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08 février 2009

Les fées et les pierres

A la base de l'observation de Doumayrou sur l'axe Dio - Nyse, il y a une interrogation plus large sur le thème de la Tête Morte, de la céphalophorie, c'est-à-dire de l'ensemble des récits mythiques qui rapportent la fondation d'un lieu sacré par un personnage portant sa tête dans ses mains - et dont l'exemple le plus célèbre est bien sûr saint Denis. Il rappelle les deux traits permanents repérés par Henri Dontenville dans toutes les variétés de cette série légendaire : le "besoin d'une onde pure" et "le rapport presque constant entre la tête chue et une pierre."


Une onde pure, une tête chue, une pierre : ces éléments, est-ce que je ne venais pas de les rencontrer, fors la tête, avec l'histoire du château du Bouchet et de ses anciens propriétaires, les Rochechouart ? Je me reportai aussitôt à l'original, c'est-à-dire La France Mythologique d'Henri Dontenville, publié en 1966, chez Tchou, et depuis bien longtemps dormant sur une étagère.
Mention est faite bien sûr de saint Denis, mais aussi de saint Savinien à Troyes et de saint Just. Dans ce dernier cas, la version est légèrement différente : le saint demande à ses compagnons  de voyage d'emporter sa tête à Auxerre pour la donner à sa mère. C'est aussi ce que demande le géant Bran dans la légende irlandaise:  blessé au pied par une lance empoisonnée, il ordonne que sa tête soit coupée et enterrée à Londres, à Y Gwynvryn (la « Colline Blanche ») .


Le mythe se complique, écrit Dontenville, d'un "rapport presque constant entre cette tête chue et une pierre. En pays wallon et en Nivernais, Gargantua meurt d'une pierre à la tête. Ou bien le personnage légendaire meurt en se fracassant la tête sur les pierres. C'est le cas de Hok Bras et du géant Gallimassue. Enfin le récit de la fin  de Grantgosier et de Galemelle dans les Grandes et inestimables chroniques du grand et énorme géant Gargantua montre les deux géants déposant dans la mer les rochers du Mont Saint-Michel  et de Tombelaine qu'ils ont apportés depuis la Montagne d'Orient, sur leur tête, après quoi les deux géants s'empressent de mourir.
Ainsi le rapport pierre-tête est constant. La tête a une affinité pour la pierre, et cette pétrification, ou ce commerce avec la pierre, est oeuvre mortelle.
" (p. 235)

 

gres-rouge.jpg

Le grès rouge de la Brenne


Avons-nous dans le cas du Bouchet une semblable relation à la pierre, au-delà du simple nom des Rochechouart ? Il n'est que de se reporter au passage consacré par Chantal de la Véronne, dans son histoire de la Brenne, aux légendes des pierres. Mégalithes, dolmens ou menhirs y sont le plus souvent transportés par les fées, aussi dénommées martres, fades, dames ou demoiselles :

"Ce sont elles qui ont édifié le géant de la Brenne, le château du Bouchet, à la demande du seigneur du lieu, il y a de cela bien longtemps. Mais le seigneur avait oublié de s'adresser à l'une d'elles, qui, courroucée de cet affront, vint au Bouchet le soir même du jour où ses compagnes devaient commencer leur oeuvre (car les fées ne travaillent que la nuit), et jeta un sort : si le château n'était pas terminé avant que le coq ne chante, il ne le serait jamais. Les petites fées se dépêchèrent donc autant qu'elles le purent, transportant les matériaux dans leurs devantiaux d'arentelles (tabliers de toiles d'araignées), dont la force de résistance devait disparaître avec le premier cri du jau. La forteresse était presque finie, quand l'aube parut, et le coq chanta : l'une des petites fées apportait la dernière pierre, son devantiau se déchira et la pierre tomba. Elle manque toujours aux murs du Bouchet ; on peut la voir à un kilomètre et demi à l'ouest du château, c'est la Pierre à la Fée ou à la Fade. Et c'est pourquoi le Bouchet ne pourra jamais être achevé..." (pp. 95-96)


Il est significatif que le château du Bouchet soit personnifié comme le géant de la Brenne. Brenne marquée par ailleurs par le passage d'un autre géant, Galifront, que l'on présente toujours comme la version brennouse de Gargantua. On lui attribue la formation des étangs et des buttons qui parsèment la Brenne lorsqu'il dut la traverser  pour se rendre de Touraine en Limousin. Il secouait ses pieds pleins de boue, se dépattait comme on dit en Berry, et formait ainsi les monticules de grès dont le Bouchet est un exemple. Peut-on lire ce Galifront littéralement comme la Tête (le Front) Gallique (au sens de ces mythologies galliques que voulait défendre Rabelais) ?

mer-rouge.jpg

Sur la chaussée de la Mer Rouge


Cette pierre qui tombe loin du château qu'elle est sensée compléter se répète en un autre lieu (que je ne connaissais d'ailleurs pas alors que j'ai souvent arpenté la contrée) : le château de Salvert, aujourd'hui ruiné aux bords d'un gouffre du Suin, le ruisseau qui traverse l'étang de la Mer Rouge. Là aussi les fées étaient chargés de la construction jusqu'à  ce qu'un enchanteur plus puissant qu'elles  leur intima de cesser leur labeur sur-le-champ et de quitter le pays. Une des fées qui transportait une énorme pierre la laissa choir sur le chemin qui menait au château : "on peut l'y voir encore tout près du gouffre qui protégeait la façade sud-est de l'ancien château de Salvert, et ce chemin s'appelle le chemin du Gros Rô (roc)."
Cette dualité de pierres qui tombent à distance du haut-lieu en construction n'est pas sans rappeler les monts Tombe et Tombelaine, dans la baie du Mont Saint-Michel, montagnes doubles "qui sont, précise Doumayrou,  les pierres chues de la tête du couple des Bons Géants." Sur le terrain, des alignements caractéristiques montrent bien que les légendes ne font que porter témoignage d'un compagnonnage essentiel. En effet, Salvert, sur l'horizon de la chapelle de la Mer Rouge, (dont la légende liée à Aimery Sénebaud, le baptiseur de la Mer Rouge, a été contée ici en 2005), s'aligne avec Le Bouchet en prenant dans sa course deux dolmens, celui des Sablons et celui, précisément, de la Pierre à la Fée.

 

salvert.jpg

(Cliquer sur la carte pour en avoir une version plus large)

Il faut noter aussi que trois lieux-dits jalonnent l'alignement : les Sablons, la Hire et la Milandière. Il est surprenant de retrouver là le nom même du fidèle compagnon de Jeanne d'Arc, La Hire, dont on fit plus tard le valet de coeur de nos jeux de cartes. Mais j'avoue pour l'instant ne pas trouver de justification symbolique à sa présence. La Milandière est, elle,  une ferme et anciennement une châtellenie. Son nom viendrait, selon S. Gendron, du nom propre Milan. Or, l'église de Douadic, qui se situe dans la pointe des deux axes, est dédiée à saint Ambroise, Aurelius Ambrosius dit plus communément Ambroise de Milan (il fut évêque de la ville de 374 à 397, et c'est l'un des Pères de l'église latine).


Ces axes directeurs mettent en relation des géosymboles très disjoints dans le temps :  du dolmen néolithique au château du XIV ème siècle, ce sont  plusieurs millénaires qui se trouvent ainsi reliés, témoignant d'une permanence de vision à travers les différentes époques.

 

23:01 Publié dans Poissons | Lien permanent | Commentaires (1)

07 février 2009

Dio - Nyze et Dyonisos

J'avance lentement dans la passionnante lecture  d'Evocations de l'esprit des lieux de Guy-René Doumayrou. Beaucoup d'éléments sont repris de sa Géographie sidérale, mais on trouve aussi de nouveaux développements sur tel ou tel haut-lieu, principalement du Languedoc. C'est ainsi qu'il débusque dans la haute vallée de l'Orb, soumise au diocèse médiéval de Béziers, un couple de monuments "insignes", situé sur le méridien de la ville "et de part et d'autre d'un plateau aride balayé par les vents" : le château de Dio* et le prieuré de Notre-Dame de Nize. Cette association Dio-Nize conduit Doumayrou à invoquer le grand dieu Dyonisos :

"Ce n'est pas avant 1135 qu'un texte a fixé , pour nous le transmettre, le nom de Nize sous la forme Aniza, que l'on fait venir, faute d'autre hypothèse, d'un patronyme latin supposé : Anicia ou Anicius. Sans prétendre trouver mieux, observons seulement que la contraction  des deux formes anciennes Diona et Anisia accolées fournit Dionanisia : elle fait écho de façon suggestive à une étymologie proposée par François Noël pour Dyonisos, fondée sur l'analyse Dios-Anysein (anyein), ce qui signifie littéralement : Zeus achevé, c'est-à-dire la perfection divine, ou l'accomplissement de la lumière." (pp. 107-108)

L'alignement Dio-Nyse sur la carte ne peut manquer de nous rappeler les alignements mis à jour  avec les Diou.

Dans les trois cas, nous observons cet axe s'écartant de quelques degrés seulement du méridien. Sans doute  Dio n'est-il pas au centre d'un segment défini par  deux Saint-Denis, mais c'est l'ensemble Dio-Nize qui ici rappelle saint Denis, puisque ce nom est bel et bien la forme romanisée de Dyonisos (les habitants de Saint-Denis sont les Dyonisiens).
La carte de la Montjoie parisienne, sise elle aussi entre les deux Saint-Denis, offre également des recoupements intéressants :


Deux toponymes se font en effet écho à la topographie dyonisienne : de part et d'autre de l'axe méridien issu de Dio, Montjoux et le Mont Martin semblent se souvenir l'un de la Montjoie, l'autre du Pasellus Sancti Martini à la base du parcours du saint céphalophore. Ce passelus était "une passerelle jetée sur le ruisseau de Ménilmontant, aujourd'hui supprimé, et qui coulait de l'est à l'ouest, allant se jeter à la rive droite de la Seine au-dessus du pont actuel des Invalides. L'église Saint-Martin des Champs était en effet située à peu de distance au-dessous de ce ruisseau et avait donné son nom à un pont, comme nous le voyons par un diplôme postérieur du roi Louis VI reproduit par Doublet dans son Histoire de Saint-Denys (1)."

Il faut maintenant examiner ce qui a conduit Doumayrou lui-même à l'évocation de ce couple Dio-Nyse.

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* De fait, on m'avait (FEB, merci à elle) déjà signalé ce château de Dio, mais faute d'y déceler un quelconque rapport à des localités Saint-Denis, je n'en avais pas fait état. Et je n'avais bien évidemment pas opéré de rapprochement avec l'église de Nize. Le dévoilement de la géographie sacrée prend souvent des chemins détournés.

04 février 2009

De Brennus aux Rochechouart

L'or de Delphes volé par Brennus et ses troupes aurait donc été caché dans un marécage, à Toulouse, chez les Volques. Il se trouve que l'axe qui joint Delphes à Toulouse prend Délos dans son prolongement et indique, sous cette latitude, la pointe du signe des Poissons. Guy-René Doumayrou cite alors Jean Markale qui, "dans son étude sur les Celtes (page 119), constate que rien n'atteste de la réalité historique de cette équipée et que l'or de Delphes pourrait fort bien avoir été de nature spirituelle plutôt que grossièrement métallique. Autrement dit, la légende ne ferait que porter témoignage, par le truchement tout à fait traditionnel du récit allégorique, d'une transmission initiatique de la puissance oraculaire de l'omphalos héllène à l'omphalos occitan." (Géographie sidérale, p. 50) Si l'on retient cette hypothèse, il y aurait donc lieu de soupçonner une transmission similaire, postérieure ou concomitante, entre Toulouse et le Berry.

Omphalos.jpgL'omphalos delphique était matérialisé par le Bétyle, une pierre que Rhéa, la mère des dieux (assimilée par les Romains à Cybèle), aurait donné enveloppée de peau de chèvre et arrosée de son propre lait, à son époux Cronos, en guise d'enfant à dévorer. Car le bougre, ayant appris que sa souveraineté serait dénoncée par ses enfants, avait entrepris de consommer toute sa progéniture. La pierre aurait ensuite été vomie par le mari trompé et, tombée sur le sol grec, aurait figuré le nombril du monde, centre de la terre des hommes, l'Omphalos.

Or, dominant la Brenne, bâtie sur l'une des rares éminences de ce plat pays, le château du Bouchet porte le souvenir de l'importante famille des Rochechouart-Mortemart, dont les armes sont encore visibles au-dessus d'une porte d'entrée : fascé, ondé d'argent et de gueules de six pièces. On disait d'elle encore :
"Avant que la mer fut au monde,
Rochechouart régnait sur les ondes."

 

rochechouart.svg.png

Armes des Rochechouart


Bien immodeste dédicace, qui s'accorde en revanche parfaitement à la symbolique du signe. Rochechouart ne serait-elle pas la "roche chue" que je viens d'évoquer avec Rhéa et Cronos (et cette hypothèse se trouve même géologiquement avérée car les scientifiques ont clairement établi qu'une énorme météorite était tombée sur la région de Rochechouart il y a environ 214 millions d'années : il est seulement surprenant qu'on ne fasse aucune relation avec une étymologie pourtant transparente) ?

Cette  maison de Rochechouart serait par ailleurs la plus ancienne après la famille royale. Et, malgré la devise, elle ne s'enracine  pas dans un environnement marin, mais bien dans le proche Limousin, à travers  la Maison de Limoges, fondée par Foucher de Limoges, deuxième fils de Raymond Ier, comte de Toulouse. Certes, les Rochechouart prennent possession du château du Bouchet à une date assez récente (1560), mais leur rôle dans l'établissement de la géographie sacrée est certainement beaucoup plus ancien, car nous avons relevé sur le grand axe de Saint-Léger issu d'Autun*, les cités de Morthemer et de Vivonne, où nous retrouvons les armes de la famille dans l'église Saint-Georges, à la clef de voûte de la porte d'entrée. Et un poème découvert par Dom Fonteneau au château de Cercigny, près de Vivonne, exalte aussi la haute antiquité de la lignée :

"Je chante les lauriers dont les mains du dieu Mars
Ont couronné le chef de tant de Mortemarts.
Je chante leur fabrice et leur race divine
Dont les plus grands trésors de la race poitevine
Depuis quinze cents ans sont descendus, et d'où
Leurs poitevins font leurs rois de Poitou."




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* "Les vicomtes de Limoges et de Rochechouart sont sans doute issus des comtes de Rouergue et probablement les descendants des comtes d'Autun." (Wikipédia)


02 février 2009

De la Brenne (addenda)

Brenne ne désigne pas seulement la région naturelle situé à l'ouest du Berry, mais aussi quelques maisons, hameaux, bois ou étangs pas toujours situés en Brenne, justement. Il me paraît significatif de relever un de ces témoignages près du centre même du grand carré buissé dont j'ai abondamment parlé l'année dernière. En effet, le lieu habité le plus proche de la pièce de terre dite l'Entonnoir - abîme en quelque sorte du carré -, se nomme Brenne, ainsi que l'étang voisin  dont la carte IGN fait bien voir le profil marécageux, tendant donc à confirmer l'étymologie de Dottin.

01 février 2009

De la Brenne comme abîme

C'est aujourd'hui que, bloqué à la maison à cause de la grippe, je reçois enfin Evocations de l'esprit des lieux, l'ouvrage de Guy-René Doumayrou que j'ai commandé sur le net voici quinze jours. Je l'ai déjà dit, jusque là je n'avais connaissance de ce livre que par le site néerlandais Kunstgeografie. Et c'est donc avec beaucoup d'émotion que j'ai déchiré l'enveloppe cartonnée qui l'entourait. Après un rapide survol de l'ensemble, je me suis bien sûr immédiatement reporté aux pages sur la Brenne, que je citais naguère : "Plus fort encore, la Brenne est au centre d'un triangle des Gaules dont les sommets sont Sein, Planès et Syren en Luxembourg. Très exactement, c'est un étang, dit du Bois-Secret, qui constitue le centre très précis de cette vaste géométrie."
Voici la dite figure, empruntée à Kunstgeografie (qui reproduit celle du livre) :

triangle-gaules.jpg


Et le commentaire de Doumayrou sur la Brenne :


"Les trois hauteurs d'un triangle équilatéral se croisent en un point qui en est le centre de gravité. C'est le lieu privilégié de l'action concertée  des trois forces agissantes, le réel ombilic de la Gaule géosymbolique, l'abîme (page 188) où le corps primitif s'écroule dans la confusion des éléments nourriciers de l'étoile. C'est l'équivalent exact du "puisard central" des habitations anciennes (page 73), autour duquel tournait, comme un petit monde, toute l'activité domestique, correspondant, sur un autre registre rituel, à la crypte ou à l'autel des sanctuaires. C'est un vide hanté par l'esprit impérissable du mort tutélaire, allégorique de ce "rien dans quoi gît tout", fusée fine du moyeu de la roue et ordonnateur des révolutions. C'est l'espace informel de tous les possibles, que n'admet aucune particularisation et les présage toutes, l'invivable foyer de la vie." (page 216)

L'abîme, nous apprend la page 188 à laquelle nous renvoie Doumayrou (mais nous ne l'ignorions pas), désigne en héraldique le centre de l'écu, aussi appelé coeur. "Cet abîme, à Toulouse, était matérialisée par la plaine marécageuse où se perdit le trésor de Delphes, au nord de la cité." Trésor dérobé selon les récits sans doute mythiques par les gaulois Volques sous la conduite de Brennus. Bizarrement, Doumayrou ne fait pas de rapprochement avec le nom même de la Brenne, qui pourtant proviendrait du gaulois "brenno", marécageux, boueux (Dottin, 1920, cité par Stéphane Gendron).

sunset-brenne.jpg


Mais reprenons le fil du commentaire de Doumayrou : "On peut le reconnaître encore de nos jours : il se présente comme un territoire déshérité, situé entre Berry et Poitou, la Brenne. Plat pays de bosquets et d'étangs où, en dépit des tentatives de mise en valeur analogues à celles  qui trouvèrent quelque succès en Sologne, l'on a dû renoncer à toute forme d'exploitation agricole, hormis un peu d'élevage. [Ici Doumayrou force un peu le trait, voir le site du parc de la Brenne, mais il est vrai que les sols pauvres de la Brenne ne permettent guère qu'une agriculture extensive ; longtemps  insalubre et ravagée par la fièvre jaune, la région était très isolée et ne disposait même pas de routes la traversant dans toute sa longueur] Les oiseaux et les poissons continuent d'y déployer une exubérance qui peut faire croire à l'inépuisable générosité de la Mère Nature, encore que, comme partout désormais, la clotûre de fil de fer y insinue méticuleusement ses réseaux excessifs. Le centre du triangle se repère sans difficulté sur la carte. Il erre sur le terrain  à la surface d'un plan d'eau appelé, comme pour dissiper tout scepticisme, l'Etang du Bois-Secret : c'est probablement "l'abîme de la végétativité informelle". Un autre, plus au sud, se nomme l'étang de la Mer Rouge, afin que nul ne puisse mettre en doute l'allusion à l'Art d'Hermès."

A l'appui de cette assertion, il cite l'alchimiste allemand Michel Maïer (1568-1622) dans son ouvrage Atalanta Fugiens, Emblème XXXI : "C'est la Mer Rouge qui est sujette au Tropique du Cancer, dans laquelle il n'est pas sûr aux navires chargés ou entourés de fer de naviguer à cause que dans son fond il y a une grande quantité de pierre d'aimant."

La traduction me semble confuse, par rapport à celle donnée par le site Hdelboy.club : "Veut-on savoir ce qu’est cette mer ? Je réponds qu’il s’agit de la mer Erythrée ou mer Rouge, située sous le Tropique du Cancer. Le fond de cette mer contient en abondance des pierres magnétiques ; aussi la traversée en est-elle dangereuse pour les navires dont la charpente est consolidée à l’aide de fer, ou qui sont chargés de ce métal, car ils pourraient facilement être entraînés au fond par le pouvoir de l’aimant."

Bon, il reste que selon les traditions locales rapportées par Chantal de la Véronne (La Brenne, histoire et traditions, Tours, 1971, 2ème édition), le nom de Mer Rouge aurait été donné à l'étang du Bouchet (plus vaste étang brennou) par le seigneur du lieu, Aimery Sénebaud, en souvenir des Croisades, où il aurait partagé la captivité de Saint Louis. Doit-on trancher en faveur d'une des deux hypothèses ? Je ne le pense pas, elles recouvrent certainement un semblable humus symbolique. On a déjà vu  le pélerinage se présenter  comme l'image de la pratique alchimique, du cheminement vers l'Oeuvre. Et ne trouve-t-on pas ici, dans les deux histoires, référence commune à un roi ? L'emblème de Maïer qui correspond au texte cité est en effet celui-ci :

embleme_31.jpg

précédé du texte suivant :

Rex natans in mari, clamans altâ voce ; Qui me eripiet, ingens praemium habebit.

(Le Roi nageant dans la mer crie d’une voix forte : Qui me sauvera obtiendra une récompense merveilleuse)