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29 avril 2005

Nemeton

L'axe Béthines-Luzeret rasant Bélâbre traverse aussi la Forêt dite de la Luzeraize, au lieu-dit précisément de la Grande Luzeraize. "Il y a une stricte équivalence sémantique, nous avertit le Dictionnaire des Symboles (Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Robret Laffont/Jupiter, 1982), entre la forêt celtique et le sanctuaire, nemeton. L'arbre peut être considéré, en tant que symbole de vie, comme un lien, un intermédiaire entre la terre où il plonge ses racines, et la voûte du ciel qu'il rejoint ou touche de sa cime." Ainsi César, dans La Guerre des Gaules, rapporte que les druides se réunissaient chaque année dans la forêt des Carnutes, donc dans une clairière de celle-ci.

Le village de Nesmes, situé dans le prolongement de la Luzeraize, sur les rives de l'Allemette, en aval de Château-Guillaume, ne serait-il pas le souvenir d'un ancien nemeton ? Un opuscule me signale qu'on trouve sur cette ancienne commune rattachée à Bélâbre en 1822 une chapelle désaffectée du XIIe siècle. Un voyage sur les lieux s'imposera quelque jour.

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27 avril 2005

Le Faussaire et l'Araignée

"Chaque espèce avait sa façon de recommencer à vivre. Les pommiers débutaient modestement, chargés de papillottes roussies et sales, les noyers se nimbaient d'un nuage qui avait la pâleur de l'automne ; un grand peuplier brûlait dans sa verdure tendre et esquissait, à voix basse, les premières mesures de cette rumeur ruisselante qui l'habiterait tant de jours et tant de nuits. Partout l'âge et la vieillesse se masquaient et le bras décharné des chênes se cachait sous les grappes vertes."

"Le printemps qu'elle ignorait était comme une immense page neuve ouverte à son chevet et sa jeunesse universelle, sa fraîcheur, rendait pitoyable le visage légèrement rougi et gonflé, posé sur la chevelure. Les premières rides le marquaient et l'involontaire sourire des lèvres entrouvertes paraissait une ébauche de grimace sans signification, tourné vers un monde impénétrable."


Jean Blanzat (La Gartempe)

Fin de l'entracte ? Avec prudence, j'avais ajouté un point d'interrogation. Dans la nuit même, j'ai eu confirmation qu'il était justement pressenti. L'article mis en ligne, je répondis au commentaire de Philippe Henry qui me posait une question sur Tarkovski. Je me permets de reprendre ici ce que j'écrivis :

"Désolé, Philippe, je ne connais ni Charles Fort, ni le film Magnolia. Enfin, maintenant un peu, après recherche sur le web suite à votre commentaire. Plutôt que de vous répondre sur Tarkovski, je vous invite à voir Sacrifice ou Stalker ou n'importe quel autre de ses films : sa vision va bien au-delà d'une simple curiosité pour le paranormal. Les faits insolites ne sont que l'écume d'un phénomène autrement profond.
Bien à vous. "


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Eglise de Saint-Savin-sur-Gartempe(photo. F.Thurion)

Enfin, malgré l'heure tardive, je décide de refaire une recherche sur Google au sujet de Jean Blanzat. La première, ciblant aussi La Gartempe, avait été tout à fait décevante – le web est parfois désespérément lacunaire ; celle-ci, sur Jean Blanzat uniquement, ne livra pas grand chose de plus. Aucun texte approfondi, que de courtes et sèches biographies, et puis, dans la troisième page de recherche, le site du Stalker apparaît. Je tombe sur un article du 10 avril 2004, intitulé Solaris de Stanislas Lem et le Dieu incompréhensible : Juan Asensio y présente un texte antérieur, une fine et stimulante analyse du célèbre roman de S.F. avec de nombreuses références au film qu'en a tiré Tarkovski. C'est le passage suivant qui cite Jean Blanzat :

"Je ne crois pas aux recommencements et les idiotes qui, d’un geste devant leur miroir, effacent pour un autre les rides et les plis de souffrance de leur visage repeint à neuf, seront tôt ou tard hantées par des souvenirs plus aigres qu’un renvoi de bile. Non. Il y a, il doit y avoir autre chose car enfin, si le texte écrit a découvert quelque parcelle de la vérité âprement recherchée, il doit bien être valable, mon Dieu, au-delà de quelques mois, voire années, sans devoir se ratatiner comme un trognon de pomme oublié de tous ou comme cette… cette quoi ? (amande, noisette ou je ne sais quoi d’autre, petit et infiniment desséché) qui n’en finit pas de se momifier dans l’étrange roman d’un auteur aujourd’hui bien oublié, Jean Blanzat, intitulé Le Faussaire. "


Oublié, ma vaine quête le confirme. Mais sa résurgence ces jours-ci ne cesse de nous intriguer. Recherchant cette page aujourd'hui pour la rédaction de cette note, c'est sur un autre article, daté du 7 février 2005, Diapsalmata ou interlude entre diverses lectures, que je retrouve mention du même Faussaire, en des termes presque identiques :

"Quelques modifications (et non point rétrogradations, chers Joseph et Thibault...), pour commencer, dans mes listes de liens. Quelques nouveaux liens aussi, il faut contribuer n'est-ce pas à l'extension du domaine de la Toile, qui finira bien par enserrer complètement un monde devenu transparent, desséché, comme cette araignée évidée qu'évoque quelque part Gadenne, reprenant d'ailleurs une image de saint Jérôme. Une araignée desséchée, suspendue à un coin de poutre, ou bien cette coquille de noix abandonnée sous un meuble dont parle Jean Blanzat dans un étrange roman, oublié de tous, Le Faussaire, voilà ce que je suis, certainement pas le loup solitaire qui de loin contemple les hommes et s'en retourne, trottinant de travers, au plus profond des bois silencieux."


L'araignée électronique dévide son fil d'Ariane et, parmi le dédale actuel des blogs, nous livre donc quelques pistes rêveuses.

26 avril 2005

Ard, I,20

"Cinq mois d'absence à ce cahier. Qu'est-ce qui, aujourd'hui, m'y ramène ? Une confluence de lectures. Comme toujours, dira-t-on. Mais ici, c'est littéralement vrai.
Le pavé de Simon Schama, Le paysage et la mémoire, ne me quitte pas depuis un mois. Je le lis à petites doses, entrecoupant avec des volumes plus courts (essentiellement de la poésie), aussi bien n'ai-je atteint la deuxième partie de l'imposant ouvrage que le 22 avril. Elle est consacrée à l'EAU et s'ouvre sur une longue citation de Gaston Bachelard, extraite de L'eau et les Rêves.

"Je suis né dans un pays de ruisseaux et de rivières (...)"

A Limoges, où je suis allé à Pâques, avec M., j'ai acheté, outre Signe ascendant d'André Breton, réédité dans la collection Poésie/Gallimard, un roman de Jean Blanzat intitulée La Gartempe. C'est le nom d'une rivière réelle du pays limousin. Je ne connais Jean Blanzat qu'à travers la biographie de François Mauriac par Jean Lacouture. Dans mon souvenir, il était instituteur et avait connu Mauriac pendant l'Occupation (il faisait partie de la Résistance). La Gartempe est précisément dédié à François Mauriac et se déroule pendant la deuxième guerre mondiale. Il ne s'agit pas d'une réédition : la librairie proposait plusieurs piles d'exemplaires originaux (vendus à l'époque 590 francs). Sans doute quelque vieux libraire liquidait-il un vieux fonds d'invendus ?

Et aujourd'hui, en début d'après-midi, je rencontre à la Maison de la Presse Fred Deux (lequel venait de répondre au court billet que je lui avais adressé avec la photocopie du dieu Ometeotl). Il m'annonce la réédition de La Gana et la sortie du premier tome de son journal chez André Dimanche. Après l'avoir quitté, un petit livre me saute aux yeux : Bords d'eaux de Pierre Veilletet.

Petite visite au G., F. seule avec les enfants, C. parti jouer avec l'Occidentale de Fanfare, à (ou près de) Bordeaux...
Bordeaux, soit dit en passant, la ville de Mauriac, que Veilletet évoque, dès sa deuxième page, d'une périphrase transparente :
"A l'ouest, invisible et invincible, harmoniquement lié aux petites rivières, d'abord parce qu'il en est le terme et aussi parce que le bruissement nocturne de la forêt, le vent dans la cime des pins (ainsi que le Prix Nobel de Littérature 1952 nous le chuchotait) répercute à l'intérieur des terres son halètement marin, à l'ouest donc, l'Océan fait masse et tumulte, persuasion brutale."

A ce tableau, il convient d'ajouter que si j'avais eu un peu plus de courage, j'aurais disserté au mois de décembre sur un autre thème que la lecture de Pierre Sansot avait initié et dont un article du Monde des Livres sur Claudio Magris avait suscité une série d'échos. Magris qui apparaît dans ARA I,5 [un cahier précédent], avec Danube :

"Certes, on retrouve dans Microcosmes, écrit Florence Noiville, ce qui frappait déjà dans ses précédents ouvrages : l'immense culture d'un homme nourri de Sterne, de Flaubert, de Laclos, de Melville et, bien sûr, des auteurs de langue allemande ; l'accumulation d'informations, la précision quasi maladive d'un écrivain qui reste aussi un historien ; ou encore ses thèmes de prédilection, celui de l'eau par exemple. "Sueur", "pluie fuligineuse", "rideau de traînées grises", "eau bénite", "flaque", obscurité d'une église comparable à "une mer douce et insondable", "larmes," "eaux de ces yeux marron foncé auxquels il s'était abandonné depuis toujours, pour toujours..." : il faudrait faire le compte des notations aquatiques, des fantasmes liquides qui émaillent chaque chapitre. Mais "l'hydrophylie" bien connue de Magris ne se limite plus à "l'étendue fascinante de la mer ou du fleuve. Il y a aussi, dit-il, l'eau sale, boueuse, latente de la lagune." L'eau sableuse où les enfants pataugent et construisent des châteaux."

Ce n'est pourtant pas le thème de l'eau que je voulais traiter alors, mais celui de la lenteur, auquel l'opus de Sansot, Du bon usage de la lenteur, m'avait rendu sensible. Fin de l'article de Florence Noiville :

" Magris y voit le signe d'une plus vive "attention aux choses". Sa plume s'est adoucie, humanisée ("toujours moins d'idéologie, toujours plus de pitié, de sensualité..."). Son tempo s'est ralenti. "Dans Danube, le voyageur avait le diable à ses trousses. Il fuyait le poids terrible de l'Histoire qui voulait le couvrir de son manteau de mort. Ici, il y a la lenteur" qui offre la possiblilité de vivre l'instant "sans le brûler".
C'est cela. Nous voilà conviés à La Découverte de la lenteur, pour reprendre un titre de Sten Nadolny que cite Claudio Magris. Le thème était déjà présent dans Une autre mer; mais il traverse ici, organise et sous-tend ces quelques trois cents pages. La lenteur est perçue comme un art de vivre, un moyen de "comprendre l'existence", de la "dompter", de la "savourer". La lenteur, suggère Magris, est un cadeau que l'on offre à l'être aimé. [...] Enfin, la lenteur est un art d'écrire. Pour capter les secrets, les silences, les non-dits avec une sorte de disponiblité absolue. Pour s'autoriser de longues, de très longues digressions. Un art d'écrire pour "résister", peut-être, à la frénésie ambiante. Lecteurs inquiets, pressés, agités, collectionneurs de récits "efficaces", chercheurs d'intrigues, au sens commun du terme : passez votre chemin ! Vous gagnerez du temps ! "

Faut-il enfin mentionner le fait que je travaille pour plusieurs semaines au Pont-Chrétien, village où la Bouzanne conflue avec la Creuse ?

........

Je reprends la lecture de Bords d'eaux, et voici que l'auteur cite Bachelard, page 19 : "Le même souvenir sort de toutes les fontaines." Or, c'est sur cette même formule que s'achevait la citation de Simon Schama."

24 avril 1999

Pardon pour cette longue auto-citation. J'aurais pu couper, j'ai failli le faire, mais comme dans un récit de rêve, c'est parfois le détail paraissant le plus insignifiant qui s'avère le plus porteur d' enseignement. Telle notation anodine se chargera avec le recul d'une teneur augurale. Aurais-je pu imaginer que six ans plus tard très exactement, j'allais faire retour sur ce texte ?
Fin de l'entracte ?

25 avril 2005

Triton

"Pareillement, Mélusine était architecte. Mais elle était fée et femme-serpente, sirène : c'est le moment de nous aviser de ce surnom singulier que la mythologie attribuait à Pallas, d'après celui d'un lac où, pour le justifier, on l'avait fait naître : Tritone. Autant dire Sirène, si l'on se reporte aux figurations ordinaires du triton. (...) Encore faut-il savoir comment se gagnent les lauriers de cette paix qui transforme Minerve en la Vénus de Balance : le grec tónos signifie tendeur, coup, détente (et par extension, ton musical). Le triton désigne alors le triple coup théâtral qui provoque l'ouverture du rideau de velours rouge, l'illumination de la scène et le départ de l'action transréelle (...)".

Guy-René Doumayrou (Géographie Sidérale, pages 114-116)

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Entracte dans la représentation zodiacale, ou plutôt ouverture d'une nouvelle scène, mise en abyme de la pièce jouée : les trois commentaires reçus le 24 avril, d'Alina, Patrice et Philippe, dans leur synchronie complice, me font rebrousser le temps. Pierre Veilletet, les coïncidences, la rumeur des eaux courantes, je les avais déjà notés, un autre 24 avril très précisément, sur un de ces cahiers Clairefontaine qui recueille les flambées du hasard. C'était en 1999. Mais la nuit est trop avancée pour que j'en donne ici des extraits. Ce sera peut-être pour demain.
Bien à vous trois.

24 avril 2005

Du Belin au Troubadour

"Nous découlons, voilà la vérité.
Nous ne descendons pas de. Et, en dépit de nos efforts, nous n'aspirons guère à... Nous découlons... D'une source obscure et de ses ramifications. Nous sommes la rumeur des eaux ancestrales ; elles nous ont transmis la parole et elles nous la reprendrons sans violence, comme on fait taire un enfant d'un linge humide passé sur les tempes."

Pierre Veilletet (Bords d'eaux, Arléa, 1999)


Encore une confirmation que c'est au jour le jour que s'invente le chemin stellaire : c'est en cherchant aujourd'hui même sur la Toile des informations sur le Château-Guillaume, forteresse fondée par Guillaume IX d'Aquitaine sur la paroisse de Lignac non loin de l'alignement ligneux qui nous occupe depuis deux jours, que je découvre que la petite-fille du seigneur en question, qui n'est autre que notre vieille connaissance Aliénor d'Aquitaine, est née en 1122 au château de Belin, en Gironde.
Elle aurait passé ici son enfance, à quelques kilomètres du bassin d'Arcachon, dans la compagnie des paysans, parlant patois, marchant sur des échasses, montant à cheval. Reconnaissante, elle aurait accordé une charte d'affranchissement à la paroisse, confirmée plus tard par Philippe le Bel ( poussera-t-on la plaisanterie jusqu'à le rattacher lui aussi au Belin ?)

Incidemment, c'est à quelques encablures de Belin, aujourd'hui Belin-Béliet, que je me suis retiré pour la petite pause océane qui m'a tenu éloigné quelques jours de ce blog...

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Revenons à nos moutons : Château-Guillaume fut donc élevé entre 1087 et 1112 par Guillaume IX dit aussi le Troubadour - pratiquement à la même époque, soit dit en passant, que l'abbaye de Fontdouce (1111). Guillaume est un gaillard qui conjugue le goût des armes et celui des vers : expéditions militaires, croisade, participation à la Reconquista qui ne lui valent pourtant pas la reconnaissance de l'Eglise, et pour cause : il s'empare de biens religieux pour financer sa campagne contre Toulouse et va jusqu'à enlever à main armée la femme de son vassal, le vicomte de Chatellerault, ce qui lui vaut l'excommunication. Au légat chauve qui lui aurait enjoint de s'en séparer, il aurait rétorqué : « Compte là-dessus, et passe-toi le peigne ! » Cette maîtresse séjourna donc dans un donjon qu'il fera adjoindre à son palais : la tour Maubergeon, dont le nom vient du mérovingien mal ou mallum qui désigne le tribunal, et de berg qui signifie colline. Cette muse qu'il appelle, lui, la "Dangereuse" est bientôt surnommée par le peuple la " Maubergeonne ". Claude Lecouteux note que c'est dans cette tour Maubergeon que Couldrette dit qu'on trouva deux livres en latin rapportant la légende de Mélusine.

C'est que Guillaume est aussi un homme curieux et cultivé qui, avant Aliénor, sut accueillir dans sa cour de Poitiers les artistes de son temps, ainsi le chevalier et barde gallois Blédri ap Davidor qui réintroduisit en Gaule l'histoire de Tristan et Iseut. Et puis c'est surtout l'un des premiers troubadours, écrivant en langue d'oc, et non pas en latin, des chansons d'amour, parfois très crues (par exemple dans la chanson convenable, il demande à ses compagnons quel cheval il doit monter, d'Agnès ou d'Arsens). On fera plus subtil par la suite...

En Espagne, à la bataille de Cutanda, il aurait combattu avec la corps de sa maîtresse peint sur son bouclier.

Ce rustre fougueux est aussi capable de vers charmants :
Ab la doussor del temps novel
folhon li bosc e li auzel
chanton chascus en lor lati
segon lo vers del novel chan :
adonc esta ben qu'om s'aizi
d'aisso dont om a plus talan.


Par la douceur du temps nouveau
feuillent les bois et les oiseaux
chantent chacun dans son latin
sur le rythme d'un chant nouveau
donc il convient que l'on s'accommode (se réjouisse)
de ce qu'on désire le plus !

00:55 Publié dans Bélier | Lien permanent | Commentaires (3)