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28 mars 2008

Le livre blanc et la Montjoie

"Correspondances secrètes, formes invisibles, rapports souterrains : la carte devait révéler tout un monde obscurément pressenti, le projeter sur l'espace terrestre et l'ouvrir à la déambulation. Mais rien n'est apparu : sur les innombrables écrans qui couvrent les murs de mon réduit, il n'y a qu'un interminable défilé de listes de noms, de lieux, de latitudes, d'identités, de signes particuliers, de montants, de dimensions, d'horaires, de cotations et de messages, tout cela à la suite, sans ordre ni signification, comme un long et sinueux ruban de déchets continuellement déposés par les vagues."

Philippe Vasset, Carte muette, Fayard,  2004, p. 9

Premières lignes d'un roman atypique que je découvris lors de sa sortie en 2004. Personne ne me l'avait recommandé et d'ailleurs personne ne m'en a parlé depuis. Le détail s'est estompé bien sûr, mais il me reste de Carte muette le souvenir d'une fantastique divagation sur les réseaux, une intrigue obscure sur les territoires de l'internet, une obsession des cartes, ce en quoi je ne pouvais que me reconnaitre et être happé par le dispositif  de voix plurielles mis en place par l'auteur.
Il n'était pas question de géographie sacrée ; le roman était résolument inscrit dans notre modernité, voire même dans une anticipation sensible de celle-ci, mais ce qui est au coeur de la recherche en géographie sacrée s'y laissait appréhender : la prise de repères par l'homme dans son milieu, le tissage par ses soins d'une toile où chaque élément vient résonner avec les autres.

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C'est donc sans hésitation aucune que j'ai emprunté la semaine dernière à la médiathèque le dernier livre de Philippe Vasset, Un livre blanc, paru en 2007. Le thème de la carte est là encore central - le sous-titre aussi en témoigne : Récit avec cartes -  puisqu'il est à l'origine même du projet qui a donné naissance à l'ouvrage. L'auteur fait simplement remarquer que les cartographes laissent parfois certaines zones vierges : "Qu'y a-t-il dans ces lieux théoriquement vides ? Quels phénomènes ont été jugés trop complexes pour être représentés sur une carte ? Pourquoi ces occultations suspectes ? Autant de questions nécessitant un examen approfondi. Pendant un an, j’ai donc entrepris d’explorer la cinquantaine de zones blanches figurant sur la carte n°2314 OT de l’Institut géographique national, qui couvre Paris et sa banlieue. Au cours de cette quête, j’espérais, comme les héros de mes livres d’enfant, mettre au jour le double fond qui manquait à mon monde. (p. 10)
Parti en quête de ces espaces vacants, Vasset va le plus souvent rencontrer la misère et la violence. Mais je ne veux pas ici chroniquer en détail cette exploration (d'autres l'ont fait avec pertinence). 
Je veux seulement dire ma surprise d'avoir découvert à la page 75 une carte comportant  la Plaine Saint-Denis et la Montjoie :

Cette même Montjoie, je l'avais, on s'en souvient, évoqué lors de mon exploration des Diou,
qui m'avait conduit à mettre en évidence une dualité des Denis.

Avec Vasset, nous sommes apparemment bien loin du vieux site celtique qu'Anne Lombard-Jourdan propose d'identifier comme le sanctuaire le plus vénéré de la Gaule :
"Un site en particulier a excité mon imagination : en arpentant, sur la Plaine Saint-Denis, un vaste rectangle que la carte présente comme vierge, mais qui a été comblé  par le centre de bureaux Plaine Espace et le siège social de Poelger CEIM (éclairage, génie climatique, distribution et transport d'énergie, appareillage domestique et industriel, sécurité des communications, outillage et mesure, câblage), je suis tombé, au croisement des rues Saint-Gobain et Fillette, sur un rassemblement de voitures de toutes marques et de toutes nationalités sur lesquelles s'affairaient des mécaniciens en bleu de travail."

Un site web poursuit et prolonge l'aventure du livre : il s'ouvre sur une carte où apparaissent certaines des zones blanches arpentées par l'auteur. Celle de la plaine Saint-Denis y figure, avec en regard des photographies et un texte où la Montjoie est  nommément citée (comme zone industrielle...) :

L'image du chantier archéologique qui surgit là me laisse rêveur : cette coïncidence entre le récit de Philippe Vasset et ma propre investigation ne suggère-t-elle pas d'autres modes de passage entre l'hier et l'aujourd'hui ?
Le sacré ne se dissimulerait-il pas in fine dans ces zones blanches, dans ces territoires abandonnés aux déchets ? Nous dont le regard se porte plus volontiers sur les vestiges avérés du passé, sur les constructions encore imposantes des siècles révolus, cathédrales, forteresses, abbayes, collines inspirées, ne devons-nous pas également nous porter vers ces lieux déshérités que l'urbain le plus brutal semble avoir cruellement scarifiés ?  Souvenons-nous que le sacré a à voir avec la souillure, qu'Apollon tuant le Python delphique est contraint de se retirer dans le val de Tempé pour se laver de ce meurtre. Nous retrouvons là une thématique abordée dès l'aube de cette recherche, où la ville de Poitiers, située sur l'axe équinoxial de Neuvy Saint-Sépulchre, se présentait  en sa devise comme "Sainte, sale et savante".

 

20 mars 2008

Buxus Sempercentrum

Au centre du carré sacré, Bouesse et Buxières d'Aillac portent la marque du buis. Sans parler des lieux-dits, deux autres communes indroises partagent une semblable étymologie. La Buxerette, tout d'abord, Labussière au XIIIème siècle, près de la forêt de Montpeget : ce petit village n'est pas sur un axe de notre figure mais en revanche il se place sur le méridien de Neuvy Saint-Sépulchre. Cependant Neuvy, pas très éloigné, notons-le,  du centre Buxièrois, ne semble pas à l'époque celtique ou préceltique, avoir l'importance qu'il aura par la suite.


Plus intéressant pour nous est le village de Buxeuil, au nord. Il est en effet fort proche du centre de la roue de saint Phalier. Le Rouet, le lieu-dit le plus proche du centre exact de la roue, est situé à la limite de cette commune avec celle de Poulaines. Le nom même est celtique : Buxeuil signifie la clairière de buis (gaulois ialo, "clairière"). On y a retrouvé de l'outillage néolithique et des monnaies gauloises.

Sur la même commune, quasiment  sur le parallèle du Rouet, on repère  aussi une fontaine Saint-Martin, assortie d'une chapelle. On assure que la dévotion est fort ancienne. Elle serait également  fort récente... puisque Jean-Mary Couderc assure qu'en 1974 encore, on y  a trouvé un talon du tiercé au pied de la statue de Saint-Martin...

Buxeuil près du centre de la roue de saint Phalier



14 mars 2008

Buxus sempervirens

Un mois d'absence... Qu'on veuille bien m'en excuser : le flux souvent tendu de la vie professionnelle et familiale ne laisse pas toujours le temps de sacrifier à nos passions inactuelles... Pour se consoler, on finit par se dire que cela peut bien attendre. Que cela a attendu parfois deux millénaires pour être remis en lumière. Qu'est-ce que quelques jours de plus à demeurer dans l'ombre ? Bon, je m'y remets tout de même, sans que je puisse promettre qu'il n'y aura pas d'autre interruption d'importance. Ce sera toujours ça de pris sur l'obscur...


A la vérité, j'avais bien encore deux ou trois petites choses à signaler sur les environs du Diou de l'Allier: cette abbaye de Sept-Fons qui rappelait si furieusement la Céphons levrousaine, ce Puy saint-Ambroise de haute présence celtique qui évoquait si fortement lui aussi notre Saint-Ambroix berrichon... Mais gardons cela pour une visite ultérieure ; assez dérivé en terre bourbonnaise, revenons à la figure essentielle, à savoir ce carré barlong défini par le  parallèle de Saint-Genou - Saint-Ambroix, les méridiens de ces deux localités et le parallèle de Bazelat, en Creuse.
L'examen des diagonales de ce carré va nous livrer une clé d'interprétation fondamentale.

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A première vue, cependant, rien de sensationnel ne se laisse voir : bien sûr, la diagonale NO-SE rase Saint-Denis de Jouhet et Neuvy Saint-Sépulchre, mais cela n'est pas suffisant pour emporter notre conviction. Le centre du carré ne tombe même pas sur un site habité. Le bourg le plus proche est Buxières-d'Aillac, dont je n'ai jamais encore parlé ici, bourg sans éclat particulier. J'étais donc dubitatif jusqu'à ce que je m'avise que l'autre diagonale, NE-SO, traversait très exactement le village de Bouesse (cher à mon coeur car ma grand-mère habite encore la commune et que, soit dit en passant, j'y fus baptisé). Or, quel est donc le point commun, étymologiquement parlant, entre ces deux villages distants seulement d'une poignée de kilomètres ?

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Réponse : le buis. Buxières d'Aillac est attesté en 1163 comme Ecclesia de Buxeriis, tandis que Bouesse, en ce même XIIème siècle, apparaît comme Villa de Boesses, que Stéphane Gendron interprète comme Buxea (terra), "(terre)à buis".
"Buis, explique-t-il,  est issu du latin buxus, arbuste d'un vert foncé luisant qui fournit un bois à sculpter très dur, orne les jardins, les cimetières. (...) Le buis est également le bois sacré des crois dites "buissières" (par exemple la croix Boissi). Une croix boissière est attestée en 1558 près de l'abbaye de Fontgombault : "le préau auquel est le cimetière de La Croix Boicière joignant le fossé de l'abbaye" (ANDRIEU 1699 [1558]). On remarquera que de nombreux toponymes sont associés à des vestiges gallo-romains (...)"(Les Noms de Lieux de l'Indre, p. 161)
Pierre Goudot, dans son bel ouvrage Microtoponymie rurale et Histoire locale dans une frange entre occitan et français : la Combraille (eh oui, c'est le titre exact), publié en 2004 (Cercle d'Archéologie de Montluçon), confirme cette association : "Dans la mythologie grecque, le buis toujours vert (buxus sempervirens) était consacré à Cybèle ; dans le monde chrétien il est devenu le symbole de la résurrection du Christ et de la renaissance de la vie ; rares étaient les habitations qui n'en possédaient pas un pied ; quelques villages lui doivent leur nom et le buis peut être révélateur de sites habités disparus, notamment gallo-romains tardifs." (p. 159)

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Le Buis, qui peut vivre jusqu'à six cents ans,  était un symbole d'immortalité. Il semble justifié de le retrouver au coeur d'une figure sacrée de vaste dimension, dont on a vu qu'elle épousait les formes mêmes de la divinité. Maintenant s'agit-il d'une coïncidence isolée ou bien pouvons-nous repérer d'autres occurrences du buis dans cette topographie du carré de Saint-Genou ?


Il suffit de parcourir le parallèle de Bazelat, déterminé bien avant d'avoir décelé ce thème du buis : il est jalonné très exactement par deux lieux-dits La Bussière.
Et la diagonale de Bouesse passe aussi par le hameau de Buxerolle, près d'Ardentes, De Buxerolis en 1422.
Si la médiane horizontale du carré ne nous livre aucun indice, en revanche la médiane verticale est balisée, au nord,  par le Buxerioux (qui désigne maintenant la zone industrielle de Châteauroux) et, au sud, par le hameau du Buis, près de Lourdoueix Saint-Michel.
On nous objectera que Buis et ses dérivés sont termes fréquents dans l'Indre (43 mentions au total, incluant pièces de champ, et bois). Il reste que la présence double au centre de la figure et  sa récurrence sur les axes principaux ne me paraissent  pas fortuites.
Je n'y avais pas songé auparavant, en me relançant dans l'entreprise, mais il ne me déplaît pas d'écrire cette note à quelques jours de la fête des Rameaux, marquée par la tradition du buis béni.

12 février 2008

En quête de Diou (3) : la Montjoie

Comment n'y ai-je pas pensé avant ? Sur Saint-Denis, le réflexe aurait dû être de se précipiter sur le livre le plus stimulant que je connaisse sur l'histoire de ce saint et de l'abbaye qui porte son nom : "Montjoie et Saint-Denis !" d'Anne Lombard-Jourdan, sous-titré Le centre de la Gaule aux origines de Paris et de Saint-Denis, et publié aux Presses du CNRS en 1989. Pour aller vite, l'auteur pense avoir localisé au nord de Paris, dans la plaine du Lendit, "le lieu consacré au centre de la Gaule" dont parle Jules César. Ce site apparaissait comme un tumulus, autrement dit un tertre funéraire artificiel, désigné sous le nom de "Montjoie", dérivé du francique *mund-gawi, que l'on peut traduire par "Protège-pays". "C'est au sommet de cette tombe d'un ancêtre divinisé, devenue sanctuaire vénéré, que l'évangélisateur de Paris aurait été décapité." C'est aussi à proximité de cette Montjoie que sainte Geneviève érigea la première sépulture dédiée à saint Denis. Première, oui, car il y en eut une seconde, à Saint-Denis précisément, l'ancienne Catolacus. Translation que que l'on peut placer aux alentours de l'an 630, selon Anne Lombard-Jourdan.

Voilà une information qui nous intéresse grandement, car si l'on se reporte aux cartes, on s'aperçoit que la Montjoie est située entre les deux Saint-Denis, à exactement  trois kilomètres de l'un et de l'autre. Dans la même position justement que nos Diou. Mieux, comme eux, la Montjoie est située légèrement à l'écart de la voie qui les relie, selon une même direction septentrionale (sans  retrouver, il est vrai, la légère déviation des Diou).


Anne Lombard-Jourdan pense que la Montjoie du Lendit fut vraisemblablement le prototype de toutes les "montjoies" connues : "Une fois constitué, le toponyme rayonna le long des chemins. Son sens originel s'estompa, puis disparut, sans que le mot perdit de sa vogue, essaimant un peu partout en tant que nom propre et nom commun et subissant la cascade de modifications sémantiques bien connues. C'est ainsi qu'on finit par appeler "montjoies" les petits monuments gothiques ornés chacun d'une croix et de trois statues de rois qui, élevés en 1271 à proximité de la Montjoie primitive, jalonnèrent la grande route qui menait de Paris à Saint-Denis et furent, eux aussi, regardés comme "protégeant" les passants."(p.57)

De même qu'on christianisa ce lieu païen en y plaçant le martyre de saint Denis, on peut concevoir qu'en Berry on christianisa ces lieux-Diou autrefois consacrés à des divinités celtiques en les encadrant en quelque sorte par des lieux semblablement dédiés au saint céphalophore. N'est-ce pas remarquable, encore une fois, que Reuilly, juste en aval de Diou, appartînt en propre à l'abbaye royale de Saint-Denis ?



08 février 2008

En quête de Diou (2)

En réalité, on s'aperçoit que l'alignement des deux Saint-Denis (un hameau et un faubourg de Bourbon-Lancy) ne prend pas Diou sur son parcours. Il s'en faut de peu, mais c'est ainsi : Diou n'est pas au centre exact du segment dyonisien.
Fausse piste ? Je remarque tout de même en passant un autre fait intéressant : la verticale du Saint-Denis méridional s'origine au Puy Saint-Ambroise, près de Saint-Léon, un haut-lieu de la région et prend dans sa course l'abbaye de Sept-Fons, proche de Diou, édifiée sur l'emplacement d'une ancienne abbaye cistercienne.

Comparons maintenant avec le Diou berrichon.

Diou est là aussi situé à quelques toises de l'alignement Saint-Denis (faubourg d'Issoudun) et Bois Saint-Denis (faubourg de Reuilly). La position est moins centrale, mais ce que l'on peut observer c'est une quasi similarité des angles avec la méridienne. Remarquons aussi que les deux Diou, outre leur situation en bordure de rivière, sont semblablement placés sur une limite territoriale : les limites de département recoupant ici comme souvent d'anciennes frontières provinciales ou diocésaines.

A ce stade, je ne peux penser que ces similitudes soient le fait du hasard.

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Le Puy Saint-Ambroise