25 octobre 2005
Le Magny
Sur le côté Lourdoueix Saint-Pierre – Lourouer Saint-Laurent du triangle de l'eau que nous avons mis en évidence à partir d'une étude des fontaines sacrées liées à la terre, nous retrouvons Le Magny. Une fontaine, dont je n'ai pas encore parlé, est là aussi étroitement liée à l'église du village : à moins de deux cents mètres en contrebas, sur le bord de la route de La Châtre, elle porte le nom de Saint-Rémi. Pourtant, rien dans l'église, ni dans la procession associée ne rappelle le célèbre évêque rêmois. En effet, c'est le 29 juillet, jour de la fête de saint Loup, que l'on descendait à la fontaine, où le curé bénissait l'eau : « (...) à l'église, des évangiles étaient dits, des cierges brûlaient devant la statue de saint Loup. La procession est abandonnée depuis une dizaine d'années mais une messe est toujours célébrée pour la saint Loup. On invoque celui-ci pour la peur ou la guérison des fièvres ; selon Michel Garraut, curieusement, on déposait des pièces de monnaie dans la gueule du monstre terrassé par saint Michel et non devant la statue de saint Loup. » (J.L. Desplaces, op.cit. p. 74).
Saint Loup étant un saint peu fréquent en Berry, ( il n'est d'ailleurs pas répertorié par Mgr Villepelet parmi les saints berrichons), on peut s'interroger sur sa présence ici. C'est le lieu de se souvenir que Le Magny est situé sur l'alignement des saint Eloi. Or, Mgr Villepelet, encore lui, raconte que la reine Bathilde suivit à pied le cortège funèbre de saint Eloi, qui s'était endormi « dans le Seigneur, à Noyon, le dernier jour de novembre de l'an 659. » Il précise ensuite en note que cette reine Bathilde (qui était une ancienne esclave originaire d'Angleterre), aurait voulu transférer au monastère de Chelles - qu'elle avait elle-même fondée et où elle prit voile à la mort de son mari Clovis II - le corps de saint Eloi. « Mais quand on souleva son cercueil, il devint si pesant qu'on comprit que la volonté de Dieu était que le corps du saint restât à Noyon. Il fut en effet enseveli d'abord dans l'abbaye de Saint-Loup qui prit dans la suite le nom de saint Eloi. C'est ce convoi funèbre que suivit à pied et dans la boue, en plein hiver, la reine Bathilde avec ses trois fils Clotaire III, Childéric II et Thierry III. Plus tard les ossements de saint Eloi furent transportés dans la cathédrale de Noyon, qui les conserve encore en grande partie aujourd'hui. » (Les Saints Berrichons, Tardy, 1963, p. 202, c'est moi qui souligne).
L'église du Magny mérite une visite. Outre les statues de saint Loup et de saint Michel (celle-ci en pierre polychrome du XVème siècle), on y admirera des vestiges de fresques et des chapiteaux romans de belle facture, dont une saisissante sirène.
Il y a là sans aucun doute matière à méditation prochaine.
15:10 Publié dans Vierge | Lien permanent | Commentaires (0)
22 octobre 2005
Lourouer Saint-Laurent
J'ignorais qu'elle fût si belle. Personne ne m'en avait jamais parlé. Je l'avais mentionnée en 1989 sans même daigner lui faire une petite visite. Je veux parler de la petite église romane de Lourouer Saint-Laurent.
Mon incuriosité d'alors me stupéfie. Il faut dire que je ne savais rien des fresques qui l'ornaient, et qui, si elles n'ont pas la majesté et l'ampleur de celles de Vic, toutes proches, n'en sont pas moins merveilleuses. Et je dois dire que l'édifice en lui-même, placé au coeur du modeste village, me séduit plus encore que Vic : ses dimensions réduites vous donnent un sentiment d'intimité, de nid calme et chaleureux, qui vous étreint sitôt passé le seuil obscur. Sensation de pénétrer une caverne paléolithique. L'éclairage automatisé se met en route, sinon vous resteriez dans une épaisse pénombre. La beauté des fresques vous saisit alors immédiatement.
Un petit dépliant à l'entrée donne quelques informations. J'y apprends justement que l'église a été restaurée, que la première phase a été réalisée entre 1989 et 1991, que deux autres phases lui ont succédé, de 1999 à 2002, et enfin que « des sondages effectués dans le choeur laissent entrevoir d'autres fresques très riches et très intéressantes, mais le coût de ces travaux serait trop élevé pour être envisagés prochainement. »
En ce qui concerne les fresques visibles, je reproduis ici le texte de la plaquette :
« Les fresques sont importantes, et offrent, comme l'architecture décor multiple et fort curieux tant les superpositions de peintures sont nombreuses (lors des derniers sondages dans le choeur, jusqu'à cinq époques de peintures ont été recensées). Elles portent ainsi témoignage de différentes époques de l'art religieux au Moyen Age.
Les peintures laissent apparaître :
-
Un premier décor en faux appareil, dont les restes sont visibles sur le mur Est de la nef (XI – XIIème siècles)
-
Toujours du XIIème siècle, une fresque représentant une Vierge à l'Enfant (mur Est de la nef, à gauche).
-
XIIème siécle encore, une peinture dont ont été conservés quatre fort beaux visages exécutés par un artiste de talent (mur Sud) et de même facture que les visages de Thevet Saint-Julien.
-
XIIIème siècle, sur la partie droite du mur Est de la nef, registre inférieur, une crucifixion et une mise au tombeau (visible à droite).
-
Fin XIIIème, début XIVème siècles, dans la nef, mur Nord :
Registre supérieur : un paysan et un personnage tenant des fleurs, avec une inscription « AGRICOLANUS », deux oiseaux, un saint Jacques bénissant uns scène de martyre.
Registre inférieur : deux personnages séparés par des végétaux et des colonnes, saint Nicolas libérant les enfants du saloir ; à l'angle, un évâque bénissant (autre saint Nicolas ?)
-
Sur le mur Sud : au niveau du registre supérieur, un chevalier ; saint Michel pesant les âmes face au Diable ; le repas chez Simon le Pharisien (scène semblable à celle de Vic) et une scène inspirée de l'Evangile selon saint Jean « Noli me tangere » articulée avec le mur Est.
-
Au niveau du registre médian, une série de médaillons représentant des animaux fantastiques.
-
Au niveau du registre inférieur, vestiges d'un calendrier, chacun des personnages représentant un mois de l'année, de janvier à août.
-
Sur le mur Est, registre supérieur : une scène de crucifixion : Christ entouré de deux soldats (porte-lance appelé Longinus et porte-tampon). Au-dessus de la croix, Soleil et Lune qui se voilent la face. A droite, un saint jean, à gauche, Marie. A l'extrême droite, une femme en prière, à l'extrême gauche une femme richement vêtue (mode fin XIIIème siècle). La femme de droite complète le « Noli me tangere » du mur Sud.
-
Dans le choeur, sur le mur diaphragme, se trouve une peinture représentant Saint Michel terrassant le dragon.
-
D'autres éléments remarquables ont été mis à jour dans le choeur, notamment au fond de celui-ci, autour des vitraux, qui n'ont pas encore été interprétés. »
A l'occasion de mon passage, j'ai pris quelques photos à découvrir dans l'album, côté droit.
D'autres photos sur ce site.
On peut retrouver par ailleurs plusieurs des fresques de Lourouer dans le très bel ouvrage de Michel Maupoix et Xavier Anquetil, paru en 2004 : Peintures murales de l'Indre, De la couleur au symbole révélé, co-édité par l'Association Rencontre avec le patrimoine religieux et le Conseil Général de l'Indre.
14:20 Publié dans Balance | Lien permanent | Commentaires (1)
19 octobre 2005
Ora et labora
Une des objections que l'on fait souvent au type de travail auquel je me consacre est la sélection, consciente ou inconsciente, des données, autrement dit on ne prendrait en considération que ce qui irait dans le sens de l'hypothèse initiale, et l'on écarterait, plus ou moins intentionnellement, tout ce qui pourrait la remettre en question. C'est en effet un danger qui guette le chercheur, à partir du moment où il a enregistré un nombre certain de corrélations troublantes : dissimuler, oublier, omettre l'anomalie, le site, le mythe, le fait historique ou matériel qui ne fait plus sens dans la configuration envisagée. Bien souvent, la remise en cause à partir de cet indice résistant permet d'élargir encore et de découvrir une nouvelle structure symbolique adventice ou plus vaste. Et quand cela n'est pas possible, pourquoi ne pas accepter son impuissance ? De la géographie sacrée, il en va comme de la mythologie, nous n'en connaîtrons jamais que des fragments - d'où le nom de ce blog – à partir desquels nous hasardons nos reconstitutions. Tentatives toujours risquées, incertaines, provisoires, qui nous éloignent de la tentation de prétendre posséder la vérité.
Confrontons par exemple nos derniers développements à une étude extérieure : en 1989, j'avais choisi celle de Brigitte Rochet-Lucas sur les fontaines du Bas-Berry consacrées à la terre.1 Quatre sont citées :
-
Fontaine Sainte-Madeleine du Ponderon
-
Fontaine de Notre-Dame de Vaudouan
-
Fontaine de la Chaise, à Mosnay
-
Fontaine Saint-Pardoux, à Saint-Chartier.
Or les deux premières, on l'a vu, sont situées en Vierge et la troisième trouve place sur ce que j'ai appelé l'axe majeur, qui est un alignement Vierge-Poissons. Seule une fontaine reste en dehors de notre hypothèse zodiacale. On pourrait la passer sous silence, se contenter d'un trois sur quatre déjà édifiant, mais n'est-il pas plus fécond de prolonger l'enquête, d'aller chercher dans le détail ce qui se rattache à cette fontaine rétive ? Observons déjà qu'une coutume identique à celle de Mosnay, abandonnée aujourd'hui, la caractérisait, c'est-à-dire que les femmes cueillaient des rameaux de buis, les trempaient dans l'eau et aspergaient l'ecclésiastique, lequel devait se laisser faire (sinon la pluie ne venait pas).
De fait, il y a une petite erreur dans la relation de B. Rochet-Lucas : la fontaine se trouve en réalité sur la commune de Lourouer Saint-Laurent, à deux kilomètres environ du bourg, vers le sud-ouest. Or, le titulaire de l'église est saint Pardoux et non saint Laurent. « Fondateur de l'église de Guéret, rappelle J.L. Desplaces, il n'est pas vénéré dans l'Indre où aucune autre paroisse ne lui est dédiée. » (op.cit. p. 69). Quelle est la raison d'une telle originalité ?
Première constatation : la fête de saint Pardoux étant fixée au 6 octobre, cela la place donc dans le signe de la Balance, où se situe précisément Lourouer Saint-Laurent. Je note ensuite que ce village est sur le même parallèle que Mosnay. Saisissons-nous alors de la figuration du signe par une balance avec son fléau et ses deux plateaux : « La flèche, lorsque les plateaux sont en équilibre (équinoxe), ou l'épée qui s'identifie à elle, c'est le symbole de l'Invariable Milieu. » (Dict. Des Symboles, art. Balance, p. 99). Si nous traçons maintenant la ligne Mosnay-Lourouer, le méridien passant par le milieu du segment désigne le village de Lourdoueix Saint-Pierre, dans la Marche. Comme Lourouer (en 1249, cité comme « Decima de oratorio »), Lourdoueix doit son nom à un oratoire.
Remarquons tout de suite que la figure qui se dessine ici, joignant les trois pôles Mosnay-Lourouer-Lourdoueix, est un quasi triangle équilatéral, symbole bien connu de divinité, d'harmonie, de proportion et d'équilibre. Triangle renversé en l'occurence, avec sa pointe en bas, il représente également l'eau et le sexe féminin (d'où, peut-être, les rites d'aspersion que nous avons vus menés par des femmes).
1Ce n'est certes pas la plus exhaustive. Mieux vaudrait maintenant prendre celle de Jean-Louis Desplaces, avec ses trois volumes du Florilège de l'eau en Berry. Je m'y emploierai un de ces jours.
15:05 Publié dans Balance | Lien permanent | Commentaires (0)
Retour sur Crozant
Avant de s'aventurer sur les terres de Balance, j'invite celles et ceux que ça intéresse à approfondir la question de la citadelle de Crozant, sise en zone Taureau, à travers l'article qui lui est consacré sur le portail de Rennes-le-Château. On y retrouvera des extraits de mes notes antérieures, mais aussi bien d'autres informations.
Marc Lebeau, à qui nous devons cette recension, est également l'auteur d'un passionnant article sur Etretat, en relation avec l'oeuvre de Maurice Leblanc, "L'Aiguille creuse", où il était d'ailleurs fait mention de Crozant.
00:20 Publié dans Taureau | Lien permanent | Commentaires (0)
16 octobre 2005
Si le grain ne meurt
A La Châtre, à une dizaine de mètres de l'Indre, au pied de l'ancien château seigneurial (qui abrite maintenant le musée George Sand), surgit la source appelée Grand-Font ou Fontaine Sainte-Radegonde. Un monument néo-gothique du 19ème recouvre le bassin triangulaire de 2,5 m de diamètre, au-dessus duquel trône dans une niche une statue en pierre polychrome de sainte Radegonde. La dénomination de la fontaine est récente : jusqu'en 1900, on l'appelait Fontaine Notre-Dame. Comme à Vaudouan, on y déposait des cierges pour la délivrance des femmes en couches, mais aussi pour celle des prisonniers (le donjon surplombant le site servait surtout de prison ). « Ces femmes « en mal d'enfant », rapporte Jean-Louis Desplaces, se rendaient ensuite en ville Place Notre-Dame, où elles déposaient des « chandelles » devant la statue de la Vierge. » (Florilège de l'eau en Berry, op. cit. p. 58).
Déplaçons-nous maintenant à trois kilomètres de La Châtre, au village du Magny. L'église y a pour titulaire saint Michel (rappelons que les pélerins qui allaient au Mont Saint-Michel s'arrêtaient à Vaudouan). Son histoire mérite attention : elle fut en effet offerte, ainsi que le bourg, à l'abbaye de Déols, en 927, lors de la consécration de celle-ci. Les donateurs ne sont pas anodins : il s'agissait rien moins que de Guillaume II d'Aquitaine et de sa femme Ingeberge. Le chambrier de l'abbaye de Déols était d'office prieur du Magny. Un tel legs à une communauté que nous avons vue, dès le début, présider aux destinées de la vie religieuse de la région, ne peut manquer d'être marquée symboliquement. L'alignement Le Magny-Neuvy saint-Sépulchre est, comme on pouvait s'y attendre, chargé d'indices.
Ayant auparavant traversé La Motte-Feuilly et Briantes (deux paroisses qui relevaient de l'archevêché de Bourges), l'axe majeur (je le surnomme ainsi car Magny s'apparente au latin magnum) passe ensuite par l'abbaye de Varennes et frôle le hameau du Ponderon où se situe une fontaine Sainte-Madeleine invoquée également pour les biens de la terre. Une messe champêtre continue, semble-t-il, d'y être célébrée le 22 juillet, jour de la fête de la sainte. Celle-ci est étroitement associée à La Vierge Marie : elles sont ensemble au pied de la croix du Christ, recueillant ses dernières paroles (cf. Jean, 19, 25). C'est Madeleine qui, la première, découvre le tombeau vide puis Jésus ressuscité.
Prenons encore davantage de champ. Vers le sud-est, l'axe majeur prend racine à Saint-Eloy d'Allier, sur le parallèle de Sainte-Sévère, tandis que vers le nord-ouest, il aboutit au bois de la Chaise, entre Mosnay et le château de la Chaise Saint-Eloi. Un pélerinage existait là aussi, qui reliait l'église du village de Mosnay et les ruines du prieuré de la Chaise, qui relevait de Déols et dont la chapelle était dédiée à saint Eloi : « Arrivés au bord de la fontaine, les pélerins y trempaient un rameau bénit, au moyen duquel ils arrosaient le curé, afin d'avoir la bénédiction du ciel. » (Brigitte Rochet-Lucas, Rites et traditions populaires en Bas-Berry. Pélerinages et diableries, 1980, p.27).
Maintenant, pourquoi saint Eloi ? Ce saint, originaire du Limousin, a trouvé place dans le Propre du diocèse, « en raison, explique Mgr Villepelet, des voyages qu'il fit à Bourges, pour visiter son ami saint Sulpice-le-Pieux, et plus tard pour s'agenouiller sur son tombeau. » (Les saints berrichons, Tardy, 1963, p.199). Le prélat rapporte ensuite qu'au cours de ses visites, il délivra miraculeusement plusieurs prisonniers. La délivrance, aussi bien de la femme en gésine que du prisonnier, est donc bien le motif dominant la symbolique du secteur Vierge. Il apparaît dans le mythe de Déméter - implorant la délivrance de Proserpine retenue par Hadès – comme dans l'Evangile où Marie de Magdala (Marie-Madeleine) est délivrée de sept démons par Jésus lui-même (Marc, 16,9). Que cette femme soit ensuite la première à recueillir la Parole de Jésus ressuscité après l'avoir assisté dans sa dernière heure, rien de plus cohérent au regard du symbolisme que nous n'avons cessé de croiser ces derniers jours : la mort et la renaissance du grain, la cérémonie de l'époptie d'Eleusis, doivent être rapprochées de l'évocation du Fils de Dieu mort et ressuscité. « Quand saint Jean annonce la glorification de Jésus par sa mort, il ne recourt pas à un autre symbole que le grain de blé.
"La voici venue l'heure
où le fils de l'homme doit être glorifié.
En vérité, en vérité je vous le dis,
si le grain de blé ne tombe en terre et ne meurt,
il reste seul ;
s'il meurt,
il porte beaucoup de fruits."
(Jean 12, 23-24) » (Dict. Des Symboles, art. Blé, p. 128).
22:20 Publié dans Vierge | Lien permanent | Commentaires (3)