qui jalonnent l'itinéraire. Le moine Ursin de Poitiers, biographe de Léger, rapporte qu'ils étaient si nombreux qu'on ne pouvait les énumérer. « Un psautier contiendrait à peine tous ceux que j'ai vus. » Ainsi, à Ingrandes , à la frontière des diocèses de Tours et de Poitiers, un boiteux et un paralytique sont guéris. Pierre Riché, encore : « A Antran, près de Chatellerault, le cortège s'arrête quelque temps : l'évêque Ansoald en prend la tête, conduit d'abord les restes de saint Léger à Sainte-Radegonde, puis à Saint-Hilaire, et confie enfin le précieux chargement aux moines de Saint-Maixent (1). Ces derniers installent le corps de Léger dans un tombeau au centre du monastère. » (op. cit. p. 201).

Curieux, ces miracles en limite de diocèse, que marque bien le vocable Ingrandes qui, comme Aigurande et Ingrandes sur l'Anglin, indique initialement la frontière entre deux civitas celtiques. Un alignement Ingrandes-Antran, orienté Nord-Nord-Est, passe bien au sud par un lieu-dit Saint-Léger (sur la rive gauche du Clain, que suivaient les pélerins de Compostelle) et la forêt de Saint-Hilaire, tandis qu'un autre alignement pratiquement parallèle est décelable près de Thouars, qui joint Saint-Léger de Montbrun et Saint-Léger-de-Montbrillais à Mont-Forton et le bois de la Motte.

 

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Ceci est particulièrement intéressant dans la mesure où se confirme la connivence profonde de saint Léger avec le Bayart et les quatre fils Aymon. En effet, la geste des Fils Aymon parle d'une « roche haute, contre-mont, vers le ciel », dans la plaine de Vaucouleurs où Charlemagne attend les quatre frères en embuscade. Henri Dontenville, qui suggère, arguments à l'appui, que l'Ardenne du poème pourrait fort bien se situer en Aquitaine, propose une nouvelle localisation du lieu : « Ce pourrait être cette Roche Mombron, dans un bois, à « la Lustre », commune de Tauriac (...) un hameau est là, de ce nom, à environ 1,5 km du fleuve, avec une roche émergeant des bois et où nulle empreinte de cheval ne subsiste (la pierre s'est désagrégée). La carte porte bien « la Lustre » sur la route n°669 et une habitante de la Rochemonbron dit la suite. Le manuscrit La Vallière porte « roche Mabon ». Le frère de Renaud, « Richard vint poignant à la roche Mabon » (v.7043). Les livrets populaires restituent : Roche « Montbron ». » (La France Mythologique, pp.111-112).

La popularité du récit a favorisé l'essaimage du thème : ajoutons, pour finir, que Saint-Léger de Montbrillais précède sur l'axe les villages de Roche et de Montbrillais tandis que l'alignement passant par Ingrandes rase Saint-Ustre (avec son église Saint-Maixent de la fin du XIème - le nom Ustre viendrait d'Adjutor, premier nom de saint Maixent) et touche Buxeuil (enfermant le château de la Roche-Amenon et rappelant incidemment Luxeuil où Léger fut emprisonné), près de Descartes, avant d'atteindre Bléré où Henri Dontenville, encore lui, a retrouvé la plainte déchirante de la femme de Renaud, elle qui vient d'accoucher et qui découvre au matin la mort de son mari :


Elle a jeté un si grand cri

Que l'église en a retenti :

Prenez mes bagues, mes anneaux,

Je veux mourir avec Renaud. (op. cit, p. 134)


  1. Sur la commune creusoise de Saint-Maixant, située sur le méridien de Toulx, la courte notice du Quid est éloquente, qui nous rappelle les thèmes abordés dans l'étude de la montagne polaire :

    « La paroisse de Saint-Maixant était jusqu'au 19ème église matrice de celle de Saint-Amand. Berceau au 13ème de la famille de La Roche-Aymon. Jean de Malleret, marquis de Saint-Maixant, fut député de la noblesse aux Etats généraux de 1789. La commune prit le nom de "La Victoire" pendant la Révolution. »








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15 août 2005 | Lien permanent

Le voyage alchimique (1)

De cet axe Cluis-Neuvy-Bourges, vecteur occulte qui sous-tend l'architecture du sanctuaire neuvicien, et de ses prolongements dans l'espace berrichon, risquons maintenant une lecture proprement alchimique. Cette traversée des terres sera interprétée comme un long voyage où les lieux rencontrés marquent les étapes de réalisation de l'Oeuvre. Ceci dit, ô lecteur féru de l'Art d'Hermès, sois indulgent et miséricordieux envers le néophyte que nous sommes, notre érudition n'est pas sans faille et notre prétention sans doute bien grande. Nul maître n'a dicté nos écrits, nul cénacle secret n'en porte le récit. Si tout ceci est poésie et fantasmagorie, divagation de songe-creux, fariboles et coquecigrues, le mal, si je ne m'abuse, n'est au fond pas bien grand...


Tout part de Cluis, car, de par son nom même (attesté en Closis dans plusieurs actes médiévaux) indiquant la clôture, la cité représente l'instrument de la quête alchimique occidentale : le livre, le traité, dont « la composition complexe, explique René Alleau (art. Alchimie, Encyclopaedia Universalis, I), et, surtout, l'énergie subtile et l'influence spirituelle dont il est chargé en font à la fois un véhicule « hermétiquement clos » et un message substitué magiquement à la présence même du maître. »

 

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Portail de Saint-Paxent (Cluis)

Le livre fermé est donc le symbole même de la Matière Première sur laquelle l'alchimiste va travailler. Tous ses efforts ne visent qu'à un seul but : ouvrir ce livre, c'est-à-dire en extraire le principe vital qui y est enfermé, la quintessence, la « substantifique moelle » dont parlait Rabelais. « Les sages, précise Fulcanelli1, ont appelé leur matière Liber, le livre, parce que sa texture cristalline et lamelleuse est formée de feuillets superposés comme les pages d'un livre. » (Les Demeures Philosophales, I, p. 296, Pauvert, 1964). Le célèbre adepte Nicolas Flamel se munit en son voyage allégorique vers Saint-Jacques de Compostelle du mystérieux manuscrit hiéroglyphique d'Abraham le Juif.

Adoptant la même symbolique, de Cluis nous allons nous rendre à Neuvy Saint-Sépulchre, dont nous savons déjà qu'elle était une éminente étape sur le chemin de Saint-Jacques. Pour ce faire, nous emprunterons la route de Châteauroux. Au sortir de Cluis, nous passerons au lieu-dit Ragon, qui dissimule à peine par son aphérèse le Dragon primordial, monstre noir couvert d'écailles et fort malodorant, qui se cache « es cavernes de la terre » et qui n'est qu'une des multiples appelations de cette Matière Première dont le nom vulgaire est soigneusement éludé. La route nous conduira ensuite aux Loges de Bonavois, à la lisière du bois de Bonavois : il nous est simplement confirmé, sans mystère excessif, que nous sommes bien sur la « bonne voie ». Animé de cette certitude, nous pourrons plus aisément traverser la forêt, qui est la représentation naturelle du Labyrinthe symbolisant les épreuves rencontrées par l'Adepte : « Donc, en cette mesme façon, écrit Nicolas Flamel, je me mis en chemin et tant fis que j'arrivais à Montjoye et puis à Saint-Jacques, où, avec une grande dévotion, j'accomplis mon voeu. » Nous retrouvons ici ce terme de Montjoie qui a souvent croisé notre périple zodiacal : « C'est l'indice de l'étape bénie, développe Fulcanelli, longtemps attendue, longtemps espérée, où le livre est enfin ouvert, le mont joyeux à la cime duquel brille l'astre hermétique. La matière a subi une première préparation, le vulgaire vif-argent s'est mué en hydrargyre philosophique, mais nous n'y apprendrons rien de plus. La route suivie est sciemment tenue secrète. » (op.cit. p. 440-441).

 

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Saint Michel affrontant le dragon (image BnF)

Toujours est-il que nous voici parvenus au pied de la rotonde, sur le mur de laquelle court, nous l'avons vu, le serpent fabuleux, le dragon ailé. Hiéroglyphes du principe alchimique primordial, de ce Mercure des Sages (qui n'a bien sûr que peu à voir avec le mercure de la chimie moderne), véritable moteur du Grand Oeuvre, car « il le commence, l'entretient, le perfectionne et l'achève. (...) C'est lui, poursuit Fulcanelli, le cercle mystique dont le soufre, embryon du mercure, marque le point central autour duquel il accomplit sa rotation » (op. cit. II, p. 282)... et dont la rotonde est bien sûr la merveilleuse expresssion architecturale. En alchimie, le sépulcre est d'ailleurs le nom donné à l'Oeuf philosophique, la cornue de verre ou de cristal où s'effectue la conjonction des principes opposés, soufre et mercure, le premier, sec et igné, de nature fixe et mâle, le second, froid et humide, de nature femelle et volatile.

Entrons maintenant dans la rotonde par la magnifique porte Nord.

(A suivre)

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1Le célèbre alchimiste, dont l'identité véritable est encore une énigme, doit certainement son nom à la cabale phonétique Vulcain-Hélios, le Feu du Soleil – Vulcain étant, on le sait, l'équivalent latin d'Héphaïstos.

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21 janvier 2006 | Lien permanent | Commentaires (4)

Les naissances gémellaires

"Toutes les naissances sont des naissances gémellaires. Personne ne vient au monde sans accompagnement ni escorte."

Peter Sloterdijk (Bulles, Sphères I, Fayard, 2002, coll. Pluriel, p. 450)


adc2f41799da1be002d5a57acccf40a4.jpg Je vous dois la vérité : je  n'ai pas  encore  lu  ce livre  du philosophe allemand qui occupe pourtant un coin de mon bureau depuis 2004. Néanmoins j'ai l'impression curieuse de le bien  connaître, l'ayant si souvent manipulé, feuilleté, ouvert au hasard (il est accompagné, qui plus est,  d'une riche iconographie). Et c'est bien parce que, une fois de plus, j'ai pratiqué tout récemment une courte plongée dans ses abîmes (près de 700 pages d'une écriture serrée), que j'en suis ressorti avec la sensation d'y avoir aperçu un gros poisson. Le chapitre VI, intitulé Le séparateur de l'espace spirituel, m'offrait soudain une résonance inattendue avec les propres thèmes qui m'occupent ici. Sloterdijk y cite notamment un texte du rhéteur Censurinus, tenu à l'occasion du 49ème anniversaire de son mécène Caerelius, en 238 ap. J.C.

" Genius est le dieu sous la protection (tutela) duquel chacun vit dès sa naissance. Il tient sûrement son nom, Genius, de geno ("engendrer"), ou bien parce qu'il veille à ce que nous soyons engendrés, ou bien parce qu'il est lui-même engendré avec nous, ou bien encore qu'il s'empare de nous (suscipi) une fois que nous sommes engendrés et nous protège. Beaucoup d'auteurs antiques ont rapporté que Genius et les lares sont identiques." (De die natali, d'après l'édition allemande de klaus Sallmann, Weinheim, 1998 ).

Pour Sloterdijk, ce document "exprime clairement l'idée que pour les Romains, il n'existe pas un jour anniversaire unique - précisément parce que  chez les êtres humains, il ne peut jamais être question de naissances solitaires. Chaque anniversaire est un double anniversaire en soi ; on ne commémore pas seulement ce jour-là le prétendu heureux événement, mais plus encore le lien indissociable entre l'individu et son esprit protecteur, lien qui existe depuis ce jour coram populo."


Comment ne pas faire le lien avec saint Genou, dont le nom rappelle à l'évidence le Genius latin ? D'autant plus que Genou est très clairement désigné dans sa légende comme étant né à Rome en 230, autrement dit à la même époque que le texte de Censerinus. Et ce Génit, présenté parfois comme son père, parfois comme son compagnon, est l'indice même de la gémellité. L'ange gardien, le jumeau sont en effet des figures proches du Genius, décrivant la même relation unitaire essentielle :   Sloterdijk en donne une parfaite illustration à travers un extrait des récits de Mani (216-277 ap. J.C ), le fondateur du dualisme gnostique dont il reste la trace dans la langue d'aujourd'hui avec le péjoratif manichéisme :


"Lorsque la douzième année de sa vie fut arrivée à son terme, il fut saisi [...]par l'inspiration donnée par le roi du paradis de la lumière [...]. Le nom de l'ange qui lui porta le message de la révélation était at-Tom ; c'est du nabatéen et cela signifie dans notre langue "le compagnon" [...] Et lorsqu'il fut arrivé au bout de sa vingt-quatrième année, at-Tom revint vers lui et dit : " Désormais est venu le temps que tu sortes au grand jour."[...].

[...] Et Mani affirma être le Paraclet qu'avait promis Jésus."

 Sloterdijk : "La parenté du nom at-Tom avec l'araméen toma, le jumeau, saute bien sûr aux yeux. Le fait que le "compagnon" ou le syzygios de Mani ait effectivement les qualités d'un personnage de jumeau transfiguré ressort très clairement des récits sur la vocation de Mani selon le Code Mani de Cologne, mais aussi des sources du Moyen Iran :

 "Sortant des eaux m'apparut une (silhouette) humaine qui, avec la main, me fit signe de rester calme, pour que je ne pèche pas et que je ne la plonge pas dans la détresse. De cette manière, à partir de ma quatrième année et jusqu'à ce que j'arrive à la maturité physique, je fus protégé par les mains du plus saint des anges.[..]"(Bulles, pp. 472-473)


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Dioscorus et sa femme  © CMN

 

Une autre indice convergent nous est donné par la peinture murale de la chapelle Saint-Genoulph à Selles Saint-Denis, représentant sur une frise la vie du saint. Elle nous montre, entre autres scènes, celle où les deux compagnons (saint Genou et saint Genit ici désigné par un autre nom, saint Révérend) rencontrent le préfet de Cahors, Dioscorus, et sa femme.

 

Ce Dioscorus ou Dioscurus, d'abord hostile (il les jette en prison), puis converti à la suite de la résurrection de son fils,sera baptisé par Genou lui-même (scène représentée à la cathédrale saint-Etienne de Cahors). Or, ce nom fait bien entendu irrésistiblement penser aux Dioscures, Castor et Pollux, les Gémeaux de la Mythologie.


 Que faut-il penser aussi de Sainte-Gemme, dont le village se dresse, on l'a vu, au méridien de Saint-Genou ?  Outre que le nom même est littéralement  proche de la gémellité, la légende de la sainte nous apprend que  Gemme avait une soeur jumelle nommée Quitterie, sainte et martyre elle aussi. Il faut ajouter que leur naissance venait après celle de sept soeurs. Las de tant de progéniture féminine, désespérant d'avoir un héritier mâle, leur père, le  rude Caïus Catilius, gouverneur de la Galice, ordonne à une de ses esclaves de les noyer. Le peu clairvoyant soudard choisit une chrétienne qui  s'empresse de les confier à une famille  amie en un village éloigné.

Il faut noter encore que la mère des neuf soeurs, Calsia, était donnée comme issue d'une excellente famille romaine.

J'ai même trouvé une version de la légende où les neuf soeurs sont données comme jumelles, on la trouvera page 17 de la version Pdf du numéro 4 du Bourdon, bulletin périodique des Amis de Saint-Jacques de Compostelle en Aquitaine (septembre 1993). J'en extrais ici un passage significatif :

"L'histoire de Bazella [une des soeurs] est cependant la plus significative puisque son supplice donne lieu à un miracle immédiat récapitulatif de toute la fable : sa tête tranchée rebondit neuf fois, faisant jaillir neuf sources. Les habitants ont toujours conservé intact le lieu du miracle au milieu des champs et des vignes. Une petite chapelle antique et fruste, des filets d’eau courant au ras de l’ herbe témoigne pour une curieuse permanence hors du temps mémorial . Dix-neuf siècles peut-être ont passé sur ce lieu rustique rigoureusement inaperçu, sans changer quoique que ce soit à l' ordre naturel. Mais il est vrai de dire que les sanctuaires les mieux protégés sont les plus pauvres ... (Chapelle de Neuffonds:"neuf fontaines et neuf bonbs", à Sainte Bazeille près de Marmande.)
Ainsi, les neuf filles "jumelles" du proconsul de Galice converties par un disciple de Saint Martial, martyrisées sur les routes d’ Aquitaine et à l’ origine de neuf sanctuaires tracent, à l’origine de la chrétienté, un itinéraire inverse à celui qui sera et qui est déjà sous d’autres formes le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, établissent en termes de légende dorée qui voile à peine les symboles d’ un grand mythe cyclique, le lien entre Galice et Aquitaine."

J'ajoute que Bazella tire certainement son nom du celte batz, source, qu'on retrouve dans le nom du plateau de Millevaches, qui désigne non pas les sympathiques ruminants, mais les mille sources (mille batz) qui constellent son territoire et dont sont issues entre autres Vienne,  Corrèze et  Dordogne. Dans l'espace neuvicien, deux villages me semblent porter cette racine batz : Bazelat et Bazaiges. Le premier est creusois et le second indrien, mais les deux paroisses relevaient de Déols et sont alignées sur le même méridien. Et sur le parallèle de Bazelat nous relevons  Genouillac (également sous le patronage déolois) et Boussac-Bourg : or ce bourg d'origine romaine (Bociacum) présente la particularité d'avoir des églises jumelles : "Ce bourg possède deux églises 11ème/12ème se ressemblant beaucoup et placées l'une à côté de l'autre." (source : Quid)  L'une est dédiée à saint Martin (qui s'honore aussi d'une fontaine) et a été construite par les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

 

Et je ne peux manquer d'être ébloui par la logique à l'oeuvre dans cette géographie sacrée neuvicienne puisque je retrouve à Boussac-Bourg le thème de la naissance à travers la superbe fresque murale du XIIème siècle représentant une Nativité décrite ainsi dans le site perso de D. Boucart :

"La chapelle primitive possède des fresques du XIIe siècle. En particulier, une scène de la Nativité qui est l'une des plus belles de l'art roman. La vierge, allongée sous une couverture bleue parsemée d'étoile, indique de l'index le christ couché dans son berceau. La tête de l'âne et la tête du boeuf le réchauffent de leur souffle."

 

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04 juillet 2007 | Lien permanent | Commentaires (5)

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