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06 avril 2009

Le soleil se lève à Sauzelles

 

Retour à Sauzelles. Seul et de bon matin. Dans la pénombre d'avant l'aube je laisse la voiture à Mijault et reprends le chemin qui remonte la rive gauche de la Creuse. J'ai de la chance, le ciel hier très nuageux s'est dégagé pendant la nuit et je devrais voir le lever du soleil sur le Saint Fleuret. Dans ma poche, la boussole l'autre jour oubliée.

M'y voici. Les trois personnages de roche m'attendent, infiniment patients sous leur niche de calcaire. J'escalade le petit sentier et c'est comme si je retrouvais de vieux amis déjà, avec la simple certitude d'être ici à la juste place.

 

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La boussole confirme ce que je pensais, mais la précision de la mesure me laisse rêveur : le champ de la roche est exactement axé nord-sud, ce qui met les trois figures dans la direction de l'est, de cet orient d'où surgit un peu plus tard, de l'autre côté de la rivière, au-dessus du plateau surplombant Bénavent*, le disque orange du soleil levant.

 

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Etincelant à travers le lacis des branchages encore défeuillés, il va rapidement donner à la roche de subtiles teintes rosées, tout en faisant rutiler la Creuse en contrebas. Moment magique.

 

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Cette orientation ne peut être fortuite. La roche originelle a été très évidemment choisie et taillée pour que la stèle s'illumine de ces rayons matinaux. Les mânes des défunts représentés ici devaient trouver satisfaction de cette épiphanie quotidienne.

 

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* Bénavent, Bonus Adventus selon A.F. Aude (Bénavent en Berry et Son Prieuré, 1174-1899), qui signe la bonne arrivée, l'heureux avènement, très clairement ici la (re)naissance de l'astre solaire. La chapelle de Bénavent se situe sur l'horizon oriental du Saint Fleuret comme le montre la carte suivante.

 

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NB : L'article Wikipédia sur Sauzelles comporte un extrait de l'un de mes textes. Cela ne me dérangerait pas outre mesure si la source était citée. Ce n'est hélas pas le cas et aucun renvoi n'a été opéré vers ce site. Je m'en vais protester.

 

31 mars 2009

Le Chemin du Dragon

 

« Après la bénédiction du pain et du sel dans la sacristie, chaque pèlerin vénère par un baiser, les reliques du saint thérapeute des bestiaux, contenues dans un bras d'argent. Ce reliquaire était autrefois promené sur le terroir d'Estaing lors de la procession des Rogations. »

Jean-François Hirsch (in. L'Univers du Vivant, n°4, octobre 1985)

 

Procession-dragon.jpgLes Rogations sont cette fête chrétienne qui se déroule pendant les trois jours précédant le jeudi de l'Ascension. Instituée, semble-t-il, en 470 par saint Mamert de Vienne en Dauphiné, pour lutter contre tremblements de terre, feu du ciel et invasions de démons. Jacques de Voragine, dans sa Légende dorée, écrit qu' « on l'appelle encore « procession », parce que l'Eglise fait généralement la procession. Or, on y porte la croix, on sonne les cloches, on porte la bannière ; en quelques églises, on porte un dragon avec une queue énorme et on implore spécialement le patronage de tous les saints. » Les cloches servent à éloigner les démons et les tempêtes : pour Philippe Walter , c'est une fête agraire où, par « des rites ambulatoires, il s'agit de protéger les récoltes en pleine croissance non seulement à un moment critique de l'année où les risques de gelée n'ont pas encore disparu mais également à une période où la sécheresse peut être dramatique. C'est la saison très redoutée de la lune rousse dont on souligne encore les méfaits dans certains terroirs. Le roux et la rouille sont d'ailleurs l'aspect dominant de toute la période des Rogations ; ils sont au coeur de ce mythe saisonnier. On notera cependant les silences ou les faiblesses de l'explication liturgique sur certains détails de la fête ( les dragons processionnels ou la triade festive par exemple). »(Mythologie chrétienne, Imago, 2005, p.136)

Cette fête n'a pas échappé au regard acéré de Guy-René Doumayrou, qui mentionne lui aussi les Dragons des Rogations survivant encore en plusieurs cités du Languedoc. Mieux, il montre l'existence d'un Axe des Rogations, qu'il rapproche de la visée du premier mai :

 

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« On a été tenté de l'appeler « axe du premier mai », parce qu'il vise le lever héliaque aux alentours de cette date. Toutefois, comme on le trouve souvent balisé en ligne droite sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres, on ne peut l'associer à une position trop précise du soleil dans sa divagation saisonnière. On peut en revanche, sans craindre d'errer, le mettre en rapport direct avec le temps des Rogations puisque, tout aussi bien, l'ethnologie a déjà revalorisé ce vocable d'origine chrétienne pour désigner le groupe fabuleux, beaucoup plus archaïque, des dragons processionnels que l'on sortait pour célébrer ce « rite » destiné à faire descendre les dons du ciel sur la terre0 Axe des Rogations donc, cet orient, dont le trait part du soleil levant au début mai pour s'éteindre avec le soleil couchant du début novembre, sera plus justement encore appelé le Chemin du Dragon. » (Evocations de l'Esprit des Lieux, p. 110)

 

Un peu plus loin, Doumayrou affirme que « le pays de Mélusine, serpente médiévale, ne pouvait manquer d'avoir le sien, le traversant de Poitiers à La Rochelle en passant par Niort, selon un azimut qui est, cette fois, effectivement celui du premier mai. Mais il est issu de Vézelay où rayonna, quelque temps, un des centres les plus importants de la Chrétienté, en l'honneur de Marie-Madeleine. La pleureuse aux longs cheveux n'était pas un dragon, sans doute, mais c'était une « moins que rien », déchue comme Lucifer, pourtant si fort illuminée par l'amour de l'homme divin qu'elle s'éleva à une dignité qui l'égalait presque à la vierge mère. » Et Doumayrou achève ce paragraphe crucial par ce passage que j'ai déjà cité en exergue d'une note passée, sans savoir que j'allais le retrouver encore plus pertinent dans son rapport au territoire que nous arpentons :

 

"L'axe Vézelay - La Rochelle, qui frôle Bourges, dont la cathédrale est dédiée à saint Etienne le lapidé, l'homme dissous par la pierre brute, et traverse les marécages de la Brenne, gouffre ombilical des Gaules, pour aboutir à ce port dont le nom, La Roche-Hélios, la Pierre-Soleil, annonce la métamorphose, au bout du pays qu'illustrèrent les miracles de la Mère Lucine, est le chemin d'étoiles de la Femme Perdue, dragon humanisé."(Guy-René Doumayrou, Evocations de l'Esprit des Lieux, p. 112)

 

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L'axe  des Rogations est indiqué sur cette carte, filant vers Prague.

 

Quand ces résonances se sont offertes à moi, j'ai songé tout de suite à vérifier si le monument de Sauzelles était sur ce fameux Axe des Rogations surgi de Vézelay. Mais non, déception, il s'en fallait d'une petite quinzaine de kilomètres : le Chemin du Dragon filait plus au nord. Déception de courte durée cependant, car en projetant une visée sur Vézelay, je constatai immédiatement qu'elle traversait Bourges (contrairement à l'axe défini par Doumayrou qui « frôle » cette ville en s'en écartant tout de même lui aussi d'une dizaine de kilomètres). Et il n'est sans doute pas fortuit que l'axe Saint-Savin – Le Blanc – Déols, converge lui aussi sur Vézelay.

Enfin, dernier indice très significatif, la paroisse de Sauzelles dépendait elle-même de l'abbaye de Vézelay.

J'ai épluché consciencieusement le guide de l'Indre de Michel de la Torre (Nathan, 1985), c'est la seule des 247 communes du département à posséder cette caractéristique.

27 mars 2009

Le feu secret du Saint-Fleuret

stele-sauzelles-inscription.jpgA l'heure où nous découvrîmes la stèle de Sauzelles, au coeur de l'après-midi, le soleil avait basculé depuis longtemps de l'autre côté de la falaise. Un couple d'habitants du hameau, qui nous avait indiqué le bon chemin, nous avait prévenus : il valait mieux venir de bon matin. J'ai regretté d'avoir oublié la boussole que je m'étais promis d'emmener, mais il était clair que seuls les rayons matutinaux pouvaient illuminer le monument. On a un aperçu de ce que ça doit donner avec une photo d'Hellio et Van Ingen*, deux excellents photographes naturalistes qui hantent la Brenne depuis des décennies. Néanmoins j'aimerais m'en assurer par moi-même et je me suis promis de revenir par ici aux alentours du 1er mai.

Pourquoi le 1er mai ? Tout simplement, rappelons-le, parce que c'est la date où l'on allait autrefois implorer le bon saint Fleuret. Il fallait s'y rendre avant le lever du soleil. Il me faut absolument vérifier si, à cette époque, le monument jouit d'une lumière particulière. A voir donc.

En tout cas, cette attention au soleil levant n'est pas anodine. Pour Anne Lombard-Jourdan, « tout nous porte à croire que les Gaulois adoraient le « soleil croissant », le soleil levant", et elle montre que la fleur de lis des rois de France n'est autre que l'héritière d'un ancien symbole solaire, qu'elle décrit comme « composé d'une croix à branches égales, dont le bras supérieur se divisait pour retomber à droite et à gauche sous forme d'une double courbe (geminae cristae). (...) Il évoquait le soleil à son lever, au moment où il croît. » (Fleur de lis et oriflamme, Presses du CNRS, 1991,  p.87)

 

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Le 1er mai, c'est aussi une date importante dans le festiaire celtique puisque c'est la date de Beltaine, la troisième des quatre grandes fêtes annuelles :

« Beltaine, « feu de Bel » est, au 1er mai, la fête du feu et des maîtres du feu et des éléments atmosphériques, les druides. Fête sacerdotale par excellence, elle indique le début de la saison claire et aussi le commencement de l'activité guerrière. Il n'y a pas d'équivalence continentale attestée mais, dans toute l'Europe, y compris l'ancien domaine celtique, le folklore de mai est immense et varié. C'est surtout celui qui a été le plus difficilement christianisé. » (Françoise Le Roux, Christian-J Guyonvarc'h, La société celtique, Ouest-France, p. 168)

La christianisation, on devine ici qu'elle a passé par l'invention de ce bon saint Fleuret qui a dû prendre la place d'une divinité solaire, peut-être Bélénos ou un avatar de celui-ci. Et de même qu'on allumait à Beltaine deux grands bûchers entre lesquels devait passer le bétail pour les préserver de la maladie, on a attribué au saint "vétérinaire" le pouvoir de protéger les troupeaux. A Estaing, comme à Sauzelles, saint Fleuret est clairement le protecteur des bestiaux. « Le culte, écrit Jean Delmas, attirait certaines années, le jour de la fête, plus de deux cents éleveurs du Nord-Aveyron et du Cantal. » Par la prière à saint Fleuret, les prêtres bénissent encore le pain, la fouace et le sel apportés par ces éleveurs. Le sel, distribué au retour du pélerinage, est sensé protéger et guérir les animaux de la ferme.

Les trois fleurs de lis d'or sur le blason d'Estaing nous apparaissent maintenant comme un indice supplémentaire de la perpétuation sous d'autres formes d'un ancien culte solaire.

 

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* Je ne peux que conseiller leur très beau Terre de Brenne, avec des textes de Maurice Soutif.

 

 

 

24 mars 2009

Au gué de Mijault

 

Difficile à trouver, le monument funéraire de Sauzelles. J'avais fait de fréquents séjours au Blanc, et  jamais on ne m'avait parlé de lui. Aucune indication, aucun panneau pour avertir le touriste ou le simple curieux. Et peut-être est-ce mieux ainsi : ce monument que la tradition nomme le Saint-Fleuret continue de garder en toute discrétion la rive gauche de la Creuse sur laquelle il est établi, dans la pente boisée, à quelques centaines de mètres du hameau de Mijault.

C'est l'abbé de Douadic, François Voisin, encore lui, qui en fit le premier la description, le dessina et en parla en 1873 comme de la sépulture « certainement la plus curieuse et la plus intéressante de tout le centre de la France ». Et il est vrai qu'il faut, pour trouver un monument comparable, se rendre dans l'est de la France (Mirecourt dans les Vosges ou le rocher des Trois-Figures à Lemberg en Moselle).

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Trois niches cintrées sont taillées en bas-relief dans le calcaire, abritant chacune un personnage. «  Celui de gauche, fort dégradé, écrit Gérard Coulon, est une femme vêtue d'une longue tunique. Bien que la figure soit difficilement lisible, on remarque à ses pieds, côté gauche, un petit chien qui fait le beau. Au milieu est figuré un homme tête nue, vêtu d'un habit plus court qui laisse à découvert le bas de ses jambes. Les descriptions et les dessins du XIXè siècle indiquent qu'il tenait un chien dans ses bras. Aujourd'hui, malheureusement, le gel et les intempéries ont eu raison de cette partie du bas-relief : seule une dépression est visible au niveau de la poitrine du personnage. La figure de droite – la mieux conservée – représente une femme dont la chevelure est roulée en bourrelet derrière la tête. Elle tient une aiguière dans sa main droite et près d'elle, un petit chien est assis sur un autel. »( Quand la Brenne était romaine, Alan Sutton, 2001, p. 108)

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Une inscription latine est gravée au-dessus des trois niches, mais Gérard Coulon reconnaît qu'elle est difficile à interpréter « en raison de son caractère lacunaire ». Cependant Isabelle Fauduet en a tout de même proposé une lecture : le personnage central aurait offert ce monument à sa femme Monima et sa fille Servilla, puis ayant perdu une seconde fille, il aurait fait compléter l'inscription par un autre lapicide.

Gérard Coulon rapporte dans son livre la légende attachée à ce lieu, collectée au siècle dernier par un historien local : un voyageur artiste aurait perdu sa femme et sa fille dans la traversée du gué de Mijault, ainsi qu'un chien qui aurait vainement essayé de les sauver de la noyade. Pour « éterniser le souvenir de cette catastrophe », il aurait sculpté la falaise, exactement en face de l'endroit funeste, et se serait représenté entre ses chères disparues, avec le chien dévoué près de sa fille.

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La dame et le chien sur l'autel

Enfin, il faut signaler que le monument, daté de la fin du IIe ou du début du IIIe siècle, attira les pélerins jusqu'au XIXe siècle ; diarrhées humaines, coliques ovines et mauvais sorts sur les troupeaux y étaient conjurés. « Il fallait effectuer le « voyage » le jour du 1er mai, avant le lever du soleil, et déposer quelques pièces de monnaie au pied du monument. »

Voilà pour les faits : la signification des sculptures demeure énigmatique, et de nombreuses questions restent ouvertes : quel est le rôle et le sens des chiens ? Pourquoi a-t-on donné ce nom de Saint-Fleuret (sachant que c'est la seule occurrence de ce saint dans la région et qu'il faut aller à Estaing dans le Rouergue pour en retrouver la trace) ? Pourquoi ce pélerinage le 1er mai, avant le lever du soleil ?

La géographie sacrée va tenter de répondre à ces questions.

 

 

17 mars 2009

Saint Maur, Pigalle et Galifront

 

Déols, inspiratrice du triangle brennou, nous ne faisons là que vérifier encore une fois le rôle primordial de l'abbaye dans la construction de la géographie sacrée médiévale. L'axe Déols-Le Blanc (Ville Haute) semble confirmer la relation étroite entre les deux cités. Examinons-le attentivement.

 

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L'axe Déols-Le Blanc (cliquer pour afficher toute la carte)

Si nous partons de Déols, nous allons tout d'abord suivre le cours de l'Indre, en rasant le quartier Saint-Christophe, jusqu'au village de Saint-Maur. Passé celui-ci, l'axe abandonne la rivière et pique vers la Brenne en traversant la forêt de Saint-Maur ; il atteint ensuite avec une très grande précision le village de Méobecq, où Dagobert, on l'a vu, avait prétendûment fondé l'abbaye. Au-delà du Blanc, il est jalonné par Ingrandes, la Fines antique, à la limite des cités biturige et pictone (et situé sur l'axe équinoxial neuvicien) avant de se ficher à Saint-Savin, la prestigieuse abbaye déjà désignée par une diagonale du carré de Pouligny.

Il faut noter que cet axe passe à proximité de trois lieux-dits nommés le Tertre : Le Tertre Boulu, le Tertre Mondon et le Tertre des Petits-Champs, ainsi que d'un autre lieu-dit Le Perron, que l'on retrouve dans l'étude d'Anne Lombard-Jourdan sur saint Denis :

« (...) à proximité et sans doute sur le flanc même de la Montjoie du Lendit, existait un « Perron » (...). Ce genre de tumulus avec pierre plate date de l'âge du bronze ou de Halstatt, c'est-à-dire entre 1200 et 800 environ avant notre ère. Grâce au respect qu'il inspira aux ethnies successives, le Perron traversa les siècles et il est encore bien attesté au Moyen Age.

L'auteur de Fierabras, chanson de geste du XIIe siècle, après s'être réclamé de ses sources san-dyonisiennes, raconte comment Charlemagne répartit, à son retour d'Espagne, les reliques conquises sur les Sarrasins. Ce partage solennel, opéré devant une foule immense, a lieu au « Perron du Lendit » :

«  A Saint Denis en France fu li tresors portés ;

Au perron, au Lendi, fu parti et donnés.

Pour les saintes reliques dont vous après orés,

Par chou est il encore li Lendis appelés. » (op. cit. p. 51)

Tout se passe comme si ces tertres, petites éminences sur le plat pays brennou, servaient de relais au grand rayon déolois. Le nom même de Méobecq, assez obscur, viendrait peut-être, selon Dauzat, d'un élément gaulois, mello, colline.

 

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Mais l'indice le plus éclairant est sans doute Saint-Maur. Ce saint inconnu ailleurs dans l'Indre (il n'est pas cité par Mgr Villepelet au rang des saints berrichons) rime bien sûr richement avec la Maure de la légende des Bons Saints. Les deux visées primordiales à partir du Blanc, Tours et Déols, portent la même symbolique de l'ombre.

En effet, « Maur, comme l'explique Pascal Duplessis, est le patron des charbonniers et des chaudronniers, lesquels ont en commun la couleur noire que leur confère leur activité. Ce choix s'explique très certainement par l'étymologie du nom de Maur : mauricus désignant un habitant de Mauritanie, noir de peau. »

Le même auteur montre dans une riche étude le lien étroit entre saint Maur et Gargantua : « Dans l'est du département [Maine-et-Loire], trois des dix prieurés ayant appartenu à l'abbaye de Saint-Maur sont en relation avec Gargantua : le Voide et les dégaillochées du géant, Faveraye et le Palet de Gargantua aux Noyers, Blaison et le Caquin de Gargantua à Gohier. Au-dessus de Glanfeuil, un chemin dit de Courgain relie l'abbaye au Thoureil et au village néolithique. Enfin, un épisode contenu dans la vita du Pseudo-Fauste nous apprend que Benoît, aurait donné à son disciple Maur, à l'occasion du départ de celui-ci pour la Gaule, "un fragment du manteau qui avait été déposé dans la grotte vénérable du Mont Gargan, si célèbre par l'apparition de saint Michel" (Dom Chamard). » Le géant qui persécutait l'abbaye avait pour nom Pigalle : "...Merlin luy donna encores huyct jours d'espace pource qu'il avoit oubliée sa grant jument [...], et d'aultre part vouloit revenir par dessus la rivière de Loyre pour tuer deux grans geans lesquelz faisoient grant mal au pays d'Anjou, dont l'ung estoit à Sainct Mor sur Loire et l'autre estoit près Angiers, celuy de Saint Mor estoit nommé Pigalle, et celuy d'Angiers estoit nommé Amaurry, quant Gargantua fut audit S. Mor Pigalle estoit jà mort et enterré, et luy fut monstrée la tumbe où de present l'en veoit encores sa fosse..." (Les Croniques admirables du puissant Roy Gargantua, début du XVIe siècle)

Ce Pigalle, par sa racine GAL, est parent du Galifront brennou, reconnu comme avatar de Gargantua. Les tertres rencontrés le long de l'axe déolois seraient en somme analogues aux dépattures de Gargantua, aux tumulus funéraires du néolithique. Les moines du Bourg-Dieu ont ici certainement cherché à christianiser une très ancienne mythologie, bien ancrée dans les usages rituels des habitants de cette campagne.