Rechercher : saint Denis
Léon et Gervais
En 1989, l'ouvrage qui me servait de référence ne mentionnait pas le titulaire de l'église de Measnes, et je n'avais pas eu la curiosité d' aller chercher ailleurs l'information. Je sais maintenant combien il est important de toujours connaître sous quel vocable est inscrit un bâtiment religieux : les attributions ne sont jamais le fait du hasard et comportent presque toujours un enseignement. J'ai donc récemment comblé cette lacune en ce qui concerne Measnes. Nous ne serons pas étonnés d'apprendre que l'église se place sous une double dédicace. Elle est en effet sous le patronage de saint Gervais et de saint Léon. Cela est tout à fait cohérent avec la nature du signe des Gémeaux. Mais il y a mieux : il suffit de creuser un peu l'histoire de ces deux saints pour avoir une claire confirmation de la prégnance de la thématique gémellaire. Tout d'abord, ce n'est pas à saint Léon que saint Gervais est le plus souvent associé, mais à saint Protais. Un exemple en est l'église de Civaux, dans le proche Poitou. Et si ces deux saints milanais sont associés, c'est tout simplement parce qu' ils sont frères jumeaux... Ils subissent le martyre sous Néron en 57, et leur corps est miraculeusement retrouvé trois cents ans plus tard par saint Ambroise. La Légende Dorée de Jacques de Voragine raconte la vision d'Ambroise : « Longtemps leurs corps restèrent cachés, mais ils furent découverts au temps de saint Ambroise de la manière suivante: Saint Ambroise était en oraison dans l’église des saints Nabor et Félix ; il n'était ni tout à fait éveillé, ni entièrement endormi; lorsque lui apparurent deux jeunes gens de la plus grande beauté, couverts de vêtements blancs composés d'une tunique et d'un manteau, chaussés de petites bottines, et priant avec lui les mains étendues. » Par la suite, Ambroise découvre les corps ainsi qu'un volume, près de leur tête, indiquant le récit de leur naissance et de leur mort. La même Légende Dorée nous permet peut-être de comprendre pourquoi Léon a été choisi pour compagnon à Gervais : la référence à saint Pierre, présent à Lourdoueix Saint-Pierre et l'abbaye d'Aubepierre, est explicite : « Quand le bienheureux Léon écrivit la lettre à Fabien, évêque de C.-P., contre Eutychès et Nestorius, il la posa sur le tombeau de saint Pierre et après avoir passé quelque temps dans le jeûne et la prière, il dit : « Les erreurs que je pourrais avoir commises comme homme dans cette épître, corrigez-les et amendez-les, vous à qui l’Eglise a été confiée. » Et quarante jours après, comme il était en prières, saint Pierre lui apparut et lui dit : « J'ai lu et amendé. »Saint Léon prit la lettre qu'il trouva corrigée et amendée de la main de l’apôtre. Une autre fois, saint Léon passa quarante jours en prières au tombeau de saint Pierre, et le conjura de lui obtenir le pardon de ses péchés: saint Pierre lui apparut et lui dit : « J'ai prié pour vous le Seigneur, et il a pardonné tous vos péchés. (...) ». Il mourut vers l’an du Seigneur 460. »
Un autre détail de l'histoire de Gervais et Protais est significatif : il est écrit qu'après avoir donné tous leurs biens aux pauvres, ils ont rejoint saint Nazaire à Embrun, où celui-ci construisait un oratoire avec un enfant nommé Celse. Nazaire et Celse forment un autre couple gémellaire inséparable. D'ailleurs la Légende Dorée affirme que c'est en arrivant dans la ville gauloise de Gemellus, où Nazaire opéra nombre de conversions, qu'une dame lui offrit son fils Celse, avec prière de le baptiser et de l'emmener avec lui. Quand ils sont condamnés tous les deux à Milan, comme Gervais et Protais, ils se jettent dans les bras l'un de l'autre à la lecture de la sentence de mort. Et saint Ambroise retrouvera leur corps, à la suite d'un songe, dans un jardin de la ville, tout comme il avait retrouvé les corps de Gervais et Protais.29 juin 2005 | Lien permanent
Reconnaissance
Je viens d'apprendre avec quelque retard la nouvelle, je vous la livre sans délai : la Basilique Saint-Etienne de Neuvy Saint-Sépulchre vient d'être classée au Patrimoine mondial de l'Unesco.
Pour en savoir plus, lisez cet article du site Cyberindre.
29 octobre 2006 | Lien permanent | Commentaires (2)
Translatio Leodegariis
Le corps de saint Léger est donc acheminé d'Arras jusqu'à Saint-Maixent : l'Artois se situant en secteur Sagittaire, le retour des reliques décrit donc le périple de la lumière dans la période allant du solstice d'hiver à l'équinoxe printanier. A l'image du jour qui croît quotidiennement en durée, le cortège mené par Audulf, abbé de Saint-Maixent et ancien disciple de Léger, va être suivi d'une foule toujours plus fervente, émerveillée par les miracles qui jalonnent l'itinéraire. Le moine Ursin de Poitiers, biographe de Léger, rapporte qu'ils étaient si nombreux qu'on ne pouvait les énumérer. « Un psautier contiendrait à peine tous ceux que j'ai vus. » Ainsi, à Ingrandes , à la frontière des diocèses de Tours et de Poitiers, un boiteux et un paralytique sont guéris. Pierre Riché, encore : « A Antran, près de Chatellerault, le cortège s'arrête quelque temps : l'évêque Ansoald en prend la tête, conduit d'abord les restes de saint Léger à Sainte-Radegonde, puis à Saint-Hilaire, et confie enfin le précieux chargement aux moines de Saint-Maixent (1). Ces derniers installent le corps de Léger dans un tombeau au centre du monastère. » (op. cit. p. 201).
Curieux, ces miracles en limite de diocèse, que marque bien le vocable Ingrandes qui, comme Aigurande et Ingrandes sur l'Anglin, indique initialement la frontière entre deux civitas celtiques. Un alignement Ingrandes-Antran, orienté Nord-Nord-Est, passe bien au sud par un lieu-dit Saint-Léger (sur la rive gauche du Clain, que suivaient les pélerins de Compostelle) et la forêt de Saint-Hilaire, tandis qu'un autre alignement pratiquement parallèle est décelable près de Thouars, qui joint Saint-Léger de Montbrun et Saint-Léger-de-Montbrillais à Mont-Forton et le bois de la Motte.
Ceci est particulièrement intéressant dans la mesure où se confirme la connivence profonde de saint Léger avec le Bayart et les quatre fils Aymon. En effet, la geste des Fils Aymon parle d'une « roche haute, contre-mont, vers le ciel », dans la plaine de Vaucouleurs où Charlemagne attend les quatre frères en embuscade. Henri Dontenville, qui suggère, arguments à l'appui, que l'Ardenne du poème pourrait fort bien se situer en Aquitaine, propose une nouvelle localisation du lieu : « Ce pourrait être cette Roche Mombron, dans un bois, à « la Lustre », commune de Tauriac (...) un hameau est là, de ce nom, à environ 1,5 km du fleuve, avec une roche émergeant des bois et où nulle empreinte de cheval ne subsiste (la pierre s'est désagrégée). La carte porte bien « la Lustre » sur la route n°669 et une habitante de la Rochemonbron dit la suite. Le manuscrit La Vallière porte « roche Mabon ». Le frère de Renaud, « Richard vint poignant à la roche Mabon » (v.7043). Les livrets populaires restituent : Roche « Montbron ». » (La France Mythologique, pp.111-112).
La popularité du récit a favorisé l'essaimage du thème : ajoutons, pour finir, que Saint-Léger de Montbrillais précède sur l'axe les villages de Roche et de Montbrillais tandis que l'alignement passant par Ingrandes rase Saint-Ustre (avec son église Saint-Maixent de la fin du XIème - le nom Ustre viendrait d'Adjutor, premier nom de saint Maixent) et touche Buxeuil (enfermant le château de la Roche-Amenon et rappelant incidemment Luxeuil où Léger fut emprisonné), près de Descartes, avant d'atteindre Bléré où Henri Dontenville, encore lui, a retrouvé la plainte déchirante de la femme de Renaud, elle qui vient d'accoucher et qui découvre au matin la mort de son mari :
Elle a jeté un si grand cri
Que l'église en a retenti :
Prenez mes bagues, mes anneaux,
Je veux mourir avec Renaud. (op. cit, p. 134)
-
Sur la commune creusoise de Saint-Maixant, située sur le méridien de Toulx, la courte notice du Quid est éloquente, qui nous rappelle les thèmes abordés dans l'étude de la montagne polaire :
« La paroisse de Saint-Maixant était jusqu'au 19ème église matrice de celle de Saint-Amand. Berceau au 13ème de la famille de La Roche-Aymon. Jean de Malleret, marquis de Saint-Maixant, fut député de la noblesse aux Etats généraux de 1789. La commune prit le nom de "La Victoire" pendant la Révolution. »
15 août 2005 | Lien permanent
Alignements sylvestres
Si l'on parcourt le méridien de Saint-Genou au delà de Sainte-Gemme, on découvre qu'après avoir franchi la Creuse il atteint le bois de Souvigny. Ce même bois de Souvigny, entre Luzeret et la forêt de la Luzeraize, traversé obliquement par le grand axe de saint Léger venu d'Autun. Cette coïncidence est d'autant plus remarquable que ce toponyme est le seul Souvigny attesté dans l'Indre. Stéphane Gendron (Les Noms de Lieux de l'Indre, 2004, p. 22) lui donne la même étymologie qu'au Souvigny de l'Allier : nom propre romain Silvanius + -acum, ou bien dérivé de silva "forêt".
Un seul village indrien, Sougé, présente une origine analogue : S. Gendron fait dériver ce nom de Silvius (nom propre romain) + -acum, à comparer avec Sougé-en-Braye, dans le Loir-et-Cher, Silviacus au IIIème siècle. Mais il précise qu'on pourrait également voir dans ce nom un dérivé de silva. Or Sougé est une commune proche de Saint-Genou, à peu près à mi-chemin de Levroux. On sait par ailleurs que l'histoire de Levroux est marqué par saint Martin d'une part et les saints Silvain et Silvestre d'autre part.
Cette proximité sémantique Sougé-Levroux est marquée sur le terrain par un alignement qui unit très clairement Saint-Genou, Sougé et Levroux (en prenant en considération non pas la cité mais le château au nord de celle-ci, ancien oppidum gaulois dominant la vallée de la Céphons).
Un axe perpendiculaire à cet alignement Saint-Genou-Levroux passant par Sougé conduit à Selles-sur-Nahon, où la tradition place , on l'a vu, l'établissement de saint Genou (en le nommant la Celle-des-Démons). Est-ce pour contrebalancer cette mention démoniaque que l'axe va se ficher au sud sur Villedieu-sur-Indre, dont le nom fut donné par les moines de Saint-Gildas qui y édifièrent un prieuré ?
Enfin, signalons que tout près de Sougé, au point médian de l'axe Levroux-Saint-Genou, se trouve le lieu-dit Champillé, où Gendron mentionne la présence d'un ancien prieuré et d'une chapelle Saint-Léger, ce qui, compte tenu de la rareté des occurrences de saint Léger dans l'Indre, est particulièrement frappant.
07 juillet 2007 | Lien permanent
L'Aiguille creuse
« Aussitôt Isidore regarda les timbres de la poste. Ils portaient Cuzion (Indre). L'Indre ! Ce département qu'il s'acharnait à fouiller depuis des semaines !
Il consulta un petit guide de poche qui ne le quittait pas. Cuzion, canton d'Eguzon... Là aussi il avait passé.
Par prudence, il rejeta sa personnalité d'Anglais, qui commençait à être connue dans le pays, se déguisa en ouvrier, et fila sur Cuzion, village peu important, où il lui fut facile de découvrir l'expéditeur de la lettre. »
Maurice Leblanc (L'Aiguille creuse, Le Livre de Poche, p. 146)
Descendue en dessous de cent habitants, la commune de Chantôme fut rattachée à celle d'Eguzon en 1975. Le titulaire de son église est saint Antoine, mais le grand saint qui fut toujours vénéré ici n'est autre que saint Sylvain, auquel une fontaine proche est dédiée. Un pélerinage a lieu le dimanche précédant l'Ascension, qui voit « venir les enfants atteints de « convulsions », parfois des adolescents ou des enfants atteints du « mal de saint Sylvain ». (...) Autrefois, une procession était organisée à travers le village ; le brancard employé à porter la statue est encore dans l'église. » (Jean-Louis Desplaces, op.cit. p. 147.) Cette fête n'avait pas été du goût de Mgr de La Rochefoucauld, qui faisait en 1734 l'inventaire des pratiques religieuses de la province. Il avait certainement deviné l'essence peu chrétienne de cette coutume qu'il condamnait dans les termes suivants : « Sur ce qui nous a été encore représenté que depuis quelques années, les habitants de ladite paroisse se sont avisés de chômer la fête de saint Sylvain qui n'est point patron de leur église, nous avons défendu au sieur curé d'en faire office même de dire la messe ledit jour en ladite église. » Jean-Louis Desplaces note plaisamment qu'il aura fallu attendre deux siècles pour que satisfaction soit donnée au prélat, sans que pour autant le bon saint Antoine y ait regagné quelque respect...
En juin 1948, on note encore dans le bulletin paroissial que l'église est trop petite pour contenir l'assistance venue des communes environnantes : Saint Sébastien, Crozant, Lafat, Parnac, Saint Benoît-du-Sault. C'est la présence de Saint Sébastien qui doit nous retenir ici. Bien avant saint Roch, il a été invoqué contre la peste, conséquence d'un miracle qui se serait produit à Pavie au Ve siècle. La ville était alors ravagée par une violente épidémie de peste, qui aurait cessé dès qu'on eut érigé un autel à la gloire du saint dans l'église de Saint-Pierre-aux-Liens. Or Saint Sébastien, Crozant et Eguzon forment un quasi triangle équilatéral.
Le chiffre trois revient sans cesse dans la dévotion à saint Sylvain. Après le pélerinage pour la guérison d'un malade, il convenait de revenir trois années de suite en « actions de grâce ». Mieux, lorsqu'un enfant était malade, précise J.L. Desplaces, « une femme du pays en état de veuvage ainsi que l'exige la tradition, posait dans un baquet d'eau trois vêtements appartenant à l'enfant. L'un était censé représenter le patronage de Saint-Sylvain de Chantôme, le second celui de Saint-Luc à Bonnu et le troisième vêtement, le patronage de Saint-Marin, près d'Argenton. Le premier linge qui s'enfonçait indiquait le lieu du culte où il convenait de se rendre afin de prononcer les prières et d'effectuer les rites propres à assurer la guérison. On disait alors « on lève le saint », « l'enfant tient du saint de Chantôme, de Bonnu ou de Saint-Marin ». »
Trois saints associés à trois fontaines : on comprend l'acharnement de Mgr de La Rochefoucauld qui le jeudi 7 octobre 1734, demande, comme à Chantôme, la suppression du pélerinage à saint Luc de Bonnu. Sans plus de succès, d'ailleurs.
La chapelle de Bonnu, dépendant de la paroisse de Cuzion, avait été édifiée en 1634 par Françoise de Poyenne, veuve de Messire Jean Aujusson, à la suite d'un voeu qu'elle fit au moment de la contagion de 1632 qui vit trépasser 76 habitants de Bonnu. Aucun document, note J.L. Desplaces ne nous apprend si le culte de saint Luc était plus ancien ni ne fait mention de la fontaine. Remarquons aussi que la Dame de Poyenne fonde à la même époque une autre chapelle appelée « Hermitage » - où nous retrouvons nos deux saints traditionnellement associés contre la peste - « située dans la garenne des céans, où quatre messes seront célébrées par an : Notre Dame des Miracles, sainte Anne, saint Roch, saint Sébastien. »
La chapelle de Saint-Marin est, elle, plus éloignée de Chantôme et de Bonnu, étant située en aval d'Argenton, mais toujours près de la Creuse. Cette Creuse dont la profondeur mythologique - rappelons-nous du rocher des Fileuses dominant ses méandres - ne cesse de nous interloquer.
Elucubrons un peu : Maurice Leblanc, en écrivant son énigme lupinesque, n'exprimerait-il pas, à travers son titre même, le chiasme que nous avons mis à jour entre Aigurande-Eguzon et Crozant-Crozon ? En effet, cette aiguille se faufile dans le premier élément des premiers cités (quand bien même l'étymologie, qui se rapporte à l'eau, est tout à fait différente), tandis que le terme « creuse » se lit, on en conviendra, sans effort dans les seconds.
02 mai 2006 | Lien permanent | Commentaires (7)
Taureau
« Je note, ce soir, dans La vie de Jésus de François Mauriac ce passage où il parle de la Résurrection : « Nous imaginions plutôt un soir de printemps pareil à tous les autres soirs de printemps, cette odeur de terre chaude et mouillée, cette lassitude charnelle, ce vide que je ressentais enfant, après la mort du premier taureau, quand l'arène se vidait, comme si mon propre sang s'était appauvri de tout ce sang répandu. » » ( Jacques Chauviré, Journal d'un médecin de campagne, 26 août 1950) Quand, armé d'une règle et d'un rapporteur, je plaquai pour la première fois la ronde galette d'un zodiaque sur une carte de la région, la présence dans le secteur du Taureau, signe de Terre par excellence, de la ville de La Souterraine fut une de ces fortes coïncidences qui me poussèrent plus avant dans cette aventure herméneutique d'un nouveau genre. De fait, la cité marchoise doit officiellement son nom à une villa gallo-romaine nommée Sosterranea à cause de son sanctuaire souterrain, lequel devint la crypte de l'église actuelle érigée au 12ème siècle par les moines de l'abbaye Saint-Martial de Limoges. C'est Gérald de Crozant qui leur avait fait don du terrain en 1017. Placée sous le vocable de l'Assomption de la Vierge, l'église fut une étape importante sur la route de Saint-Jacques de Compostelle comme en témoigne encore la pierre blanche placée à l'angle sud-ouest : repère indubitable pour le pèlerin d'alors.
Saint Martial La question, encore une fois, est très simple : pourquoi les moines de Saint-Martial ont-ils tenu à bâtir sur une nécropole souterraine ? Ne serait-ce parce que leur saint patron, Martial, avait lui aussi une sépulture similaire ? La crypte Saint Martial est en effet le haut lieu de Limoges, qui renferme depuis le IVème siècle les tombeaux du saint et de ses deux compagnons, Alpinien et Austriclinien.27 mai 2005 | Lien permanent
Vita Martini (2) : Ligugé
Martin a donc rejoint Hilaire, mais celui-ci ayant été contraint à l'exil en 356 par les hérétiques ariens au pouvoir, il quitte la Gaule et retourne en Pannonie où il convertit sa mère. De là, il revient par l'Illyricum, où sa lutte contre l'arianisme lui vaut d'être battu de verges. Martin essaie ensuite de mener la vie monastique près de Milan (centre zodiacal de la plaine cisalpine), mais, chassé de nouveau par le clergé arien, il se réfugie dans un îlot de la côte ligure. Puis, apprenant le retour d'exil de Hilaire, il regagne Poitiers et fonde près de là un monastère à Ligugé, le premier de Gaule. "Ce dernier site, s'interroge Ph. Walter, trahirait-il dans son nom sa dévotion au dieu celtique Lug et Martin ne serait-il pas l'alibi de la christianisation d'un site païen ?" ( Mythologie chrétienne, op.cit. p.52).
D'autres, il est vrai, font dériver ce nom de Ligugé de Locaciacum, « les petites cabanes », où Martin logeait ses disciples, mais ceci me semble d'autant plus douteux que j'ai par ailleurs déjà mis en évidence un alignement de lieux-Lig* dans ce même secteur Bélier (Liglet, Lignac et Lignat).
Mieux, Liglet (église Saint-Hilaire), pratiquement sur le méridien de Saint-Hilaire-sur-Benaize, mais aussi de Lingé et de Saint-Martin-de-Bridoré, rejoint Ligugé par un axe jalonné rien moins que par Villesalem, Leignes-sur-Fontaine (église prieurale Saint-Hilaire), Saint-Martin-la-Rivière, un bois dit de Savigny (qui rappelle bien sûr Souvigny), et Nouaillé-Maupertuis (très ancienne abbaye Saint-Junien fondée vers 690 par des religieux de Saint-Hilaire de Poitiers).
NB : Sur saint Martin, je découvre seulement maintenant le site du Centre Culturel Européen qui lui est consacré : Saint-Martin de Tours.
16 juin 2007 | Lien permanent
Du plus simple des calembours
Evoquant saint Clair, l'érudit Romain Guignard cite plusieurs saints Clair sans pouvoir identifier lequel était honoré à Vatan. Est-ce le saint Clair, successeur de saint Martial ou le saint Clair, « premier évêque de Nantes et apôtre de la Bretagne environnante, venu en Gaule à la fin du IIIème siècle » ? Ou bien encore cet abbé originaire de Saint-Clair, près de Lyon, et mort vers 660 ? Enfin, dernière hypothèse, ce prêtre originaire de Rochester, en Angleterre, assassiné en 894 à Saint-Clair-sur-Epte, dans le Vexin ? Point commun entre tous ces saint Clair : on les invoque tous pour les affections de la vue « sans doute en vertu du plus simple des calembours : saint Clair est un saint qui fait voir clair. »
Un chanoine du chapitre de Saint Laurian rapporte ainsi le culte populaire à saint Clair le quatrième dimanche après Pâques (donc le même jour que la fête de la translation des reliques de Laurian) :
« A côté du choeur, du côté du doyenné, il y a une grande chapelle sous l'invocation de saint Clair, au bout de laquelle il y a une espèce de caveau sous le chapitre. Dans ce caveau, il y a une fontaine et une figure de saint Clair.
Le peuple qui vient en dévotion, après avoir fait ses prières dans la chapelle en entrant, descend dans ce caveau. Chacun se lave les yeux avec l'eau de la fontaine et fait aussi sa prière devant la statue de saint Clair, après quoi on lui ôte la tête de dessus les épaules pour la baiser. Cette dévotion quoique bizarre produit au moins quarante écus chaque année à la mense du chapitre, dans des années meilleures quelquefois plus. » (C'est moi qui souligne.)
Ce chanoine, à l'époque, ne comprend déjà plus cette pratique populaire, ce pourquoi il la trouve bizarre. Evidemment, la tête de la statue que l'on baise rappelle la décapitation de Laurian. Il y a aussi quelque chose de significatif à cette descente au caveau : il s'agit encore une fois d'aller au fond de la terre obscure pour trouver la lumière. Le héros descend aux Enfers pour mieux accéder à la Terre Promise, ce qu'évoque fortement, on s'en souvient, la légende du Rocher des Fileuses, à Crozant.
Même date de fête, même référence à la décapitation, Saint Clair apparaît nettement comme un doublet de saint Laurian. Grâce à une recherche sur le net, j'ai pu en avoir la confirmation, et corollairement trouver l'identité du saint Clair invoqué à Vatan.
Il suffit en effet de consulter le site internet de Saint-Clair-sur-Epte. Cette ville du Vexin, située sur la frontière naturelle entre la Normandie et l'Ile-de-France, est célèbre pour le traité de paix signé en 911 entre Charles le Simple et le chef viking Rollon. Vers 878, elle se nomme encore Vulcassum, lorsque s'y réfugie un jeune et beau moine qui a échangé son prénom anglais William contre le nom de Clair. Il vient d'errer pendant douze ans pour échapper aux avances d'une femme riche et puissante. Il édifie son ermitage, mais le site précise qu'« il y rencontre moult gens qui viennent même de très loin pour le voir. » Les ermitages de l'époque sont très courus...
Je recopie la fin de l'histoire telle qu'elle est racontée sur le site :
« Seulement l'implacable dame, frustrée dans ses désirs, ne l'avait pas oublié. Les deux hommes envoyés en Neustrie le poursuivaient inlassablement. En passant à Vulcassum, voyant un homme en prières, ils lui demandèrent: "Toi, connais tu un nommé Clair", "Non" répondit il dans un premier mouvement de frayeur. Ils continuèrent donc leur chemin, mais Clair s'étant ressaisi et croyant avoir commis une grosse faute en cachant la vérité les appela : "Clair, c'est moi". Alors, se mettant à genoux et leur présentant sa tête il ajouta: "Périsse ce corps qui peut être l'objet d'un amour criminel"...Puis l'un de ses bourreaux lui trancha la tête. C'était le 4 novembre 884, Clair était âgé de 39 ans.
S'accomplit alors un miracle qui mit les meurtriers en fuite, Clair prenant sa tête à deux mains alla la plonger dans l'eau de la fontaine, puis il se rendit à son oratoire. De là il alla à l'église et se couchant à gauche de l'autel y marqua ainsi le lieu de sa sépulture. »(C'est moi qui souligne.)
Nous retrouvons ici non seulement la décapitation par les émissaires d'un ennemi juré, mais l'acte même de laver la tête tranchée à la fontaine.
Les choses ne s'arrêtent pas là : Clair avait débarqué en Neustrie avec un compagnon, Alford, qui échangea lui aussi son nom contre celui de Cyrin. Sanctifié lui aussi, ils sont fêtés tous les deux le 16 juillet, où leurs châsses sont portées en procession dans les rues du village. Ce qui se passe ensuite est bougrement intéressant :
Après une retraite aux flambeaux et le recueillement devant une chapelle, on allume un bûcher au pied d'un bouleau fraîchement abattu. Une couronne de fleurs est disposée à six mètres cinquante du sol. Si le brasier enflamme entièrement la couronne devant les reliques de saint Clair, alors le bonheur pour tous les habitants de saint Clair est assuré pour l'année.
Cette couronne de fleurs ne nous rappelle-t-elle pas celle de la légende des Fileuses ? Ne fait-elle pas écho à l'étymologie de Florent, fêté le 4 juillet comme le martyre de saint Laurian ? Et comment ne pas s'étonner de cette nouvelle résonance avec Flore Brazier, l'héroïne de la Rabouilleuse ?
Enfin, cette roue de feu, que nous retrouvons aussi, par exemple, dans un rite lorrain décrit par Philippe Walter1,me semble inscrite sur le sol même de la terre vatanaise.
Il faut revenir à Saint-Valentin.
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1« Une grande roue enflammée dévalait la pente de colline qui surplombe Sierck-lès-Bains en Moselle. Si elle avait été bien lancée, elle devait finir sa course dans les eaux de la Moselle. Cette roue fabriquée à l'aide de paille devait descendre le plus loin possible. Si elle plongeait dans la Moselle, c'était le signe que la récolte de vin serait excellente. » (Mythologie Chrétienne, op.cit. p.157.)
05 mars 2006 | Lien permanent
Chapelles et châteaux
Le château de Crozant se situe presque exactement au point médian d'une ligne unissant la Chapelle du Fer et La Chapelle-Baloue, village creusois, mais qui, comme Saint-Plantaire, relevait de l'abbaye de Déols. Pour bien confirmer sa vocation symbolique, cet alignement prend aussi dans sa course le hameau de Saint-Jallet et le manoir des Places ( comportant également une chapelle), et passe près du hameau nommé Chapelle Sainte-Foy. Il est particulièrement intéressant de retrouver ici la trace de la sainte qui fit les beaux jours de la célèbre abbatiale de Conques. Relatons brièvement l'histoire. Foy, jeune chrétienne de douze ans, convertie par saint Caprais, l'évêque de la ville d'Agen, fut victime des persécutions de Dacien en refusant de sacrifier aux dieux païens. Fouettée, placée sur un gril, elle fut enfin décapitée en compagnie de saint Caprais et d'un jeune païen récemment converti du nom de Prime. La chanson de sainte Foy, écrite en occitan à la fin du XIème siècle, place ce martyre le 6 octobre 303, ce qui donne lieu à une procession annuelle le dimanche suivant ce 6 octobre.
"Sur le coin inférieur gauche du tympan de l'abbatiale, Foy est représentée prosternée. Derrière elle, pendent les fers des prisonniers libérés par son intercession." (site aveyronnais) Comment ne pas penser aux fers de saint Jean ? Il se trouve qu'en cette même année 303 eut lieu le martyre de saint Pantaléon à Nicomédie, en Asie Mineure. Saint Pantaléon, titulaire de l'église de saint Plantaire, lui aussi condamné à la décollation (représenté par un tableau du 18ème siècle encore présent dans l'édifice). Décollation infligée également à saint Jean-Baptiste. Certes, le châtiment était courant, mais l'accumulation et la concordance de dates sont tout de même surprenantes. La chapelle des Places est elle aussi le but d'un pélerinage, récent celui-ci puisqu'il ne remonterait qu'au 18ème; mais il pourrait bien être l'écho assourdi de la tradition dont nous avons suivi les traces jusqu'ici. L'histoire qui en est le prétexte offre bien des points de comparaison avec les légendes que j'ai évoquées. Elle met en scène Gabriel-François de Foucauld, comte de Crozant : « A l'occasion d'une promenade qu'il effectuait dans la région de Crozant, Gabriel-François avait remarqué une jeune paysanne. Voulut-elle lui échapper, où à ses sbires ? La jeune fille se jeta à l'eau et se noya. Repentant, Gabriel-François aurait fait construire cette chapelle, où il a demandé à être inhumé aux côtés de sa jeune victime. Ainsi l'honneur d'une virginité et le repentir d'un grand seigneur ont-ils donné naissance au culte et au pouvoir miraculeux de la Vierge des Places. » (Gilles Rossignol, Le Guide de la Creuse, La Manufacture, 1988, p. 72) Ce n'est pas tout : cette ligne des chapelles est contrebalancée par une ligne des châteaux qui lui est perpendiculaire. Châteaux de Clavière, du Faisceau et surtout de Chazelet. L'église de cette paroisse est précisément dédiée à saint Jean-Baptiste. Elle renferme le tombeau de Guillaume d'Aubusson (16ème) provenant de l'ancienne chapelle de Chassingrimont, où les vestiges d'un château-fort sont encore visibles. C'est d'ailleurs François Pot, seigneur de ce lieu qui fit construire Chazelet au milieu du 16ème siècle, seigneur également du château de la Prune, dit la Prune-au-Pot, sur l'axe Tilly-Verneuil-sur-Igneraie. Si l'on prolonge l'axe des châteaux au-delà de Chazelet, on atteint un autre hameau dit Le Colombier et surtout le village de Luzeret. Chassingrimont évoquant bien évidemment le Chassin, nous retrouvons là encore le réseau Bélier-Balance décelé à la fin de l'investigation sur le Bélier. Comment interpréter maintenant cette croisée diagonale ?06 juin 2005 | Lien permanent
Buxus Sempercentrum
Au centre du carré sacré, Bouesse et Buxières d'Aillac portent la marque du buis. Sans parler des lieux-dits, deux autres communes indroises partagent une semblable étymologie. La Buxerette, tout d'abord, Labussière au XIIIème siècle, près de la forêt de Montpeget : ce petit village n'est pas sur un axe de notre figure mais en revanche il se place sur le méridien de Neuvy Saint-Sépulchre. Cependant Neuvy, pas très éloigné, notons-le, du centre Buxièrois, ne semble pas à l'époque celtique ou préceltique, avoir l'importance qu'il aura par la suite.
Plus intéressant pour nous est le village de Buxeuil, au nord. Il est en effet fort proche du centre de la roue de saint Phalier. Le Rouet, le lieu-dit le plus proche du centre exact de la roue, est situé à la limite de cette commune avec celle de Poulaines. Le nom même est celtique : Buxeuil signifie la clairière de buis (gaulois ialo, "clairière"). On y a retrouvé de l'outillage néolithique et des monnaies gauloises.
Sur la même commune, quasiment sur le parallèle du Rouet, on repère aussi une fontaine Saint-Martin, assortie d'une chapelle. On assure que la dévotion est fort ancienne. Elle serait également fort récente... puisque Jean-Mary Couderc assure qu'en 1974 encore, on y a trouvé un talon du tiercé au pied de la statue de Saint-Martin...
20 mars 2008 | Lien permanent