Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

05 février 2008

De saint Genou à Diou

L'espace vide entre le carré de Saint-Genou (appelons-le ainsi provisoirement) et le cercle de Saint-Phalier correspond, disais-je,  à l'espace du torque dans la statue dite du dieu d'Orsennes. Sitôt après avoir terminé l'écriture du billet, une autre relation géométrique m'a alors sauté aux yeux. J'ai déjà mentionné l'axe Saint-Genou passant par Sougé (même origine, faut-il aussi le rappeler, que Souvigny) et désignant l'oppidum de Levroux. Or, toujours en partant de Saint-Genou, il suffit de faire basculer cette ligne de quelques degrés pour rejoindre cette fois la cité de Levroux. Et si on la prolonge, on constate qu'elle atteint Saint-Phalier en tangentant le cercle dédié à ce saint priapique, puis qu'elle traverse très exactement Ménétréols-sous-Vatan, centre de la couronne de Ménétréols, avant de rejoindre le petit village de Diou, sur les rives de la Théols. Si on continue au-delà, on arrive à Saint-Doulchard, l'antique Ampeliacum, juste au-dessus de Bourges.

Notant également que cet axe croise quasi perpendiculairement l'axe Saint-Aoustrille - Saint-Outrille, je reste frappé par la rigueur de la construction.

Un mot, maintenant,  sur Diou, nouveau venu dans ces investigations : le village apparaît comme Dio en 1177, parochia de Dyo en 1298, enfin sous la forme actuelle au XIIIe siècle. S. Gendron y voit un probable nom divin, "du gaulois devo "dieu" (comp. Devo-ialo "lieu divin"> Deuil, Seine-et-Oise), qui entre en composition dans Jovard (*Divo-duros) et Diors. Un homonyme dans l'Allier : Diou, malheureusement sans mention. Sur la commune de Diou (Indre), on a retrouvé, en 1986, un fanum entouré d'une grande enceinte en fossé (...). Le site est à proximité du gué de Chaprenan, sur la Théols (...)." (Les Noms de lieux de l'Indre, p. 5)
Ceci confirme la valeur sacrée de l'alignement, valeur sacrée que l'on accorde par ailleurs au torque (c'est bien parce que le personnage porte un tel bijou que l'on peut penser qu'il représente une divinité).

31 janvier 2008

Le dieu d'Orsennes

Revenons à Saint-Ambroix, sur le parallèle de Saint-Genou. Une direction cardinale reste à explorer, qui n'est autre que le méridien du lieu. Suivant grosso modo la limite entre les deux départements berrichons, il passe par la chapelle de Dampierre, Chezal-Benoît, rase  St Christophe-en-Boucherie, traverse Champillet (l'autre localité indrienne du même nom, Champillé,  est située, rappelons-nous, près de Sougé, au point médian de l'axe Levroux-Saint-Genou), avant d'entrer en Creuse et de croiser le parallèle de Bazelat, vers  Malleret-Boussac.  .


Ce faisant, c'est une autre figure géométrique d'importance qui s'impose à nos yeux : un quasi-carré (les côtés verticaux (le second est le méridien de Saint-Genou) sont cinq kilomètres plus longs que les côtés horizontaux). Carré qui s'ajoute donc notamment au triangle de saint-Outrille et au cercle de saint Phalier, composant sur la presque totalité du département une silhouette anthropomorphe qui n'est pas sans m'évoquer ce curieux personnage au torque, que Jean-Louis Brunaux (Les Gaulois, sanctuaires et rites, Errance, 1986) désigne comme le dieu d'Orsennes (on peut l'admirer au musée Bertrand à Châteauroux).

 

585739f7a312151bab97551114190e43.jpg


La surimpression des deux images est assez éloquente :

063062d99276dc3739102632996ee741.jpg

 

L'espace vide entre le carré et le cercle est rempli par le torque. Or, Levroux est au coeur de cet espace, alors même qu'on y a retrouvé une semblable statue, comme le signale cette étude :

"Le Centre de la France possède également une série de bustes sur socle du même type. Un inventaire raisonné en a été récemment dressé (Menez et coll. 2000) à la suite des travaux de G. Coulon (1990) et montre une certaine concentration dans l’ancienne cité des Bituriges avec les découvertes de Pérassay, Orsennes et Levroux dans l’Indre, Châteaumeillant dans le Cher2 (...) la statuette de Levroux gît dans une fosse comblée de matériel de La Tène D1b (100-80 av. J.-C.) et se trouve notamment associée à une ramure de cervidé (Krausz et al., 1989) ; celle de Châteaumeillant participe du comblement supérieur d’un puits attribué aux années 30-20 av. J.-C. et surmonte une « couche » d’andouillers de cervidé (Hugoniot, Gourvest 1961) (...)" [C'est moi qui souligne]

Notons que Perassay, comme Châteaumeillant sont situés à proximité du méridien de Saint-Ambroix.


e1fbe0a8e2afeb39ace81951ee481497.jpg
En noir, le méridien de Saint-Ambroix

 

"À Levroux comme à Châteaumeillant, on relève malgré le décalage dans le temps des abandons que les statues étaient brisées et associées à un ou plusieurs bois de cervidé. Ces points communs pourraient relever de gestes d’offrandes, d’autant que l’on connaît l’importance du cerf dans les religions protohistoriques, notamment dans la sphère sacrificielle (cf. scène du sacrifice des deux cerfs du chariot de Strettweg, pour ne prendre qu’un exemple ancien).

Les bustes à socles de France centrale, de même que ceux du reste de la Gaule, présentent des caractéristiques communes qui visent à souligner deux aspects principalement : les apparences physiques et la détention de marqueurs d’autorité. Les figurations de moustaches, de chevelures complexes avec un bandeau et parfois de lourdes mèches tirées en arrière montrent l’importance accordée à l’aspect du visage ; les costumes ne sont pas en reste puisque plis, manches et encolures de vêtement sont souvent rendus avec précision. D’autres détails, tels les bras ramenés sur le torse, accentuent le hiératisme des attitudes. Mais surtout, des insignes liés à l’exercice de dignités militaires et/ou religieuses sont portés ou brandis ostensiblement : il s’agit très souvent du torque, parfois du poignard ou de l’épée (Paulmy) et de la lyre (Paule)." (José GOMEZ de SOTO et Pierre-Yves MILCENT,  La sculpture de l’âge du Fer en France centrale et occidentale)


L'examen des médianes et diagonales du carré va maintenant nous conduire à de nouvelles découvertes. (A suivre)

15 octobre 2007

Phalères

Si l'on réfute le grec phallos (et non phallus) comme origine du nom Phalier, on ne se sort pas pour autant du grec avec Phalerius, car ce dernier terme nous renvoie à deux autres mots héllènes:
  • Phalères : qui désigne la rade qui servit de port à Athènes au VIe siècle, avant la construction du Pirée.
  • ta phalara (en latin phalerae) : "Plaques rondes d'or, d'argent ou d'autres métaux, sur lesquelles étaient gravée ou ciselée quelque figure en relief ; ainsi la tête d'un dieu, l'image d'un roi ou d'un empereur, ou quelque emblème ; des pendants, en forme de croissants ou de larmes, y étaient souvent attachés. Les personnes de distinction en portaient sur la poitrine, comme ornement ; c'était pour les soldats une décoration militaire que décernaient leurs chefs, et quelquefois elles servaient de harnais de luxe pour les chevaux (Liv. IX, 46 ; Sil. Ital. XV, 255 ; Virg. Aen. IX, 359 ; V, 310 ; Claud. IV, Cons. Honor. 549)." Anthony Rich, Dictionnaire des antiquités romaines et grecques.
Le phaleratus désignait celui qui portait des phalères.

Stèle funéraire de l'aquilifer Cnaeus Musius,
décoré de deux torques et neuf phalères
Ier s. après JC
Landesmuseum, Mainz (Allemagne), 2002

© Agnès Vinas

L'origine de ces phalères n'est pourtant pas romaine. Comme en bien d'autres domaines, les Romains ont emprunté, dans ce cas particulier, semble-t-il aux Etrusques. Mais les Celtes eux aussi connaissaient les phalères, à tel point que Vincent Jauvert, présentant un travail sur l'Est au temps des Gaulois, peut écrire que "le plus époustouflant de l’art celtique, ce sont peut-être les phalères, les petites pièces rondes en fer ou en bronze de quelques centimètres de diamètre qui décoraient les chars des guerriers ou les harnachements de leurs chevaux. Celle que nous présentons ici date du ive siècle av. J.-C. et a été découverte dans la tombe d’un riche militaire à Cuperly, dans la Marne. L’organisation parfaite du décor surprend. Selon les spécialistes, tout a été préparé au compas. Cette harmonie aurait-elle une signification particulière? Certaines de ces phalères ont été récemment étudiées par des mathématiciens intrigués par la forme géométrique de leur décor. Ils ont conclu que les Gaulois étaient probablement des adeptes de la cosmogonie du grec Pythagore! Incroyable, par Toutatis!" (C'est moi qui souligne.)

dfe9d8fa283e58e0c52d7837fc5c003c.jpg

Cette interprétation est corroborée par l'archéologue Jean-Louis Brunaux, dont j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer le livre récent sur les Druides, lors d'un entretien avec François Dufay, pour le journal Le Point :

"Vous-même, n'avez-vous pas tendance à faire des druides des « philosophes » à la grecque égarés chez les Barbares ?

Non. Comme celle des présocratiques, la philosophie druidique est un savoir universel incluant la métaphysique, les mathématiques, l'astronomie, la botanique, la géographie, la géologie... Loin d'être des magiciens répandant la superstition, ces intellectuels cherchent les causes premières des choses, sous forme d'une pensée qui commence à revendiquer sa rationalité.

Vraiment ?

Quand on voit le calendrier trouvé à Coligny, dans l'Ain, datant du Ier siècle, héritage de leur savoir astronomique, ou des créations artistiques comme certaines phalères au décor géométrique d'une complexité inouïe, on n'est plus dans le domaine des tâtonnements, mais bien de travaux fondés sur des calculs, des mesures, des expériences
." (C'est moi qui souligne.)

708eccc079a0dfceafdec0992c24ec63.jpg

 

Comment ne pas faire de  rapport entre ces phalères, rondes et géométriquement complexes, et le cercle défini par le triangle de saint Phalier ? Tout se passe comme si on avait tracé au sol une gigantesque phalère. Y a-t-il une  divinité celtique  cachée derrière tout cela ?


Si l'on reprend les qualités attribuées à saint Phalier, il nous faudrait donc une figure liée aux orages, capable de les maîtriser, éventuellement escortée de chiens, en rapport également avec les eaux (fontaine Saint-Phalier du pélerinage chabriote, ruisseau dit de Saint-Phalier alimentant la Céphons à Levroux) : une figure simultanément céleste et chthonienne (la statue de Phalier repose dans la crypte de l'église de Chabris). Jean-Louis Desplaces cite un article du journal de l'Indre de 1834 qui rappelle que les fidèles avaient habitude de déposer les enfants malades dans le tombeau du saint :
"C'est dans une petite chapelle souterraine et fort obscure, située derrière le maître-autel, que l'on va particulièrement implorer l'assistance du saint. Au fond de cette chapelle est la statue de saint Phalier et dans un réduit, plus bas encore, est un sarcophage en pierre, dont la forme annonce qu'il peut dater du Vè siècle : c'est dans ce sarcophage qu'on dépose les enfants malades et languissants... L'analogie du nom avec celui de l'emblème de la fécondité ne peut être l'effet du hasard."
(Cité par J.L. Desplaces, Florilège de l'eau en Berry, 3ème volume, 1986, p. 61.)

1811c511ec7616baf7ffe5dbe2c3a7e7.jpg



Cette figure -inutile de prolonger le suspense - nous l'avons déjà rencontrée : c'est celle de Sucellus, le dieu au maillet, que l'on peut aussi rattacher au Silvain latin et au Jupiter gaulois Taranis dont l'attribut principal est la roue. Sucellus, déjà vu à Levroux, et qu'il n'est donc pas très étonnant de retrouver tout près de là sous la forme de saint Phalier, s'affirme décidément comme le grand dieu du nord de l'Indre. Sa christianisation sous les formes diverses de Silvain et de Phalier dut être longue et complexe.

b67a0af92e5902f87e0ad74f63950639.jpg

Le Châtelet (Hte-Marne).

Jupiter-Taranis à la roue, au foudre et aux éclairs


Devons-nous maintenant abandonner résolument l'hypothèse phallique du nom de Phalier (on s'est aperçu en passant qu'en 1834, cette analogie semblait aller de soi) ?
Pas si sûr...

(A suivre)