31 juillet 2005
Le cheval Mallet
La première fois que je traçai le méridien de Toulx joignant Primelles (dont le nom marque bien l'aspect primordial), je fus aussitôt surpris par la présence, sur ou à proximité de l'axe, de lieux dits Mallet, Malleray, Petit Malleray, Grand Malleray. Quel sens fallait-il donner à cette concentration ?
Henri Dontenville, dans son précieux livre La France Mythologique (Henri Veyrier, 1966), m'apportait une possible réponse à travers la figure du cheval Mallet de Vendée : « C'était, écrit-il, évidemment une bête diabolique, toute blanche, qui ne se montrait qu'après le coucher du soleil. Elle s'offrait d'elle-même aux voyageurs surpris par la nuit. A peine était-elle enfourchée qu'elle s'élançait, traversait buissons, champs d'épines, fondrières, et ne s'arrêtait qu'au lever du jour, laissant son cavalier plus mort que vif, un membre cassé ou une « échauffure » mal placée, causant une « mauvaise maladie ». Alors bien sûr, on s'interroge sur cette valeur négative attachée à notre méridien : serait-il donc un « axe du Mal » ? Ce n'est évidemment pas si simpliste. Notons déjà que le cheval, qu'on peut considérer comme un des archétypes fondamentaux de l'humanité, ne s'écarte pas du symbolisme polaire. Le Dictionnaire des Symboles est là-dessus formel : « Son symbolisme s'étend aux deux pôles -haut et bas- du Cosmos, et, par-là, est réellement universel. (p.231) ». Observons aussi que l'alignement Toulx-Neuvy est également jalonné par le village de Malleret-Boussac, et enfin qu'André Guy mentionne l'existence au début du XVème siècle d'un certain Jehan de Maleret, seigneur des « Maisons-sous-Toulx ».
Ce cheval Mallet n'est pas sans parenté avec le plus célèbre des chevaux magiques du bestiaire médiéval, à savoir le cheval Bayart, qu'une chanson de geste a associé pour toujours à la légende des quatre fils Aymon. Dontenville cite son confrère J. Cartraud rapportant à Lamotte-Beuvron, dans la proche Sologne (traversée par ailleurs par le méridien de Toulx), la hantise d'un cheval Bayart, « fantôme lumineux, dont les bonds dans l'espace sont provoqués par les balancements d'une lanterne au bout d'une longue perche. (p.102) ». Or, au sud-est de Toulx, la région d'Evaux-les-Bains, toujours en Creuse, résonne encore, pour les ouïes fines, des bonds fantastiques du cheval-fée. Les seigneurs de la Roche-Aymon, qui se disaient descendre des quatre fils, y sont connus depuis le Xème siècle. On retrouve leurs traces d'une part au sud d'Evaux, où leur château primitif surplombant le ravin du Char-Cros est aujourd'hui très ruiné, et d'autre part à Mainsat où ils s'établirent par la suite. C'est d'ailleurs un membre de cette famille né à Mainsat en 1696, Charles-Antoine de la Roche-Aymon, évêque de Tarbes puis de Toulouse, archevêque de Reims en 1762, qui, en tant que grand aumônier du royaume, sacra le roi Louis XVI le 11 juin 1775.
Dontenville prend ses sources dans un article d'Octave Cléret, paru en 1962 dans les Mémoires de la Société savante de la Creuse : « On avait déjà, un peu au nord d'Evaux, l'attention attirée par un hameau « Bailler ». On en apprend aujourd'hui beaucoup plus : à Reterre, entre la Roche-Aymon et Mainsat, se dresse sur un point culminant la « crou do pas de chaveau »; dans le socle en granit de la croix est imprimé le « pas du cheval Bayart en grandeur naturelle ». Un bond du cheval magique, parti de Mainsat (de la hauteur Notre-Dame sans doute) a abouti là, à dix kilomètres de distance. Un second bond a mené le Bayart au ravin du Char-Cros, au bas du château et l'empreinte se voit. La carte montre, en outre, la route de Mainsat vers Bellegarde-en-Marche et Aubusson passant au pied du puy de Mergue, déjà évoqué à propos de Diane et Morgane. A l' « étable » vue par Malherbe à Château-Regnault, correspondait une « écurie du cheval Bayart » à La Roche-Aymon. La famille cependant n'a rien qui le rappelle dans ses armes. (p. 115)»
Certes, mais l'examen du blason de celui qui fut l'avant-dernier aumônier royal, ce Charles-Antoine de La Roche-Aymon, est pour nous on ne peut plus éloquent : De sable, au lion d’or, semé d’étoiles du même. D'un seul élan, il signe l'appartenance au secteur zodiacal du Lion neuvicien et la vocation célestielle du signe figurée par le méridien de Toulx, dont il n'est pas anodin qu'il exalte aussi sur son passage la cité de Mehun-sur-Yèvre, l'antique Magdunum, où Charles VII fut proclamé roi dans la chapelle du château le 30 octobre 1422.
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28 juillet 2005
Les lions de pierre
Curieux monument que l'église de Toulx Sainte-Croix : trois travées de la nef se sont effondrées et le clocher-porche est maintenant séparé du choeur. On a peine à croire d'ailleurs à une telle destruction, tant on est impressionné par les contreforts massifs qui cernent l'édifice. André Guy écrit que « l 'écroulement paraît remonter au 15e ou 16e siècle, à en juger par la forme de la porte donnant accès à l'église, et d'autre part à une inscription déjà relevée par Barailon sur une grosse poutre du beffroi où l'on peut lire 1507. » Plutôt que de rebâtir à l'identique, on se sera donc accommodé de la catastrophe. Une route passe entre les deux parties du monument, dont les portes se font face.
Ce qui reste de la nef centrale, ainsi que les deux nefs latérales, est voûtée en berceau, ce qui indiquerait, toujours selon André Guy, une influence de l'école romane poitevine, qui se manifesterait de façon encore plus nette dans le déambulatoire et le choeur formant la partie la plus ancienne de l 'église (fin XIème siècle) :
« Parmi les six colonnes qui séparent le choeur du déambulatoire, quatre sont cylindriques et deux de plan tréflé (exemple unique dans la région d'un pilier roman-poitevin. » Cette singularité s'éclaire si l'on admet que Toulx s'est inscrit dans un système de correspondances symboliques mis en place par des seigneurs poitevins et berrichons. L'importance de ce haut-lieu, je veux en voir un autre indice dans l'histoire de saint Martial : ce fut, si l'on en croit la Vie du saint, la première cité des Lémovices qu'il aurait évangélisée (une fresque du Palais des Papes, à Avignon, représente cet épisode).
Si l'on prend la peine de signaler un tel fait, c'est qu'il devait bien exister à cet endroit un culte païen assez important pour qu'il soit apparu nécessaire de le recouvrir avec un récit de conversion.
Une autre particularité de l'église de Toulx est la présence de trois lions de granit aux entrées, deux devant l'église, un devant le clocher. George Sand les met en scène dans Jeanne, son premier roman champêtre, qui se déroule dans cette région de Boussac, en leur attribuant un rôle de symbole de l'occupation anglaise : « Renversés par des paysans au temps de la Pucelle ; mutilés, devenus informes... ils gisent le nez dans la fange. » André Guy fait justice de cette signification abandonnée depuis longtemps par les historiens. « Bien antérieurs à cette occupation », ils ne sont d'ailleurs pas uniques en leur genre : « ils sont semblables à ceux de Limoges (église Saint-Michel-des-Lions), ou encore à ceux si fréquents en Creuse de Peyrat-la-Nonière, Vallière, Lupersat, Jouillat, Saint-Georges-la-Pouge, Saint-Marc-à-Loubaud... sans compter ceux détruits au cours des siècles. » Osera-t-on alors, compte tenu de cette dissémination, leur donner une valence zodiacale (en précisant que leur nombre même indiquerait les trois décans du signe) ?
Ce qui est certain c'est que ces lions avaient assez de prestige pour apparaître dans les cartulaires comme lieux de justice. Les actes sont souvent conclus près des lions, ou entre les lions. En Suisse, jusqu'au XVème siècle, les lions des entrées étaient comme les assesseurs de la justice écclésiastique, le prieur venant siéger « inter leones » (Lexique des Symboles, Zodiaque).
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26 juillet 2005
Toulx Sainte-Croix
« De mon lit je n'apercevais que la veilleuse énorme de l'hôtel battant dans la rue comme un coeur ; sur l'une des artères était écrit le mot : central, sur une autre le mot : froid, froid de lion, froid de canard ou froid de bébé? Mais le camée Léon frappait de nouveau à ma porte. De son gilet aux vibrations déterminées jusqu’à la racine de ses moustaches le soleil achevait de décharger ses rondins.»
(André Breton, Poisson soluble)
Oublions les vents, les rivages, ces grands escogriffes de pins atlantiques, ce fou de Bassan emprisonné dans la ligne plombée d'un pêcheur du malheur, le sable et la traîtrise des baïnes, le sourire des enfants et la splendeur des nuages, et arpentons à nouveau nos terres intérieures sous l'égide d'un signe nouveau : Lion solaire et flamboyant dont l'étude du secteur zodiacal correspondant va se fonder essentiellement sur le village creusois de Toulx Sainte-Croix.
Du haut de ses 655 mètres, Toulx domine toutes les régions avoisinantes. Du sommet de la tour construite au siècle dernier par l'abbé Aguillaume, on contemplerait jusqu 'au Sancy et au Puy-de-Dôme. Je n'ai pas vérifié mais le panorama est vaste, pas étonnant si les Celtes en ont fait tôt un de leurs oppida. Le nom même viendrait du bas-latin tullum, lui-même emprunté au gaulois tullos, hauteur. Un dernier terme qui n'est pas sans évoquer la Thulé hyperboréenne,
la ville mythique où séjournèrent Apollon et Persée ; et nous pourrions mettre au compte de Toulx cette remarque de Guy-René Doumayrou sur la capitale occitane:
« Le nom, enfin, de Toulouse, qui n'a jamais changé, évoque de façon suggestive le grec thòlos, qui désignait, dans les temps primitifs, la touffe végétale coiffant et liant le sommet des huttes rondes en branchage. Par la suite, le sens s'en est étendu à la coupole hémisphérique en pierres sèches, et enfin, plus particulièrement, à la voûte des fours et étuves. De la coupole construite à la voûte céleste, l'analogie va de soi : centre et sommet, la ligature de la thòlos est bien le lien et le lieu privilégié, récepteur et répartiteur des influx cosmiques, le Trône du Jugement, l'étoile polaire gouvernante (en grec : thémis), de l'ourse (en grec : arctos) : ARTEMIS l'Immuable (du grec : artémès) :
La treizième revient... c'est encore la première ;
Et c'est toujours la seule, - ou c'est le seul moment... (Nerval, les Chimères : Artémis). » (Géographie Sidérale, p.65)
Il se pourrait bien que Toulx ait été de bonne heure un sanctuaire important du peuple gaulois des Lémovices qui occupait approximativement le Limousin actuel. On a pu déjà noter que la plupart des sanctuaires celtiques sont situés soit au centre soit sur les limites de la civitas, or Toulx est situé sur la frontière avec les Bituriges. Ce n'est que vers l'an 1000 que le village basculera dans l'escarcelle des princes de Déols, et si ce pays limousin de Boussac est dès lors rattaché à la province du Berry, il dépendra toujours du diocèse de Limoges : « exemple caractéristique de l'enchevêtrement des divisions administratives de la France d'Ancien Régime », écrit André Guy, auteur d'un opuscule sur le village.
Que dire maintenant du qualificatif de Sainte-Croix ? Gilles Rossignol y voit une invitation à deux hypothèses : « (...)ou bien le plan primitif [de l'église] aura été inspiré de l'église du Saint-Sépulchre, à Jérusalem (comme à Neuvy Saint-Sépulchre dans l'Indre) ou bien on aura rapporté à Toulx une réplique du « vray boys », le bois de la Vraie Croix. » A vrai dire, aucune des deux propositions ne tient la route, d'une part parce que le vocable de Sainte-Croix n'a été ajouté que postérieurement à la fondation de l'église (dédiée en 1158 à Saint Martial, ce qui n'est pas anodin, nous y reviendrons); d'autre part parce que si relique de la vraie croix il y avait eu, il serait étonnant que la mémoire collective n'en ait pas gardé le souvenir d'une manière ou d'une autre. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé pour Neuvy qui s'honore toujours de deux gouttes du sang du Christ (que l'on doit à l'obligeance du cardinal Eudes de Châteauroux, légat du pape à la VIIème croisade, qui les fit acheminer en 1257).
Faut-il absolument rechercher une cause matérielle, tangible à l'appellation Sainte-Croix ? Ne porterait-elle pas une symbolique lisible seulement dans le paysage et les relations du lieu avec ses alentours ? Pour Henri de Lubac, la croix érigée sur une montagne, au centre du monde, reproduit totalement l'antique image de l'arbre cosmique, en tant qu'Axe du Monde joignant le pôle terrestre au pôle céleste. Or, le méridien de Toulx est le vecteur éloquent d'une telle symbolique : balisé par Boussac ( dont le château abrita longtemps les tapisseries de la Dame à la Licorne ), il désigne le village de Primelles, dans le Cher, situé au coeur de la forêt domaniale de Thoux... Ici, selon Mgr Jean Villepelet (Les Saints Berrichons, Tardy, 1963, p.169), aurait séjourné assez longtemps saint Firmin, évêque d'Amiens, tandis qu'il se rendait à Rome au tombeau des Apôtres. Séjour significatif : Amiens se situe pratiquement sur ce même méridien. Et l'on ne sera guère étonné d'apprendre que l'un des deux Firmin honorés par l'église d'Amiens aurait été converti par saint Saturnin de Toulouse, dont le nom ne se retrouve que dans une seule paroisse du Cher, elle aussi traversée par l'axe polaire.
Tournons-nous maintenant vers l'église du village.
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11 juillet 2005
Translatio Graalis
A l'est d'Aigurande, le petit village de la Forêt du Temple est notre premier indice : connu en 1185 sous le nom de Domus fratrum de templo forest, c'est alors une dépendance de la commanderie de Viviers, près de Tercillat. Son église est curieusement située à l'extérieur du bourg, près d'un petit bois de peupliers avec une fontaine surmontée d'une croix de pierre. Grandement restaurée en 1872-1874, elle témoigne encore de sa vocation première avec des épées gravées dans le dallage, attestant de tombes de supérieurs templiers. Or, dans le Parzival de Wolfram Von Eschenbach (v. 1170 – v. 1220), les Templiers sont désignés par l'ermite Trévizent comme les gardiens du Graal. Et dans les romans arthuriens, la forêt est toujours le lieu où chercher l'aventure, l'espace merveilleux et redoutable empli de mystères et de dangers, de monstres effrayants et de jeunes femmes prodigieusement belles :
« Ils quittèrent alors le castel et se séparèrent comme ils l'avaient décidé, puis se dispersèrent dans la forêt, pénétrant là où elle était la plus épaisse, sans chemin ni sentier. Au moment de cette séparation, on vit pleurer ceux qui croyaient avoir le coeur dur et orgueilleux. » (La Quête du Graal, p.73)
Beaucoup de ces chevaliers de la Table Ronde engagés dans la Quête du Graal ne rencontreront au bout du compte que l'humiliation et la mort. C'est qu'ils n'ont pas compris le sens de cette épreuve : pour eux, le Graal n'est qu'un prétexte de plus pour se couvrir de gloire. « Ils partent, écrit Albert Béguin, croyant accomplir des exploits tels que l'héroïsme et l'esprit d'aventure les leur ont toujours commandés. Ni la charité, ni la soif de vérité ne les mènent. Ils s'en vont en combattants terrestres pour une quête « célestielle ». » Même celui qui, le premier, est mis en présence du Saint-Vase, Perceval dans le Roman de l'Estoire dou Graal, écrit par Robert de Boron, échouera à le rapporter. Sa faute étant de ne poser aucune question sur le mystère auquel il est admis à assister, « c'est-à-dire, précise encore Albert Béguin, de ne désirer ni la participation effective au sacrement d'eucharistie ni la connaissance qu'il recevrait ainsi des ultimes secrets de la Révélation. » Ce même échec apparaît également chez Wolfram von Eschenbach. « Au premier temps fort du roman, la visite infructueuse au château du Graal, Parzival atteint le point de retournement ; dorénavant, il lui faudra pour ainsi dire revivre sa vie, mais cette fois à rebours et avec une conscience élargie. » (R.Dahlke, Mandalas, comment retrouver le Divin en soi, Dangles, 1988, p. 163)
Le même mouvement régit la géographie sacrée : le signe du Cancer symbolise cette récapitulation existentielle, cette réappropriation de soi du héros arthurien, par l'image du crabe marchant à reculons, exprimant primitivement le retrait progressif du soleil à partir du solstice. Pour Doumayrou, le Cancer est ainsi la fontaine de vie, réceptacle de l'eau substantielle où se développeront les germes fécondés : la forêt de la Forêt du Temple, nous la trouverons donc au grand bois de Fonteny où une abbaye, aujourd'hui disparue, avait été implantée. Elle n'a laissé de traces que dans la toponymie locale : hameaux voisins nommés Boucamoine et Ouches-Moines. Dans les romans du Graal, ce sont les ermites qui, à intervalles réguliers, instruisent les chevaliers et leur dévoilent le sens de leurs aventures. Dans un autre bois de cette zone Cancer, nous avons même une fontaine dite de l'Hermite, non loin d'un autre lieu-dit le Temple, situé dans la même direction Sud-Ouest que la Forêt du Temple par rapport à Fonteny.
A l'orée de ce bois, vers l'est, le lieu-dit Saint-Joseph rappelle que c'est Joseph d'Arimathie qui a transmis le Graal, en tant que vase contenant le sang du Christ, à ses descendants, avec mission d'évangéliser la Grande-Bretagne. Ce passage du Graal de l'Orient à l'Occident, cette translatio graalis est symbolisé par la présence de l'autre côté du bois, à l'ouest, du hameau du Grand Pommier, qui évoque l'île d'Avallon, Emain Ablach en irlandais, autrement dit la pommeraie. Avalon, destination du Graal dans le Joseph de Robert de Boron. Ou Avallon, l' île dont la tradition brittonique fait le refuge du roi Arthur en attendant de revenir délivrer ses compatriotes gallois et bretons du joug étranger. Et notons encore que Merlin, le fondateur de la Table Ronde, enseigne sous un pommier.
Maintenant si nous alignons Saint-Joseph et le Grand Pommier en passant par le centre du bois de Fonteny au point de croisement des deux allées qui le traversent (formant par ailleurs une croix de saint André), nous voyons émerger sur ce quasi parallèle d'autres indices troublants.
A l'est, l'axe est balisé par Sazeray et Vijon, deux paroisses qui dépendaient de l'abbaye de Déols. Sazeray n'est pas sans faire penser à Sarraz, la capitale des Sarrazins, où Robert de Boron fait transiter le Graal avant de le faire parvenir en Angleterre. Il y reviendra dans une des versions du mythe : « Une voix céleste, écrit Catalina Girbea, la même qui avait commandé à Joseph de porter le Graal en Occident, demande à Galaad de le mettre à Sarraz dans le Palais Spirituel. Galaad, Perceval et Bohort sont emprisonnés par le roi Escorant, et ils sont réconfortés par le Graal qui leur tient compagnie. L'histoire de Joseph se répète, le cercle se referme. Sarraz est le début et la fin et tout le reste paraît un rêve passager. » Entre Sazeray et Vijon, un minuscule lieu-dit le Monterrant rassemble en un seul vocable les riches symbolismes de la montagne et de l'errance, dont la connivence est superbement suggérée par Gérard de Sorval :
« C'est ainsi que le lieu de naissance et d'appartenance d'un homme, terrestre ou cosmique (son zodiaque), est la signature de son point de départ en cette vie et de sa destinée : du centre à partir duquel il est appelé à s'orienter librement et à se retrouver. Et, paradoxalement, l'état nomade pastoral, celui des compagnons passants, des nobles voyageurs, ou l'errance aventureuse des chevaliers, témoignent toujours de l'enracinement dans un centre intérieur à soi-même : clan, confrérie, assemblée des Philosophes, Table Ronde, etc. Qu'il soit physique ou subtil, extérieurement visible ou non, ce pôle de rattachement appelle à la recherche active du lieu où l'errance se transforme en tournoiement de la roue autour du moyeu, de la montagne élevée où se rasemblent ceux qui sont épars : le château tournoyant du Graal ou la chambre du Milieu ouverte par l'escalier à vis. « (La Marelle ou les sept marches du Paradis, Dervy-Livres, 1985, p. 118)
L'horizon occidental n'est pas moins révélateur : après le Grand Pommier, il désigne rien moins que le hameau de la Graule... Par une curieuse fantaisie de l'histoire, il est toujours ici question de pierres : ce n'est plus l'énorme pierre précieuse aux vertus magiques du poème de von Eschenbach, mais l'ultra-moderne taille de pierres de granit de haute précision.
L'alignement est ensuite parallèle à la départementale 990 jusqu'à Aigurande où il pénètre par le Merin, dont un orme et une croix marquaient jadis la limite entre Aigurande en Berry et Aigurandette en Marche, et qu'il est bien tentant de lire comme un souvenir de Merlin...
(et nous pouvons prolonger notre rêve en voyant sur la carte, juste au-dessus du Grand Pommier, les maisons de la Fée, avec son étang alimenté par le ruisseau issant du bois de Fonteny. Petit lac pour Viviane berrichonne...).
Enfin, au-delà d'Aigurande, l'axe vise le bois de Grammont, où était implanté un prieuré de l'ordre de Grandmont, un ordre religieux de caractère érémitique fondé par Etienne de Muret en 1076, dont l'abbaye-mère se situait en Limousin, dans les monts d'Ambazac.
Saint Etienne de Muret
Ce n'est sans doute pas un hasard si l'ordre s'est particulièrement vite développé sur les fiefs du roi d'Angleterre, la Normandie, l'Anjou, la Saintonge, le Poitou et la Gascogne : « Car le roi d'Angleterre, Henri II Plantagenêt, plein d'admiration pour leur ferveur, se fit très vite leur protecteur. »(L'art grandmontain, Zodiaque, 1984). A la lumière de l'étude de Catalina Girbea sur la récupération du roman arthurien, il faut soupçonner également un savant calcul politique. Mais c'est là une autre question sur laquelle nous aurons peut-être l'occasion de revenir.
Sur ce, satisfait d'avoir comblé son retard sur la course solaire, l'arpenteur zodiacal observera une petite pause estivale. Il donne rendez-vous au signe du Lion à ses lecteurs fidèles ou occasionnels (qu'il remercie en passant de tout son coeur car ils lui redonnent souvent courage en son périple).
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08 juillet 2005
Si souvent la fortune ôte
A ma mère, dont c'est aujourd'hui l'anniversaire.
La source de la Bouzanne est le but d'un pélerinage le Mardi de la Pentecôte. Une statue de Notre-Dame de la Bouzanne y est conduite en procession. Il est encore d'usage de jeter des pièces de monnaie dans le bassin du sanctuaire, offrande gratuite ou espérance d'être exaucé de quelque voeu... Autrefois, l'affaire était plus grave. S. Clément rapporte qu'on apportait de l'eau de la fontaine aux malades en danger de mort : « A cet effet, trois pélerins de même sexe, de même âge et de même condition que le malade partent ensemble en récitant le rosaire. »(Aigurande et ses sanctuaires, Châteauroux, 1910)
Alors que beaucoup de fontaines ayant fait l'objet d'un rite sont de nos jours tombées dans l'oubli, ne sont plus parfois qu'un bouillonnement obscur dans le coin d'un pré, la source de la Bouzanne se présente dans un lieu vaste et bien dégagé, et le pélerinage a même connu cette année un surcroît de ferveur, en raison de la présence de Monseigneur Barbarin, archevêque de Lyon, tout juste revenu du conclave.
Pentecôte.
(BNF, LAT 18014)
fol. 69
Petites Heures de Jean de Berry
France, Paris XIVe s.
(55 x 45 mm)
La Pentecôte chrétienne commémore la descente de l'Esprit-Saint sur les Apôtres et, en définitive, marque la naissance de l'Eglise, car c'est à partir de ce jour-là qu'elle va se développer par toute la terre.
Elle est aussi le point de départ obligé de l'action de plusieurs romans arthuriens. Ainsi, Yvain, le chevalier au lion, de Chrétien de Troyes, commence-t-il par ces mots :
« Arthur, le noble roi de Bretagne, dont la valeur exceptionnelle nous enseigne à être vaillants et courtois, tint une cour splendide, bien digne d'un roi, à l'occasion de cette fête, qui, si souvent la fortune ôte, qu'on a bien raison de l'appeler Pentecôte. » (trad. C.A. Chevalier, Livre de Poche, 1988)
De même, la Quête du Graal :
« A la veille de la Pentecôte, vers l'heure de none, les compagnons de la Table Ronde qui venaient d'arriver à Camaalot se mettaient à table, après avoir assisté à l'office, quand une très belle Demoiselle entra à cheval dans la salle. » (Edition présentée par Albert Béguin et Yves Bonnefoy, Seuil, 1965)
De la même manière, c'est à la Pentecôte que Galaad surgit dans le palais du roi Arthur, en armure vermeille rappelant les langues de feu descendues sur les apôtres ce jour-là.
Selon Yves-Albert Dauge, le Graal correspond à l'essence même de l'ésotérisme universel, et tout particulièrement à la clef de l'ésotérisme judéo-chrétien. La géographie sacrée, s'inscrivant avec évidence dans le champ de manifestation de celui-ci, ne peut pas ne pas avoir tissé de liens avec cet extraordinaire symbole : la zone Cancer, et singulièrement cette bande de territoire partant d' Aigurande et suivant la ligne de partage des eaux de l'Indre et de la Creuse, illustre pleinement, nous allons le voir, cette rencontre.
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