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26 octobre 2007

Phalier, Priape et les vergers

Flava Ceres, tibi sit nostro de rure corona spicea,
quae templi pendeat ante fores;
pomosisque ruber custos ponatur in hortis,
terreat ut saeva falce Priapus aves;

Tibulle (Elégie I)


(Traduction : Blonde Cérès, que te soit donnée une couronne d'épis venant de notre domaine, pour qu'elle soit suspendue devant les portes de ton temple, et que l'on installe un Priape, rouge gardien, dans nos vergers pleins de fruits, pour que de sa faux cruelle il effraie les oiseaux.)



Etrange destinée mythologique que celle de Priape : le fils de Dyonisos et d'Aphrodite (certaines traditions disent même de Zeus), originaire de Lampsaque en Aise Mineure,  dieu de la fécondité et de la fertilité à qui l'on dédie chants et poésies, finit dans les vergers romains sous forme de statues grossières en bois de figuier vermillonné, autrement dit en épouvantail.

Mais c'est cette association latine entre vergers et Priape qui me retient d'exclure complètement l'hypothèse phallique du nom de saint Phalier. En effet, si l'on veut bien revenir quelque peu en arrière, examinons à nouveau la légende de Saint-Outrille, près de Graçay, où se trouve le premier Saint-Phallier que j'ai mentionné :
"Un jour, on aperçut le diable dans le village. Aussitôt, les braves villageois se mirent en devoir de lui donner la chasse. Le diable se réfugia sur le clocher. Une vaillante commère entreprit de l'en déloger et commença l'escalade. Le diable, sentant son refuge menacé, sauta dans le verger avoisinant. Mais sa queue se prit dans la flèche et la tordit de telle façon que, de nos jours, elle demeure vrillée ...."

Bien sûr, on peut juger que c'est somme toute assez banal, la présence d'un verger au pied d'une église. Poursuivons donc avec le Saint-Phalier levrousain : ceux qui se sont penchés sur la carte IGN du site, que j'ai déjà insérée deux fois, y auront peut-être aperçu sur la route qui mène à Levroux le lieu-dit nommé précisément Le Verger.



Trouverons-nous un troisième verger sur la troisième pointe du triangle, à savoir à Chabris, terre d'élection du saint ermite ?  Je n'en ai point décelé, il est vrai, mais il existe, me semble-t-il, d'autres indices. Encore une fois, c'est l'excellente recension de Jean-Louis Desplaces (Florilège de l'eau en Berry, vol. 3) qui va nous servir de guide. La dernière procession à la fontaine Saint-Phalier, proche de l'oratoire du même nom ( dont j'ai noté qu'elle balisait l'alignement avec le Saint-Phalier de Graçay), a eu lieu en 1973 où elle ne recueillit qu'une centaine de personnes. Cruel contraste avec la même procession avant-guerre, décrite par l'écho paroissial de Chabris en septembre  1934. La narration est enthousiaste :
 
" (...) C'est un pèlerinage champêtre par la traversée des champs et des vignes, la montée d'un chemin abrupt, mais mystique aussi, par une sorte de poésie médiévale qui se dégage des ombres de la crypte, des eaux de la fontaine, des invocations naïves au " guérisseur des douleurs et des enfants en langueur" (...) Aux messes du matin, les dévotions privées et la visite indispensable à la crypte. Un escalier de pierre usé par les pas de quarante générations, conduit au sanctuaire souterrain où trône sur l'autel une statue antique de saint Phalier, curieusement couverte d'un camail de chanoine et d'une étole. (...) Tous les prêtres sont descendus en même temps pour leur visite d'hommage, ils s'agenouillent, prient et passent sous le tombeau de saint Phalier. Ce tombeau est tailladé par les couteaux des pèlerins qui emportaient autrefois de la poussière précieuse ainsi recueillie.
A dix heures et demie, "les  chiens de Saint-Phalier" cloches au timbre argentin, aboient à la population qui, à ce signal, se presse vers l'église et la remplissent. La longue nef ogivale est décorée à chaque arceau d'oriflamme au chiffre du saint Patron. la tribune porte en pendentifs d'immenses grappes de roses d'un merveilleux effet. Le sanctuaire est tapissé de verdure et de roses aux vives couleurs. Deux bosquets de palmiers et de plantes vertes encadrent l'autel dont les degrés sont chargés de bégonias éclatants et superbes, ensemble qui retient les regards
."

C'est cette profusion de verdure et de roses qui m'intrigue et me fait penser aux vers virgiliens :
Vere rosa, autumno pomis, aestate frequentor 
spicis : una mihi est horrida pestis hiemps.

Traduits ainsi par Maurice Rat :
Au printemps je suis couvert de roses, en automne  de fruits , en été d'épis ; seul l'hiver m'est un horrible fléau.

"La rose, explique-t-on icisymbole de l'amour et du désir, est la fleur de Vénus, de Bacchus et de Priape, auquel on offre aussi, à l'occasion, d'autres fleurs : violettes, pavots, etc."
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Mosaïque d'El Jem (Tunisie)

Pascal Quignard : "A Rome, on ne peut distinguer  lusus et religio, sarcasme et sacrifice, Dieu raillé ou Dieu puissant. Fascinus ou Priapus fut honoré de stèles durant tout l'Empire. Priapus est "le premier des dieux", le dieu Prin, le dieu Priopoien (le dieu qui crée-avant la création elle-même). Priapus fut sans la moindre hésitation le dieu le plus représenté de l'Empire. Sarcasme vient du grec sarx, qui est le mot qu'employait Epicure, pour dire le corps (sôma) de l'homme et le lieu unique du bonheur possible. Le sarkasmos, c'est la peau prélevée sur le corps de l'ennemi qu'on a tué. En cousant ces peaux "sarcastiques", le soldat formait un manteau de victoire. Le plus souvent Athéna arbore la tête de Gorgone sur son bouclier, mais il arrive que la déesse porte sur son épaule la dépouille (le sarkasmos) de Méduse. Le latin carni-vore traduit mot à mot le grec sarko-phage." (Le sexe et l'effroi, Gallimard, pp. 104-105)

Difficile de ne pas songer au sarcophage vide de saint Phalier, au profond de la crypte, en calcaire monolithe reposant sur deux piliers, auge de pierre dont on grattait donc "sarcastiquement" la surface pour recueillir la poussière guérisseuse.

 







23 octobre 2007

La motte de Saint-Phalier

Avant d'en revenir au Phalier phallique, une dernière précision sur laroue de Saint-Phalier. Nous avons vu que cette figure était donnée par les trois pointes d'un triangle rectangle portant toutes la marque toponymique de saint Phalier, ermite limousin. Or, sur la circonférence de cette roue, un autre site porte le nom de Saint-Phalier : il ne s'agit point d'un hameau, ni même d'une simple maison et il n'apparaît pas sur la carte IGN.

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Je n'en aurais rien su sans l'ouvrage collectif Histoire et archéologie du pays de Levroux, publié avec le concours, entre autres, du CNRS en 2003. On y apprend donc qu'à "la croisée des chemins de Levroux à Vatan et à Saint-Phalier, à 1,2 km de Levroux et 2 de Saint-Phalier, se dresse une butte artificielle en terre de 22 m de diamètre et 4,5 m de hauteur, couverte par un bosquet. Le donjon de Saint-Phalier est mentionné en 1243 par le cartulaire de Levroux. Il est situé sur la limite de la franchise de Levroux définie en 1259, pour laquelle il constituait un point remarquable dont la stabilité était assurée. Le haut de la motte offrait pour le guet un site exceptionnel d'où l'on pouvait voir très loin dans toutes les directions. Monsieur Bougault-Fauchais y a pratiqué des fouilles et, selon un témoignage oral que nous avons recueilli dans les années 1970, il  y aurait trouvé une tombe à char de l'âge du Fer ; il ne reste ni mobilier ni trace écrite  de cette hypothétique découverte."

Il faut noter que dans ces tombes à char, on rencontre souvent des pièces de harnachement de chevaux, dont ces fameuses phalères dont j'ai parlé naguère.

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00:50 Publié dans Capricorne | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : phalier, roue, motte

15 octobre 2007

Phalères

Si l'on réfute le grec phallos (et non phallus) comme origine du nom Phalier, on ne se sort pas pour autant du grec avec Phalerius, car ce dernier terme nous renvoie à deux autres mots héllènes:
  • Phalères : qui désigne la rade qui servit de port à Athènes au VIe siècle, avant la construction du Pirée.
  • ta phalara (en latin phalerae) : "Plaques rondes d'or, d'argent ou d'autres métaux, sur lesquelles étaient gravée ou ciselée quelque figure en relief ; ainsi la tête d'un dieu, l'image d'un roi ou d'un empereur, ou quelque emblème ; des pendants, en forme de croissants ou de larmes, y étaient souvent attachés. Les personnes de distinction en portaient sur la poitrine, comme ornement ; c'était pour les soldats une décoration militaire que décernaient leurs chefs, et quelquefois elles servaient de harnais de luxe pour les chevaux (Liv. IX, 46 ; Sil. Ital. XV, 255 ; Virg. Aen. IX, 359 ; V, 310 ; Claud. IV, Cons. Honor. 549)." Anthony Rich, Dictionnaire des antiquités romaines et grecques.
Le phaleratus désignait celui qui portait des phalères.

Stèle funéraire de l'aquilifer Cnaeus Musius,
décoré de deux torques et neuf phalères
Ier s. après JC
Landesmuseum, Mainz (Allemagne), 2002

© Agnès Vinas

L'origine de ces phalères n'est pourtant pas romaine. Comme en bien d'autres domaines, les Romains ont emprunté, dans ce cas particulier, semble-t-il aux Etrusques. Mais les Celtes eux aussi connaissaient les phalères, à tel point que Vincent Jauvert, présentant un travail sur l'Est au temps des Gaulois, peut écrire que "le plus époustouflant de l’art celtique, ce sont peut-être les phalères, les petites pièces rondes en fer ou en bronze de quelques centimètres de diamètre qui décoraient les chars des guerriers ou les harnachements de leurs chevaux. Celle que nous présentons ici date du ive siècle av. J.-C. et a été découverte dans la tombe d’un riche militaire à Cuperly, dans la Marne. L’organisation parfaite du décor surprend. Selon les spécialistes, tout a été préparé au compas. Cette harmonie aurait-elle une signification particulière? Certaines de ces phalères ont été récemment étudiées par des mathématiciens intrigués par la forme géométrique de leur décor. Ils ont conclu que les Gaulois étaient probablement des adeptes de la cosmogonie du grec Pythagore! Incroyable, par Toutatis!" (C'est moi qui souligne.)

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Cette interprétation est corroborée par l'archéologue Jean-Louis Brunaux, dont j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer le livre récent sur les Druides, lors d'un entretien avec François Dufay, pour le journal Le Point :

"Vous-même, n'avez-vous pas tendance à faire des druides des « philosophes » à la grecque égarés chez les Barbares ?

Non. Comme celle des présocratiques, la philosophie druidique est un savoir universel incluant la métaphysique, les mathématiques, l'astronomie, la botanique, la géographie, la géologie... Loin d'être des magiciens répandant la superstition, ces intellectuels cherchent les causes premières des choses, sous forme d'une pensée qui commence à revendiquer sa rationalité.

Vraiment ?

Quand on voit le calendrier trouvé à Coligny, dans l'Ain, datant du Ier siècle, héritage de leur savoir astronomique, ou des créations artistiques comme certaines phalères au décor géométrique d'une complexité inouïe, on n'est plus dans le domaine des tâtonnements, mais bien de travaux fondés sur des calculs, des mesures, des expériences
." (C'est moi qui souligne.)

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Comment ne pas faire de  rapport entre ces phalères, rondes et géométriquement complexes, et le cercle défini par le triangle de saint Phalier ? Tout se passe comme si on avait tracé au sol une gigantesque phalère. Y a-t-il une  divinité celtique  cachée derrière tout cela ?


Si l'on reprend les qualités attribuées à saint Phalier, il nous faudrait donc une figure liée aux orages, capable de les maîtriser, éventuellement escortée de chiens, en rapport également avec les eaux (fontaine Saint-Phalier du pélerinage chabriote, ruisseau dit de Saint-Phalier alimentant la Céphons à Levroux) : une figure simultanément céleste et chthonienne (la statue de Phalier repose dans la crypte de l'église de Chabris). Jean-Louis Desplaces cite un article du journal de l'Indre de 1834 qui rappelle que les fidèles avaient habitude de déposer les enfants malades dans le tombeau du saint :
"C'est dans une petite chapelle souterraine et fort obscure, située derrière le maître-autel, que l'on va particulièrement implorer l'assistance du saint. Au fond de cette chapelle est la statue de saint Phalier et dans un réduit, plus bas encore, est un sarcophage en pierre, dont la forme annonce qu'il peut dater du Vè siècle : c'est dans ce sarcophage qu'on dépose les enfants malades et languissants... L'analogie du nom avec celui de l'emblème de la fécondité ne peut être l'effet du hasard."
(Cité par J.L. Desplaces, Florilège de l'eau en Berry, 3ème volume, 1986, p. 61.)

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Cette figure -inutile de prolonger le suspense - nous l'avons déjà rencontrée : c'est celle de Sucellus, le dieu au maillet, que l'on peut aussi rattacher au Silvain latin et au Jupiter gaulois Taranis dont l'attribut principal est la roue. Sucellus, déjà vu à Levroux, et qu'il n'est donc pas très étonnant de retrouver tout près de là sous la forme de saint Phalier, s'affirme décidément comme le grand dieu du nord de l'Indre. Sa christianisation sous les formes diverses de Silvain et de Phalier dut être longue et complexe.

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Le Châtelet (Hte-Marne).

Jupiter-Taranis à la roue, au foudre et aux éclairs


Devons-nous maintenant abandonner résolument l'hypothèse phallique du nom de Phalier (on s'est aperçu en passant qu'en 1834, cette analogie semblait aller de soi) ?
Pas si sûr...

(A suivre)

10 octobre 2007

Le triangle de saint Phalier

"Saint Phalier est encore le patron de deux anciennes paroisses du diocèse de Bourges : l'une réunie à Levroux vers 1868 ; l'autre à côté de Graçay (Cher), dont l'église fut démolie en 1770, en raison de son état de délabrement et dont le titre fut uni à celui de Notre-Dame de Graçay."

Mgr Villepelet (Les Saints Berrichons, Tardy, p. 193)


c7e561e78d8d0dc7abeb0175e35dd355.jpg Ces trois  Saint-Phalier (les deux lieux-dits et l'église de Chabris) sont les trois uniques occurrences  du saint dans la toponymie  berrichonne. Et au-delà, puisqu'une recherche menée  dans la base  de l'IGN ne m'a donné aucun résultat d'une localité portant ce nom. On ne saurait donc être soupçonné d'une sélection consciente ou inconsciente des données. Or, ce qui m'apparut immédiatement à l'issue de ce relevé, c'est que le Saint-Phalier levrousain était situé sur le même méridien que l'église Saint-Phalier de Chabris (très exactement 1°39'23''E pour l'un, et 1°39'13"E pour l'autre).


En traçant maintenant les alignements avec le troisième Saint-Phallier, celui de Graçay, on obtient évidemment un triangle. Première constatation : il n'était pas isocèle, comme le triangle de Saint-Outrille. Mais il était beaucoup mieux que cela, d'une certaine manière, puisqu'il était rectangle : les deux alignements formant un angle droit quasi parfait à Saint-Phallier de Graçay.

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Il faudra être d'une singulière mauvaise foi pour oser prétendre que cette  figure géométrique particulièrement remarquable, définie par  trois points uniques en leur genre, résulte du seul effet du hasard.

 

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Poursuivons : un triangle rectangle implique un cercle ( Si ABC est rectangle en A alors il est inscrit dans le cercle de diamètre [BC]), et le centre de ce cercle est le milieu de l'hypoténuse. Le segment de méridien Chabris-Saint-Phalier est cette hypoténuse dont le milieu se situe juste au-dessus du hameau du Rouet, non loin du lieu-dit Les Charrons (faut-il préciser que ce nom désigne les "artisans fabriquant les roues de chariots mais aussi de toutes les parties entrant dans leur composition (ridelle, cabestan, …) ainsi que des échelles de bois ou des barrières de bois".)

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Le centre de la roue de saint Phalier


Après la roue de Nesmes et celle de Ménétréols, voici donc celle de Saint-Phalier, beaucoup plus vaste.

Ceci dit, le problème de l'origine de Phalier restait entier. Je décidai alors de reprendre l'examen du mot à partir de la souche latine qu'on lui donnait, à savoir  Phalerius.

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La pointe de Chabris
(on voit que l'alignement avec le Saint-Phallier proche de Graçay
rase un oratoire consacré au saint, légèrement écarté de la ville)

00:24 Publié dans Omphalos | Lien permanent | Commentaires (1)

04 octobre 2007

Les chiens de Saint Phalier

"(...) lorsqu'il parlait chez lui, perdu dans une dimension inaccessible, je regardais par la fenêtre les églises percer le ciel de Paris, les clochers esseulés tenter l'élévation vers l'infini."
Cécile Wajsbrot, Conversations avec le maître, Denoël, 2007


Saint Phalier, c'est encore une histoire de clochers.


Découvrant ce saint dont j'ignorais tout, je me retournai bien sûr vers mon habituel hagiographe, l'excellent Mgr Villepelet. J'y appris donc que  Phalier, originaire de Limoges, s'était retiré à Chabris, "lieu alors complètement sauvage, pour y mener la vie monastique". On peut douter d'emblée de cette prétendue  sauvagerie car Chabris, sur les bords du Cher,  vient de vicum Carobrias (de l'hydronyme celtique Karus (prélatin car, pierre) et du gaulois briva, pont. Stéphane Gendron écrit que "l'occupation du site doit être mis en relation avec les voies anciennes Chabris-Bourges, Chabris-Poitiers, et la mise en valeur de la vallée du Fouzon, au sud de la commune." Quoi qu'il en soit, Phalier se construisit une cabane et une chapelle, où il mourut, "célèbre par ses vertus et ses mérites". Mgr Villepelet fait l'impasse sur ses voyages supposés à Jérusalem et à Rome, "récits qu'on trouve dans beaucoup d'autres légendes du même genre et qui semblent bien n'être mis là qu'à titre de développements pieux." La chapelle devint la crypte de l'église de Chabris, où les reliques de Phalier furent déposées. Son culte fut certainement vivace puisque Louis XI lui-même vint en pélerinage à Chabris pour obtenir la guérison d'une méchante fièvre : "Ayant été exaucé, raconte Mgr Villepelet, il fit faire une châsse de grand prix et donné exemption de tailles à tous les habitants de Chabris par lettres patentes de 1482." Un grand pélerinage annuel avait  lieu le premier dimanche de septembre, avec procession des reliques jusqu'à la fontaine qui porte son nom : j'ignore s'il est toujours en vigueur, le Quid n'en soufflant mot et parlant juste d'une assemblée.

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Eglise Saint-Christophe et Saint-Phalier (Chabris)


La venue de Louis XI à Chabris a suscité des récits non rapportés par notre archevêque, comme celui de Just Veillat intitulé les Chiens de M.Saint-Phalier:

"Le roi Louis XI, alors à Plessis-les-Tours, pressentant avec terreur qu'il allait mourir, décida de se rendre à Chabris pour prier devant le tombeau de Phalerius, connu dans la région sous le nom de Saint-Phalier. Pendant le voyage, un terrible orage éclata, menaçant le roi et son escorte. Tout à coup des cloches se firent entendre, dominant les éclats du tonnerre. La nue se fendit et s'enfuit dans des directions opposées; un arc en ciel se dessina à l'horizon...

Alors Louis XI, de sa litière, demanda à un vieux pâtre qui se tenait sur le bord de la route :

- Brave homme, dit-il, quel est ce clocher qu'on voit là-bas, et d'où vient cet étourdissant carillon?

- Messire, répondit le paysan, ce clocher est celui de Chabris, et vous entendez lez aboiements des bons chiens de Saint-Phalier lâchés sur le diable.

- Qu'appelles-tu les chiens de Saint-Phalier?

- Nous nommons ainsi les cloches de la paroisse qui, mieux que limiers suivant la piste, savent chasser les démons et les tempêtes

En arrivant devant l'église, l'escorte royale aperçut une foule nombreuse assemblée autour d'une femme qui, se tordait sur le sol dans d'horribles convulsions.

Le Roi demanda l'explication de cette scène à un villageois qui lui répondit :

- N'approchez pas, Messire, n'approchez pas ... C'est une sorcière possédée du malin. Elle se vante d'appeler et de commander aux puissances de l'air. Aussi, quand l'orage d'aujourd'hui éclata sur la paroisse, vous l'eussiez vue riant, dansant, gesticulant, sans s'inquiéter de la pluie et des éclairs, tandis que chacun se réfugiait dans l'église ou les maisons. Mais elle avait compté sans les chiens de Saint-Phalier, car aussitôt que nos bonnes cloches se mirent en branle pour conjurer la tempête, elle rougit, pâlit, chancela et tomba dans les contorsions qui l'agitent encore en ce moment. Dieu veuille, pour elle et pour nous, que cela lui serve de leçon."

Comme à Saint-Outrille, nous retrouvons le diable et le clocher. L'historien Bernard Gineste, évoquant  un Saint Phalier du côté d'Etampes, note que "Au moins en Sologne et dans le Berry, saint Phallier passait bien au Moyen Age pour garantir précisément des orages (et accessoirement des autres intempéries nuisibles aux cultures, pour les clercs, qui en faisaient un nouvel Élie, capable donc théoriquement, comme ce grand thaumaturge biblique, d’ouvrir le ciel autant que de le fermer: mais il s’agit d’une rationalisation secondaire). On lui présentait aussi les personnes étiques qu’on disait en chartre, c’est-à-dire en proie au carreau, maladie que Littré appelle encore atrophie mésentérique, et qui retardait gravement le développement des enfants."

B. Gineste conteste l'assimilation, proposée  par de nombreux auteurs ( celle-là même à laquelle j'inclinais) de Phallier (ou Phalier, du latin phalerius, «originaire de Phalères») à un culte phallique, priapique. Il critique ainsi l'hypothèse de Michel Martin, rédacteur d'un livre sur le passé d'Etampes, mettant en relation une statue ithyphallique découverte à Morigny avec saint Phalier.

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 Fresque de Priape (Pompéi)

"Cette sculpture, explique Gineste,  proviendrait précisément du sanctuaire du vicus gallo-romain d’Étampes (qu’il place dans l’actuelle zone industrielle), tout près de l’endroit où plus tard fut érigée la chapelle de Saint-Julien martyr d’Antioche.Or il y avait dans cette chapelle un autel consacré à saint Phallier, ermite à Chabris en Sologne au 5e siècle (dont Fleureau nous résume l’hagiographie à la page 19 de ses Antiquitez d’Estampes). Ceci, nous dit l’auteur, «illustre localement cet apprivoisement des pratiques judéo-chrétiennes», et «cet exemple montre que les lieux de culte chrétiens succèdent fréquemment à des sanctuaires antiques». En d’autres termes on serait passé presque sans interruption de Priape à saint Phallier."

Bernard Gineste réfute cette hypothèse en arguant du fait que le  grec phallos, «membre viril» "n’a pourtant jamais été d’usage dans le latin antique. A peine trouve-t-on le mot phallus chez un érudit africain de la fin du 3e siècle et il n’apparaît clairement en français qu’au 16e siècle chez quelques érudits. Martin n’est-il pas le premier à sourire en lisant chez dom Fleureau, ou encore chez Montrond, que les druides parlaient sûrement le grec? les Étampois du Bas-Empire et de l’époque mérovingienne ne le parlaient pas davantage."


Dans une autre page, Gineste écrit que "cela réduit à néant le rapprochement entre ces deux cultes, car il n’y a par ailleurs aucun commencement de lien palpable entre ce que nous connaissons du culte de Priape et celui de saint Phallier." Et il termine en affirmant :" Il nous faut donc nous contenter du peu que nous savons et espérer que quelqu’un s’attelera prochainement à une étude sérieuse  et réellement critique de ce que nous savons de saint Phallier et de son culte."

Unn peu déconfit, je l'avoue, je revins alors à mes cartes et fis une découverte que je n'hésite pas, pour une fois,  à qualifier de capitale.

 

(A suivre)

 

 




 

23:55 Publié dans Sagittaire | Lien permanent | Commentaires (1)