Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rechercher : poitiers

Lusignan, Luzeret et les Wisigoths

La question est depuis longtemps de savoir si Mélusine tire son nom de Lusignan, le château qu'elle a fondé, ou bien si c'est celui-ci qui lui doit son nom ? Claude Lecouteux penche pour la première hypothèse, réhabilitant ainsi la thèse souvent raillée de Léo Desaivre, selon laquelle Mélusine serait la déformation de "mère des Lusignan" : "Cette fée bienveillante qui a édifié la forteresse de Lusignan est donc, dans l'esprit des hommes de l'époque, aussi bien à l'origine de la réussite de la lignée que de son déclin. Au Moyen Age, on appelait ces fées "bonnes dames", et il n'est pas impossible, ni même invraisemblable de penser que le génie tutélaire du château fut nommé "bonne dame de Lusignan", puis par extension "mère Lusignan" comme il est fréquent dans nos campagnes. L'usure de la langue conduit alors à une contraction de cette appelation en "merlusignan", et, les liquides /r/ et /l/ ayant presque le même point d'articulation, nous aboutissons à la forme "mellusignan", avec gémination du /l/ puis à Mellusigne, forme attestée par les manuscrits." (Mélusine et le chevalier au cygne, p. 45)

medium_melusine.jpg
Mais la question n'en est que repoussée : pourquoi la fée a-t-elle été rattachée à cette famille, à ce lieu même de Lusignan ? La ville, qui se situe à la bifurcation des chemins Poitiers-Saintes (route de Saint-Jacques) et Poitiers-Niort-La Rochelle, se place donc dans le signe du Bélier du zodiaque neuvicien. Or, dans le secteur homologue du zodiaque toulousain, on rencontre Saint-Jean-de-Luz. Doumayrou : "port extrêmement actif au XIIe siècle : l'attribut de ce nom venu d'un mot basque (lohitzun) signifiant marais, a pris tout naturellement la forme romane (lutz) du nom de la lumière, que le tourbillon du Bélier doit extraire de la tourbe ; on sait déjà, si l'on se souvient de ce qui a été dit à propos du mot troubadour, que cette lumière est la trouvaille par excellence." Ajoutons que dans le prolongement de l'axe Toulouse-Saint-Jean-de-Luz, on découvrira Saint-Jacques de Compostelle. La même forme se retrouve-t-elle à la racine du nom des Lusignan ? Ce serait cohérent avec la logique du signe et ferait en quelque sorte de Mélusine une mère-Lumière. A l'appui de cette hypothèse, on peut avancer la présence en Bélier, non loin d'Argenton, du village de Luzeret qui, au-delà de son nom (Albert Dauzat le dérive de l'ancien français lusier : porte-lumière), ne laisse pas d'être intéressant. Tout d'abord, remarquons qu'il est situé sur le méridien de Toulouse. Ensuite son église est la seule de la région à être consacrée à saint Vivien, mort en 460. Le site nominis en donne la biographie suivante : "Originaire de Saintes, il devint administrateur de la région de Saintes par décision de l'empereur Honorius, puis renonçant à cette charge, il devint prêtre et évêque. Il connut l'invasion des Visigoths d'Espagne et accompagna les prisonniers jusqu'à Toulouse pour les soutenir dans leur épreuve. Il gagna l'estime du roi Théodoric et put obtenir de lui, quelque temps plus tard, la libération des prisonniers. Il est reconnu au martyrologe romain, mais n'est fêté que dans le diocèse de La Rochelle." Il n'est pas sans intérêt de retrouver là encore les Wisigoths, que l'on a déjà vus à l'oeuvre avec saint Laurian. Toulouse et Tolède (où Jean Richer voit le centre zodiacal de la péninsule hispanique) ayant été leurs capitales successives, Doumayrou suggère qu'ils ont peut-être joué un rôle important de relais dans la chaîne traditionnelle. (Petite pause océane pour le géographe sidéral. De retour ici dans quelques jours.)

Lire la suite

15 avril 2005 | Lien permanent

Translatio Leodegariis

Le corps de saint Léger est donc acheminé d'Arras jusqu'à Saint-Maixent : l'Artois se situant en secteur Sagittaire, le retour des reliques décrit donc le périple de la lumière dans la période allant du solstice d'hiver à l'équinoxe printanier. A l'image du jour qui croît quotidiennement en durée, le cortège mené par Audulf, abbé de Saint-Maixent et ancien disciple de Léger, va être suivi d'une foule toujours plus fervente, émerveillée par les miracles qui jalonnent l'itinéraire. Le moine Ursin de Poitiers, biographe de Léger, rapporte qu'ils étaient si nombreux qu'on ne pouvait les énumérer. « Un psautier contiendrait à peine tous ceux que j'ai vus. » Ainsi, à Ingrandes , à la frontière des diocèses de Tours et de Poitiers, un boiteux et un paralytique sont guéris. Pierre Riché, encore : « A Antran, près de Chatellerault, le cortège s'arrête quelque temps : l'évêque Ansoald en prend la tête, conduit d'abord les restes de saint Léger à Sainte-Radegonde, puis à Saint-Hilaire, et confie enfin le précieux chargement aux moines de Saint-Maixent (1). Ces derniers installent le corps de Léger dans un tombeau au centre du monastère. » (op. cit. p. 201).

Curieux, ces miracles en limite de diocèse, que marque bien le vocable Ingrandes qui, comme Aigurande et Ingrandes sur l'Anglin, indique initialement la frontière entre deux civitas celtiques. Un alignement Ingrandes-Antran, orienté Nord-Nord-Est, passe bien au sud par un lieu-dit Saint-Léger (sur la rive gauche du Clain, que suivaient les pélerins de Compostelle) et la forêt de Saint-Hilaire, tandis qu'un autre alignement pratiquement parallèle est décelable près de Thouars, qui joint Saint-Léger de Montbrun et Saint-Léger-de-Montbrillais à Mont-Forton et le bois de la Motte.

 

medium_stlegertouraine.jpg

Ceci est particulièrement intéressant dans la mesure où se confirme la connivence profonde de saint Léger avec le Bayart et les quatre fils Aymon. En effet, la geste des Fils Aymon parle d'une « roche haute, contre-mont, vers le ciel », dans la plaine de Vaucouleurs où Charlemagne attend les quatre frères en embuscade. Henri Dontenville, qui suggère, arguments à l'appui, que l'Ardenne du poème pourrait fort bien se situer en Aquitaine, propose une nouvelle localisation du lieu : « Ce pourrait être cette Roche Mombron, dans un bois, à « la Lustre », commune de Tauriac (...) un hameau est là, de ce nom, à environ 1,5 km du fleuve, avec une roche émergeant des bois et où nulle empreinte de cheval ne subsiste (la pierre s'est désagrégée). La carte porte bien « la Lustre » sur la route n°669 et une habitante de la Rochemonbron dit la suite. Le manuscrit La Vallière porte « roche Mabon ». Le frère de Renaud, « Richard vint poignant à la roche Mabon » (v.7043). Les livrets populaires restituent : Roche « Montbron ». » (La France Mythologique, pp.111-112).

La popularité du récit a favorisé l'essaimage du thème : ajoutons, pour finir, que Saint-Léger de Montbrillais précède sur l'axe les villages de Roche et de Montbrillais tandis que l'alignement passant par Ingrandes rase Saint-Ustre (avec son église Saint-Maixent de la fin du XIème - le nom Ustre viendrait d'Adjutor, premier nom de saint Maixent) et touche Buxeuil (enfermant le château de la Roche-Amenon et rappelant incidemment Luxeuil où Léger fut emprisonné), près de Descartes, avant d'atteindre Bléré où Henri Dontenville, encore lui, a retrouvé la plainte déchirante de la femme de Renaud, elle qui vient d'accoucher et qui découvre au matin la mort de son mari :


Elle a jeté un si grand cri

Que l'église en a retenti :

Prenez mes bagues, mes anneaux,

Je veux mourir avec Renaud. (op. cit, p. 134)


  1. Sur la commune creusoise de Saint-Maixant, située sur le méridien de Toulx, la courte notice du Quid est éloquente, qui nous rappelle les thèmes abordés dans l'étude de la montagne polaire :

    « La paroisse de Saint-Maixant était jusqu'au 19ème église matrice de celle de Saint-Amand. Berceau au 13ème de la famille de La Roche-Aymon. Jean de Malleret, marquis de Saint-Maixant, fut député de la noblesse aux Etats généraux de 1789. La commune prit le nom de "La Victoire" pendant la Révolution. »








Lire la suite

15 août 2005 | Lien permanent

Eudes l'Ancien et le pentagramme

Complément d'information au sujet de la numismatique déoloise : le premier seigneur de Déols à ouvrir un atelier monétaire dans son donjon  est Eudes dit Eudes l'Ancien. Ses pièces ne présentent pas encore le sceau de Salomon, mais une étoile à cinq pointes, un pentagramme. Or, c'est le même Eudes l'Ancien qui a grandement inspiré la fondation de la rotonde de Neuvy Saint-Sépulchre.

medium_denier-eudes-deols.jpg

 


Frapper monnaie, édifier un monument en forme de réplique du tombeau du Christ, sont les signes d'une puissance manifeste. Eudes n'a pu y parvenir que parce qu'il avait réussi auparavant, dans cette première moitié du XIème siècle,  à mettre sous sa coupe un certain nombre de territoires limitrophes : "C'est ainsi qu'il adjoint à sa chatellenie :
- le fief d'ARGENTON, au Sud, qui lui permet de contrôler la haute vallée de la Creuse ;
- la seigneurie d'ISSOUDUN, au Nord-Est, qui le met en contact avec le domaine royal ;
- les seigneuries de LA CHATRE et CHATEAUNEUF-sur-CHER, à l'Est.
   La suprématie déoloise est donc assurée grâce au contrôle de toute la région comprise entre le Cher, la Gartempe et l'Anglin."

(Histoire de Châteauroux et de Déols (en coll. avec Jean-Noël Delétang, Michel Garraut, René Pêcherat et Jacques Tournaire), Coll. Histoire des Villes de France, Ed. Horvath, Roanne, 1981, p. 17.)


A ceci il faut ajouter qu'il avait participé au rétablissement de l'abbaye Saint-Ambroix de Bourges et fondé en 1013 le chapitre de Levroux. Toutes ces terres, nous l'avons vu, portent les traces d'une géographie sacrée.
Eudes de Déols que l'écolâtre de Poitiers, Hildegarde, recommandait à Fulbert de Chartres comme un "homme de grande sagesse", apparaît donc véritablement comme le grand ordonnateur de ce symbolisme sidéral.
Le pentagramme n'est-il pas le symbole majeur des pythagoriciens de l'Antiquité, qui y voyaient le signe de l'harmonie et de la perfection ?

Lire la suite

12 avril 2007 | Lien permanent

Le laurier du Tempé

A l'origine de la fondation de la rotonde de Neuvy Saint-Sépulchre, nous trouvons trois personnages. Tout d'abord, le seigneur du lieu : Boson de Cluis, ensuite le suzerain de celui-ci, Eudes de Déols dit l'Ancien, "qui paraît bien, selon Jean Favière (Berry Roman, Zodiaque, 1970), avoir inspiré la création de cette nouvelle église placée sous le vocable de Saint-Jacques le Majeur, patron des pélerins, et directement rattachée à l'église de Jérusalem." Vassal lui-même "très fidèle et très familier" du duc d'Aquitaine Guillaume le Grand ( par ailleurs comte de Poitiers et abbé de Saint-Hilaire), il avait accompagné celui-ci à Rome en 1024 ; "puis, en 1026, poursuit Jean Favière, il était reparti cette fois vers Jérusalem en compagnie de Guillaume Taillefer, comte d'Angoulême, et d'une nombreuse suite. Après avoir, au passage, rendu visite à saint Etienne, roi de Hongrie, il était arrivé dans la Ville sainte en mars 1027. Sa réputation était grande ; en 1024, Hildegarde, écolâtre de Poitiers, conseillait à son retour, à Fulbert de Chartres, de ne pas manquer, "s'il traverse le Berry, de converser amicalement avec Eudes de Déols, homme de grande sagesse." Sa piété soutenait de nombreux établissements religieux et en premier lieu, les abbayes de Déols et Saint-Gildas de Châteauroux." Enfin, le troisième homme, qui aurait construit l'église selon la Chronique d'Anjou, est un certain Geoffroy, que certains auraient proposé d'identifier avec Geoffroy le Meschin, un vicomte de Bourges – mais c'est là, toujours selon Jean Favière, hypothèse gratuite.

La question est simple : pourquoi avoir édifié ce "reliquaire monumental" précisément dans ce bourg, ce Novo Vicus, né certainement autour d'un gué sur la Bouzanne à la fin de l'époque gallo-romaine, sur la voie menant d'Argentomagus à Néris-les-Bains ? Rien de prestigieux ne s'attachant apparemment à ce site, il faut supposer que c'est sa position géographique singulière qui a présidé à son élection. Neuvy, en effet, était le point de rencontre de plusieurs alignements fondamentaux. Outre ceux décelés par Guy-René Doumayrou, nous avons vu que la cité se plaçait sur le parallèle de Poitiers, mais il convient aussi de prendre en compte un axe Nord-Sud tout aussi primordial, souligné par la légende elle-même. J'avais omis de raconter la fin de l'histoire. En effet, après avoir occis le terrible Python, Apollon a dû pour se purifier de la souillure que le meurtre représentait, s'exiler en Thessalie, dans la vallée du Tempé. Or, où se place Tempé par rapport à Delphes ? Ni plus, ni moins qu'à son Nord géographique. La route que le dieu emprunte alors deviendra la Voie Sacrée, où chemineront les processions de la fête du Septerion, instituée en souvenir de son exploit et célébrée tous les huit ans. Que trouvons-nous au Nord géographique de Neuvy ? Un seul village, a priori anodin, au beau milieu de la Champagne Berrichonne : il a nom Vatan. Or, c'est à Vatan qu'est venu mourir au Vème siècle saint Laurian, évêque de Séville. Les sbires du roi wisigoth Totila l'auraient rattrapé en ce lieu et lui auraient tranché la tête. Le saint, prenant ladite tête dans ses mains, les auraient alors poursuivis et convaincus de la rapporter en Espagne, où elle aurait été conservée dans la cathédrale de Séville jusqu'à l'invasion mauresque. Mortelle randonnée bien énigmatique : ce Laurian fait bien sûr penser au laurier, l'arbre sacré d'Apollon. Jean Richer signale que Pausanias dénombrait à Delphes cinq sanctuaires successifs, dont le premier, le naos primitif, était fait de branches de laurier rapportées précisément du Tempé. "Mais ne faut-il pas lire là, poursuit-il, une allusion au rôle joué par les fumées enivrantes d'une certaine variété de laurier dans le fonctionnement de l'oracle ?" (Delphes, Délos et Cumes, Julliard, 1970). Lisons aussi la légende d'Apollon et de Daphné racontée par Ovide dans ses Métamorphoses : la nymphe est transformée en laurier par son père pour échapper aux ardeurs du dieu : Phébus, cependant, brûle de la même passion, la main droite posée sur le tronc, il sent encore, sous la nouvelle écorce, battre le cœur ; entourant de ses bras les rameaux - qui étaient les membres de Daphné - il étouffe le bois de baisers ; mais les baisers du dieu, le bois les refuse. Alors le dieu lui dit : " Puisque tu ne peux être ma femme, tu seras, du moins, mon arbre " ; laurier, tu pareras toujours ma chevelure, ma cithare, mon carquois ; (...) Péan avait fini de parler ; alors le laurier inclina ses jeunes rameaux et on le vit agiter sa cime comme une tête. Un autre détail de la légende de saint Laurian est significatif : averti par le Ciel de la mort de l'évêque, Eusèbe d'Arles vient à Vatan pour ensevelir le corps. Il le trouve gardé par deux ours. Comment ne pas voir là, dans la présence des deux plantigrades, une figuration des deux constellations boréales ? Déols elle-même, la cité de Eudes, se situe dans le nord du système, dans le signe du Capricorne. Déols qui est l'anagramme à peine déguisée de Délos, l'autre grand sanctuaire appolinien, son lieu de naissance et autre centre zodiacal majeur selon Jean Richer. Enfin, j'ajouterais que Neuvy avait pour elle de se situer sur le cours de la Bouzanne, dont j'aurais un jour ou l'autre l'occasion de montrer qu'elle est la rivière matricielle de la géographie sacrée des Bituriges, jouant le même rôle que la rivière Boyne (Boand) coulant dans la plaine de Meath, centre spirituel de l'Irlande celtique.

Lire la suite

13 avril 2005 | Lien permanent

Sanctus Leodegarius

« Le nom dit la vérité de la personne, permet de retracer son histoire, annonce ce que sera son avenir. La symbolique du nom propre joue ainsi un rôle considérable dans la littérature et dans l'hagiographie. Nommer est toujours un acte extrêmement fort, parce que le nom entretient des rapports étroits avec le destin de celui qui le porte. C'est le nom qui donne sens à sa vie. Bien des saints, par exemple, doivent leur vita, leur passion, leur iconographie,leur patronage ou leurs vertus à leur seul nom. »

(Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Age occidental, Seuil, 2004, p. 16)


Sanctus Leodegarius, c'est saint Léger en latin. La racine leo, lion, est au départ du nom. Mais fi du latin, La Vie de saint Léger (seconde moitié du Xème siècle), inspiré d'écrits monastiques, est un des premiers textes de la langue française, en strophes de six vers octosyllabiques assonancés.

Léger naît au début du VIIème siècle ; sa famille, installée aux confins de la Bourgogne et de l'Alsace, envoie le jeune homme auprès de son oncle Didon, évêque de Poitiers. Archidiacre peu après l'âge de 20 ans, il est désigné pour reprendre la charge de l'abbé de Saint-Maixent qui venait de mourir. « L 'abbaye de Saint-Maixent, précise Pierre Riché, était construite autour de la cellule de saint Maxence, un saint contemporain de Clovis. Grégoire de Tours raconte que les guerriers de Clovis, lorsqu'ils étaient allés combattre le roi wisigoth Alaric en 507, avaient, à la suite d'un miracle, épargné cette abbaye. » (Histoire des Saints, tome IV, p. 197, Hachette, 1986). Léger reste là six ans puis, sa réputation ayant gagné la cour, la reine Bathilde l'appelle auprès d'elle.

Le maire du palais, Ebroïn, le fait ensuite nommer, en 663, évêque d'Autun. Léger s'installe dans la cathédrale, située dans la partie fortifiée de la ville, au sud de ce qui avait été Augustodunum, la ville romaine, et qui demeurait une étape importante sur la grande route de Lyon à Boulogne. Il entreprend là de grands travaux d'urbanisme et légifère en faveur de l'Eglise et des pauvres. Il devient aussi le porte-parole des aristocrates bourguignons en lutte avec Ebroïn, qui souhaite restaurer l'unité du royaume divisé en deux parties depuis la mort de Dagobert, en 639. Léger parvient même à le faire enfermer au monastère de Luxeuil. Conseiller ensuite du roi Chilpéric II, il s'aliène son appui dans une affaire de justice et se retrouve exilé lui aussi à Luxeuil. « L'assassinat de Chilpéric et l'évasion des deux prisonniers, poursuit Pierre Riché, relancent les tractations. Ebroïn finit par l'emporter ; les dernières années de Léger ne sont qu'un long supplice. Affreusement torturé, il meurt décapité en 678 ou 679. » Il devient tout naturellement un martyr ; à l'instar des frères Aymon dressés contre Charlemagne, sa lutte contre le pouvoir politique central fait de lui un personnage populaire : « Le nom même du saint a contribué à sa gloire posthume, puisqu'il passe pour alléger les obèses, et pour donner un pied léger à ceux qui ont des difficultés à marcher »(op. cit. p.196). Belle illustration de la remarque de Michel Pastoureau citée plus haut.

 

Martyre de saint Léger

Or, il s'avère que ce destin tourmenté suit les voies de la géographie sacrée et peut pratiquement être résumé par une grande loxodromie (Robert : courbe suivie par un navire lorsqu'il coupe les méridiens sous un même angle) issue de la cathédrale d'Autun. Elle se dirige au sud-ouest par Chevannes, Montaigu, Saint-Léger-sous-Beuvray (au pied donc du Mont Beuvray, site de l'ancienne Bibracte, capitale des Eduens), Montjouan, Chevannes, Saint-Léger-les-Vignes au nord de Decize, Saint-Amand Montrond et Orval. Elle passe alors à deux kilomètres au nord de Neuvy Saint-Sépulchre puis rejoint Argenton, le bois de Souvigny, Chapelle-Viviers, Morthemer, Vivonne avant d'aboutir à Souvigné à seulement cinq kilomètres de Saint-Maixent. Un Saint-Maixent que nous retrouvons sur la partie sud du méridien de Toulx.

 

medium_stlegermorvan.jpg

Ce grand axe symbolique a sa correspondance historico-légendaire avec l'assemblée de Pâques 681 au palais royal, où l'évêque de Poitiers, Ansoald, et celui d'Autun, Hermenaire, réclamèrent tous deux l'honneur de ramener dans leur diocèse la dépouille du saint, tandis que l'évêque d'Arras (ville où il avait été mis à mort) le revendiquait au prétexte que des miracles avaient déjà eu lieu sur sa tombe. On en appela à un jugement de Dieu pour attribuer le trophée. « Après trois jours de jeûne et de prières, on écrivit les noms des trois évêques sur trois billets qu'on déposa sur l'autel. Le lendemain, un clerc tira au hasard celui sur lequel était inscrit le nom d'Ansoald de Poitiers.» (op. cit. p. 201).

 

Le saint fit donc retour aux lieux mêmes de son initiation. Le récit de la translation, d'Artois en Poitou, est en lui-même chargé d'enseignement.




Lire la suite

13 août 2005 | Lien permanent | Commentaires (3)

Le taureau de Saint Sernin

Sous la conduite de Brennus, Les Gaulois Volques pillent Delphes et en ramènent un trésor qu'ils abandonnent dans les marécages de la Garonne parce qu'il leur aurait porté malheur. Guy-René Doumayrou rapporte que Jean Markale, dans son étude sur les Celtes (page 119), « constate que rien n'atteste la réalité historique de cette équipée et que l'or de Delphes pourrait fort bien avoir été de nature spirituelle, plutôt que grossièrement métallique. Autrement dit, la légende ne ferait que porter témoignage, par le truchement tout à fait traditionnel du récit allégorique, d'une transmission initiatique de la puissance oraculaire, de l'omphalos héllène à l'omphalos occitan. Nombre de légendes de cette sorte, prises à la lettre par l'érudition moderne refusant a priori (ce qui ne relève pas d'une attitude proprement scientifique) l'interprétation symbolique qui était pourtant jadis la règle, ont conduit à l'élaboration d'une histoire rendant certainement très mal compte des réalités passées. » (G.S., p. 51) Un semblable souci de transmission de centre à centre ne se cache-t-il pas dans le tropisme toulousain de Guillaume d'Aquitaine et Robert d'Arbrissel ? Pourquoi modifier les prérogatives de Saint-Sernin, le lieu le plus sacré de la ville, comme en témoigne encore une inscription à l'entrée de la crypte : Non est in toto sanctior orbe locus, il n'est pas au monde de lieu plus saint ? Pourquoi créer un prieuré au nord de Toulouse, tout comme Saint-Sernin est au nord de Toulouse et Saint-Denis au nord de Paris ? Il est vrai ici que l'équipée militaire n'est pas une légende, mais encore une fois, sous les enjeux apparents de pouvoir, se dissimulent peut-être d' authentiques motifs d'ordre spirituel.

Pour le comprendre, il n'est pas inutile de se pencher sur une autre histoire au parfum de légende, la Passio précisément de Saint Sernin, (dérivation occitane populaire de Saint Saturnin), rédigée au Vème siècle. Envoyé en Gaule par le Pape avec six autres évêques (dont saint Martial, premier évêque de Limoges), il aurait évangélisé Pampelune puis Toulouse. En 250, sous Dèce, les prêtres du Capitole (alors consacré à Jupiter) l'accusent de rendre muet par sa présence l'oracle du temple et le somment dès lors de sacrifier le taureau rituel. Refus catégorique de Saturnin qui lui vaut d'être attaché par les pieds à la queue de l'animal furieux. Pris d'une rage folle, le taureau dévale les marches de l'escalier du Capitole. Saturnin, le cou brisé, est traîné le long du cardo romain (la rue saint-Rome) avant d'être abandonné, une fois passé la porte Nord, en dehors donc des remparts de la ville, sur la route de Cahors, à l'emplacement de l'actuelle rue du Taur (pour taureau). Recueilli par deux jeunes femmes (les saintes Puelles), son corps sans vie est enterré dans un fossé profond. Le taureau, lui, est achevé un peu plus loin, au lieu nommé depuis Matabiau (de matar = tuer et biau = bœuf), où se trouve la gare actuelle. C'est un autre Hilaire, contemporain de Hilaire de Poitiers dont j'ai déjà parlé, évêque de Toulouse au quatrième siècle (358-360), qui fait construire une petite église en bois sur la tombe du martyr. Cet oratoire devient rapidement un important lieu de pèlerinage, si bien qu'à la fin du IVe siècle, devant l'afflux des fidèles, l'évêque saint Sylve (360-400) décide de construire un édifice plus grand, achevé en 402 sous l'épiscopat de saint Exupère , lequel organise le transfert des reliques du premier martyr toulousain dans la nouvelle basilique et fait rédiger les actes officiels du martyre (connus donc sous le nom de Passio antiqua). Ce n'est qu'au début du IXe siècle que se constitue à Saint-Sernin une communauté de chanoines réguliers. Et, en 1080, commence la construction de la basilique romane actuelle. Le 24 mai 1096, le pape Urbain II, venu demander au comte Raymond de conduire la première croisade, consacre l'autel et la basilique. Or, la même année, lors de son séjour à Angers, Urbain II avait fait prêcher Robert d'Arbrissel en sa présence et lui avait donné plein pouvoir d'annoncer en tous lieux la parole divine.
medium_martyresaintsaturnin.jpg
Une grande partie de ce que je retrace ici, je l'ai trouvé sur le très riche site de l'Ecole occitane de carillon, qui traite entre autres des sept sonneries toulousaines. Elles « prennent leur racine dans le martyre de saint Saturnin en 250. C'est un véritable tableau de ces instants : les quatre cloches au pied pour les pattes du taureau, les deux petites à la main pour les cris de la foule haranguant la bête. Dès lors, les premiers chrétiens ont voulu perpétuer le souvenir de leur premier évêque par ces rythmes qui se sont transférés après le VIIe siècle aux cloches, nous permettant aujourd'hui de jouer cette partition vieille de plus de 1750 ans. Peut-être la plus vieille partition au monde ? Au nombre de sept, elles se nomment : Simple, Marche, Double majeur (ou double de marche), Plan, Roulements, Taur simple (ou Petit Taur) et Grand Taur. » Ce qui me frappe, c'est qu'on peut trouver entre la Passio de Sernin et le pélerinage de Jovard au moins quatre grands points communs : - la récurrence du nombre sept : les sept apôtres évangélisateurs envoyés par le Pape dont fait partie Sernin, mais aussi Martial, dont Mauvières et Ruffec relèvent dans la Roue du nemeton belâbrais ; les sept sonneries ; les sept stations de Notre-Dame-de-Jovard. Mais, dira-t-on justement, sept est un nombre tellement fréquent en symbolisme qu'on ne saurait s'étonner outre mesure d'une telle coïncidence. - la récurrence de Jupiter est déjà plus surprenante : on a vu que Jovard dérivait de Jovis (Jupiter), et Sernin est accusé de troubler l'oracle de ce dieu auquel l'empereur rendait un culte officiel. - la récurrence du taureau mis à mort : au nord de la Forêt de la Luzeraize, se trouve un étang dit du Boeuf Mort. - la récurrence de l'épine : le prieuré de Lespinasse fondé au nord de Toulouse ; le prieuré de l'Epeau ; le château et l'étang de l'Epineau au nord de la Roue du nemeton ; et enfin notons qu'en 1251, Alphonse de Poitiers, frère de Saint-Louis, offrit une Epine de la couronne du Christ aux chanoines de Saint-Sernin.

Lire la suite

18 mai 2005 | Lien permanent

Vita Martini (1) : Hilaire

Martin naît, semble-t-il, en 316, à Sabaria, en Pannonie (Szombathely, en Hongrie), puis passe sa jeunesse à Pavie, en Italie, où, déjà, il pense à devenir moine. Mais, étant fils de soldat, il se doit de servir dans la garde impériale à cheval. "Cela ne l'empêche pas de pratiquer la vertu, peut-on lire dans l'Encyclopaedia Universalis (Thesaurus Index, II, p.1881), c'est ainsi qu'à Amiens il donne à un pauvre la moitié de son manteau." Ce geste célèbre peut être interprété comme la première inscription de Martin dans la géographie sidérale  neuvicienne : Amiens se situant en effet en Sagittaire, signe de la Chevalerie. Libéré ensuite de ses obligations militaires, il se fait baptiser et va se mettre sous la protection de l'évêque de Poitiers, Hilaire (saint Léger fera de même quelques siècles plus tard). N'importe-t-il pas de faire coïncider le  nouveau départ d'une existence avec le commencement même de la roue zodiacale ?

f325ad16dbb4bb4e046088bf75148997.jpg

La charité de saint Martin

Heures d'Étienne Chevalier, enluminées par Jean Fouquet
Paris, musée du Louvre, département des Miniatures et Enluminures, RF 1679, © Photo RMN
 
J'ai déjà montré, aux prémices de cette étude, alors que nous arpentions encore les terres de Bélier, la valeur principielle de Hilaire et son lien aux hilaria antiques, associés au culte d'Atys et à l'équinoxe. On pourrait ajouter maintenant les propres remarques de Philippe Walter qui note l'accointance de Martin avec un saint dont le nom signifie en latin le "rieur" (hilaris) : "Sous ce trait apparemment anodin, précise-t-il, se cache certainement l'éternelle aptitude au rire prophétique que manifeste le devin caché sous le saint et dont Merlin nous offre une image littéraire parfaite. Dans les romans arthuriens, en effet,  le rire de Merlin correspond toujours à une phase rituelle de se prophéties. Ce rire périodique est un rire mythique ; ce rire inspiré est aussi le rire de Carnaval. Il rappelle l'appartenance de la fête du saint  au calendrier de Carnaval. De Hilaire à Martin, les noms propres livrent souvent les traces d'une présence mythique à peine perceptible mais néanmoins reconnaissable, pour peu que l'on soit attentif à la conjonction d'une date et d'un nom.(Mythologie chrétienne, op. cit. p. 52-53)."
Non loin de Souvigny, le village de Saint-Hilaire porte la marque du saint hilare : Sancto Hilario au XIIème siècle, c'était une ville close et fortifiée, où s'installa également une commanderie de l'ordre de Malte. Il jalonne un autre alignement d'importance, qui relie Souvigny à son presque homonyme Sauvagny (que j'avais d'abord repéré sur l'ancienne carte de Cassini sous le nom de Souvagny-le-Comtal).


Or ce minuscule village de 100 habitants s'honore d'une église dont je lis qu'il appartenait aux chevaliers de l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, mais ceci n'est que l'autre nom de l'Ordre de Malte. Deux propriétés de l'Ordre sur le même axe issu de Souvigny, voilà qui n'est sans doute pas fortuit, d'autant plus qu'après avoir traversé Saint-Victor, au nord de Montluçon, (et il n'est pas anodin que Victor, martyrisé à Marseille en 303, soit lui aussi comme Martin un soldat romain), il  rejoint Toulx Sainte-Croix, le haut-lieu polaire que nous connaissons bien et dont j'ai pu écrire déjà en 2005 que "pour Henri de Lubac, la croix érigée sur une montagne, au centre du monde, reproduit totalement l'antique image de l'arbre cosmique, en tant qu'Axe du Monde joignant le pôle terrestre au pôle céleste. Or, le méridien de Toulx est le vecteur éloquent d'une telle symbolique : balisé par Boussac ( dont le château abrita longtemps les tapisseries de la Dame à la Licorne ), il désigne le village de Primelles, dans le Cher, situé au coeur de la forêt domaniale de Thoux... Ici, selon Mgr Jean Villepelet (Les Saints Berrichons, Tardy, 1963, p.169), aurait séjourné assez longtemps saint Firmin, évêque d'Amiens, tandis qu'il se rendait à Rome au tombeau des Apôtres. Séjour significatif : Amiens se situe pratiquement sur ce même méridien."

Lire la suite

12 juin 2007 | Lien permanent | Commentaires (5)

La roue de Taranis

Nesmes me me laisse pas en paix, la Forêt de la Luzeraize m'intrigue. Depuis quelques jours, je ne cesse de regarder cette carte, comme si elle était dépositaire d'un secret qui se dérobe à peine est-il entraperçu. J'ai maintenant une intuition que je me propose d'approfondir. On verra bien où cela nous conduira.

medium_luzeraize1.3.jpg
Considérons la forme de la forêt : un long croissant étroit traversé longitudinalement par une très longue allée. Si l'on prolonge en imagination la courbe de cette allée, on atteint Nesmes avant de replonger dans la sylve du Bois de Paillet. Nesmes, clairière entre deux massifs forestiers. La tentation est grande de tracer le cercle esquissé par la Luzeraize. Je propose de prendre pour centre le point de croisement entre l'axe équinoxial (le parallèle de Neuvy Saint-Sépulchre) et la route Bélâbre-Ruffec (ce dernier village abritait un prieuré fondé au milieu du 9ème par Raymond, vicomte de Limoges et comte de Toulouse). Ce centre est très proche d'un étang nommé Etang de la Rouère, que je m'empresse bien sûr de lire comme l'étang de la Roue... D'autant plus que dans la direction de l'étang par rapport à ce centre se profile très précisément le lieu-dit La Rouère.
medium_roue.jpg
De nombreux étangs sont d'ailleurs présents sur la circonférence de la Roue, dont deux étangs de la Luzeraize et l'étang des Grands Fourdines, au nord de Ruffec. Certes, dira-t-on justement, nous sommes en Petite Brenne, où les étangs sont légion... Et pourquoi une Roue en ce pays bélâbrais ? Rappelons qu'étymologiquement le Zodiaque est la roue de la vie. Mais poursuivons le thème celtique, puisque nous sommes entrés ici en s'interrogeant sur le sanctuaire, le nemeton : la roue apparait en effet comme une figure très fréquente dans l'iconographie celtique. On la découvre le plus souvent "dans les sculptures gallo-romaines en compagnie du Jupiter celtique, communément appelé dieu à la roue ou Taranis, ou encore du cavalier au géant anguipède"(Dictionnaire des Symboles, p.828).
medium_chaudron-_gundestrup2.jpg
Taranis (Musée de Copenhague). Détail du chaudron de Gundestrup Or, Jupiter est, selon Michel Provost (Le Val de Loire dans l'Antiquité, CNRS Editions, 1993), le grand dieu des Carnutes :
"C'est autour de lui que se regroupent les divinités de Vienne-en-Val. C'est la seule civitas du Val de Loire où l'on rencontre des dédicaces à I.O.M [Iupiter Optimus Maximus], et où il est associé au culte impérial (à Orléans et à Vienne-en-Val). Le département du Loiret est également le seul où l'on ait trouvé tant des statuettes en bronze que des bagues représentant Jupiter, que le symbole de la roue et surtout un groupe au cavalier et à l'hippophore. Il semble donc que l'on puisse écrire que Jupiter occupe le principal rôle dans la panthéon carnute."
Tout se passe donc comme si les Bituriges avaient voulu en ce point très précis de leur territoire fonder un nemeton qui soit la réplique du grand nemeton carnute qui rassemblait chaque année les druides de toute la Gaule. Un autre indice est la présence au coeur de la roue de l'église de Jovard, près de Bélâbre, du 12ème comme la chapelle de Nesmes. Je ne suis pas le premier à lire ce nom de Jovard comme une dérivation de Jovis (Jupiter en latin). Un pélerinage à Notre-Dame de Jauvard est encore pratiqué, sur lequel je regrette de ne pas posséder de plus amples informations. Notons enfin, et j'en terminerai là pour aujourd'hui, que l'alignement du centre de la Roue avec Nesmes conduit à Château-Guillaume au Sud et à Ruffec au Nord, rejouant donc à cette occasion l'affrontement Toulouse-Poitiers.

Lire la suite

Du Belin au Troubadour

"Nous découlons, voilà la vérité. Nous ne descendons pas de. Et, en dépit de nos efforts, nous n'aspirons guère à... Nous découlons... D'une source obscure et de ses ramifications. Nous sommes la rumeur des eaux ancestrales ; elles nous ont transmis la parole et elles nous la reprendrons sans violence, comme on fait taire un enfant d'un linge humide passé sur les tempes." Pierre Veilletet (Bords d'eaux, Arléa, 1999)
Encore une confirmation que c'est au jour le jour que s'invente le chemin stellaire : c'est en cherchant aujourd'hui même sur la Toile des informations sur le Château-Guillaume, forteresse fondée par Guillaume IX d'Aquitaine sur la paroisse de Lignac non loin de l'alignement ligneux qui nous occupe depuis deux jours, que je découvre que la petite-fille du seigneur en question, qui n'est autre que notre vieille connaissance Aliénor d'Aquitaine, est née en 1122 au château de Belin, en Gironde. Elle aurait passé ici son enfance, à quelques kilomètres du bassin d'Arcachon, dans la compagnie des paysans, parlant patois, marchant sur des échasses, montant à cheval. Reconnaissante, elle aurait accordé une charte d'affranchissement à la paroisse, confirmée plus tard par Philippe le Bel ( poussera-t-on la plaisanterie jusqu'à le rattacher lui aussi au Belin ?) Incidemment, c'est à quelques encablures de Belin, aujourd'hui Belin-Béliet, que je me suis retiré pour la petite pause océane qui m'a tenu éloigné quelques jours de ce blog...
medium_180px-aliaenor-1-.jpg
Revenons à nos moutons : Château-Guillaume fut donc élevé entre 1087 et 1112 par Guillaume IX dit aussi le Troubadour - pratiquement à la même époque, soit dit en passant, que l'abbaye de Fontdouce (1111). Guillaume est un gaillard qui conjugue le goût des armes et celui des vers : expéditions militaires, croisade, participation à la Reconquista qui ne lui valent pourtant pas la reconnaissance de l'Eglise, et pour cause : il s'empare de biens religieux pour financer sa campagne contre Toulouse et va jusqu'à enlever à main armée la femme de son vassal, le vicomte de Chatellerault, ce qui lui vaut l'excommunication. Au légat chauve qui lui aurait enjoint de s'en séparer, il aurait rétorqué : « Compte là-dessus, et passe-toi le peigne ! » Cette maîtresse séjourna donc dans un donjon qu'il fera adjoindre à son palais : la tour Maubergeon, dont le nom vient du mérovingien mal ou mallum qui désigne le tribunal, et de berg qui signifie colline. Cette muse qu'il appelle, lui, la "Dangereuse" est bientôt surnommée par le peuple la " Maubergeonne ". Claude Lecouteux note que c'est dans cette tour Maubergeon que Couldrette dit qu'on trouva deux livres en latin rapportant la légende de Mélusine. C'est que Guillaume est aussi un homme curieux et cultivé qui, avant Aliénor, sut accueillir dans sa cour de Poitiers les artistes de son temps, ainsi le chevalier et barde gallois Blédri ap Davidor qui réintroduisit en Gaule l'histoire de Tristan et Iseut. Et puis c'est surtout l'un des premiers troubadours, écrivant en langue d'oc, et non pas en latin, des chansons d'amour, parfois très crues (par exemple dans la chanson convenable, il demande à ses compagnons quel cheval il doit monter, d'Agnès ou d'Arsens). On fera plus subtil par la suite... En Espagne, à la bataille de Cutanda, il aurait combattu avec la corps de sa maîtresse peint sur son bouclier. Ce rustre fougueux est aussi capable de vers charmants :
Ab la doussor del temps novel folhon li bosc e li auzel chanton chascus en lor lati segon lo vers del novel chan : adonc esta ben qu'om s'aizi d'aisso dont om a plus talan.
Par la douceur du temps nouveau feuillent les bois et les oiseaux chantent chacun dans son latin sur le rythme d'un chant nouveau donc il convient que l'on s'accommode (se réjouisse) de ce qu'on désire le plus !

Lire la suite

24 avril 2005 | Lien permanent | Commentaires (3)

Vaux-sur-Net

Et comme celui qui a morigéné les Rois, j’écouterai monter en moi l’autorité du songe.
(Saint-John Perse, Vents)

 

 

Tapez « Vaux » dans Google, le moteur vous annonce aussitôt 975 000 résultats. Evidemment vous vous en doutiez, le terme est tellement commun. Vaux-le-Vicomte a droit à la première place, suivi de Vaux-sur-Mer, et plus loin Vaux-sur-Sure, Vaux-le-Pénil, etc. Notre Vaux est poitevin, c'est tout ce que nous en savons pour l'instant. Allons donc pour « Vaux Poitou » : plus que 96 100 résultats, où Vaux-sur-Mer se paie la part du lion, en campings, hôtels, locations... Serait-ce là notre Vaux dyonisien ? On a des doutes... Essayons donc « Vaux Saint-Denis » : 76 000 résultats seulement, on progresse. On trouve même un Saint-Denis-de-Vaux : las, ce beau village, qu'on peut visiter virtuellement (mais j'ai décliné la ballade), est sis en Saône-et-Loire... Fausse piste donc. Et « Vaux Saint-Denis Poitou » ne nous donne plus que 9060 réponses en français (bizarrement le premier site indiqué est espagnol...), sans nous apporter plus de lumière.

Je commence à désespérer lorsque soudain me revient en mémoire un détail de ma récente recherche sur Ingrandes, où l'on se souvient que le convoi translatant le corps de saint Léger avait fait halte : l'église de la ville dépendait d'un prieuré de Saint-Denis. J'avais noté ça dans un coin de ma tête en m'amusant de la coïncidence, je ne pensais pas alors y revenir si vite. Vérification sur le site du diocèse de Poitiers : il est bien écrit que « Sous l'Ancien Régime, la cure d'Ingrandes était à la nomination du prieur de Saint-Denis-en-Vaux, qui dépendait de la grande abbaye de Saint-Denis-en-France. »

La question était maintenant de savoir où se situait ce Saint-Denis-en-Vaux. C'est un autre site sur la même page de résultats, consacré aux églises romanes du Poitou, qui m'apporta la solution : « Trois kilomètres à l'Est d'Ingrandes, à Oyré, se trouve une autre très belle Eglise Romane dédiée à Saint Sulpice. Elle relevait jadis du Prieuré de Vaux sur Vienne qui lui meme dépendait de l' Abbaye de Saint Denis, près de Paris. L'église possèdait à l'origine des fresques murales. »

Vaux-sur-Vienne : il ne restait plus qu'à remonter le cours poitevin de la Vienne pour repérer le haut-lieu tant attendu. Et à vrai dire, il n'y eut pas à remonter loin, Vaux-sur-Vienne était là, tout près d'Ingrandes et de Oyré. Il aurait dû me crever les yeux : il me jouait le coup de La lettre volée d'Edgar Poe.

 

medium_vaux2.2.jpg

Ceci dit, le mystère demeurait : la carte Michelin n'indiquait aucun bâtiment religieux remarquable et une nouvelle recherche sur Vaux-sur-Vienne fut très décevante : aucune mention du prieuré, qui semble avoir disparu dans les ténèbres de l'Histoire. J'ai eu beau scruter la carte de Cassini, publiée en 1815, elle ne mentionne aucun prieuré Saint-Denis. Il sera bien bon celui (ou celle) qui me donnera des informations précises sur l'histoire de ce Vaux pictave décidément bien fuyant.

Il reste que la localisation de Vaux près d'Ingrandes montre bien encore une fois, s'il en était besoin, l'intrication serrée entre les deux saints martyrs Léger et Denis. L'histoire de l'abbaye dyonisienne et celle de l'évêque déchiré entre les pouvoirs de son époque ne cessent de corréler. Toutes les deux ont en commun d'interroger la fonction royale. J'ai la nette impression que notre réflexion sur celle-ci ne fait que commencer.


medium_chilperic.jpg
Léger et le roi Chilpéric

P.S : Un site rassemble tous les Saint-Léger de France, de Suisse et de Belgique. J'y ai puisé nombre d'informations. Merci aux concepteurs du site, que l'on peut consulter ici.


Lire la suite

26 août 2005 | Lien permanent

Page : 1 2 3