06 juin 2005
Chapelles et châteaux
Le château de Crozant se situe presque exactement au point médian d'une ligne unissant la Chapelle du Fer et La Chapelle-Baloue, village creusois, mais qui, comme Saint-Plantaire, relevait de l'abbaye de Déols. Pour bien confirmer sa vocation symbolique, cet alignement prend aussi dans sa course le hameau de Saint-Jallet et le manoir des Places ( comportant également une chapelle), et passe près du hameau nommé Chapelle Sainte-Foy.
Il est particulièrement intéressant de retrouver ici la trace de la sainte qui fit les beaux jours de la célèbre abbatiale de Conques. Relatons brièvement l'histoire. Foy, jeune chrétienne de douze ans, convertie par saint Caprais, l'évêque de la ville d'Agen, fut victime des persécutions de Dacien en refusant de sacrifier aux dieux païens. Fouettée, placée sur un gril, elle fut enfin décapitée en compagnie de saint Caprais et d'un jeune païen récemment converti du nom de Prime. La chanson de sainte Foy, écrite en occitan à la fin du XIème siècle, place ce martyre le 6 octobre 303, ce qui donne lieu à une procession annuelle le dimanche suivant ce 6 octobre.
"Sur le coin inférieur gauche du tympan de l'abbatiale, Foy est représentée prosternée. Derrière elle, pendent les fers des prisonniers libérés par son intercession." (site aveyronnais) Comment ne pas penser aux fers de saint Jean ?
Il se trouve qu'en cette même année 303 eut lieu le martyre de saint Pantaléon à Nicomédie, en Asie Mineure. Saint Pantaléon, titulaire de l'église de saint Plantaire, lui aussi condamné à la décollation (représenté par un tableau du 18ème siècle encore présent dans l'édifice). Décollation infligée également à saint Jean-Baptiste. Certes, le châtiment était courant, mais l'accumulation et la concordance de dates sont tout de même surprenantes.
La chapelle des Places est elle aussi le but d'un pélerinage, récent celui-ci puisqu'il ne remonterait qu'au 18ème; mais il pourrait bien être l'écho assourdi de la tradition dont nous avons suivi les traces jusqu'ici. L'histoire qui en est le prétexte offre bien des points de comparaison avec les légendes que j'ai évoquées. Elle met en scène Gabriel-François de Foucauld, comte de Crozant :
« A l'occasion d'une promenade qu'il effectuait dans la région de Crozant, Gabriel-François avait remarqué une jeune paysanne. Voulut-elle lui échapper, où à ses sbires ? La jeune fille se jeta à l'eau et se noya. Repentant, Gabriel-François aurait fait construire cette chapelle, où il a demandé à être inhumé aux côtés de sa jeune victime. Ainsi l'honneur d'une virginité et le repentir d'un grand seigneur ont-ils donné naissance au culte et au pouvoir miraculeux de la Vierge des Places. » (Gilles Rossignol, Le Guide de la Creuse, La Manufacture, 1988, p. 72)
Ce n'est pas tout : cette ligne des chapelles est contrebalancée par une ligne des châteaux qui lui est perpendiculaire. Châteaux de Clavière, du Faisceau et surtout de Chazelet. L'église de cette paroisse est précisément dédiée à saint Jean-Baptiste. Elle renferme le tombeau de Guillaume d'Aubusson (16ème) provenant de l'ancienne chapelle de Chassingrimont, où les vestiges d'un château-fort sont encore visibles. C'est d'ailleurs François Pot, seigneur de ce lieu qui fit construire Chazelet au milieu du 16ème siècle, seigneur également du château de la Prune, dit la Prune-au-Pot, sur l'axe Tilly-Verneuil-sur-Igneraie.
Si l'on prolonge l'axe des châteaux au-delà de Chazelet, on atteint un autre hameau dit Le Colombier et surtout le village de Luzeret. Chassingrimont évoquant bien évidemment le Chassin, nous retrouvons là encore le réseau Bélier-Balance décelé à la fin de l'investigation sur le Bélier.
Comment interpréter maintenant cette croisée diagonale ?
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La Chapelle du Fer
Sur le bord d'une petite route entre Saint-Plantaire et Crozant s'élève la Chapelle du Fer, mentionnée sur les cartes de Cassini sous le nom de Chapelle Saint-Jean-aux-Fers. Elle est
« le but d'un pélerinage, écrit André Simon en 1910, qu'accomplissent, dans l'intérêt de leur conservation, tous les bestiaux de l'extrémité méridionale du Bas-Berry (...). Le pélerinage a lieu la veille de la Saint-Jean, avec procession autour de la chapelle. Le jour de la Saint-Jean, on fait dire une messe, et, pendant le sacrifice, les fidèles lancent en guise d'offrande, des toisons entières de brebis (La Chapelle du Fer, in Revue du Berry et du Centre, p. 240) ».
Ce pélerinage décrit le premier quadrant zodiacal, celui du printemps, qui court du Bélier (les toisons de brebis) à la fin des Gémeaux, au solstice d'été, dont la Saint-Jean (24 juin) est la figuration chrétienne.
Le Saint-Jean-aux-Fers n'est autre que Saint Jean-Baptiste emprisonné par le roi Hérode puis décapité (Marc, 6-17) à la suite de la danse de Salomé, la fille d 'Hérodiade.
((Décollation de saint Jean-Baptiste. - BNF, LAT 18014 - fol. 214
Petites Heures de Jean de Berry France, Paris XIVe s, détail) )
La situation isolée de la chapelle s'expliquerait par cette autre légende : « " Alors qu'une épidémie accablait les troupeaux du bourg de Saint-Plantaire, les habitants firent des prières à Saint Pantaléon qui ne furent pas entendues. Une neuvaine à Saint Jean-Baptiste obtint le succès ; les fidèles reconnaissants décident de construire une chapelle mais les murailles sont renversées, les substructions inondées. Le maître-maçon déclare : « La jalousie règne vraisemblablement au ciel comme sur la terre. Saint Pantaléon est irrité de voir Saint Jean prendre possession de son fief. Que Saint Jean choisisse lui-même le lieu de son sanctuaire. » Il lance dans les airs,, poursuit Jean-Louis Desplaces (Florilège de l'eau en Berry, vol. II, 1981), son marteau qu'un vent emporte au loin. Sept ans après, un taureau mugissait autour d'un objet : la bergère aperçoit un marteau. La chapelle est immédiatement construite. »
L'animal commis à l'élection du lieu saint n'est donc autre que le titulaire zodiacal du secteur. Nous allons voir maintenant que la position de la chapelle ne doit rien au hasard d'un vent, fut-il divin.
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03 juin 2005
De la déesse Ysis
La bergerette de la légende du Rocher des Fileuses, aussi humble fut-elle, n'est pas sans parenté avec une illustre figure de la mythologie, la déesse Isis elle-même, comme en témoigne l'iconographie donnée par La mer des hystoires (1488), recueil très populaire de la fin du Moyen Age :
« On la peignait comme une fort belle pucelle couverte et vestue dung fin rocquet de lin entremesle de lettres dor, en sa teste porte une couronne dor et en son front des cornes de beuf. » (fol XLVII, chap.XXX, De la Déesse Ysis)
Jurgis Baltrusaitis, à qui nous devons cette trouvaille, a bien montré dans un de ses maîtres ouvrages, La Quête d'Isis (Flammarion, 1985), comment le mythe égyptien, quittant sa terre natale, s'était propagé dans toute l'Europe et même aux Indes et en Chine. Il a éloquemment retracé la constitution de la légende autour des textes antiques, de l'Ancien Testament et des pères de l'Eglise, éclairant sa popularité jamais démentie du Moyen Age jusqu'à nos jours, en passant par la Renaissance et la période révolutionnaire :
« Isis, qui enseigna l'agriculture aux hommes et qui, depuis Macrobe et Isidore de Séville, faisant écho à Servius, Plutarque et Varron, était identifiée avec la terre même, devient naturellement l'image de la fertilité de l'âme (...). Dans les illustrations des manuscrits, on voit Isis, tantôt en jardinière ailée soigner les arbres et les plantes, tantôt descendre du ciel sur un nuage ourlé comme de l'étoffe pour greffer une nouvelle branche sur un tronc desséché. » (pp.65-66).
Le village de Saint-Plantaire, à peu près dans l'axe Neuvy Saint-Sépulchre – Crozant, évoque clairement cette symbolique. Au Moyen Age, à l'instar des Bestiaires qui décrivaient les animaux et des Lapidaires qui recensaient les gemmes et les pierres, les Plantaires dressaient portrait des plantes, réelles et imaginaires, de cette Création.
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02 juin 2005
Le rocher des Fileuses
Sur la rive opposée, en face de la tour Colin du château de Crozant, s’élève la falaise que l’on nomme ici le rocher des Fileuses, d’après une légende que l'abbé Rouzier rapporte ainsi en 1897 dans son « Histoire illustrée des châteaux de Crozant et des Places » :
" Lorsqu'aux jours ensoleillés du printemps, les bergerettes paissent leurs moutons sur la montagne verdoyante, une sorte de joyeux tournoi s'établissait entre elles, ajoutant cet innocent plaisir aux charmes de leurs jeux champêtres.
Au signal donné on voyait les intrépides jeunes filles, la quenouille au côté, le fuseau dans la main, debout toutes ensemble sur le faîte de la roche, qui s'élève à pic sur le torrent à l'heure où le soleil descend lentement sur l'horizon, et où la rivière miroitait, comme une immense lame d'argent diaprée d’efflorescences d'or et d'azur.
Quelle sera la main assez habile pour laisser glisser jusqu'au bas son fuseau et le ramener à elle enlacé de ses mille fils de lin ?
Quel pittoresque spectacle !
Dès que les divers fuseaux entraient dans l'eau, et en remontaient ruisselants de gouttelettes brillantes, il se faisait comme une traînée de diamants qui attiraient les regards.
Assis au haut de la vieille tour, le seigneur, entouré de sa noble épouse et des servants d’armes, les yeux fixés attentivement sur le groupe sémillant des fileuses, attendait avec émotion l’issue de cet intéressant tournoi.
La bergerette qui avait été assez heureuse pour triompher de cette périlleuse épreuve était acclamée par ses compagnes. qui la conduisaient bruyamment à la demeure seigneuriale où le vieux châtelain après avoir effleuré son front virginal d'un baiser paternel, lui plaçait sur la tête une couronne de fleurs et lui offrait la main de l'un de ses jeunes varlets (...)
A ce moment le barde chantait sur la harpe sonore, le triomphe de la douce héroïne du Fuseau.
Au loin des cris guerriers ont rompu le silence
Allons ! Preux chevaliers armez-vous de la lance !
Est-ce l’ennemi qui s’avance ?
Non, c'est la fleur d’amour,
Preux chevaliers, abaissez votre lance !
Saluez ! Saluez la reine de ce jour !
Chantez, chantez, l'hymne d'amour !"
Autres fileuses : Les Parques
Tout fait sens dans cette légende. Tout d'abord, elle se déroule au printemps, à une époque où la montagne est verdoyante : c’est précisément en Taureau, deuxième signe de printemps, que la nature, sous nos latitudes, connaît une explosion de vert. Les arbres longtemps dénudés recouvrent leur feuillage et les pâturages sont à nouveau en mesure d’accueillir le bétail. Cet hymne d'amour exprime parfaitement la domiciliation de Vénus dans le signe, Aphrodite grecque, « née de l'écume » (ex toû aphroû), dont ce fuseau iridescent surgi des flots de la Creuse porte encore le souvenir. Vaste symbole d’ailleurs que ce fuseau qui résume à lui seul le trajet initiatique de l'adepte.
Cette descente, cette plongée dans les eaux tumultueuses de la Creuse et l’étincelante remontée symbolisent en effet le parcours nécessaire du chevalier. On l’a vu pour Enée, et cela est vrai pour tous les héros, le passage par les Enfers est obligatoire. Pour accéder à un niveau d’ être supérieur, il importe de sortir victorieux de cette épreuve fondamentale, en termes psychologiques, de la plongée dans l’ inconscient. L'enfer est inferis, le lieu d'en bas, représenté par la Creuse, dont l'étymologie est la même que celle de Crozant (gaulois croso « creux »). L'ascension du fuseau figure alors le triomphe du héros sorti métamorphosé de sa confrontation avec les puissances infernales. Le fil fait le lien entre les différents niveaux cosmiques. Et les Fileuses ne sont pas sans faire penser aux Parques romaines et aux Moires grecques :
« Ces divines et infatigables filandières n'avaient pas seulement pour fonction de dérouler et de trancher le fil des destins. Elles présidaient aussi à la naissance des hommes. Enfin, elles étaient chargées de conduire à la lumière et de faire sortir du Tartare les héros qui avaient osé y pénétrer. C'est ainsi qu'elles servirent de guides à Bacchus, à Hercule, à Thésée, à Ulysse, à Orphée, etc. C'est à elles encore que Pluton confiait son épouse, lorsque, suivant l'ordre de Jupiter, elle retournait dans le ciel pour y passer six mois auprès de sa mère. » ( P. Commelin, Mythologie grecque et romaine, pp. 95-98.)
Le fil est suivi des yeux par le vieux seigneur et sa suite. Il importe en effet de ne jamais le perdre du regard, c'est la leçon du mythe du fil d'Ariane. C'est le lieu de se souvenir qu'à l'intérieur du palais crétois du roi Minos était enfermé le Minotaure, monstre à corps l'homme et tête de taureau: à qui l'on sacrifiait, tous les neuf ans, sept jeunes gens et sept jeunes filles amenés d’Athènes en tribut. Le combat contre le Minotaure « ne peut être victorieux que grâce à des armes de lumière : d'après une légende ce n'est pas seulement avec sa pelote de fil qu' Ariane permit à Thésée de revenir des profondeurs du labyrinthe, où il avait assommé le Minotaure à coups de poings, c'est grâce à sa couronne lumineuse, dont elle éclaire les détours obscurs du palais. » (Dictionnaire des Symboles, p.635)
La couronne de fleurs dont le châtelain honore la bergerette pourrait bien être une réminiscence de cette légende...
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01 juin 2005
Crozant
Reprenons : Gérald (ou Géraud) de Crozant concède la villa Sosteranea aux chanoines de saint Martial. Crozant où s'élève la forteresse des Comtes de la Marche, un peu plus au nord de La Souterraine, en secteur Taureau, sur l'éperon rocheux dominant le confluent de la Creuse et de la Sédelle. Site impressionnant, sauvage, que l'on atteint par de petites routes escarpées, tortueuses. George Sand, en découvrant ce lieu en 1827, en assura sa célébrité et toute une pléiade de peintres paysagistes s'en enticha au point qu'on parle encore aujourd'hui d'une Ecole de Crozant.
Lieu retiré, mal accessible, pourtant sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, étape entre Gargilesse et La Souterraine, ayant longtemps appartenu à la famille des Lusignan que nous connaissons bien maintenant.
A l'intérieur des ruines, nous retrouvons une crypte, sise entre la Tour dite du Renard et celle dite d'Isabelle d'Angoulême, épouse de Hugues de Lusignan (XIIème siècle).
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