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Par eaue de Bloys estoit arrivé
"Au sixième iour subsequent Pantagruel feut de retour: en l'heure que par eaue de Bloys estoit arrivé Triboullet. Panurge à sa venue luy donna une vessie de porc bien enflée, & resonante à cause des poys qui dedans estoient: plus une espée de boys bien dorée: plus une petite gibbessière faicte d'une coque de Tortue: plus une bouteille clissée pleine de vin Breton: & un quarteron de pommes Blandureau."
Tiers-Livre, chapitre XLV
Pourquoi le fol Triboullet arrive-t-il de Blois ? C'est Claude Gaignebet qui nous donne la réponse dans son maître-livre : " Les tailleurs de pierre du château de Blois à la Renaissance savent encore traduire en image le calembour du De Petitu : "Blesensis" (de Blois) suggère à la fois Blaise et le souffle. Ils honorent leur saint patron en multipliant, sur les corbeaux, les retombées et les modillons (comme ici), le péteur." (A plus haut sens -Esoterisme spirituel et charnel de Rabelais, Maisonneuve et Larose, 1986,Tome I, p. 66)
Le même auteur évoque Triboullet dans un tout petit livre paru l'an dernier aux éditions Lume, Rabelais, le Tiers Livre et le jeu de l'oie :
"(...) Le Jeu est fini... ou presque, car Pantagruel le relance par ce qui est au-delà du jeu, la Folie. Triboullet (note ce tri) est celui qui joue des boules comme on le fait dans une célèbre gravure de Brueghel.
Regarde bien. L'un fait avec les doigts le signe des cornes du cocu. L'autre ranime sa boule du vent de la chemise. Observe les boulistes du jardin du Luxembourg. Celui-ci souffle sur sa boule. Le perdant, qui manque de souffle, ira le chercher au cul de la Fanny (Stéphanie est couronne) ou de la Vieille.
Ce Triboullet (a-t-il perdu la boule ?), en accord avec son nom, reprend la triplication des signes. Coup-de-poing (battu), cornemuse (cocu). Mais où est passé le "desrobé" ? Non seulement Panurge n'a pas été volé mais il y a là pour lui un trait de lumière, la bouteille lui a été rendue ! Le voilà renvoyé à l'oracle de la Bouteille."
La fête des fous, 1559, d'après Brueghel
En fait, le dessin de Brueghel a été gravé par Pieter Van der Heyden.
L'image est accompagnée dans la marge de quatrains et de distiques en flamand et en français. Par exemple :
Ghy Sottebollen met u ÿdelheÿt gequelt,
Comt al ter baenen toch, due lust hebt om te rollen,
AI wordt den een syn eer, en dander quÿt sÿn geldt,
De wereldt even prÿst de grootste Sottebollen.
suivi de sa traduction :
Vous Fols qui de la teste Incessament louez
qui avez le Cerveau remply de vanitez
Venez, et accourez soÿez de ceste bande
Perdant honneur et biens, Le monde vous le commande
Ce nom Sottebol qui désigne le fou en flamand, n'est pas sans rappeler le Triboullet rabelaisien : "Il n'est guère possible, écrit Jean-Philippe Moutschen, de traduire adéquatement le mot Sottebol qui revient plusieurs fois dans le texte accompagnant cette estampe et qui est à la base de la scène que celle-ci évoque. Dans aucune langue on ne trouve son équivalent. En flamand un sottebol désigne un fou , sot, dont la tête, assume la forme d'une "boule", bol. Familièrement et métonymiquement le mot bol est couramment employé en flamand pour le mot "tête". Ceci se produit dans de nombreux proverbes flamands et locutions analogues: Hij heeft het hoog in zijn bol, litt.: il l'a haut dans la tête = il est prétentieux; iemands bol wassen, laver la tête à quelqu'un; pijn in zijn bol hebben, avoir mal à la tête; zijn bol draait zot, sa tête tourne fou. Ainsi, c'est le sens figuratif de l'appellation flamande sottebol, folie, tête folle, qui peut servir de point de départ à la compréhension de ce que Bruegel a mis en image. Étant rassemblés dans une fête commune, les fous les plus divers s'y livrent à des ébats débridés et rivalisent de tours pour atteindre avec leurs "boules" le piquet dressé à droite de l'avant-plan. Dans tout cela, inspiré, une fois de plus, par les aspects sous lesquels se révèle la folie des hommes, Bruegel manifeste sa verve et son humour dénonciateur en partant du jeu de mot que lui suggère l'appellation flansiande, le mot bol pouvant être pris dans le sens à la fois de « boule » et de « tête »."
Toujours est-il que, grâce à Triboullet, Panurge est renvoyé à la Dive Bouteille, et nous-même bouclons la boucle que nous avions commencée avec Aquarius et la naissance de Gargantua.
"A boire", hurlait celui-ci, tout juste sorti de l'oreille gauche de Gargamelle.
"De ce poinct expédié, à mon tonneau ie retourne. Sus à ce vin compaings. Enfans beuvez à plein guodetz."
Trinquons, compères, nous allons enfin pénétrer en Poissons.
14 novembre 2008 | Lien permanent | Commentaires (2)
Le peintre des Gaules
"L'axe Vézelay - La Rochelle, qui frôle Bourges, dont la cathédrale est dédiée à saint Etienne le lapidé, l'homme dissous par la pierre brute, et traverse les marécages de la Brenne, gouffre ombilical des Gaules, pour aboutir à ce port dont le nom, La Roche-Hélios, la Pierre-Soleil, annonce la métamorphose, au bout du pays qu'illustrèrent les miracles de la Mère Lucine, est le chemin d'étoiles de la Femme Perdue, dragon humanisé."
Guy-René Doumayrou, Evocations de l'Esprit des Lieux, p. 112
Au coeur de la vertigineuse perspective projetée par Doumayrou, se love donc la Brenne, qu'il qualifie de "gouffre ombilical des Gaules". Or, découvrant la semaine dernière les visées symboliques autour des châteaux du Bouchet et de Salvert, je ne fus pas peu surpris d'apprendre que ces terres avaient été hantées, non pas cette fois par un de ces êtres blafards et menaçants qui peuplent les légendes brennouses, mais par un artiste authentique dont le surnom n'était pas sans écho avec leur vocation. C'est en effet en glanant quelques renseignements sur Douadic, le village proche de Salvert, que la figure d'Evariste-Vital Luminais vint en pleine lumière. Ce peintre du XIXème siècle, né à Nantes en 1821, est venu pendant quarante ans séjourner en Brenne, à Douadic justement , au lieu-dit La Petite Mer Rouge. Mort à Paris en 1896, c'est pourtant à Douadic qu'il est inhumé.
Ceci dit, quel rapport avec notre sujet ? Eh bien c'est que tout simplement Luminais est communément désigné comme le Peintre des Gaules : ainsi la notice de Wikipédia écrit-elle que "Peintre des Gaules, il représenta des scènes de bataille des différents peuples qui s'y sont affrontés. Les Romains allaient au combat équipés de cuirasses à éléments métalliques, et rôdés aux techniques d'attaque par leurs campagnes précédentes. Téméraires, les Celtes les affrontaient torse nu, protégés par leurs seuls casques et boucliers." Elle suit en cela le titre du catalogue d'une exposition dédiée à " Evariste Vital Luminais, Peintre des Gaules,1821-1896" organisée en 2003 par les Musées de Carcassonne et de l'Ardenne à Charleville-Mézières. Dénomination reprise par le Musée des Beaux-Arts de Quimper : "Peintre nantais, il est l'élève de Léon Cogniet et de Troyon. Dès ses premiers salons, il expose des scènes de genre et des sujets puisés dans la vie des pêcheurs et dans l'histoire de l'Ouest. Après 1848, il devient le "peintre des Gaules"."
Peintre des Gaules, Luminais l'est devenu pour avoir, précise encore l'auteur de la notice de Wikipédia," largement participé à la diffusion de l' iconographie nouvelle véhiculée par les manuels scolaires et l'idéologie de la IIIe République, c'est à cette époque que naquit cette imagerie d'ailleurs fausse du gaulois au casque ailé et aux longues tresses blondes qui a bercé notre enfance. Ainsi la scène du tableau Gaulois revenant de la chasse comporte quelques anachronismes, notamment dans l'habillement : braie et haut-le-corps serrés. Il s'agit ici d'un retour de chasse et non d'une scène guerrière, le casque représente bien plus un accessoire nécessaire à la caractérisation du Gaulois, qu'un attribut guerrier. La longue chevelure rousse participe à l'idée que l'on se faisait des gaulois au XIXe siècle.
De même pour la toile En vue de Rome, où la représentation des casques et du bouclier de gauche est très fantaisiste. L'aventure des Celtes en Italie a frappé très tôt de manière durable l'imagination des artistes. Cela peut à nos yeux friser parfois le ridicule et cependant certaines de ses peintures semblent surgir d'un lointain passé qui nous interroge et que nous questionnons sans vouloir trop nous y arrêter."
Au-delà de la véracité des représentations, l'essentiel réside bien dans cette puissance de rêverie à l'oeuvre dans les tableaux de Luminais. Sa toile la plus célèbre, Les énervés de Jumièges, elle-même fondée sur une légende, n'en finit pas de nourrir les interprétations les plus diverses, les songes les plus glauques ou les plus flamboyants. Il reste surtout que je n'en reviens pas de cette coïncidence, une de plus : le Peintre des Gaules au coeur du gouffre ombilical des Gaules.
Les énervés de Jumièges, Musée des Beaux-Arts de Rouen
Et ce gouffre n'est pas qu'une métaphore...
16 février 2009 | Lien permanent | Commentaires (9)
Béatrix, Breton et les coïncidences
"Une fois dans ma chambre, tu seras mon prisonnier. Ah ! nous y resterons ensemble jusqu'à quatre heures. Vous emploierez ce temps à lire et moi à fumer ; vous vous ennuierez bien de ne pas la voir, mais je vous trouverai des livres attachants. Vous n'avez rien lu de George Sand, j'enverrai cette nuit un de mes gens acheter ses œuvres à Nantes et celles de quelques autres auteurs que vous ne connaissez pas. Je sortirai la première et vous ne quitterez votre livre, vous ne viendrez dans mon petit salon qu'au moment où vous y entendrez Béatrix causant avec moi. Toutes les fois que vous verrez un livre de musique ouvert sur le piano, vous me demanderez à rester. Je vous permets d'être avec moi grossier si vous le pouvez, tout ira bien."
Honoré de Balzac (Béatrix)
En 1951, Gracq écrit un texte sur Béatrix, un roman de Balzac qu'il affectionne particulièrement. Court texte (onze pages), repris dans Préférences, qui se termine par une évocation d'André Breton, en un seul long paragraphe isolé du reste par un saut de ligne. Qu'on me permette de le citer ici in extenso : il enferme une si prodigieuse richesse de significations qu'il décourage presque le commentaire. Disons seulement qu'on y retrouvera, outre l'attention à ces coïncidences qui fondent notre approche personnelle, la récurrence des mots de rumeur et de sortilège déjà mis en évidence dans ma note précédente :
"Au mois d'août 1939, à Nantes, je rencontrais pour la première fois André Breton. Presque dès les premiers mots, j'étais amené je ne sais pourquoi à faire allusion à Béatrix, que Breton n'avait pas lu. Assez intrigué, il tira de sa poche un anneau de clé qu'il avait quelques jours auparavant ramassé sur une plage, tout frais abandonné par la mer. Un nom s'y lisait, à demi rongé : Béatrice ou Béatrix. Il attache une particulière importance à la collecte de ces menues et énigmatiques épaves. Peu après il fut amené à préciser qu'en chemin de Lorient vers Nantes, des difficultés de correspondance imprévues l'avaient retenu pour un court et très inopiné séjour à Guérande, toujours si à l'écart des grandes routes. Il ignorait bien entendu que là se situait l'action de Béatrix. On sait qu'il met de la complaisance à accueillir de telles coïncidences, à s'interroger sur le passage, l'approche inconnue qui peut-être seule rendrait compte de ces sautes simultanées, de ces menus écarts concordants de l'index encré sur le tambour où s'enroule le fil de notre vie. Cette complaisance, d'habitude, je m'en sens moins pourvu que lui. Mais ce livre si merveilleusement dépareillé, si singulièrement échoué dans un repli de l’œuvre (et il est significatif que ce soit le seul grand livre de Balzac que battent d’un bout à l’autre les vagues), j’aimerais accueillir cette invite à le considérer – sa fureur d’océan, sa folie dépaysante – à la façon de ces survenants énigmatiques de qui l’on prolongeait autrefois dans l’imagination la rumeur fabuleuse en disant qu’ils venaient " d’au-delà de la mer ". Je me souviens… Derrière les meules blanches du sel, toujours battue des houles aveugles, la côte de Guérande, à l’égal des rivages monstrueux de la Crète, garde son emportant prestige de royaume au bord de la mer. En fermant les yeux, en fermant le livre battu comme un rocher de tant de fièvre j’entends le bruit merveilleux, le bruit unique qu’il approche de mon oreille comme un coquillage. On dirait que le vieux sortilège celte est descendu sur ces pages sans cesse en rumeur. Saint-Nazaire, où Elle débarque, minuscule bourgade dans le livre, est devenu ville, a disparu. " Tout a changé en Bretagne, hormis les vagues, qui changent toujours ". Mais les rochers guettent toujours vers le large les merveilles et les signes, et la mer, image de la Rencontre, jusque dans les humbles trésors du sable, reste l’énigmatique Médiatrice, rejetant un jour au rivage l’auge de pierre des chevaliers – fées, la nef où Tristan armé rêve au Morholt et court vers Iseult, et un autre la malle où Calyste déchiffre un nom et le sang s’est retiré de ses joues : Béatrix de Rochefide.(217)
16 janvier 2008 | Lien permanent
Le facteur de coïncidences
Dans Sacrifice, le chef d'oeuvre d'Andreï Tarkovski, le facteur Otto se présente aux membres de la maisonnée réunis pour l'anniversaire du personnage principal du film, Alexandre, comme un collectionneur d'événements : événements singuliers qui défient la raison humaine. J'inclinerai volontiers à me présenter également comme un collectionneur, un collecteur de ces micro-événements qui parsèment nos existences et qu'on renvoie le plus souvent à l'anodin et à l'insignifiant, se hâtant d'en sourire pour ne pas réfléchir plus avant. Saillies du quotidien qu'on nomme coïncidences, et dont sans plus tarder je veux donner ici le plus récent exemple vécu. Revenant samedi d'une matinée de travail dans le petit village de Montipouret, je rejoins la route de Châteauroux au-dessus de Corlay. Sur France-Culture, on ne parle que de la mort prochaine du pape Jean-Paul II. Je réalise soudain que ce flamboyant camion rouge que je suis depuis quelques kilomètres est d'origine polonaise : le blason et le sigle PL ne laissent aucun doute. Je pioche mon appareil numérique dans mon sac et je prends une photo du camion. Je m'approche le plus près qu'il m'est possible : la plaque d'immatriculation - KAO 995P - attire le commentaire. Désigne-t-elle la mise au tapis du vieux boxeur spirituel ? Ou annonce-t-elle le chaos où risque de plonger l'Eglise avec la mort de son souverain pontife ? Pour prendre une nouvelle photo plus rapprochée, il me faudra attendre de rentrer dans Châteauroux et là encore, je crus bien devoir y renoncer car à trois reprises les feux passèrent au vert à notre arrivée, ne me laissant pas le temps d'armer mon appareil. Mieux, le camion s'engouffra dans le quartier Saint-Jean, ce qui me déviait de ma propre route. Tenace, je le suivis mais il se gara alors un peu plus loin sur le côté droit. Avait-il repéré ma traque ? S'en inquiétait-il ? Je n'osais m'arrêter moi aussi et, un peu déçu, le dépassai. Deux cents mètres plus loin, je stoppai à mon tour pour rebrousser chemin. Et voilà que le camion repart et vient s'arrêter à ma hauteur... Un homme descend, une carte routière à la main. Il m'explique qu'ils cherchent la route de Blois... Il est clair qu'ils sont perdus, mes routiers polonais. J'invite donc l'homme à me suivre, je me fais fort de les remettre dans le droit chemin... Je repars, mais je me suis sans doute mal fait comprendre car ils font demi-tour... Têtu, je les suis à nouveau et là, au feu rouge de la rue Combanaire, je prends enfin ma photo : Je les abandonne un peu plus loin sur les boulevards. Plus tard, à la maison, c'est la provenance du camion, indiquée au bas de la plaque - Bielsko Biala - qui m'interroge. Le nom ne me dit rien, mais s'il avait lui aussi un rapport avec le pape, il me semble que la coïncidence en serait encore rehaussée. Une première recherche sur le net est décevante : ville historique de Silésie, Bielsko Biala ne m'apporte aucun indice. C'est que j'étais encore trop ignorant de la biographie papale : les informations m'apportent l'élément manquant. Le lieu de naissance de Karol Wojtyla : Wadowice. Un nouvelle recherche m'indique que les deux villes sont fort proches :
Mieux, j'apprends de source vaticane, que le propre père de Jean-Paul II (prénommé également Karol), est né à Lipnik, près de Bielsko Biala. ................................................ Il fait partie des cinq blogs que je consulte quotidiennement : le JLR, le Journal Littéréticulaire de Patrick Rebollar, alias Berlol : l'article du samedi 2 avril rejoignait merveilleusement, c'est le cas de le dire, ces présentes observations : "Les coïncidences sont des étincelles, elles éclairent joyeusement ou mettent le feu. Elles font rejouer dans notre présent les morceaux de passé qu'elles entrechoquent et les relancent vers un destin merveilleusement inconnu".03 avril 2005 | Lien permanent | Commentaires (9)
La roue de Taranis
Nesmes me me laisse pas en paix, la Forêt de la Luzeraize m'intrigue. Depuis quelques jours, je ne cesse de regarder cette carte, comme si elle était dépositaire d'un secret qui se dérobe à peine est-il entraperçu. J'ai maintenant une intuition que je me propose d'approfondir. On verra bien où cela nous conduira.
Considérons la forme de la forêt : un long croissant étroit traversé longitudinalement par une très longue allée. Si l'on prolonge en imagination la courbe de cette allée, on atteint Nesmes avant de replonger dans la sylve du Bois de Paillet. Nesmes, clairière entre deux massifs forestiers. La tentation est grande de tracer le cercle esquissé par la Luzeraize. Je propose de prendre pour centre le point de croisement entre l'axe équinoxial (le parallèle de Neuvy Saint-Sépulchre) et la route Bélâbre-Ruffec (ce dernier village abritait un prieuré fondé au milieu du 9ème par Raymond, vicomte de Limoges et comte de Toulouse). Ce centre est très proche d'un étang nommé Etang de la Rouère, que je m'empresse bien sûr de lire comme l'étang de la Roue... D'autant plus que dans la direction de l'étang par rapport à ce centre se profile très précisément le lieu-dit La Rouère. De nombreux étangs sont d'ailleurs présents sur la circonférence de la Roue, dont deux étangs de la Luzeraize et l'étang des Grands Fourdines, au nord de Ruffec. Certes, dira-t-on justement, nous sommes en Petite Brenne, où les étangs sont légion... Et pourquoi une Roue en ce pays bélâbrais ? Rappelons qu'étymologiquement le Zodiaque est la roue de la vie. Mais poursuivons le thème celtique, puisque nous sommes entrés ici en s'interrogeant sur le sanctuaire, le nemeton : la roue apparait en effet comme une figure très fréquente dans l'iconographie celtique. On la découvre le plus souvent "dans les sculptures gallo-romaines en compagnie du Jupiter celtique, communément appelé dieu à la roue ou Taranis, ou encore du cavalier au géant anguipède"(Dictionnaire des Symboles, p.828). Taranis (Musée de Copenhague). Détail du chaudron de Gundestrup Or, Jupiter est, selon Michel Provost (Le Val de Loire dans l'Antiquité, CNRS Editions, 1993), le grand dieu des Carnutes :"C'est autour de lui que se regroupent les divinités de Vienne-en-Val. C'est la seule civitas du Val de Loire où l'on rencontre des dédicaces à I.O.M [Iupiter Optimus Maximus], et où il est associé au culte impérial (à Orléans et à Vienne-en-Val). Le département du Loiret est également le seul où l'on ait trouvé tant des statuettes en bronze que des bagues représentant Jupiter, que le symbole de la roue et surtout un groupe au cavalier et à l'hippophore. Il semble donc que l'on puisse écrire que Jupiter occupe le principal rôle dans la panthéon carnute."Tout se passe donc comme si les Bituriges avaient voulu en ce point très précis de leur territoire fonder un nemeton qui soit la réplique du grand nemeton carnute qui rassemblait chaque année les druides de toute la Gaule. Un autre indice est la présence au coeur de la roue de l'église de Jovard, près de Bélâbre, du 12ème comme la chapelle de Nesmes. Je ne suis pas le premier à lire ce nom de Jovard comme une dérivation de Jovis (Jupiter en latin). Un pélerinage à Notre-Dame de Jauvard est encore pratiqué, sur lequel je regrette de ne pas posséder de plus amples informations. Notons enfin, et j'en terminerai là pour aujourd'hui, que l'alignement du centre de la Roue avec Nesmes conduit à Château-Guillaume au Sud et à Ruffec au Nord, rejouant donc à cette occasion l'affrontement Toulouse-Poitiers.
01 mai 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)
Visite à Jovard
Je suis allé à Jovard. Après un samedi de grisaille, c'était un bonheur que de rouler dans la lumière de la campagne bélâbraise. La chapelle, de belles dimensions, semblait nous attendre paisiblement dans son carroir fleuri. Le ruisseau en contrebas se glissait entre les feuillages, dans la lenteur des prairies piquetées d'or. Et, contrairement à Nesmes et à Saint-Hilaire, le portail était ouvert et nous pûmes à loisir goûter la paix de l'édifice. Un petit historique dans le narthex confirmait les notes que j'avais retrouvées voici quelques jours sur le pélerinage de Jovard, issues de la lecture d'un autre précieux volume du Florilège de l'eau en Berry, de Jean-Louis Desplaces. Selon la légende, les moines du prieuré voisin de l'Epeau, jaloux de la statue de la Vierge à l'Enfant possédée par le prieuré de Jovard, auraient soudoyé un malfaiteur pour qu'il la vole.Le malandrin, surpris en flagrant délit par la colère divine, aurait été foudroyé à la limite des deux prieurés, au lieu-dit le Magnoux. Une source jaillit alors à cet endroit, d'où la statue s'échappa des bras de son ravisseur. Selon une autre tradition, ce serait là que la Vierge se serait arrêtée la troisième fois. En tout état de cause, elle serait retournée seule à la chapelle de Jovard après s'être reposée sept fois. Chacune des haltes est marquée par une croix. Le pélerinage reprend cet itinéraire avec ses sept stations. Mgr Villepelet (cité par J.L. Desplaces): « Parfois, avant le lever du soleil, des pélerins avaient déjà fait leur « voyage », c'est-à-dire leurs visites aux sept croix du chemin de la Bonne Dame. » Il s'agit maintenant de voir ce que peut recouvrer cette légende du vol de la statue. Examinons les sites concernés sur une carte plus précise que celles dont je me suis servi jusqu'ici : la carte IGN au 1/25 000 de Bélâbre (c'est toujours pour moi une plongée merveilleuse que la découverte d'une nouvelle carte : des lieux nouveaux apparaissent comme par enchantement, des noms, des chemins, des accidents du paysage imprévus qui ouvrent un nouvel horizon, de nouvelles pistes d'interprétation). Il n'y a plus trace du prieuré de l'Epeau qui relevait de l'abbaye de Grandmont en Limousin puis de celle de Puychevrier en Berry : un lieu-dit garde le nom. L'alignement avec Jovard passe par un autre minuscule lieu-dit, une seule habitation nommée curieusement Salomon. Or, elle est non seulement équidistante des deux sites mais elle se situe exactement sur l'axe Luzeret-Béthines. Quant au Magnoux, sa position détermine un triangle rectangle Epeau-Magnoux-Jovard.
Je repense alors au dernier commentaire de LKL sur l'extrait de Ph. Jaccottet :« Pendant plus de 6000 ans le carré barlong a chanté le sacré sur la surface du monde, bien avant le mètre étalon, de l'Egypte, à la Chine jusqu'a Stonehenge. Depuis que certains "modernes" ont (volontairement) ouvert la colonne du Temple de Salomon et rejeté la coudée, qui se soucie du sens secret de la mesure, de son symbole et de la musique des racines et des nombres? »Encore une fois, il rencontre de façon prémonitoire l'objet de mon enquête... Salomon est le centre du cercle passant par Jovard, le Magnoux et l'Epeau. Une nouvelle Roue se laisse donc percevoir, dont on remarquera qu'elle s'inscrit harmonieusement dans la courbe même que décrit la rivière Anglin, entre La Forge et Bélâbre. D'autres questions se posent : l'Epeau ne cacherait-il pas l'Epona celtique ? L'axe Epeau-Jovard conduit en tout cas à la Gastevine puis à Bois Pictaveau, qui rappelle les Pictons (ou Pictaves) gaulois, dont on a vu les liens avec la déesse aux chevaux. Que signifie la présence de ce hameau dit Carthage, à la sortie du chemin de l'Epeau ? Il me faudrait également relever le circuit exact des sept croix (deux seulement sont signalées sur la carte). Il faudra revenir à Jovard.
12 mai 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)
Bootes
Je l'ai écrit dans un commentaire : la clé est astronomique. Cette forme de cerf-volant qu'affecte le parcours du pélerinage, avec cette pointe dont l'extrémité est la fontaine même de Vaudouan, est en effet étrangement proche du dessin de la constellation du Bouvier (Bootes). La source occupe la position de la brillante étoile Arcturus, qui donnait jadis son nom à la constellation tout entière.
Pourquoi le Bouvier ? A mon avis, parce que cette constellation, également nommée le Laboureur, le Gardien des Boeufs ou le Moissonneur, outre qu'elle fait écho à la génisse blanche de la légende, est voisine de la constellation de la Vierge (Virgo), de telle sorte que quand celle-ci disparaît à l'horizon, le Bouvier s'abaisse et semble la suivre. Aussi bien un mythe en a-t-il fait le mari ou le père de la virginale Érigone qui présidait aux moissons.
Bien d'autres mythes s'attachent au Bouvier. Je ne saurais trop conseiller la lecture de l'excellent article que lui consacre Francesco Lo Bue, dont voici un extrait particulièrement passionnant en ce qui nous concerne :
« Selon un mythe grec, le Bouvier représenterait Triptolème, placé dans le ciel à côté de sa charrue, la Grande Ourse. Celui-ci avait révélé à Déméter, la déesse des moissons, le nom du ravisseur de sa fille Perséphone. En remerciement, la déesse confia à Triptolème les secrets de la culture du blé et de l’agriculture, et lui donna comme mission de répandre ce savoir chez tous les peuples de la Terre.
D’autres auteurs prétendent que le Bouvier représente Philomélos, l’un des deux fils nés de l’union de Déméter et de Iason, qui inventa l’attelage et fut placé sur la voûte céleste en remerciement de ses bienfaits. Dans la même veine, les Romains voyaient dans le Bouvier le gardien des sept boeufs de la Grande Ourse, qui tournent en rond pour battre le blé autour du Pôle céleste. Le terme « septentrional » dérive du latin « septem triones », les « sept
boeufs » (de la Grande Ourse). »
Il est en outre remarquable de noter que, de même que dans l'axe du Bouvier céleste, se trouve l'Epi de la Vierge (Spica), le prolongement du chemin rectiligne ouest du pélerinage de Vaudouan atteint l'église de Pouligny Saint-Martin, d'origine romane, où des fresques des travaux des champs datés du début du XIIIème siècle témoignent encore de la symbolique agricole de l'ensemble cultuel. Peut-être n'est-ce pas hasard non plus si l'alignement désigne la tour Gazeau, vestige d'un château féodal cité en 1090 qui a servi de cadre romantique à Mauprat, le roman de George Sand.
Enfin, si l'on observe que dans le ciel nocturne le Bouvier se situe dans le prolongement de la Grande Ourse, on s'aperçoit que le village de Briantes occupe la position de celle-ci par rapport à Vaudouan. Or, l' « étymologie de Briantes, écrit Stéphane Gendron, est probablement gauloise, *Brigantium, avec briga « hauteur, mont », peut-être « forteresse ». Briga est un élément de composé fréquent en toponymie pour désigner des sites de hauteur (comp. v. irl. bri « colline ») et d'anciens oppidum.» (Les Noms de Lieux de l'Indre, op.cit. p. 3)
Comment dès lors ne pas penser au Brug na Boyne du Dagda, le Jupiter irlandais ? Littéralement, il s'agit de l' « Auberge » ou de « l'Hôtel de la Boyne », désignant sa résidence qu'on localise dans le tumulus protohistorique de Newgrange, où l'on retrouve également le nom de Boann, la maîtresse du Dagda et Minerve celtique.
11 octobre 2005 | Lien permanent | Commentaires (2)
L'ange et le bourdon
"Ce fut bien pis lorsqu'on sortit des sables pour descendre dans les terres grasses et fortes de la Vallée-Noire. Aux lisières de ce plateau stérile, madame de Blanchemont avait admiré l'immense et admirable paysage qui se déroulait sous ses pieds pour se relever jusqu'aux cieux en plusieurs zones d'horizons boisés d'un violet pâle, coupé de bandes d'or par les rayons du couchant. Il n'est guère de plus beaux sites en France."
George Sand (Le Meunier d'Angibault)
Ph. Audoin : « On y voit un homme vêtu du traditionnel costume des Jacques, appuyé sur son bourdon et suivi d'un petit chien bondissant. Ce pèlerin ressemble à s'y méprendre au Mat du tarot que nous avons déjà mis en relation avec le Mercure, à ce détail près que son compagnon de route ne déchire pas ses braies. »
« Le « Bourdon », précise André Savoret, était un long et solide bâton dont le haut était taillé en forme de gourde. Le plus souvent, une vraie gourde, compagne obligée de l’errant, y était fixée. Dans l’ordre spirituel, la « gourde » était analogue à la « dive bouteille » et au « chaudron » contenant l’élixir d’immortalité dont parlent les anciens bardes gallois. »
Le hameau de Gourdon, sur une hauteur dominant les deux ruisseaux du Gourdon et de l'Aubord et l'ancien passage à gué nommé Guéchaussiot, hameau balisant donc l'axe Sarzay - Neuvy, apparaît comme le mot-valise idéal rassemblant gourde et bourdon. Son étymologie est par ailleurs incertaine : Stéphane Gendron écrit juste « qu'on peut risquer un rapprochement avec l'ancien nom de Sancerre, Gortona au 1er s. av. JC. » (Les Noms de Lieux de l'Indre, p.9), nom qui semble exprimer une notion de hauteur. Il admet comme possible l'existence d'un ancien oppidum.
Ph. Audoin : « A droite du pèlerin se tient, sur un escarpement, un château auquel nul chemin visible ne conduit. C'est à l'évidence, le château du Graal, ou le Palais fermé du Roi dont Philalèthe se flatte d'ouvrir la porte au disciple. C'est dans ce château que le pèlerin mercuriel doit pénétrer pour en rajeunir le roi. Un ange aux ailes éployées surgit de la broussaille et semble, d'une main l'accueillir, de l'autre lui désigner le haut lieu. »
Stéphane Gendron a beau affirmer que « l'assertion, rapportée par Gillian Tindall, selon laquelle la commune de Sarzay serait un écho lointain de la présence des Sarrasins est sans fondement. », je ne puis m'empêcher de rapprocher ce nom de la ville de Sarraz, mentionnée dans La Quête du Graal de Robert de Boron : « Quarante-deux ans après la passion de Jésus-Christ, il advint que Joseph d'Arimathie, le gentil seigneur qui détacha Notre Seigneur de la Sainte Croix, quitta Jérusalem avec nombre de ses parents. Ils marchèrent, jusqu'au moment où Notre Seigneur leur commanda d'aller en la cité de Sarraz, que tenait Ewalach, un Sarrazin. »
L'ange, alors, se tiendrait à Angibault – lieu-dit et moulin, théâtre de l'un des plus célèbres romans de George Sand, Le Meunier d'Angibault - situé en aval de Sarzay sur la Vauvre, qui plus est sur son méridien. Sur le roman, il y aurait beaucoup à dire : notons seulement pour l'instant que la romancière y rebaptisa Sarzay en Blanchemont, ce qui introduit un chiasme suggestif avec la Vallée Noire, désignation proprement sandienne de cette partie du pays berrichon qu'elle prit pour cadre de ses romans dits champêtres, et dont elle fait dans ce roman même la description célèbre qui ouvre cette note.
08 février 2006 | Lien permanent | Commentaires (2)
Apollon Grannus, Erichtonios et Sirona
Cette eau qui court souterrainement, mélusinienne ou diabolique, j'avais souvenance d'en avoir eu un exemple celtique. Un rangement de revues m'a permis de remettre la main sur le numéro 162 des Dossiers d'Archéologie, de juillet-août 1991, consacré à "Grand, prestigieux sanctuaire de la Gaule". Ce petit village des confins de la Champagne et de la Lorraine abrite quelques-uns des plus formidables vestiges du monde romain dont un amphithéâtre de 17 000 places ( alors que Grand ne compte plus actuellement que 518 habitants). Sur ce plateau calcaire dont l'aridité est notoire, c'est pourtant à un sanctuaire de l'eau, dédié à Apollon-Grannus, dieu-guérisseur, que nous avons à faire. Une résurgence, près de l'église, est le point central d'un territoire défini, d'une part par un rempart hexagonal renfermant le temple, d'autre part par une enceinte circulaire (ou pomerium) dont l'empreinte est encore nettement visible (les anciens cadastres la mentionnent comme "la Voie Close"). Une vaste étude hydrogéologique menée grâce au mécénat d'EDF a clairement établi que les Romains avaient une parfaite maîtrise du réseau hydrologique souterrain : pour que la source se manifeste en toute saison, ils avaient aménagé un système de galeries de part et d’autre de la rivière souterraine permettant ainsi de capturer les eaux de deux bassins versants latéraux.
La christianisation du site se lit à travers l'histoire de sainte Libaire : "Selon la légende dorée, Libaire, l’une des cinq enfants d’une famille patricienne, convertie au christianisme, fut martyrisée en 362 sous le règne de Julien l’Apostat pour avoir refusé de sacrifier aux dieux païens. Elle fut décapitée à l’extérieur du sanctuaire, en bordure de l’ancienne voie romaine de Grand à Soulosse. Et là le miracle se produisit. Elle prit elle-même sa tête et, entrant dans Grand, vint la laver à la source qui était " au milieu de la cité, puis elle s’endormit dans le Seigneur " et si un infirme buvait de l’eau où sainte Libaire était venue laver sa tête, il était guéri."
Ce site fascinant pose encore nombre de questions. Ainsi, le tracé du rempart n'a pas encore reçu d'explication. Aucune contrainte du relief, aucune nécessité militaire ne justifie ses six côtés irréguliers. "C'est d’ailleurs, signale Chantal Bertaux, le seul rempart de l’époque gallo-romaine en Lorraine à avoir été édifié en temps de paix." Elle écrit en 1991 qu'il s'agit peut-être "d'une projection au sol d'un schéma astral." Depuis la parution du dossier, aucun élément nouveau n'a été découvert si l'on en juge par la lecture du site de Grand, qui ne fait que reprendre sous une forme condensée les données établies voici dix-sept ans.
Pourtant, si l'on évoque un possible schéma astral, il n'est pas très compliqué de consulter un atlas d'astronomie pour rechercher si le dessin d'une constellation donnée peut bien correspondre avec la figure hexagonale du rempart. Disons tout de suite que je n'ai pas trouvé l'adéquation parfaite qui ne laisserait aucun doute sur l'intention des constructeurs, mais il y a tout de même lieu de s'interroger sur une possible convergence avec la constellation du Cocher (Auriga).
Plan du site de Grand
Le Photo-Guide du ciel nocturne de Delachaux et Niestlé écrit (p. 444) que "Le Cocher dessine sur le ciel un hexagone irrégulier reliant, dans le sens des aiguilles d'une montre, Capella à Ε, ι Aur puis à β Tau qui, sans faire officiellement partie de la constellation, est ordinairement incluse dans l'hexagone), enfin à θ et β Aur."
Plus que la forme, qui n'est - je dois le reconnaître - que bien approximativement celle du rempart, la symbolique du Cocher rencontre celle qui est à l'oeuvre à Grand. En effet, le Cocher, une des premières constellations à porter un nom, symbolise un conducteur de char qui est, tantôt Héphaïstos, tantôt son fils Erichtonios, tous deux boiteux et, selon les Grecs, inventeurs du dit char. Or Erichtonios n'est autre qu'un dieu-serpent : " Selon la version la plus couramment admise, Héphaïstos rattrapa sur l'acropole Athéna, qu'il poursuivait de ses assiduités, mais celle-ci lui résistant, le dieu laissa échapper son sperme sur la cuisse de la déesse. Athéna nettoya la souillure à l'aide d'une boule de laine qu'elle arracha à son péplos et jeta ensuite sur le sol. De cette fécondation naquit Erechtonios (ou Cécrops). II en garda une double nature : la partie supérieure de son corps était humaine mais il possédait une queue de serpent, ce qui, comme tous les autres monstres possédant le même attribut, fait incontestablement de lui un γη-γενής, gegenès, un "fils de la terre". Pour les Athéniens, il est non seulement le premier roi mais le héros fondateur, le père, l'ancêtre commun à tous."
Naissance d'Érichthonios : Athéna reçoit le nouveau-né des mains de Gaïa,
Erichtonios, considéré parfois aussi comme un dieu "autochtone", autrement dit comme un enfant spontané de la Terre (Gaïa), exprime bien la nature même du sanctuaire de Grand, fondé, on l'a vu, sur une source, une résurgence d'un réseau souterrain aux sinuosités multiples. Dieu-serpent, il n'est donc pas sans parenté avec Mélusine, liée également aux vertus et vertiges des entrailles humides de la terre. Claude Lecouteux, dans son ouvrage sur Mélusine (Payot, 1982, p. 41-42), signale qu'en "dehors des hypothèses étymologiques, onomastiques peu sérieuses, il faut citer le rapprochement que R. Philippe fait entre Mélusine et Cécrops. Lusignan est situé tout près de Melle-sur-Belonne, l'ancienne Metallum des Romains ; il y avait là un gisement de plomb argentifère et sans doute une tradition d'exploitation minière, c'est-à-dire, note R. Philippe, qu'on avait dû adorer, de très haute antiquité, un dieu-serpent comme c'était le cas primitivement à Athènes. Or, Cécrops est attaché à d'anciennes traditions métallurgiques et il symbolise la richesse du sol. Si R. Philippe n'explique pas l'origine du nom, sa thèse rejoint celle de Littré qui voyait dans un des noms du serpent en breton l'origine de Mélusine."
Ces hypothèses rejoignent par ailleurs celle, plus récente, d'Anne Lombard-Jourdan pour qui Mellusine (elle l'orthographie avec deux l) est composé de trois éléments : "1° le radical d'origine celtique lus (ou luz) qui désigne "un serpent d'eau douce"; 2° le radical également celtique *mel-s, au sens de "membre, partie" (d'homme ou d'animal) ; 3° le suffixe latin -ina." (Aux origines de Carnaval, Odile Jacob, 2005, p. 250)
Mais Erichtonios a aussi une vocation céleste, en tant qu'inventeur du char, il est élevé au ciel par Zeus. En cela il s'apparente à l'Apollon, dieu céleste et lumineux. Signalons encore que l'Apollon Grannus est parfois associé dans les inscriptions à sa parèdre Sirona. Or celle-ci est représentée avec la corne d’abondance et quelquefois un serpent, comme sur un des piliers de Vienne-en-Val, dans le Loiret, où elle est associée non seulement à Apollon mais aussi à Hercule et Minerve. On la retrouve aussi, toujours avec le serpent, encore dans l'est de la France, au sanctuaire d'Ihn.
Sirona à Vienne-en-Val
Pour conclure, observons que la laine ( (ἔριον / érion) qui entre dans le nom d'Erichtonios se retrouve curieusement dans l'histoire de la Malnoue à Aubigny, quand les cardeurs bouchèrent, avec une énorme pelote de laine. le gouffre ouvert par la Malnoue et d'où elle inondait la ville,
06 janvier 2008 | Lien permanent
Le rouet d'Omphale
Il est dans l'atrium, le beau rouet d'ivoire.
La roue agile est blanche, et la quenouille est noire ;
La quenouille est d'ébène incrusté de lapis.
Il est dans l'atrium sur un riche tapis. (...)
Victor Hugo (Le rouet d'Omphale, in Les Contemplations)
On se souvient peut-être que le lieu-dit le plus proche du centre géométrique de la roue de Phalier était le hameau du Rouet. Au-delà de l'évident symbolisme circulaire, je me suis interrogé sur une éventuelle particularité de l'objet "rouet", susceptible d'apporter une plus-value de sens à la simple roue définie par la géométrie. Une banale recherche sur le Net me fit rapidement rencontrer Omphale au rouet, le poème symphonique de Camille Saint-Saëns, et surtout le poème éponyme de Victor Hugo. Ce grand connaisseur de la mythologie grecque, y brode sur la légende d' Hercule contraint, après avoir violé les lois de l'hospitalité, à être vendu par Hermès comme esclave. Il est acheté par Omphale, la reine de Lydie et accomplit à son service quelques travaux secondaires (entre autres, capture des Cercopes d'Ephèse qui l'empêchaient de dormir en se transformant en mouches à viande - un épisode cocasse que je vous recommande ; mise à mort d'un serpent gigantesque qui terrorisait la région), mais ce séjour est surtout célèbre par l'inversion des rôles qu'aurait exigé Omphale : "Tandis qu'Omphale, écrit le poète Lucien, couverte de la peau du lion de Némée, tenait la massue, Hercule, habillé en femme, vêtu d'une robe de pourpre, travaillait à des ouvrages de laine, et souffrait qu'Omphale lui donnât quelquefois de petits soufflets avec sa pantoufle. » Cette représentation a fait florès chez de nombreux peintres, ainsi chez Rubens notre héros, quenouille en main, se fait tirer l'oreille par une Omphale mutine et, comme lui, court vêtue :
Avant Rubens, le flamand Bartholomeus Spranger (1546-1611) avait déjà porté très loin cette inversion des valeurs :
"Hercule et Omphale (peinture sur cuivre, v. 1585) est représentatif de l'œuvre pragoise de Spranger : il y traite un sujet mythologique avec un humour malicieux (présent dans le regard narquois et complice d'Omphale, l'attitude gauche du héros désarmé et travesti, et dans le geste railleur de l'indiscrète servante) et y élabore -selon les termes de l'historien d'Art A. Pinelli- un "double oxymoron croisé", c'est-à-dire un échange paradoxal de propriétés entre contraires, résultant non seulement du contraste évident entre le corps sombre et musclé d'Hercule d'une part et la silhouette gracieuse et diaphane de la princesse de Lydie d'autre part, mais aussi de l'inversion des attributs et des rôles effectuée aux dépens du demi-dieu."
Dans une autre version de la légende, ce serait le dieu Pan, rudoyé par Hercule, qui aurait propagé pour s'en venger la version du dieu efféminé - Pan, dieu phallique, tardivement identifié à Priape.
On retrouve le travestissement féminin dans le cortège des Dyonisiaques, où, après les Bacchantes et les Phallophores, venaient, selon Jacques-Antoine Dulaure les Ithyphalles : "Ils étaient, suivant Hesichius, vêtus d’une robe de femme. Athénée les présente la tête couronnée, les mains couvertes de gants sur lesquels des fleurs étaient peintes, portant une tunique blanche et l’amict tarentin, à demi vêtus, et, par leurs gestes et leur contenance, contrefaisant les ivrognes. C’étaient surtout les ithyphalles qui chantaient les chants phalliques et qui poussaient ces exclamations, eithé me ityphallé !"
Il faut maintenant savoir que la capitale de la Lydie d'Omphale n'est autre que Sardes, et que cette ville, située à la latitude de Delphes, est considérée par Jean Richer comme le centre zodiacal de l'Anatolie. Il cite à ce sujet Marie Delcourt, auteur d'un ouvrage sur l'oracle de Delphes : "La parenté du nom nous engage, après avoir parlé de l' omphalos, à dire un mot de cette Omphalequi obligea Héraclès à se vêtir en femme et à filer à ses pieds. Omphale porte le nom du cordon natal, qui est pour chaque homme, sa destinée même. Le rite des vêtements échangés figure dans les initiations et la bi-sexualité est souvent associé à un processus d'immortalisation. Entre la vieille pierre delphique et la reine de Lydie, il y a sûrement plus qu'une simple assonance."
Or, Richer relève que Lampsaque, dont Priape, on l'a vu, est le dieu tutélaire, est situé sur la ligne 0° Verseau de ce système zodiacal : "De très nombreuses monnaies de cette ville datant d'environ 500 ans av. J.-C. portent un protomé de cheval ailé, c'est-à-dire Pégase, dont nous avons montré que c'est un symbole du Verseau" (Géographie Sacrée du Monde Grec, Guy Trédaniel, 1983, p. 62).
Tout cela est bien beau mais, me dira-t-on fort justement, le père Hugo ne commettait-il pas un sérieux anachronisme en introduisant un rouet à la cour d'Omphale ? Assurément, puisque la première représentation d'un rouet est chinoise et ne date que de 1270... Cela ne signifie pas que le rouet ne soit pas une invention plus ancienne, mais enfin, s'il avait été en usage chez les Grecs, nous en aurions bien évidemment des preuves iconographiques et littéraires. Il reste que le fuseau, dont le rouet est un perfectionnement, possède des valences semblables, ainsi peut-on lire dans le Dictionnaire des Symboles (p. 471) que le fuseau "tourne d'un mouvement uniforme et entraîne la rotation de l'ensemble cosmique. Il indique une sorte d'automatisme dans le système planétaire : la loi de l'éternel retour." Le fuseau apparaît aux mains des Moires, préfigurant les Parques romaines, qui accompagnent les mortels et les dieux au moment de leur naissance et de leur mort. Ce motif fréquent dans l'iconographie funéraire antique se retrouve également dans certaines représentations paléochrétiennes, mais aussi chez Léonard de Vinci avec La Madone aux fuseaux (1501).
Le fuseau préfigure la croix et symbolise évidemment le destin sacrificiel de Jésus. De sa main gauche, Marie entoure l'enfant avec tendresse, mais sa main droite reste suspendue : elle ne peut s'opposer à la destinée (à noter que cette toile, volée dans un château écossais en 2003, a récemment été retrouvée à Glasgow )
Adrien de Barral, dans la Revue du Centre, en 1886, montre que la tradition perdure en Berry d'associer la quenouille au mariage et au baptême, sous les auspices de la Vierge Marie : « Dans une partie du Berry — entre autres, aux environs de Bourges, —vous pouvez voir, dans la chapelle de la sainte Vierge, huit ou dix quenouilles, exposées et rangées sur une espèce de portemanteau en bois. Ces quenouilles ont leur manche brodé (sic) au couteau, historié et enjolivé de dessins variés, de zigzags, de branches de feuillages et de fleurs en saillie. En haut, l'étoupe est emmaillotée de rubans de différentes couleurs, dont les bouts pendent tout autour ... Voici quel en est l'usage : après chaque baptême, on remet une de ces quenouilles à la marraine ; elle l'emporte chez elle, file le chanvre, puis elle refait la quenouille, en y mettant d'autre étoupe et en l'habillant de nouveau. Ordinairement, on renouvelle aussi le manche ; c'est le parrain qui façonne le nouveau bâton, en mettant tous ses soins et tout son goût d'artiste à cette délicate besogne. La marraine alors rapporte aux marguilliers la nouvelle quenouille et leur remet aussi son peloton de fil : ce fil est destiné à être transformé par le tisserand en linge pour l'église.
Les mariées ont aussi leur quenouille. Le dimanche qui suit le mariage, le sacristain, où un fabricien, vient, pendant la grand'messe, remettre à la nouvelle épousée sa quenouille. Elle fait la même chose que la marraine, et le marié confectionne également un nouveau manche festonné. »
02 décembre 2007 | Lien permanent