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07 janvier 2011

Eclipse

Ce soir, au courrier électronique, cette très belle photo, envoyée par un ami, de la récente éclipse solaire.

Il la présentait ainsi : "voici ce que l'on pouvait voir aux aurores du 4 janvier à Bouesse."

Geoff's Sun Eclipse at Bouesse, France..JPG

Bouesse, bien sûr, dernière demeure de Simone, ma grand-mère. Cette éclipse m'apparaît comme un ultime hommage : cette barque solaire me rappelle la barque funéraire égyptienne, celle, par exemple, de Khéops.

L'ami qui m'envoyait ce cliché ignorait alors le décès de ma grand-mère.

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La photo est de Geoffrey Eke, un Anglais vivant à Bouesse. Merci à lui.

26 décembre 2010

L'alouette et le buis

Simone, ma grand-mère, est morte. Elle était âgée de 95 ans, les souffrances avaient été vives et nombreuses ces dernières années, et ce départ est plutôt pour elle un soulagement. N'y voyant et n'y entendant plus que très mal, ne pouvant plus se déplacer seule, elle avait à peu près perdu le goût de vivre. Depuis 2002, où elle était allée vivre chez l'un de ses fils, je ne lui apportais plus ces livres en gros caractères de la bibliothèque d e La Châtre où j'avais pris spécialement pour elle un abonnement. Avant cette date, pendant des années, je l'avais alimentée de littérature régionale, celle qu'elle préférait, car elle avait souvent pour thème les campagnes et les destins paysans, histoires du seul monde qu'elle ait jamais connu. Car, en  presque un siècle d'existence, je ne pense pas qu'elle se soit souvent aventurée au-delà même des limites de sa commune et de son hameau. Et pourtant, sa destinée fut marquée et ô combien par les charivaris du monde, le bruit et la fureur de ce terrible vingtième siècle.

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Née donc le 10 octobre 1915, elle ne connaîtra pas son père, emporté très vite par la guerre. Et comme sa mère n'était pas mariée, elle ne connaîtra pas plus le père et la mère de son père, et ce sont ses grands-parents maternels qui pratiquement l'élevèrent. Elle se marie jeune, en 1933, avec Lucien, mon grand-père, rencontré, m'a-t-elle raconté, alors qu'ils menaient tous deux, sur un chemin, des boeufs et des vaches. En 1940, Lucien est fait prisonnier. Il ne reviendra qu'en mai 45. Pendant cinq longues années, Simone élevera seule trois petits enfants, dont l'aîné est mon père.

A Bouesse, dans la petite église, eurent lieu vendredi les obsèques. Ses sept enfants étaient là, ainsi que bon nombre de petits et arrière-petits enfants. Juste avant l'office, la tante qui s'est occupée d'elle jusqu'au dernier moment me demanda si j'avais prévu de dire quelque chose. J' y avais pensé, certes, mais je ne m'estimais pas plus légitime qu'un autre pour prononcer quelques mots d'hommage, et je n'avais donc rien préparé. Cependant, personne n'ayant rien préparé non plus, sauf des lectures d'évangile, je me sentis autorisé et même presque contraint à me lancer : elle ne pouvait pas partir sans que quelques paroles ne lui soient spécialement dédiées, sans que sa mémoire ne fût évoquée, de façon simple et concrète. Je sentais que je devais être la voix de tous ceux qui étaient cet après-midi rassemblés.

Dehors la neige tourbillonnait devant les anges, placées là pour les fêtes, qui gardaient la porte de l'église, et le froid intense rappela à ma propre mère celui qui sévissait il y avait tout juste 50 ans, dans cette même église, à l'occasion d'un événement qui n'était autre que mon baptême. Pour être exact, c'était le jour de Noël, mais le jeune prêtre rappela que la messe d'enterrement devait être célébrée de bon matin le lendemain même de ces funérailles : c'est donc exactement 50 ans, jour pour jour, qui séparent mon baptême et le dernier au revoir à ma grand-mère. Et je ne pouvais pas ne pas songer à cet article écrit ici-même pour mes 50 ans, où la neige et la guerre de 14 avaient bonne place déjà. Et, à cette date, rien ne laissait augurer de la rapide dégradation de santé de Simone.

Et les échos à la géographie sacrée dans les bornes mêmes de son existence ne sont pas niables : née dans la commune voisine de Malicornay, au lieu-dit l'Alouette, et décédée à La Verrerie, commune de Bouesse, elle est allée symboliquement de Bélier à Poissons, du premier au douzième signe du zodiaque. Il y aurait beaucoup à dire sur l'alouette, oiseau sacré des Gaulois, dont les ailes ornaient les casques d'une légion gallo-romaine fondée par César. L'alouette qui chante dès le matin exalte les valeurs du premier signe de printemps : « Son envol dans la claire lumière du matin évoque l'ardeur d'un élan juvénile, la ferveur, la joie manifeste de la vie. », note le Dictionnaire des Symboles (Robert Laffont, 1982, p. 25).

Née le 10 octobre, elle est Balance, l'autre signe équinoxial, mais sa mort le 21 décembre la rattache au solstice.

Et je rappelerai que Bouesse est placée presque au centre du carré barlong de Saint-Genou, le carré sacré du buis, découvert en 2008.

 

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La diagonale SO-NO prend Bouesse et Malicornay dans sa visée. C'est sur la route de Buxières d'Aillac, l'autre village portant le buis dans son étymologie , que se situe le petit cimetière où nous accompagnâmes, à travers la bourrasque neigeuse, Simone pour son dernier voyage. C'est le lieu de rappeler aussi que le buis est, de par sa longévité, symbole d'immortalité et de la résurrection du Christ.

De l' alouette au buis, de la naissance au terme, que la vie de mon aïeule s'inscrive ainsi avec tant de précision sur les lignes de force d'une géographie symbolique immémoriale me laisse comme étonné et perplexe. Quelles places accordées respectivement à la détermination et à la liberté ? Que penser au fond de cette nouvelle énigme ? De cet intime tissage de nos destins ?

     

29 novembre 2010

Cinquante ans

La perspective d'avoir cinquante ans ne m'a jamais plu. Trente, quarante ont été des bornes effacées sans problème ; soixante et soixante-dix ne m'ont jamais fait peur (mais qu'en sera-t-il quand elles seront concrètes, si tant est, bien sûr, que je les atteigne ? ). Cinquante, seul, ne m'a jamais tenté, comme si le nombre était affecté d' une sorte de bâtardise, un entre-deux peu ragoûtant entre la jeunesse, dont on ne saurait plus se prévaloir, et la vieillesse, à laquelle on ne saurait encore appartenir. Temps annoncé du déclin, de la force qui décroît, de la santé qui vacille, des idées qui se sclérosent, du pouvoir exécré qui guette. Temps réputé des crises, des démons de midi, des bilans doux-amers, des ruptures sauvages et des veules renoncements.

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Mais temps de cadeaux aussi, comme autant de présents pour congédier le passé et conjurer l'avenir. Parmi eux, en premier lieu, un voyage - court – à Paris, avant la date rituelle parce que ce n'était pas possible autrement, pour assister au dernier spectacle du Théâtre du Soleil, à la Cartoucherie de Vincennes, Les Naufragés du Fol Espoir.

Première fois que je me rendais là, train, métro, navette, au bout de la ligne 1. Installé au premier rang, des couvertures sur les genoux, distribués par la troupe, à cause d'un courant d'air frais passant au ras de la scène. Histoire folle d'un tournage de cinéma muet dans le grenier d'une guinguette, à l'aube de la guerre de 14-18. Film inspiré d'un obscur roman de Jules Verne, naufrage d'un navire près de la Terre de Feu, la banquise, la tempête, la neige, l'utopie, la mort. Quatre heures d'éblouissement.

Je reviens le soir même. Retrouve mes ouailles, en Berry, et puis, plus tard, trois recueils de poésie où je butine certains soirs, toujours avant minuit, Alors c'est Reverdy, Bonnefoy, Roubaud. En premier, Reverdy, Plupart du temps, I, 1915 -1922. Tiens, c'est la même époque. Et le poème qui se présente à moi (je lis sans jamais déroger à l'ordre voulu par le poète, c'est si systématique que j'ai maintenant des doutes sur ce terme de butinage, mais bon, passons), ce poème est le premier de La lucarne ovale, daté de 1916. Poème justifié, sans titre :

 

En ce temps-là le charbon

était devenu aussi précieux

et rare que des pépites d'or

et j'écrivais dans un grenier

où la neige, en tombant par

les fentes du toit, devenait

bleue.

 

Ces vers faisaient formidablement écho à l'histoire des Naufragés, ce grenier où pénétrait la neige c'était celui de la guinguette où la neige descendait du plafond par un jeu de guindes et de poulies, était jetée par les assistants devant les ventilateurs, tandis que les toiles peintes déployées à l'arrière-plan figuraient l'immensité australe.

naufrages.jpg

Quant à l' or , il tient aussi une place cruciale dans le récit puisque c'est lui, objet de toutes les convoitises, qui va faire sombrer l'utopie des Naufragés.

Et je m'avise aujourd'hui que Reverdy, dont le tome 1 des Oeuvres Complètes est sorti dans une nouvelle édition en mars 2010 chez Flammarion, est mort en 1960, année donc de ma naissance, alors qu'il « était arrivé à Paris à 21 ans, seul et sans appuis, en 1910. » Comptez : cela fait cinquante ans.

Ce n'est pas fini : la même nuit, je me replongeai dans La dernière leçon, le récit de Noëlle Chatelet sur la mort volontaire de sa mère. Petit livre acheté récemment à Nohant, à l'occasion de la remise du prix George Sand du carnet de voyage réel ou imaginaire, où l'écrivain était présidente du jury. Je l'avais commencé avant de partir à Paris et voici que je tombai sur cette page 101 :

Le jour même de mes cinquante ans, il y a neuf ans, tu es arrivée, dans notre maison où l'on fêtait l'événement, bien avant tout le monde, en pleins préparatifs :

« Il est juste que j'arrive la première, as-tu dit en plaisantant. Je ne suis pas une invitée ! Je suis ta mère et puis je suis quand même pour quelque chose dans tout cela, non ? »

Tu t'es assise un moment pour reprendre ton souffle (tes quatre-vingt quatre ans pesaient lourds déjà) et puis tu as sorti de ton sac un petit paquet ficelé. C'était le pendentif. »

Ce bijou est un très original pendentif des années trente que Noëlle Chatelet admirait depuis toujours au cou de sa mère, et qu'elle lui avait déjà promis de lui donner :

« C'est trop, maman... Je ne veux pas... Je ne pourrai pas le porter... »

Non. Pas avant. Pas avant que tu sois partie. J'avais retenue la leçon. Tu ne pouvais pas être tout à la fois vivante réellement et morte symboliquement, n'est-ce pas ? Le bijou t'appartenait puisque tu étais venue pour fêter le premier jour de mes jours. Pourtant, j'ai senti que refuser ce cadeau n'était pas non plus possible, que sa suprême valeur tenait dans le fait que c'était toi-même qui me l'offrais. Senti que tu y tenais, à ce geste probablement pensé et repensé d'un geste hors du commun pour mes cinquante ans.

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Le facteur de coïncidences avait ainsi salué à sa façon mes cinquante ans à moi.

18 août 2010

Fortis imaginatio generat casum

Le facteur de coïncidences sonne souvent plusieurs fois. Fait qui s'est vérifié encore aujourd'hui. Suite au commentaire que m'avait laissé Sylvie Durbec sur mon dernier billet, je suis retourné sur La Petite Librairie des Champs, et j'ai cliqué sur le lien de Karlatone, intitulé Una fuerte imaginación hace que las cosas sucedan, daté du 14 août 2010. Il s'agissait indubitablement de cette amie mexicaine dont elle me parlait dans le commentaire, mais sans me donner ses coordonnées précises.

J'ai lu* ce texte passionnant à maints égards, qui ne craint pas d'attribuer à Montaigne la création du concept de hasard objectif (azar objetivo). Entendons bien que si le terme en est bel et bien créé par André Breton, Karlatone (Karla Olivera) voit l'ébauche de l'idée chez Montaigne. Cette filiation intellectuelle n'a, à ma connaissance,  jamais été relevée, et je ne m'attarderai pas ici à en discuter la pertinence. Je veux juste verser un élément de plus à ce dossier du hasard objectif (si l'on veut bien garder pour l'instant ce concept sous la main) tel qu'il s'est présenté à moi, une fois de plus, avec la récurrence de la même citation de saint Luc, dans un journal de Julien Green acheté à Angles sur Anglin et dans un livre de pensées fragmentées nommé Etincelles.

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Au début de l'article, Karla cite Enrique Vila-Matas : "En las primeras páginas de Doctor Pasavento, Enrique Vila-Matas (EVM) advierte “Fortis imaginatio generat casum, es decir, una fuerte imaginación generó el acontecimiento, que decían los clérigos en tiempos de Montaigne.”"** Il se trouve tout de suite qu'Enrique Vila-Matas est l'un de ces écrivains de la coïncidence dont j'ai déjà eu l'heur de parler. Il se trouve encore que ce livre-là, Doctor Pasavento, je l'ai lu (et je suis encore loin d'avoir tout exploré de l'oeuvre du catalan), mais j'avoue que j'avais complètement oublié ce début à la tour de Montaigne, et a fortiori la devise. Il se trouve enfin que je l'avais acheté, comme Ce qui reste de jour, à Angles sur Anglin, le 14 août 2007, trois ans donc jour pour jour avant la parution de l'article de Karla (dont je n'aurais sans doute jamais pris connaissance sans le commentaire de Sylvie).

Est-ce ma (puissante ?) imagination qui a engendré cet événement (qui ne bouleversera pas la face du monde, j'en conviens) et provoqué cette nouvelle coïncidence ? J'ai plutôt l'impression d'une confluence des imaginaires ; d'une rencontre polarisée par un lieu, un moment, un thème ; d'un rendez-vous impromptu auquel nul ne s'attendait. Aucune intention, aucune image au départ, juste l'attention à ce qui survient, à ce qui tombe, oui, comme un coup de dés, improbable et lumineux.

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* Merci à Stéphanie, qui a établi la traduction intégrale de l'article. J'ai dit que je lisais l'espagnol, mais de terribles lacunes de vocabulaire m'en obscurcissaient ici et là le sens.

** Dans les premières pages de Doctor Pasavento, Enrique Vila-Matas avertit : « Fortis imagination generat casum, autrement dit une forte imagination engendre l'évènement,  disaient les clercs au temps de Montaigne ».

16 août 2010

Ce qui reste de jour

Dans la seule vraie librairie qui reste à Châteauroux, portant le beau nom d'Arcanes, j'ai découvert la semaine dernière Etincelles III, un livre écrit par François Cassingena-Trévedy, un moine de Ligugé. Je n'en avais jamais entendu parler, ni du livre, ni de l'auteur, mais il m'a suffi d'ouvrir le volume et de lire quelques lignes pour aussitôt avoir la certitude que ce livre-là, il me le fallait, il correspondait à ce que j'avais besoin de lire à cette époque-ci. Ce sont fragments, aphorismes, pensées, consignées au fil des saisons et des repères de l'année liturgique, en une langue somptueuse, chargée de poésie. La Bible, les Evangiles y sont sans cesse interrogés, examinés, médités, sans que cela rebute l'agnostique que je continue d'être. Je ne saisis pas tout, je l'avoue, et bien des passages me restent obscurs, mais j'avance tout de même chaque jour, à tâtons souvent, dans ces Etincelles qui méritent si bien leur nom, car elles ne cessent d'illuminer la nuit où nous errons.

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Il se trouve que l'évangile le plus cité par l'auteur est celui de saint Luc. Ce qui m'a donné envie de le, je n'ose dire relire, car il me semble que je ne l'avais jusque-là pas vraiment lu, et pourtant, en décembre 2000, je l'avais acheté en une autre librairie aujourd'hui disparue, dans la collection éditée par Le serpent à Plumes et Mille et Une Nuits, sous la forme d'un petit opus à dix francs préfacé par Linda Lê.

Là-dessus, hier, je me rends comme chaque année à Angles-sur-Anglin pour la Foire du Livre. Chaque fois, c'est la chasse au trésor, et j'y chargeai ma besace entre autres de Dhôtel, Gracq, Dickinson, et puis, en dernier lieu, d'un volume du Journal de Julien Green, Ce qui reste de jour, 1966-1972. J'avais acheté il y a longtemps, chez un bouquiniste de  Dijon, le volume précédent, Vers l'invisible, et voici que la suite me faisait signe, d'autant plus que la citation en exergue, qui donne son sens au titre, est tirée de saint Luc : "Reste avec nous, car il se fait tard, et déjà le jour baisse." (XXIV, 29)

Le soir-même, je reprends là où je l'avais abandonnée la lecture de François Cassingena-Trévidy. Or je tombe immédiatement sur le fragment suivant :

"Ils le pressèrent en disant : Reste avec nous, car il se fait tard, et déjà le jour baisse..." (Luc, 24,29) - Ils lui demandaient à demi-mot de les protéger contre l'offensive, contre l'invasion des ténèbres qu'ils secrétaient eux-mêmes comme une humeur maligne. L'homme, l'homme tout seul se fait tellement d'ombre à lui-même ! (p. 138)

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