10 avril 2005
Python issant du limon
Ainsi, quand la terre couverte de l'épais limon que laissa le déluge eut été profondément pénétrée par les feux du soleil, elle produisit d'innombrables espèces d'animaux, les uns reparaissant sous leurs antiques traits, les autres avec des formes inconnues jusqu'alors. Ainsi, mais comme en dépit d'elle-même, elle t'engendra, monstrueux Python, serpent nouveau, effroi des hommes qui venaient de naître, et qui de ta masse énorme couvrais les vastes flancs d'une montagne. Le fils de Latone, qui n'avait encore poursuivi que les daims et les chevreuils aux pieds légers, épuisa son carquois sur le monstre, qui vomit par ses blessures livides son sang et son venin; et, pour conserver à la postérité le souvenir et l'éclat de ce triomphe, Apollon institua des jeux solennels qui furent appelés Pythiens. Le jeune athlète vainqueur dans ces jeux, à la lutte, à la course, ou à la conduite du char, recevait l'honneur d'une couronne de chêne. Le laurier n'était pas encore; les feuilles de toutes sortes d'arbres formaient les couronnes dont Phébus ceignait sa blonde chevelure.
Ovide (Métamorphoses, 434)
01:00 Publié dans Bélier | Lien permanent | Commentaires (0)
09 avril 2005
Sainte, Sale et Savante
Apollon tue le serpent Python et gagne une épithète (une épiclèse, en terme savant) : on le surnomme Apollon Pythien. Curieux, quand on y pense, de se voir désigné sous les traits de l'ennemi : imaginerait-on un Churchill "Hitlérien" ? En réalité, il doit y avoir ici, sous le masque d'un combat, la figure d'une transmission. Le dieu solaire prend le relais de la divinité chthonienne, et il s'agit moins de supplanter que de prolonger.
Puthô viendrait d'une racine archaïque signifiant "pourrissant" (grec puthestai, "se putréfier"), autrement dit, Apollon Pythien ne serait autre qu'un Apollon "pourrisseur". La mort du serpent et sa putréfaction introduisent une impureté fascinante pour les spectateurs (la racine indoeuropéenne pū est une exclamation de dégoût, dont témoigne l'interjection pouah !), qu'il convient de conjurer. Et pour ce faire, le rituel choisira parfois non d' endiguer le phénomène mais au contraire d' en précipiter les étapes. Dans le numéro 380 de la revue Critique, paru en janvier 1979 et consacré à Michel Serres, René Girard montre comment le religieux exacerbe le désordre pour mieux restaurer l'ordre originel :
"L'esprit religieux ne va jamais sans répugnance terrifiée à l'égard de l'impur mais, dans ses formes équilibrées, il donne aux hommes l'audace de surmonter cette première réaction et d'intervenir dans le processus de corruption, pas du tout pour contrecarrer celui-ci mais pour l'accélérer. Constatant ou croyant constater une perte de différences, un début de confusion maléfique entre des choses qui devraient rester distinctes, le rite surexcite la crise et précipite les mélanges pour amener une résolution favorable." (pages 26-27)
Et le philosophe de suggérer que le fromage, le pain, le vin, aliments nés d'une fermentation, ont été sans doute inventés dans ce cadre rituel : "Pour régénérer l'ordre, en somme, il faut faire donner au désordre tout ce qu'il peut donner dans l'ordre du désordre, si l'on peut dire. Dans le cas des altérations naturelles, comme celle du lait ou des farines, l'intervention rituelle s'efforcera, sans doute, d'altérer davantage les substances, elle multipliera peut-être les mélanges contre-nature. Elle poussera les hommes, en somme, dans la voie de l'expérimentation sur le pourri, le gâté, le fermenté, etc (...)."
Ajouterai-je que le chaos papal que je décrivais l'autre jour me paraît relever du même ordre d'idées ? La violence soudaine, la décomposition des institutions à l'oeuvre dans la cité romaine et acceptées par l'ensemble du corps social prélude à un nouvel ordre bâti autour d'un nouveau pontife.
En résumé, le serpent figure le passage à un nouvel ordonnancement du cosmos. La souillure de sa mort se lit jusque dans le nom de l'antique oppidum sur lequel s'est fondé la ville de Poitiers. Je lis que Limonum pourrait signifier "les boues" (on ne quitte pas le symbolisme tellurique et détritique) - et la devise même de Poitiers n'est-elle pas étonnamment " Sainte,Sale et Savante" ?
Quelle mystère renferme une ville qui a le front de s'enorgueillir de sa saleté ?
01:05 Publié dans Bélier | Lien permanent | Commentaires (0)
08 avril 2005
La flèche d'Apollon
Le lecteur attentif se sera sans doute étonné de ce que le nom même de l'ombilic berrichon ne soit pas encore apparu dans ces pages. A plusieurs reprises, l'axe ombilical, le parallèle de ce haut-lieu a été invoqué, exploré sans que la source même en soit établie. Il ne faut pas voir là une quelconque volonté d'appâter le lecteur, de le retenir par une manière de suspense, pour la bonne raison tout d'abord que le lecteur est rare et qu'aucune publicité n'a été donnée à ce blog. Un seul commentaire posté sur le site de Berlol m'a valu quelques visites dont je ne suis pas certain qu'elles se renouvellent. Alors quoi ? En fait, c'était une sorte de répugnance à afficher d'emblée la couleur, une envie de différer l'inévitable, de tourner autour du pot pour mieux s'en emparer. Mais en réalité, je ne tourne pas, je m'éloigne mais je ne tourne pas. Reculant sur cet axe que j'ai appelé principiel parce qu'il inaugure le mouvement cosmique, j'ai l'impression de bander l'arc qui décochera la flèche nous conduisant naturellement à la cible. L'explication ne me convainc moi-même qu'à moitié, mais je n'en ai point d'autre à proposer...
Filant la métaphore, c'est la flèche d'Apollon qui nous désigne la victime sacrificielle. Dans le mythe delphique, c'est ainsi que le dieu tue le serpent Python qui gardait le sanctuaire, portant lui-même le nom de Pytho et longtemps consacré au culte de Gê, la terre, qui rendait elle aussi des oracles.
Que Poitiers, fiché au couchant sur l'axe ombilical, ait été la capitale des Gaulois Pictones ne peut nous apparaître comme un pur hasard. La proximité phonique des noms est stupéfiante.
01:10 Publié dans Bélier | Lien permanent | Commentaires (0)
06 avril 2005
Chaos papal
"Pour le cas où, à force de malentendus, l'apocalypse bucolique passe dans les faits pour une forme de soulèvement, l'if non taillé représentera la horde sauvage ou la décadence primitiviste, le labyrinthe exprimé sous la forme du chaos - l'if taillé, la stratégie rompue, l'orthogonalité, les illusions formelles, le labyrinthe exprimé sous la forme de calculs."
Pierre Senges (ruines-de-Rome, Verticales/Points Seuil, janvier 2002)
Fin d'après-midi. Je vais chercher Gabriel chez sa nourrice. France-Culture, baîllonnée ce matin par une grève, a repris de la voix. Mais c'est encore du pape que l'on cause et j'écoute tout d'abord distraitement. Puis je réalise que ce n'est pas de Jean-Paul II qu'il s'agit, mais de ses prédécesseurs et de Rome comme espace sacré, lieu de rituels hérités de l'antiquité. J'apprends que dès que la rumeur courait que le pontife était à la veille de trépasser, le peuple commençait à se livrer à un certain nombre de saccages. Une attitude bien différente de celle que l'on observe aujourd'hui, une attitude qui semblerait bien incompréhensible aux foules dévotes qui affluent vers la place Saint-Pierre… Et je bondis presque quand j'entends Martine Boiteux affirmer que, comme dans les sociétés traditionnelles, la mort du chef ouvrait "une période de vacance, de béance, de chaos total." Le palais du pape était attaqué, on s'en prenait à ses biens, voire à sa famille. Toutes les fonctions officielles étaient arrêtées à l'exception de celle du camerlingue, dont le premier souci était de constater la mort du pontife en le frappant trois fois sur la tête avec un marteau d'or…
Cette émission passionnante, je l'ai réécoutée le soir-même : il s'agissait d'une rediffusion d'un épisode des Chemins de la Connaissance : les chemins de la papauté par Philippe Le Villain. Ce chaos ouvert par le décès des anciens papes, dont j'ignorais complètement l'existence, ne pouvait que me rendre plus vive encore l'interrogation que je posais au sujet du KAO du camion polonais.
00:50 Publié dans Le Facteur de coïncidences | Lien permanent | Commentaires (0)
05 avril 2005
Vers Poitiers, avec Henry de Monfreid
Lo departirs m'es aitan gries
Del senhoratge de Peitieus *
Guillaume Le Troubadour
Prenons du champ. Quittons notre espace berrichon en mettant le cap à l'ouest. Suivons ce parallèle ombilical qui nous a déjà donné la chapelle de Verneuil et Argenton. Dans son sillage, nous épinglerons Ingrandes, qui précisément sépare le Berry du Poitou, l'ancienne civitas des Bituriges de celle des Pictones. Ce petit village bâti sur les bords de l'Anglin a été identifié comme l'antique Fines de la Table de Peutinger. Son nom actuel renferme le celtique randa, frontière.
Ici s'installa en 1948 l'écrivain Henry de Monfreid. Dans sa maison des bords d'Anglin, non loin d'un petit musée à lui consacré, il écrivit nombre de ses ouvrages, allant jusqu'à déclarer dans son autobiographie "Le feu de Saint-Elme" que"Ce qu'on pourrait appeler mon oeuvre littéraire n'est autre que le récit de ma vie, écrit au jour le jour dans un présent absolu où les phases de mon existence se succèdent dans une apparente indépendance, comme autour d'un centre instantané de rotation".
* Il m'est si pénible de quitter la seigneurie de Poitiers
(cité dans l'anthologie Via Poitiers, une ville, des écrivains, des voyageurs, Atlantique/Le Torii, 1998)
00:25 Publié dans Bélier | Lien permanent | Commentaires (0)