21 mai 2005
Et Mithra perça sous Jupiter
Les sept sonneries toulousaines. Elles « prennent leur racine dans le martyre de saint Saturnin en 250. C'est un véritable tableau de ces instants : les quatre cloches au pied pour les pattes du taureau, les deux petites à la main pour les cris de la foule haranguant la bête. » J'ai bien compté, quatre plus deux font six. Manque une cloche.
Il n'y a pas que cela qui cloche, si je puis dire, dans la légende de Saint Sernin. J'ai réalisé peu de temps après la rédaction de l'article que ce qui me chagrinait c'était cette histoire de sacrifice du taureau à Jupiter. Certes, dans la mythologie du dieu, le taureau a une belle importance (le mythe d'Europe en est l'exemple sans doute le plus fameux ), mais il ne semble pas qu'on lui sacrifiait spécialement l'animal, surtout à cette époque de l'Antiquité tardive. En tout cas, une recherche sur le web s'est avéré infructueuse sous ce rapport. En revanche, un nom revient alors avec insistance, associé de manière quasi systématique avec le sacrifice du taureau, le nom d'un autre dieu, oriental celui-là : Mithra.
Dieu indo-iranien de la lumière, veillant sur la justice, les serments et les contrats, il est introduit en Italie, avec son cortège de rituels d'initiations, par les pirates ciliciens capturés par Pompée en 67 avant J.C. . Religion à mystères réservée aux hommes, le mithraïsme atteindra son apogée au IIIème siècle. « Il faillit devenir la religion officielle de l'Empire, explique Robert Turcan (Encyclopaedia Universalis, 12, p. 365) lorsque Aurélien voulut réunifier la conscience religieuse du monde romain autour d'un culte solaire, celui de Sol inuictus, puis quand les tétrarques Dioclétien, Galère et Licinius invoquèrent Mithra comme le Fautor c'est à dire le garant de leur pouvoir (Corpus inscriptionum latinarum, III,413). D'où le mot de Renan "Si le christianisme eût été arrêté dans sa croissance par quelque maladie mortelle, le monde eût été mithriaste." Julien l'Apostat (361-363) essaya tardivement de substituer le culte de Mithra au christianisme devenu religion officielle. Malgré les dévotions de l'empereur Julien et des sénateurs païens, le culte persique sombra dans l'indifférence et l'oubli, vers le IVe siècle de notre ère, faute d'avoir pénétré massivement dans les couches populaires de la campagne et des villes ».
Pourquoi Jupiter aurait-il recouvert à Toulouse le souvenir de Mithra ? Oubli ou volonté d'occultation ? L'association de Jupiter au Capitole est irréfutable (on l'appelait d'ailleurs parfois Jupiter Capitolin) et il est le membre le plus éminent de la triade capitolienne Jupiter-Junon-Minerve, gardienne de l'intégrité de la ville. Maintenant, il faut savoir qu'à Rome, le temple de Mithra, le mithraeum, était creusé sous le mont Capitolin, que Jupiter avait en commun avec Mithra d'être garant des serments et qu'on les trouve figurés côte à côte sur de nombreuses stèles( Metz, Table de Heddernheim).
Il faut savoir aussi que le nombre sept est central dans le culte de Mithra. Robert Turcan :
« L'initiation mithriaque comportait sept grades correspondant chacun à un astre : le Corbeau (cryphius), protégé par Mercure; l'Époux (nymphus), par Vénus; le Soldat (miles), par Mars; le Lion, par Jupiter; le Perse, par la Lune; le Courrier d'Hélios (heliodromus), par le Soleil; le Père (pater sacrorum), par Saturne. »
Ce dernier élément me semble révélateur : le plus haut degré d'initiation, le Père, qui consacrait l'homme veillant sur toute la communauté, est corrélé à Saturne. Le nom précisément de Sernin, alias Saturnin. Coïncidence, là encore ?
Rappelons encore qu'ils sont sept à partir évangéliser sur commande du pape. Un autre est Martial qui pourrait bien correspondre au troisième grade (ceux qui y accédaient étaient consacrés par une sorte de baptême et sans doute marqués au fer rouge...).
La légende de saint Sernin opère en réalité un retournement par rapport au mythe du taureau de Mithra : dans la première, l'évêque martyr est attaché aux pieds de la bête furieuse, tandis que dans le second c'est Mithra qui, après l' avoir garrotté, traîne le bovidé par les pattes de derrière jusqu'à la caverne où il procède à la mise à mort.
La géographie sidérale n'est pas oubliée dans ce drame où l'enjeu est cosmique : un zodiaque est souvent figuré au-dessus de la tauroctonie. L'attention aux grands rendez-vous astronomiques est d'ailleurs remarquable : célébrations des solstices et des équinoxes, orientation des mithraea pour que le soleil levant à l'équinoxe de printemps illumine la figure de Mithra, fête du 25 décembre comme l'anniversaire du Soleil (natalis Solis inuicti, d'où dérive notre Noël) et de Mithra pétrogène (né de la pierre).
La légende de Sernin lui donne même, dans l'une de ses versions, une origine orientale.
Il n' est jusqu'au passage de l'ensevelissement du corps du martyr par les saintes Puelles dans une fosse profonde qui ne fasse penser aux Taurobolies, où l'on égorgeait un taureau au-dessus d'une fosse, couverte d'un plancher à claire-voie. Le fidèle qui y descendait ressortait visqueux mais régénéré de l' aspersion sanglante. Les saintes Puelles auraient-elles contre toute attente quelque chose à voir avec la terrible Mère des Dieux, la Cybèle de phrygienne origine, à laquelle ce rite était le plus souvent destiné ?
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18 mai 2005
Le taureau de Saint Sernin
Sous la conduite de Brennus, Les Gaulois Volques pillent Delphes et en ramènent un trésor qu'ils abandonnent dans les marécages de la Garonne parce qu'il leur aurait porté malheur. Guy-René Doumayrou rapporte que Jean Markale, dans son étude sur les Celtes (page 119), « constate que rien n'atteste la réalité historique de cette équipée et que l'or de Delphes pourrait fort bien avoir été de nature spirituelle, plutôt que grossièrement métallique. Autrement dit, la légende ne ferait que porter témoignage, par le truchement tout à fait traditionnel du récit allégorique, d'une transmission initiatique de la puissance oraculaire, de l'omphalos héllène à l'omphalos occitan. Nombre de légendes de cette sorte, prises à la lettre par l'érudition moderne refusant a priori (ce qui ne relève pas d'une attitude proprement scientifique) l'interprétation symbolique qui était pourtant jadis la règle, ont conduit à l'élaboration d'une histoire rendant certainement très mal compte des réalités passées. » (G.S., p. 51)
Un semblable souci de transmission de centre à centre ne se cache-t-il pas dans le tropisme toulousain de Guillaume d'Aquitaine et Robert d'Arbrissel ? Pourquoi modifier les prérogatives de Saint-Sernin, le lieu le plus sacré de la ville, comme en témoigne encore une inscription à l'entrée de la crypte : Non est in toto sanctior orbe locus, il n'est pas au monde de lieu plus saint ? Pourquoi créer un prieuré au nord de Toulouse, tout comme Saint-Sernin est au nord de Toulouse et Saint-Denis au nord de Paris ? Il est vrai ici que l'équipée militaire n'est pas une légende, mais encore une fois, sous les enjeux apparents de pouvoir, se dissimulent peut-être d' authentiques motifs d'ordre spirituel.
Pour le comprendre, il n'est pas inutile de se pencher sur une autre histoire au parfum de légende, la Passio précisément de Saint Sernin, (dérivation occitane populaire de Saint Saturnin), rédigée au Vème siècle. Envoyé en Gaule par le Pape avec six autres évêques (dont saint Martial, premier évêque de Limoges), il aurait évangélisé Pampelune puis Toulouse. En 250, sous Dèce, les prêtres du Capitole (alors consacré à Jupiter) l'accusent de rendre muet par sa présence l'oracle du temple et le somment dès lors de sacrifier le taureau rituel. Refus catégorique de Saturnin qui lui vaut d'être attaché par les pieds à la queue de l'animal furieux.
Pris d'une rage folle, le taureau dévale les marches de l'escalier du Capitole. Saturnin, le cou brisé, est traîné le long du cardo romain (la rue saint-Rome) avant d'être abandonné, une fois passé la porte Nord, en dehors donc des remparts de la ville, sur la route de Cahors, à l'emplacement de l'actuelle rue du Taur (pour taureau). Recueilli par deux jeunes femmes (les saintes Puelles), son corps sans vie est enterré dans un fossé profond. Le taureau, lui, est achevé un peu plus loin, au lieu nommé depuis Matabiau (de matar = tuer et biau = bœuf), où se trouve la gare actuelle.
C'est un autre Hilaire, contemporain de Hilaire de Poitiers dont j'ai déjà parlé, évêque de Toulouse au quatrième siècle (358-360), qui fait construire une petite église en bois sur la tombe du martyr. Cet oratoire devient rapidement un important lieu de pèlerinage, si bien qu'à la fin du IVe siècle, devant l'afflux des fidèles, l'évêque saint Sylve (360-400) décide de construire un édifice plus grand, achevé en 402 sous l'épiscopat de saint Exupère , lequel organise le transfert des reliques du premier martyr toulousain dans la nouvelle basilique et fait rédiger les actes officiels du martyre (connus donc sous le nom de Passio antiqua).
Ce n'est qu'au début du IXe siècle que se constitue à Saint-Sernin une communauté de chanoines réguliers. Et, en 1080, commence la construction de la basilique romane actuelle. Le 24 mai 1096, le pape Urbain II, venu demander au comte Raymond de conduire la première croisade, consacre l'autel et la basilique. Or, la même année, lors de son séjour à Angers, Urbain II avait fait prêcher Robert d'Arbrissel en sa présence et lui avait donné plein pouvoir d'annoncer en tous lieux la parole divine.
Une grande partie de ce que je retrace ici, je l'ai trouvé sur le très riche site de l'Ecole occitane de carillon, qui traite entre autres des sept sonneries toulousaines. Elles « prennent leur racine dans le martyre de saint Saturnin en 250. C'est un véritable tableau de ces instants : les quatre cloches au pied pour les pattes du taureau, les deux petites à la main pour les cris de la foule haranguant la bête. Dès lors, les premiers chrétiens ont voulu perpétuer le souvenir de leur premier évêque par ces rythmes qui se sont transférés après le VIIe siècle aux cloches, nous permettant aujourd'hui de jouer cette partition vieille de plus de 1750 ans. Peut-être la plus vieille partition au monde ?
Au nombre de sept, elles se nomment :
Simple, Marche, Double majeur (ou double de marche), Plan, Roulements, Taur simple (ou Petit Taur) et Grand Taur. »
Ce qui me frappe, c'est qu'on peut trouver entre la Passio de Sernin et le pélerinage de Jovard au moins quatre grands points communs :
- la récurrence du nombre sept : les sept apôtres évangélisateurs envoyés par le Pape dont fait partie Sernin, mais aussi Martial, dont Mauvières et Ruffec relèvent dans la Roue du nemeton belâbrais ; les sept sonneries ; les sept stations de Notre-Dame-de-Jovard. Mais, dira-t-on justement, sept est un nombre tellement fréquent en symbolisme qu'on ne saurait s'étonner outre mesure d'une telle coïncidence.
- la récurrence de Jupiter est déjà plus surprenante : on a vu que Jovard dérivait de Jovis (Jupiter), et Sernin est accusé de troubler l'oracle de ce dieu auquel l'empereur rendait un culte officiel.
- la récurrence du taureau mis à mort : au nord de la Forêt de la Luzeraize, se trouve un étang dit du Boeuf Mort.
- la récurrence de l'épine : le prieuré de Lespinasse fondé au nord de Toulouse ; le prieuré de l'Epeau ; le château et l'étang de l'Epineau au nord de la Roue du nemeton ; et enfin notons qu'en 1251, Alphonse de Poitiers, frère de Saint-Louis, offrit une Epine de la couronne du Christ aux chanoines de Saint-Sernin.
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16 mai 2005
Guillaume et Robert
Plus j'avance dans cette étude sur Villesalem, plus je suis captivé par l'étrange figure de Robert d'Arbrissel. Je ne vais pas ici donner sa biographie (il suffit de cliquer sur les liens pour ceux que ça intéresse), mais je voudrais revenir sur la nature des lieux qu'il a fondés. Fontevraud, tout d'abord. Il ne faudrait pas croire que ce site fut choisi un peu au hasard de ses pérégrinations inlassables, parce que brusquement le concile de Poitiers, en 1100, l'a sommé de fixer sa troupe errante où - péché majeur aux yeux des légats du pape - se mêlent les hommes et les femmes. Il est patent que le choix du site est mûrement réfléchi : ce « désert » où il s'est retiré, ce « lieu inculte et âpre, plein d'épines et de buissons », ce vallon isolé de Fontevraud n' est rien moins qu'à la croisée de trois provinces, à la limite de l'évêché d'Angers et de l'archevêché de Tours, à l'extrême pointe septentrionale du diocèse de Poitiers. Offert par le seigneur Gauthier de Monsoreau, dont la fille a rejoint la communauté, il est aussi à une lieue de Candes Saint-Martin, au confluent de la Loire et de la Vienne, où le célèbre saint a rendu l'âme à Dieu.
Le choix de Villesalem relève d'un même souci stratégique : il s'agit là aussi d'un vallon isolé, avec présence d'une source (à Villesalem, elle est même à l'intérieur de l'église), et sa localisation là encore dans le diocèse de Poitiers coïncide avec une grande proximité avec les diocèses de Bourges et de Limoges. De même, sur un plan autre que religieux, c'est sa situation au carrefour de trois provinces qui vaut au hameau des Hérolles, à quinze kilomètres à vol d'oiseau de Villesalem, d'accueillir une des plus grandes foires de la région (foire aux Béliers, qui plus est...).
Villesalem (non indiqué sur cette carte des diocèses du 18ème)
Et qui fait la loi en ce temps-là sur le Poitou ? Une vieille connaissance, le redouté Guillaume d'Aquitaine, troubadour et baroudeur. Je n'avais pas fait le rapprochement, malgré les dates communes (Château-Guillaume édifié entre 1087 et 1112, par exemple). C'est en tombant sur le site de Marc Briand que j'ai appris que Guillaume s'était emparé à deux reprises de Toulouse accompagné chaque fois par Robert d'Arbrissel. « Deux documents l’attestent, l’un en Juillet 1098 qui modifie les prérogatives de Saint-Sernin et le second, en 1114, concernant la fondation du prieuré de Lespinasse, au nord de Toulouse, tout de suite rattaché à Fontevrault. » Leurs signatures voisineraient sur plusieurs actes. « D’autres ont établi une corrélation entre Fontevrault et l’Amour courtois qui prend son essor à la même époque ; la place faite aux femmes par Robert d’Arbrissel qui voulait que l’abbesse ait aussi autorité sur les moines de l’ordre aurait eu une influence sur une littérature qui exalte la femme et son rôle dans la «fin’amor». Un lien de cause à effet est difficile à établir : que les différentes facettes d’une époque trouvent un style n’est pas extraordinaire. »
Cette alliance entre deux trublions de l'époque laisse rêveur : poésie et géographie symbolique, architecture et politique, mythes et réalité se mêlent de façon inextricable, comme dans un buisson d'épines de ces déserts aimés du breton.
Sur le site de la ville de Lespinasse, je vérifie qu'en effet Robert d’Arbrissel reçut la forêt dite d’Espèse - qui s’étendait avec ses garrigues entre l’Hers et la Garonne - de Philippa, fille de Guillaume IV, Comte de Toulouse, et épouse en seconde noces de Guillaume IX Duc d’Aquitaine. On ajoute qu' elle prit le voile à Fontevraud et devint abbesse. Il faut se souvenir qu'elle fut répudiée par Guillaume au profit de la « Maubergeonne ». Autre exemple de l'accord bien senti entre Guillaume et Robert.
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14 mai 2005
Geminae columbae
Sur la façade ouest de l'église de Villesalem, à la voussure supérieure d'une fenêtre aveugle, des mains humaines tiennent des branches feuillues.
La rareté de cette composition nous interloque : mais ne s'agit-il pas tout simplement d'une figuration des Rameaux ? Cette fête chrétienne commémore l'entrée triomphale à Jérusalem de Jésus monté sur une ânesse, ses disciples l'accueillant avec des rameaux de palmier. « C'était une tradition orientale, déclare le Dictionnaire des Symboles (p. 800), d'acclamer les héros et les grands en brandissant des rameaux verts, qui symbolisent l'immortalité de leur gloire. »Les Rameaux se célèbrent le dimanche qui précède Pâques, dont la date est fixée au premier dimanche suivant la pleine lune de l'équinoxe de printemps, donc entre le 21 mars et le 25 avril (35 jours que l'on appelle les journées pascales). Ce qui place la fête pratiquement toujours dans le signe du Bélier. On ne fait plus guère attention de nos jours à cette subordination du temps humain à la temporalité cosmique, à cette double détermination luni-solaire, pourtant nous continuons tous de fonctionner, croyants, laïcs et mécréants dans ce cadre multi-millénaire – et il n'est même aucun rationaliste farouche pour proposer de le modifier (la seule tentative en ce sens, celle du calendrier révolutionnaire, a fait long feu et, encore une fois, personne ne s'aviserait aujourd'hui d'y faire retour).
Avec les Rameaux, c'est toujours la thématique du triomphe qui est exaltée, comme le souligne la prière de bénédiction des Rameaux :
« Bénissez, Seigneur, ces rameaux de palmier ou d'olivier, et donnez à votre peuple la parfaite piété qui achèvera en nos âmes les gestes corporels par lesquels nous vous honorons aujourd'hui. Accordez-nous la grâce de triompher de l' ennemi et d'aimer ardemment l'oeuvre de salut qu'accomplit votre miséricorde. »
« La victoire célébrée ici, précise encore Le Dictionnaire des Symboles, est toute intérieure, c'est elle qui est remportée sur le péché, qui s'accomplit par l'amour et qui assure le salut éternel : c'est la victoire définitive et sans appel. Le symbolisme du rameau atteint à la plénitude de son sens.
Il était déjà préfiguré dans le rameau d'olivier que la colombe apporta dans son bec, pour annoncer la fin du déluge : La colombe revint vers Noé sur le soir et voici qu'elle avait dans son bec un rameau tout frais d'olivier. (Genèse, 8, 11). C'était un message de pardon, de paix recouvrée et de salut. Le rameau vert symbolisait la victoire de la vie et de l'amour. »
Villesalem est précisément, de par son nom, le village (ville) de la paix (salem). Et justement, sur la même façade ouest, on rencontre la colombe, dédoublée, buvant dans un calice - une des plus belles sculptures de l'édifice. Celui-ci est le réservoir de vie, la source éternelle d'énergie divine. Un autre récit antique, l'Enéide de Virgile, associe les deux colombes, geminae columbae, et le rameau, sous la forme du rameau d'or qui n'est autre que la branche de gui, dont les feuilles vert pâle se dorent à la saison nouvelle :
« Un rameau, dont la souple baguette et les feuilles d'or, se cache dans un arbre touffu, consacré à la Junon infernale. Tout un bosquet de bois le protège, et l'obscur vallon l'enveloppe de son ombre. Mais il est impossible de pénétrer sous les profondeurs de la terre avant d'avoir détaché de l'arbre la branche au feuillage d'or... Enée, guidé par deux colombes, se met à la recherche de l'arbre au rameau d'or dans les grands bois et soudain le découvre dans les gorges profondes. » (Eneide, chant VI, traduction d'André Bellessort )
Giuseppe Gambarini (Bologne, 1680 - 1720)
Énée détachant le rameau d'or
Nanti de ce rameau d'or (homologue, en vérité, à la toison d'or, elle aussi cachée dans un bois), Enée pourra visiter les Enfers. Yves-Albert Dauge, pratiquant, selon ses propres termes, la polyexégèse de ce passage, écrit :
« Chacun d'entre nous, méditant sur le récit virgilien et en saisissant la signification universelle, rencontrera à son tour, dans l' « intermonde » de son propre itinéraire, les deux colombes et les suivra jusqu'à l'Arbre de Vie, pour se relier, lui aussi, au circuit des Energies créatrices, et avancer sur la voie de la métamorphose. Car un symbole correctement compris dans sa multiple unité devient à jamais vivant pour celui qui l'a déchiffré, comme la substance même de son esprit et la source même de sa ferveur. » (Virgile, Maître de Sagesse, Archê, 1984, p. 224).
L'arbre de vie
C'est clairement désigner l'enjeu de la géographie sacrée. Elle n'est pas un jeu superflu et gratuit, une ornementation dans le paysage, une création sans but. Dès le principe, elle est investie d'une mission essentielle : amener l'homme sur la voie de la transformation, lui en indiquer les stations et lui en proposer les énigmes. L'aventure zodiacale est analogue au voyage des Argonautes, à la quête d'Enée, au chemin de Saint-Jacques. La leçon de Villesalem, c'est l'apprentissage d'un nouveau regard sur le monde, l'invite à marcher vers la lumière.
«La gloire des yeux, dit Saint Grégoire de Nysse, c'est d'être les yeux de la colombe. »
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13 mai 2005
Robert d'Arbrissel à Villesalem
Aliénor d'Aquitaine mourut à 80 ans passés à l'abbaye de Fontevrault. Celle-ci avait la particularité de réunir deux communautés d'hommes et une communauté de femmes, l'ensemble étant placé sous l'autorité d'une abbesse. C'était la coutume instaurée par le fondateur de l'Ordre, le bénédictin Robert d'Arbrissel. « Avec la recherche du symbolisme évangélique, commune à la plupart de ses contemporains, il vit surtout dans les femmes le sexe auquel appartenait la Vierge Marie. Voulant l'honorer en elles, il leur donna la supériorité sur les religieux ; la soumission des moines à l'abbesse devait rappeler celle que les apôtres témoignaient à Notre-Dame. »(Dom Beaunier, « Recueil historique des archevêchés, évêchés, abbayes et prieurés de France », 1906).
Prieuré de Villesalem
Robert d'Arbrissel fonda également nombre de prieurés dont celui de Villesalem, dans le secteur qui nous occupe, à partir d'un mas qu'on lui avait cédé en 1089. Située pratiquement à mi-chemin de Liglet et de Béthines, Villesalem balise avec Nesmes, Haims, Chapelle-Viviers, Cubord (chapelle priorale), La Chapelle-Morthemer et La Villedieu-du-Clain le grand axe de Lumière Lusignan-Luzeret.
Tangentiel à la Roue du Nemeton belâbrais et perpendiculaire à l'axe Nesmes-Château-Guillaume, il exprime l'élan chevaleresque vers l'Orient lumineux, où le Christ avait souffert sa Passion. Car Villesalem, Morthemer, c'est évidemment faire référence à la Terre Sainte, à Jérusalem et à la Mer Morte. Guy de Lusignan n'a-t-il pas été brièvement roi de Jérusalem ? A la mort de Baudoin V, il hérita du trône grâce à son mariage avec Sybille, la soeur du roi, avant que son incompétence politique provoque le désastre de Hattin face à Saladin en 1187 et la reprise de Jérusalem par ce dernier. Il devint roi de Chypre en 1192.
Le personnage est évoqué avec toute cette période dans le film récent de Ridley Scott, Kingdom of Heaven (que je n'ai pas encore vu) et qui est, semble-t-il, diversement apprécié.
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