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Outrille et le Bétyle
Saint Sulpice nous a révélé la figure de saint Outrille, son prédécesseur sur la cathèdre berruyère. A part Saint-Aoustrille, dont nous avons vu qu'il rasait l'axe Saint-Genou-Saint-Ambroix, le saint a donné son nom à un village du Cher, accolé au bourg de Graçay et situé comme Saint-Ambroix à la limite des deux départements berrichons. Une collégiale romane, fondée en 989 par le chapitre du château de Saint Outrille de Bourges, lui est consacrée. Nous sommes ici très près de Vatan, la ville natale de Sulpice.
On peut définir un quasi triangle isocèle en traçant les axes Saint-Aoustrille - Saint-Outrille et Saint-Outrille - les Chapelles (point médian, rappelons-le, de l'axe Saint-Genou - Saint-Ambroix).
A Ménétréols, l'église est, nous l'avons vu, sous le vocable de saint Paul, qu'un vitrail représente, armé de son épée. Or, le site nominis, consacré aux biographies de saints, relate que saint Outrille "refusa une épouse pour devenir prêtre à Lyon, puis évêque de Bourges où il se concilia l'estime de son peuple en chassant un seigneur malfaisant que saint Outrille força lui-même, une épée à la main, à déguerpir et à pratiquer son brigandage ailleurs. Une localité se rappelle de cela : Saint Outrille-18310."
Mgr Villepelet ne rapporte pas cette anecdote mais signale tout de même qu' Outrille aurait dû combattre un certain Bethelen qui l'avait accusé de détournement de biens publics. Le roi Gontran aurait ordonné une ordalie (jugement de Dieu) en champ clos. Outrille se rendit au combat mais son adversaire avait déjà péri, renversé et foulé aux pieds par son cheval, "très doux d'ordinaire": "Le roi vit dans cette mort la manifestation de la vengeance divine". Un chapiteau de l'ancienne collégiale Saint-Outrille de Châtillon-sur-Indre (cité situé à quelques kilomètres en aval de Saint-Genou) reproduit les démêlés du saint avec Bethelen.
Il y a fort à parier que le combat d'Outrille et de Bethelen recouvre la christianisation d'une pierre sacrée, sans doute un mégalithe (ils sont nombreux dans ce secteur, ainsi peut-on trouver à Gracay le dolmen dit de la Pierre-Levée). Le village de Saint-Jean de Boiseau, dans le pays de Retz, près de Nantes, possède une chapelle de Béthléem dont le nom originel est Bétélian. Selon les rédacteurs du site de la commune, "l"
28 septembre 2007 | Lien permanent
Chevaux et fontaines
"Comme je lui parlais de l'orage, elle se mit à rire et à hausser les épaules en me disant que je n'étais qu'un bourri de ne pas savoir encore que les orages ne sont jamais pour nous lorsqu'ils prennent naissance du côté du soleil levant »
Observons plus attentivement l'alignement Ygrande-Souvigny. A Ygrande même, l'église Saint-Martin faisait partie d'un couvent bénédictin rattaché ensuite à Souvigny.Deux villages situés ensuite entre Ygrande et Saint-Mayeul méritent l'attention. Le Vilhain tout d'abord : occupé, semblerait-il, en permanence depuis l'époque gauloise, c'est le point culminant du pays de Tronçais. Son église est également sous la patronage de saint Martin, qui nomme en outre une fontaine "miraculeuse". A l' ombre de l'église se dresse un menhir impressionnant, haut de 4,56 m, large de 1,48 m, auparavant couché en bordure de la route du Vilhain à Hérisson, près d'un point de vue, et déplacé ici en 1985. Le site lieux sacrés rapporte que "L'abbé Charles-Antoine-Marie Bordelle, ancien curé du Vilhain dans la seconde moitié du 19 ème siècle écrivait à propos de cette pierre : "le dessus n'est pas tout à fait plat; il y a comme des espèces d'élévations graduées, qui ont dû être faites exprès, pour faire couler le sang des victimes. Elle a toujours porté le nom de Pierre Chevriau ou Chevau, il est probable qu'elle a conservé le nom des victimes qu'on immolait le plus souvent : les chevreaux et les chevaux"..."
Sans vouloir retenir l'interprétation sacrificielle très en vogue au 19ème, il est intéressant de retrouver la référence au cheval que Ph. Walter associe, on l'a vu, à saint Eloi (signalons aussi que, parmi les autres animaux associés aux Douze Jours, il mentionne l'ours - or, le premier ruisseau croisé par l'alignement est celui dit de l'Ours).
Saint-Nicolas (photo)
L'autre village traversé avant Saint-Mayeul est Le Brethon, dont l'église Saint-Pierre renferme " une amusante statue de Saint Nicolas revêtu des ornements d'évêque, et accompagné du saloir contenant les trois petits enfants qu'il vient de sauver de la mort." Or, saint Nicolas est également lié à la période qui nous occupe, puisque sa fête est placée le 6 décembre : "Le lieu primitif de l'implantation du culte de saint Nicolas en France, explique Ph. Walter, est Saint-Nicolas-de-Port à côté de Varangéville, important site lorrain d'extraction du sel depuis le Moyen Age. Comme pour rappeler ce lien séculaire de Nicolas et du sel, l'église de Varangéville est encore dédiée à saint Gorgon, un martyr qui eut les intestins salés par ses bourreaux. Saint Gorgon de Varangéville évoque irrésistiblement le Gargantua rabelaisien dont le lien avec le sel est bien rappelé dans le roman."
Saint Genou, que cette incursion bourbonnaise nous a un peu fait perdre de vue, se rappelle à notre bon souvenir puisque je me souviens avoir lu dans un article du site consacré au village que sur les chapiteaux du choeur sont représentés des récits de l'Ancien Testament puis des histoires tirées de la légende de saint Genou :"Il chasse un démon qui sort de la bouche du possédé..., il baptise ou ressuscite trois enfants debout dans une cuve."
Saint Genou, saint Nicolas, même combat ?
Si l'on examine maintenant l'axe dans son prolongement vers l'est, on découvre qu'il enjambe l'Allier à Toulon-sur-Allier (église Sainte-Marthe et Saint-Martin, nef du XIème), traverse la Sologne Bourbonnaise en passant par les Chevennes, touche Chavanne au sud de Digoin avant de rejoindre la grande ville de pélerinage de Paray-le-Monial.
Les parages de Digoin, à proximité de cet axe, dans cette zone frontalière entre les deux départements de l'Allier et de la Saône-et-Loire, révèlent une concentration de lieux-dits faisant écho à des noms maintenant familiers : Estrée, Fontaine-Saint-Martin, Les Bretons, et les proches villages de Saint-Léger-sur-Vouzance et Saint-Léger-les-Paray.
La très grande fréquence de Saint-Martin doit en particulier nous amener à nous pencher une fois de plus sur ce saint extrêmement populaire.
06 juin 2007 | Lien permanent
D'Estrée à Souvigny
En 828, le comte de Bourges, Wilfred, "plus célèbre encore par sa piété que par sa naissance", précise Mgr Villepelet, décide, d'un commun accord avec sa femme Ode, de faire édifier, sur son domaine du bord de l'Indre appelé Estrée, une église et un monastère dédiée à la Vierge Marie et à tous les Saints. Cette large consécration ne sembla pas satisfaire les bénédictins chargés d'administrer les lieux puisqu'ils préférèrent se placer sous la protection d'un saint particulier, aussi bien allèrent-ils chercher les reliques de saint Genou qui reposaient à Cella supra Nahonem depuis de longues années.
Il faut croire que ces reliques étaient de grande valeur car on prit garde à les transporter, dès la première menace d'invasion normande, à l'oratoire de Saint-Pierre-le-Moutier, "entre Loire et Allier". A juste titre apparemment puisque les Vikings brûlèrent le monastère de fond en comble. Revenues à leur emplacement après autorisation de l'archevêque de Bourges, ne voilà-t-il pas que les Hongrois menacent à leur tour la région. Cette fois on transporte les saintes reliques au château de Loches, puis on les rapatrie dans la toute proche forteresse de Palluau. "C'est de là, enfin, assure Mgr Villepelet, après tant de pérégrinations, qu'elles furent ramenées solennellement, par la rivière de l'Indre, jusqu'à l'église d'Estrée, le 12 des calendes de juillet, et placées derrière l'autel. En souvenir de cette déposition, le bourg autrefois appelé Estrée a pris le nom de Saint-Genou, qu'il porte encore aujourd'hui avec respect."
Revenons sur ce périple des reliques : il est pour le moins curieux de protéger les reliques des attaques vikings en choisissant un oratoire lui-même situé à proximité d'un fleuve. On sait que les Vikings ont souvent remonté la Loire et un lieu élevé loin d'un cours d'eau important aurait mieux convenu, reconnaissons-le, que Saint-Pierre le Moutier. Mais il semble qu'une tout autre logique soit ici à l'oeuvre.
Observons d'abord que Saint-Pierre-le-Moutier est situé entre Loire et Allier, à peu de distance du confluent du Bec d'Allier, ce qui rapproche la petite cité de la thématique proprement Verseau de la convergence des flux.
En second lieu, la ville est rasée au Nord par le grand axe d'Autun, lié à l'histoire de saint Léger, qui "se dirige, je me cite, au sud-ouest par Chevannes, Montaigu, Saint-Léger-sous-Beuvray (au pied donc du Mont Beuvray, site de l'ancienne Bibracte, capitale des Eduens), Montjouan, Chevannes, Saint-Léger-les-Vignes au nord de Decize, Saint-Amand Montrond et Orval. Elle [la ligne] passe alors à deux kilomètres au nord de Neuvy Saint-Sépulchre puis rejoint Argenton, le bois de Souvigny, Chapelle-Viviers, Morthemer, Vivonne avant d'aboutir à Souvigné à seulement cinq kilomètres de Saint-Maixent. Un Saint-Maixent que nous retrouvons sur la partie sud du méridien de Toulx."
Cette position si proche d'un alignement majeur n'est sans doute pas fortuit car je m'avise maintenant qu'un autre axe, quasi perpendiculaire à l'axe d'Autun, relie le hameau de Saint-Léger (que j'avais repéré mais n'avais pu jusque là intégrer dans un quelconque alignement), où une chapelle demeure, dernier vestige d'un ancien couvent, et Saint-Léger-le-Petit, sur les bords de la Loire.
Et vers le sud-est, cette perpendiculaire va traverser très exactement le village de Souvigny, près de Moulins. Berceau de la maison de Bourbon, première capitale du Bourbonnais, il renferme l'un des monuments les plus importants de l'époque romane : l'église prieurale Saint-Pierre et Saint-Paul, lieu de pèlerinage sur les tombes des saints abbés de Cluny, Mayeul et Odilon.
Cette découverte donne a posteriori un sens manifeste à la récurrence de Souvigné et Souvigny sur l'axe autunois - fait que j'avais noté sans pouvoir alors le justifier. J'ajoute que l'église Saint-Julien de Mars-sur-Allier, près du hameau de Saint-Léger, au nord de Saint-Pierre-le-Moutier, appartenait à un prieuré bénédictin dépendant de Souvigny (peut-être le couvent de Saint-Léger ?).
Au vu de ce que je lis maintenant sur Souvigny, une note spéciale me semble nécessaire.
29 mai 2007 | Lien permanent
Tous les chemins mènent à Bourges
Autre point commun essentiel entre Saint-Genou et Saint-Ambroix : Bourges. Bourges, la capitale de la civitas bituricum. Petit rappel : c'est le comte de Bourges, Wilfred, qui fonde en 828 l'église et le monastère d'Estrée, lesquels un peu plus tard accueilleront les reliques de saint Genou. Il n'est sans doute pas anodin que cette initiative ait été prise d'un commun accord, ainsi que le stipule Mgr Villepelet, avec Ode son épouse. La génération induit le couple ; semblablement la restauration de l'abbaye de Saint-Ambroix fut décretée à la suite d'une charte signée par Geoffroy vicomte de Bourges et sa femme Ildeberge de Déols. Datée de 1012, elle fut signée par presque tous les nobles du pays.
L'abbaye de Saint-Ambroix dont il est ici question ne se situait pas à Saint-Ambroix, mais bel et bien à Bourges, car la dépouille du saint y fut transférée au Xème siècle, dans le faubourg de Brisiac et déposé dans l'église consacrée aux saints apôtres Pierre et Paul. L'abbaye fut construite peu après, pillée par les Normands puis rétablie dans ses possessions primitives par Geoffroy. Brûlée par les protestants en 1562, restaurée en 1571, reconstruite presque entièrement en 1635, vendue comme bien national en 1793, "il en reste, nous dit encore Mgr Villepelet, quelques vestiges importants dans la propriété de Mlle de Bourbon ; le jardin des Prés-Fichaux appartenait à cette abbaye ainsi que les beaux platanes de l'avenue de la Gare jadis dans l'enclos du monastère."
18 septembre 2007 | Lien permanent
Léon et Gervais
En 1989, l'ouvrage qui me servait de référence ne mentionnait pas le titulaire de l'église de Measnes, et je n'avais pas eu la curiosité d' aller chercher ailleurs l'information. Je sais maintenant combien il est important de toujours connaître sous quel vocable est inscrit un bâtiment religieux : les attributions ne sont jamais le fait du hasard et comportent presque toujours un enseignement. J'ai donc récemment comblé cette lacune en ce qui concerne Measnes. Nous ne serons pas étonnés d'apprendre que l'église se place sous une double dédicace. Elle est en effet sous le patronage de saint Gervais et de saint Léon. Cela est tout à fait cohérent avec la nature du signe des Gémeaux. Mais il y a mieux : il suffit de creuser un peu l'histoire de ces deux saints pour avoir une claire confirmation de la prégnance de la thématique gémellaire. Tout d'abord, ce n'est pas à saint Léon que saint Gervais est le plus souvent associé, mais à saint Protais. Un exemple en est l'église de Civaux, dans le proche Poitou. Et si ces deux saints milanais sont associés, c'est tout simplement parce qu' ils sont frères jumeaux... Ils subissent le martyre sous Néron en 57, et leur corps est miraculeusement retrouvé trois cents ans plus tard par saint Ambroise. La Légende Dorée de Jacques de Voragine raconte la vision d'Ambroise : « Longtemps leurs corps restèrent cachés, mais ils furent découverts au temps de saint Ambroise de la manière suivante: Saint Ambroise était en oraison dans l’église des saints Nabor et Félix ; il n'était ni tout à fait éveillé, ni entièrement endormi; lorsque lui apparurent deux jeunes gens de la plus grande beauté, couverts de vêtements blancs composés d'une tunique et d'un manteau, chaussés de petites bottines, et priant avec lui les mains étendues. » Par la suite, Ambroise découvre les corps ainsi qu'un volume, près de leur tête, indiquant le récit de leur naissance et de leur mort. La même Légende Dorée nous permet peut-être de comprendre pourquoi Léon a été choisi pour compagnon à Gervais : la référence à saint Pierre, présent à Lourdoueix Saint-Pierre et l'abbaye d'Aubepierre, est explicite : « Quand le bienheureux Léon écrivit la lettre à Fabien, évêque de C.-P., contre Eutychès et Nestorius, il la posa sur le tombeau de saint Pierre et après avoir passé quelque temps dans le jeûne et la prière, il dit : « Les erreurs que je pourrais avoir commises comme homme dans cette épître, corrigez-les et amendez-les, vous à qui l’Eglise a été confiée. » Et quarante jours après, comme il était en prières, saint Pierre lui apparut et lui dit : « J'ai lu et amendé. »Saint Léon prit la lettre qu'il trouva corrigée et amendée de la main de l’apôtre. Une autre fois, saint Léon passa quarante jours en prières au tombeau de saint Pierre, et le conjura de lui obtenir le pardon de ses péchés: saint Pierre lui apparut et lui dit : « J'ai prié pour vous le Seigneur, et il a pardonné tous vos péchés. (...) ». Il mourut vers l’an du Seigneur 460. »
Un autre détail de l'histoire de Gervais et Protais est significatif : il est écrit qu'après avoir donné tous leurs biens aux pauvres, ils ont rejoint saint Nazaire à Embrun, où celui-ci construisait un oratoire avec un enfant nommé Celse. Nazaire et Celse forment un autre couple gémellaire inséparable. D'ailleurs la Légende Dorée affirme que c'est en arrivant dans la ville gauloise de Gemellus, où Nazaire opéra nombre de conversions, qu'une dame lui offrit son fils Celse, avec prière de le baptiser et de l'emmener avec lui. Quand ils sont condamnés tous les deux à Milan, comme Gervais et Protais, ils se jettent dans les bras l'un de l'autre à la lecture de la sentence de mort. Et saint Ambroise retrouvera leur corps, à la suite d'un songe, dans un jardin de la ville, tout comme il avait retrouvé les corps de Gervais et Protais.29 juin 2005 | Lien permanent
Reconnaissance
Je viens d'apprendre avec quelque retard la nouvelle, je vous la livre sans délai : la Basilique Saint-Etienne de Neuvy Saint-Sépulchre vient d'être classée au Patrimoine mondial de l'Unesco.
Pour en savoir plus, lisez cet article du site Cyberindre.
29 octobre 2006 | Lien permanent | Commentaires (2)
Reliques et géographie sacrée
Le Précieux-Sang de Neuvy, envoyé en 1257, par le cardinal Eudes n'est pas, loin de là, la seule relique auquel ce dernier eut affaire. On a dit déjà qu'il avait consacré la Sainte-Chapelle de Paris en 1248. Or, cet édifice avait été spécialement construit pour accueillir un fragment de la Vraie Croix et la Sainte Couronne d'épines du Christ, relique achetée pour la somme faramineuse de 135 000 livres. Le 26 avril, la chapelle haute est donc dédiée à la Sainte Couronne et à la Sainte Croix par Eudes de Châteauroux, alors légat du pape, tandis que la chapelle basse l'est à la Vierge par Pierre Berruyer, archevêque de Bourges. Les berrichons sont donc omniprésents lors de cet événement considérable pour l'époque, que j'ai par ailleurs déjà évoqué dans une note de septembre 2005.
La même année 1248, le 12 juin, Saint-Louis se saisit de l'oriflamme capétien en la basilique de Saint-Denis et part en Croisade accompagné de sa femme, Marguerite de Provence. Le cardinal Eudes, on l'a vu, est aussi du voyage.
De retour de croisade, Eudes, ayant selon ses dires rapporté des reliques christiques de Jérusalem, a donc l'idée de les expédier à Neuvy. Cela donne en passant la mesure de l'importance de ce sanctuaire. A la Sainte-Chapelle, édifiée au centre de Paris dans l'Ile de la Cité, fait en quelque sorte écho la basilique neuvicienne, centre de la géographie sacrée du Berry. Saint-Louis est alors revenu de captivité, cette translation de reliques ne peut qu'avoir reçu son approbation.
Le pape Innocent IV qui avait nommé Eudes de Châteauroux cardinal de Tusculum avait d'ailleurs, en 1244, encouragé Saint-Louis dans ses projets de croisade, mais, semble-t-il, s'en est peu soucié par la suite. Homme paraît-il savant et intelligent, il n'en autorise pas moins, en 1252, les autorités civiles à utiliser la torture contre les hérétiques avec la bulle Ad extirpandam.
Innocent IV et Louis IX à Cluny, enluminure
Il est cité assez longuement, sur cette épineuse question de la foi, dans l'excellente étude d'Aviad Kleinberg, Histoires de saints, Leur rôle dans la formation de l'Occident (Gallimard, 2005). Ce passage important à plusieurs titres fera l'objet de la prochaine note.
(J'abandonne la piste du saint Voult, qui ne me semble plus justifiée, la semblable origine italienne des reliques (Lucques, Viterbe) n'est sans doute pas un indice suffisant pour envisager une filiation).
02 février 2007 | Lien permanent | Commentaires (3)
Alignements sylvestres
Si l'on parcourt le méridien de Saint-Genou au delà de Sainte-Gemme, on découvre qu'après avoir franchi la Creuse il atteint le bois de Souvigny. Ce même bois de Souvigny, entre Luzeret et la forêt de la Luzeraize, traversé obliquement par le grand axe de saint Léger venu d'Autun. Cette coïncidence est d'autant plus remarquable que ce toponyme est le seul Souvigny attesté dans l'Indre. Stéphane Gendron (Les Noms de Lieux de l'Indre, 2004, p. 22) lui donne la même étymologie qu'au Souvigny de l'Allier : nom propre romain Silvanius + -acum, ou bien dérivé de silva "forêt".
Un seul village indrien, Sougé, présente une origine analogue : S. Gendron fait dériver ce nom de Silvius (nom propre romain) + -acum, à comparer avec Sougé-en-Braye, dans le Loir-et-Cher, Silviacus au IIIème siècle. Mais il précise qu'on pourrait également voir dans ce nom un dérivé de silva. Or Sougé est une commune proche de Saint-Genou, à peu près à mi-chemin de Levroux. On sait par ailleurs que l'histoire de Levroux est marqué par saint Martin d'une part et les saints Silvain et Silvestre d'autre part.
Cette proximité sémantique Sougé-Levroux est marquée sur le terrain par un alignement qui unit très clairement Saint-Genou, Sougé et Levroux (en prenant en considération non pas la cité mais le château au nord de celle-ci, ancien oppidum gaulois dominant la vallée de la Céphons).
Un axe perpendiculaire à cet alignement Saint-Genou-Levroux passant par Sougé conduit à Selles-sur-Nahon, où la tradition place , on l'a vu, l'établissement de saint Genou (en le nommant la Celle-des-Démons). Est-ce pour contrebalancer cette mention démoniaque que l'axe va se ficher au sud sur Villedieu-sur-Indre, dont le nom fut donné par les moines de Saint-Gildas qui y édifièrent un prieuré ?
Enfin, signalons que tout près de Sougé, au point médian de l'axe Levroux-Saint-Genou, se trouve le lieu-dit Champillé, où Gendron mentionne la présence d'un ancien prieuré et d'une chapelle Saint-Léger, ce qui, compte tenu de la rareté des occurrences de saint Léger dans l'Indre, est particulièrement frappant.
07 juillet 2007 | Lien permanent
Du ternaire
Un autre point commun entre les légendes de saint Denis et de saint Génitour est l'importance du ternaire. Après avoir rappelé le témoignage de Lucain dans la Pharsale (I, 444-446), poème écrit au 1er siècle de notre ère, qui évoque la triade des dieux gaulois Esus, Teutatès et Taranis, Anne Lombard-Jourdan remarque que la première Vie de saint Denis « situe au « vénérable lieu triple » (venerabilem locum trinum) le martyre des trois saints ; Denis, Rustique et Eleuthère, indissolublement unis dans leur sacrifice, confessent d'une seule voix leur adoration de la sainte Trinité, dogme catholique qui s'oppose à l'hérésie arienne négatrice d'un dieu en trois personnes. » (« Montjoie et saint Denis ! », Presses du CNRS, 1989, p. 66)
Les neuf fils de Maure portent avec évidence le ternaire à la plus haute puissance de lui-même. Et la distribution spatiale et temporelle des martyres relève d'un semblable souci : trois morts près du départ de la fuite, à Tours ; trois morts sur le chemin (Saint-Epain, Barrou, Tournon) ; et enfin, trois morts au Blanc. En outre, comme Génitour choisit sa sépulture en Ville Basse, Tridore et Principin sont enterrés en Ville Haute. Comme cela ne fait pas le compte, on y ajoute Messaire, que pourtant la légende fait mourir à Tournon. Trois toujours. Ce sont eux que l'on nomme les Bons Saints, qu'on invoque pour la protection des enfants, et auxquels les pélerins viennent rendre hommage chaque premier dimanche de septembre. Une date qui place obligatoirement le « voyage »dans le temps de la Vierge, le signe opposé aux Poissons du secteur.
Maintenant, quel peut bien être l'auteur de cette légende, qui offre, on le voit, de si nombreux points de comparaison avec celle de saint Denis qu'on ne peut pas croire qu'elle ne s'en soit pas inspirée ? Selon Patrick Grosjean, il pourrait s'agir d'un moine de la grande abbaye de Déols, un auteur « qui ne s'embarrasse pas du fait que les Wisigoths aient été chrétiens, des hérétiques tout de même puisque ariens. Il ne craint pas davantage les anachronismes : le roi des Goths est présenté comme contemporain de saint Martin tout en portant un nom romain. Bref ce récit n'est représentatif que de l'hagiographie médiévale. »(op. cit. pp. 136-137)
On retouve là la volonté de combattre l'hérésie arienne présente dans la geste dyonisienne. Par ailleurs, le prieuré de Saint Génitour fut fondé avant 1125 par l'abbaye de Déols. Et il est un autre détail crucial, que l'Inventaire général n'a pas relevé, et qui affermit notablement l'hypothèse d'une origine déoloise, c'est que les trois clochers de Douadic, Pouligny Saint-Pierre et Saint-Génitour sont directement inspirés du clocher de Déols, qui se présente lui aussi comme de plan carré avec étages de baies aveugles (deux au lieu d'un, le modèle se doit de conserver la suprématie.)
15 mars 2009 | Lien permanent
L'Aiguille creuse
« Aussitôt Isidore regarda les timbres de la poste. Ils portaient Cuzion (Indre). L'Indre ! Ce département qu'il s'acharnait à fouiller depuis des semaines !
Il consulta un petit guide de poche qui ne le quittait pas. Cuzion, canton d'Eguzon... Là aussi il avait passé.
Par prudence, il rejeta sa personnalité d'Anglais, qui commençait à être connue dans le pays, se déguisa en ouvrier, et fila sur Cuzion, village peu important, où il lui fut facile de découvrir l'expéditeur de la lettre. »
Maurice Leblanc (L'Aiguille creuse, Le Livre de Poche, p. 146)
Descendue en dessous de cent habitants, la commune de Chantôme fut rattachée à celle d'Eguzon en 1975. Le titulaire de son église est saint Antoine, mais le grand saint qui fut toujours vénéré ici n'est autre que saint Sylvain, auquel une fontaine proche est dédiée. Un pélerinage a lieu le dimanche précédant l'Ascension, qui voit « venir les enfants atteints de « convulsions », parfois des adolescents ou des enfants atteints du « mal de saint Sylvain ». (...) Autrefois, une procession était organisée à travers le village ; le brancard employé à porter la statue est encore dans l'église. » (Jean-Louis Desplaces, op.cit. p. 147.) Cette fête n'avait pas été du goût de Mgr de La Rochefoucauld, qui faisait en 1734 l'inventaire des pratiques religieuses de la province. Il avait certainement deviné l'essence peu chrétienne de cette coutume qu'il condamnait dans les termes suivants : « Sur ce qui nous a été encore représenté que depuis quelques années, les habitants de ladite paroisse se sont avisés de chômer la fête de saint Sylvain qui n'est point patron de leur église, nous avons défendu au sieur curé d'en faire office même de dire la messe ledit jour en ladite église. » Jean-Louis Desplaces note plaisamment qu'il aura fallu attendre deux siècles pour que satisfaction soit donnée au prélat, sans que pour autant le bon saint Antoine y ait regagné quelque respect...
En juin 1948, on note encore dans le bulletin paroissial que l'église est trop petite pour contenir l'assistance venue des communes environnantes : Saint Sébastien, Crozant, Lafat, Parnac, Saint Benoît-du-Sault. C'est la présence de Saint Sébastien qui doit nous retenir ici. Bien avant saint Roch, il a été invoqué contre la peste, conséquence d'un miracle qui se serait produit à Pavie au Ve siècle. La ville était alors ravagée par une violente épidémie de peste, qui aurait cessé dès qu'on eut érigé un autel à la gloire du saint dans l'église de Saint-Pierre-aux-Liens. Or Saint Sébastien, Crozant et Eguzon forment un quasi triangle équilatéral.
Le chiffre trois revient sans cesse dans la dévotion à saint Sylvain. Après le pélerinage pour la guérison d'un malade, il convenait de revenir trois années de suite en « actions de grâce ». Mieux, lorsqu'un enfant était malade, précise J.L. Desplaces, « une femme du pays en état de veuvage ainsi que l'exige la tradition, posait dans un baquet d'eau trois vêtements appartenant à l'enfant. L'un était censé représenter le patronage de Saint-Sylvain de Chantôme, le second celui de Saint-Luc à Bonnu et le troisième vêtement, le patronage de Saint-Marin, près d'Argenton. Le premier linge qui s'enfonçait indiquait le lieu du culte où il convenait de se rendre afin de prononcer les prières et d'effectuer les rites propres à assurer la guérison. On disait alors « on lève le saint », « l'enfant tient du saint de Chantôme, de Bonnu ou de Saint-Marin ». »
Trois saints associés à trois fontaines : on comprend l'acharnement de Mgr de La Rochefoucauld qui le jeudi 7 octobre 1734, demande, comme à Chantôme, la suppression du pélerinage à saint Luc de Bonnu. Sans plus de succès, d'ailleurs.
La chapelle de Bonnu, dépendant de la paroisse de Cuzion, avait été édifiée en 1634 par Françoise de Poyenne, veuve de Messire Jean Aujusson, à la suite d'un voeu qu'elle fit au moment de la contagion de 1632 qui vit trépasser 76 habitants de Bonnu. Aucun document, note J.L. Desplaces ne nous apprend si le culte de saint Luc était plus ancien ni ne fait mention de la fontaine. Remarquons aussi que la Dame de Poyenne fonde à la même époque une autre chapelle appelée « Hermitage » - où nous retrouvons nos deux saints traditionnellement associés contre la peste - « située dans la garenne des céans, où quatre messes seront célébrées par an : Notre Dame des Miracles, sainte Anne, saint Roch, saint Sébastien. »
La chapelle de Saint-Marin est, elle, plus éloignée de Chantôme et de Bonnu, étant située en aval d'Argenton, mais toujours près de la Creuse. Cette Creuse dont la profondeur mythologique - rappelons-nous du rocher des Fileuses dominant ses méandres - ne cesse de nous interloquer.
Elucubrons un peu : Maurice Leblanc, en écrivant son énigme lupinesque, n'exprimerait-il pas, à travers son titre même, le chiasme que nous avons mis à jour entre Aigurande-Eguzon et Crozant-Crozon ? En effet, cette aiguille se faufile dans le premier élément des premiers cités (quand bien même l'étymologie, qui se rapporte à l'eau, est tout à fait différente), tandis que le terme « creuse » se lit, on en conviendra, sans effort dans les seconds.
02 mai 2006 | Lien permanent | Commentaires (7)