25 juin 2005
Les Gémeaux
Les Gémeaux enfin. A la Saint-Jean passée. Alors que nous vivons déjà sous le régime de Cancer. J'accuse donc un signe de retard... Mais je ne perds pas tout à fait espoir de reprendre une marche synchrone, Gémeaux et Cancer présentant a priori une matière moins riche que Bélier et Taureau, les indices y étant moins nombreux (je dis ça, mais en réalité je serais déçu si quelque nouvelle piste ne venait pas s'imposer, comme cela s'est régulièrement déroulé jusqu'ici).
Gémeaux donc, un signe traditionnellement représenté par deux colonnes unies à leur faîte par le toit et à leur base par le sol du temple à l'entrée duquel elles se dressent. Deux colonnes que l'on retrouve en franc-maçonnerie sous les noms de Boaz et Jachin : elles symbolisent les deux polarités (masculine et féminine, positive et négative, diurne et nocturne...) qui sans relâche s'affrontent dans l'univers.
Le signe se rattache par ailleurs au mythe des Dioscures, Castor et Pollux, fils de Léda. Deux frères qui n'ont pas le même père, seul Pollux est fils de Zeus (lequel s'était transformé en cygne pour parvenir à ses fins), Castor étant fils du mortel Tyndare, mari de Léda. Enlevés par Hermès dès le berceau, Castor et Pollux demeurèrent inséparables et participèrent ensemble à toutes les grandes expéditions légendaires, accompagnant par exemple les Argonautes dans leur périple ou chassant le sanglier de Calydon. Dans le domaine amoureux, ils connurent cependant moins de réussite : amoureux de Phoibê et d'Hilaera, filles du roi Leucippos, ils n'hésitèrent pas à les enlever. Ce qui ne fut pas du goût des fiancés légitimes, Idas et Lyncée, par ailleurs leurs propres cousins... Rattrapé, Castor périt dans le combat qui suivit, tandis que Pollux, immortel par la grâce de son ascendance divine, fut seulement blessé. Profondément affligé par la mort de son frère, il supplia Zeus de le rendre immortel. Cette prière ne pouvant être entièrement exaucée, l'immortalité fut partagée entre eux, un jour sur deux.
Cette fraternité essentielle se trouve exprimée dans notre secteur par le confluent de la Petite et de la Grande Creuse, à Fresselines. Ces deux rivières ne portent pas par hasard le même nom. Après le confluent, on parle de la Creuse tout simplement dont nous avons vu le rôle qu'elle joue à quelques kilomètres de là, à Crozant (autre confluent, avec la Sédelle).
Le site est remarquable, où l'on n'accède qu'après une marche à pied : les deux Creuse, qui ont longtemps roulé leurs eaux presque parallèles, s'y épousent comme les deux segments égaux d'un triangle isocèle, dans un paysage de roches et de vallées encaissées. La beauté des lieux, la lumière qui en émane ont inspiré Claude Monet, qui en fit le sujet d'une vingtaine de toiles en 1889, à l'occasion d'une visite au poète Maurice Rollinat.
Creuse, soleil couchant
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Saint André en Place Voltaire
Je suis passé cent fois devant, sans rien remarquer. Il faut dire que cette église Saint André, édifiée entre 1870 et 1876, n' a rien de spécialement attirant : pâle copie de cathédrale gothique, elle se signale surtout par cette particularité d'afficher au tympan du portail les mots REPUBLIQUE FRANÇAISE.
Ajoutons qu'elle est située au coeur de la place Voltaire et l'on aura une petite idée de l'ambiguïté qui semble présider à son histoire... Et puis voilà, l'autre jour, comme je traverse justement cette place, quelque chose me retient à l'extrémité de mon champ visuel. Je me retourne à main droite sur le portail latéral sud. J'ai peine à y croire mais je dois me rendre à l'évidence : au tympan de ce portail, avec sa pelle fièrement plantée en sol, c'est bien mon saint Fiacre qui domine.
Saint Fiacre à Saint-André, deux des saints que je viens de croiser avec l'étude du Taureau. Ah, si l'édifice n'était pas si récent, comme j'y verrais une nouvelle manifestation de l'ordre symbolique instituée par la géographie sacrée... Mais, à la réflexion, pourquoi ostraciser le 19ème siècle ? Qu'est-ce qui préside à cette époque au choix de saint Fiacre pour orner une des ouvertures de l'église ? Pourquoi lui et pas un autre ? L'église actuelle n'a-t-elle pas été construite sur les ruines d'une ancienne église Saint-André ? Saint Fiacre y était-il déjà présent ? Le saint Pantaléon lorrain n'a-t-il pas lui aussi été mis en place à la fin du 19ème ?
Je n'ai pas pour l'instant de réponses à ces questions. Je me contenterai pour l'heure de ces constats, de ces rencontres, en me défiant plus que jamais des préjugés, de ces représentations en lisière de conscience qui aveuglent durablement le regard.
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22 juin 2005
Pantaléon en Lorraine
En effectuant une recherche sur le web au sujet de saint Pantaléon, j'ai découvert le chemin des Saints Auxiliaires de Hombourg, en Moselle. J'ai ainsi appris que Pantaléon était l'un des quatorze saints dits aussi « auxiliateurs », invoqués collectivement pour le soulagement de maux divers. Quatorze statues jalonnent un chemin qui conduit de l'église à la chapelle Sainte-Catherine, en passant le long du site de l'ancien château.
Le culte des saints Auxiliaires remonterait seulement au XVème siècle et l'implantation actuelle des statues n'a été réalisée qu'en 1900. On ne saurait donc parler de tradition séculaire, cependant il est curieux de noter que deux Pantaléon sont à l'honneur : l'un vient en sixième position sur le trajet, l'autre est abrité au sein de la chapelle. De plus saint Cyriaque, qui ouvre la théorie des saints, est un diacre de Rome martyrisé en 303, donc la même année que Pantaléon. Il se trouve aussi qu'on l'invoque pour les maladies des yeux.
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21 juin 2005
Triphullion et Peristereôn
En ce jour solsticial, récapitulons donc les données afférentes à la croisée diagonale de Crozant. En fait, l'histoire tourne autour de quatre figures de saints :
Saint-Pantaléon : c'est le titulaire de l'église de Saint-Plantaire. Logiquement le village devrait porter son nom, or il porte celui d'un saint inconnu au catalogue. La paronymie de Plantaire et de Pantaléon laisse à penser qu'on a voulu condenser dans ce seul nom de Plantaire, le souvenir du saint local et l'allusion à la vigueur végétative du secteur zodiacal où le village se situe. Ce qui renforce cette hypothèse, c'est l'observation du festiaire propre à la commune. Il se réduit à deux fêtes : la fête communale de la Saint-Jean et la fête patronale de Saint Fiacre. Eh oui, le même saint Fiacre avec qui nous avons inauguré notre périple zodiacal, le prince jardinier de la chapelle de Verneuil. A part ça, notons que Pantaléon est le patron des médecins, ayant été médecin lui-même, distingué par l'empereur Maximien qui plus tard ordonnera son martyr. Le vitrail de Chartres représentant son histoire le montre guérissant un aveugle et un paralytique avant d'être jeté en prison.
Saint Jean-Baptiste : c'est le saint-Jean-aux-Fers de la chapelle, celui qui guérit l'épidémie qui décimait les troupeaux berrichons et entraîne la jalousie de Pantaléon.
Sainte Foy : c'est la jeune martyr agenaise de douze ans, dont les reliques firent la gloire de Conques. « Comme il en va pour nombre de saints, sainte Foy avait également ses spécialités, à savoir la guérison de la cécité et la libération des prisonniers. A en croire les textes, ceux-ci avaient pris l'habitude de déposer auprès de la sainte leurs chaînes qui furent accrochées comme ex-voto à la charpente de l'édifice religieux ou transformées en grilles par les artisans de la communauté. Aussi le visiteur actuel de Conques peut-il voir représentées sur le célèbre tympan de l'édifice ces chaînes pendant à des éléments architecturaux symbolisant l'abbatiale conquoise. » (M. Renout, R. Dangreville, Conques, Editions du Rouergue, 1997, p. 28)
Saint André : (je renvoie là aux notes précédentes).
Maintenant, reportons-nous au précieux ouvrage de Guy Ducourthial, Flore magique et astrologique de l'Antiquité (Belin, 2003). Docteur du Muséum national d'Histoire naturelle, il a ausculté avec patience et rigueur les textes grecs et latins non seulement d'auteurs consacrés comme Dioscoride, Théophraste ou Pline l'Ancien, mais aussi et surtout les vestiges de textes rares dont certains n'avaient même pas été traduits jusqu'à ce jour. Il met ainsi à jour une botanique zodiacale, planétaire, tout un système de correspondances fascinant, qui mérite d'être envisagé maintenant à l'aune de la géographie sacrée.
Au signe du Taureau, deux plantes très différentes sont attribuées par les auteurs des notices astrologiques. Le texte concernant la première, le triphullion, est si court et fragmentaire qu'il n'autorise pas, selon l'auteur, l'identification à une plante plutôt qu'à une autre. Néanmoins sa lecture est éloquente :
« La plante du Taureau est le triphullion. Cueille-la quand le signe domine, c'est-à-dire le Taureau. Elle a les propriétés suivantes : mets son fruit et ses fleurs dans une peau de boeuf qui n'est pas encore né [agennêtos bous : embryon (?) ou animal mort-né]. Porte-la quand tu t'avances vers les rois, les chefs, les archontes et tu seras traité avec de grands égards. Ses feuilles en onction... [la suite du texte manque]. Son suc guérit les yeux et toutes les douleurs oculaires. La racine portée en amulette écarte démons et méchants génies (ageloudai)... [la suite manque] » (Catalogus Codicum Astrologicorum Graecorum, VIII, 2, 159-160)
Le même pouvoir ophtalmologique -rappelant donc celui de Pantaléon et de Foy- se retrouve dans la notice beaucoup plus longue et plus précise de la seconde plante du Taureau, le peristereôn, que l'on peut identifier à la verveine :
« (...) on lui attribue des pouvoirs que tu ne peux pas imaginer. En effet, elle met fin en trois jours aux affections oculaires qui semblent désespérées, grâce à la qualité du remède. Pour les ophtalmies, les oedèmes, les gonflements, tous les écoulements d' humeurs, emploie ce collyre : safran : 14 drachmes (...). Les membranes qui se forment sur la cornée (pterugia), les tumeurs, les chalazions sur les paupières et toutes sortes de maux semblables, elle les guérit en un jour. Il n'y a pas lieu de louer une quelconque puissance divine, mais chacun des pouvoirs de la plante. C'est l'expérience qui démontre sa force. » (C.C.A.G., VIII, 3, 141-142)
Guy Ducourthial se demande alors pour quelles raisons les astrologues ont particulièrement insisté sur les vertus de la plante pour soigner les affections oculaires « alors que ni les mélothésies zodiacales ni les mélothésies planétaires ne placent l'oeil sous la domination du Taureau ou de la planète qui y est domiciliée ? » (op.cit. p. 396) Et il avance alors « l'hypothèse que le choix des astrologues a pu être inspiré par la croyance en l'existence de relations entre le nom donné à cette plante, la colombe, la vue et Aphrodite. » Ce mot peristereôn évoquait en effet la colombe, oiseau d'Aphrodite, la maîtresse du signe taurin, et l'on croyait dans l'Antiquité à son pouvoir de guérison de la vue. Ainsi Celse, auteur latin contemporain de Pline, note dans la partie de son encyclopédie médicale consacrée aux ophtalmies, qu'une lésion de l'oeil ne saurait être mieux soignée qu'avec du sang de pigeon, de ramier ou d'hirondelle.
Or, que voyons-nous dans l'histoire de sainte Foy : attachée sur une grille de bronze sous laquelle brûle un feu de poix et de charbons ardents, une colombe dépose sur la tête de Foy une couronne de gloire puis éteint le brasier d'un battement d'ailes accompagné d'une rosée abondante.
Et sur le vitrail de Chartres, une colombe descend du ciel tandis que Pantaléon prie avant le supplice final.
Rappelons aussi que l'axe des châteaux rejoint Luzeret après avoir traversé le Colombier. Luzeret, paroisse de l'abbaye de Loudieu où une fontaine miraculeuse soigne spécialement les maux d'yeux.
Aujourd’hui encore, si j'en crois ce site,
dans l’église Saint Pantaléon de Rome, on continue à distribuer une eau miraculeuse bénie avec les reliques du saint, ainsi qu’un petit livret contenant une neuvaine à réciter en son honneur pour demander la guérison des maladies.
Guy Ducourthial signale encore que l'on croyait que certains oiseaux utilisaient des plantes précises pour soigner les yeux crevés ou arrachés de leurs petits. Le nom de ces plantes dérivait alors du nom de l'oiseau qui en usait, ainsi l'hirondelle (chelidôn) a-t-elle donné son nom à la chélidoine. Je ne peux m'empêcher de rapprocher cette croyance du miracle le plus remarquable narré dans le Livre de sainte Foy, à savoir qu'un certain Guibert ou Gerbert, énucléé par son maître en 980, aurait vu ses globes oculaires « pousser à nouveau sous ses paupières vides. Recouvrant la vue, il aurait manifesté sa joie en grimpant dans le clocher-porche pour ébruiter aux sons des cloches l'heureuse intervention de sainte Foy. Et le bruit s'en répandit effectivement. » (op. cit. p. 28)
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20 juin 2005
De l'importance du Berry
« Légendes et traditions furent, en Irlande, mieux protégées que sur le continent. Mais il existe aussi en France une région qui fut tenue relativement à l'écart des agressions diverses, un isolat où il s'avère que furent mieux conservées les croyances et les traditions du terroir. Il s'agit du Berry où les habitants, paysans pour la plupart, les perpétuèrent plus longtemps qu'ailleurs, loin des grandes routes d'influence. Les moeurs et coutumes de cette contrée différaient tellement, au XVIIIe siècle encore, de celles du reste du royaume que Victor Riqueti, marquis de Mirabeau, pouvait conseiller au roi Louis XV « de réunir le Berry à son empire au lieu de conquérir des provinces étrangères » (L'ami des hommes, 1756). « Cette contrée, écrit de son côté Laisnel de la Salle en 1875, quoique située au beau milieu de la France, ne semble réellement avoir été découverte que de nos jours. » L 'indifférence à l'égard de l'Eglise, constatée au XIXe siècle dans cette région, a pu être attribuée au fait qu'elle ne fut jamais complètement christianisée. Ce lieu conservatoire fut le refuge d'où Charles VII, le « roi de Bourges », résista aux Anglais. C'est en Berry que refirent surface, en leur temps, Gargantua et Mélusine. La plupart des auteurs qui furent nos guides ont un lien avec le Berry et le Poitou : ce sont Pierre Bersuire, Jean d'Arras et Couldrette, Rabelais, Henri Baude, du Fouilloux et autres. »
(Anne Lombard-Jourdan, Aux origines de Carnaval, Odile Jacob, p.235)
Voici donc, extrait de ce livre acheté samedi matin dans ma bonne librairie Arcanes, des lignes essentielles qui renforcent, s'il en était besoin, ma conviction profonde que cette région que j'étudie, et où j'ai l'heur de vivre, est dépositaire d'une tradition ancestrale, perpétuée par les Celtes Bituriges (étymologiquement les rois-du-monde) et entretenue au moins jusqu'à la Renaissance. J'espère trouver dans cet ouvrage prometteur de nouvelles pistes d'interprétation.
Je me suis également offert ce même jour un autre ouvrage paru très récemment : Histoires de saints, Leur rôle dans la formation de l'Occident, par Aviad Kleinberg (Bibliothèque des Histoires, Gallimard, avril 2005). Etant donnée la place qu'occupent les vies de saints dans la géographie sacrée, je ne peux qu'être curieux de ce qu'en rapporte cet historien des religions et professeur à Tel-Aviv.
Deux volumes sur lesquelles j'aurai très certainement l'occasion de revenir dans les prochains jours, après ce passage promis par la botanique astrologique.
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