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15 avril 2009

Oriens ex alto

Il est intéressant de confronter les différentes traductions du cantique de Zacharie, en ce qui concerne le passage cité dans ma précédente note. Le texte latin est celui-ci :

Et tu, puer, prophéta Altissimi vocaberis :

praeibis enim ante faciem Domini ad parandas vias eius,

Ad dandam populo eius scientiam salutis

in remissione peccatorum eorum,

Per viscera misericordiae Dei nostri,

qua vistabit nos Oriens ex alto,

Ut illuminet eos, qui in ténebris et in umbra mortis sedent,

ut dirigat pedes nostros in viam pacis.

Traduction donnée par Wikisource :

Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut :

tu marcheras devant, à la face du Seigneur,

et tu prépareras ses chemins pour donner à son peuple de connaître le salut

par la rémission de ses péchés,

grâce à la tendresse, à l'amour de notre Dieu,

quand nous visite l'astre d'en haut,

pour illuminer ceux qui habitent les ténèbres et l'ombre de la mort,

pour conduire nos pas au chemin de la paix.

Traduction qui diffère notablement de celle utilisée par Hugues Delautre, notamment en ce qui concerne le vers qua vistabit nos Oriens ex alto où disparaît la mention explicite du soleil levant : on ne parle plus que de l'astre d'en haut. La traduction oecuménique, celle qu'on trouve aussi sur le site de l'église catholique de France, donne pourtant :

"C'est l'effet de la bonté profonde de notre Dieu :
grâce à elle nous a visités l'astre levant
venu d'en-haut.
"

On peut deviner les raisons qui ont poussé les traducteurs de la version Wikisource à oublier le soleil levant : cette formulation « soleil levant venu d'en haut » est en effet paradoxale. Se levant, le soleil physique vient forcément d'en bas, il surgit à l'horizon et ne cesse alors de s'élever. Comment pourrait-il venir d'en haut ? Le carme Jean Lévêque donne la réponse sur son site :

"C'est toujours l'amour de notre Dieu que nous retrouvons au point de départ, comme le rappelle le nom mystérieux que Zacharie donne au Messie: "l'Astre levant venu d'en haut". C'est bien sur notre terre des hommes que se lève, chaque jour, la lumière de cet Astre, de ce Messie-Sauveur, mais l'Astre vient d'en haut, d'auprès de Dieu."


Revenons sur le terrain : l'association entre saint Jean-Baptiste et le soleil levant que nous avons donc rencontré à Vézelay, nous la retrouvons en amont de Sauzelles, au village de Saint-Aigny. Ce village se nommait Sanctus Albinus au XIIIe siècle, avant de subir l'attraction de Anianus (saint Aignan). Albinus dérive bien sûr de l'aube, l'heure blanche ( « Moment qui précède l'aurore, où la lumière du soleil levant commence à blanchir l'horizon; point(e) du jour. »

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Quant à Jean-Baptiste, il nomme la fontaine qui sourd en bord de Creuse, au nord du village. Fontaine dite aussi aux Teigneux (par proximité phonétique, on s'en doute avec Saint-Aigny). Ses vertus seraient connues depuis l'Antiquité. La teigne atteignant surtout les enfants, on observe là un habile compromis entre les attributs des deux saints.

Notons aussi qu'à l'instar de l'église de Bénavent qui balisait l'horizon du Saint-Fleuret, la chapelle du village de Mont-La Chapelle, sur la rive droite de la Creuse, se situe sur le parallèle de la fontaine. C'est en définitive une véritable ode au soleil levant que signe cette constellation de sites en bordure de Poitou, et l'on peut d'ailleurs se demander si cette pièce de terre nommée la Lusine, à l'ouest de Saint-Aigny, ne serait pas le premier jalon annonciateur de la fée bâtisseuse. Elinas, roi d'Albanie, futur père de Mélusine, ne rencontre-t-il pas sa mère, Persine, près d'une fontaine ?

 

31 mars 2009

Le Chemin du Dragon

 

« Après la bénédiction du pain et du sel dans la sacristie, chaque pèlerin vénère par un baiser, les reliques du saint thérapeute des bestiaux, contenues dans un bras d'argent. Ce reliquaire était autrefois promené sur le terroir d'Estaing lors de la procession des Rogations. »

Jean-François Hirsch (in. L'Univers du Vivant, n°4, octobre 1985)

 

Procession-dragon.jpgLes Rogations sont cette fête chrétienne qui se déroule pendant les trois jours précédant le jeudi de l'Ascension. Instituée, semble-t-il, en 470 par saint Mamert de Vienne en Dauphiné, pour lutter contre tremblements de terre, feu du ciel et invasions de démons. Jacques de Voragine, dans sa Légende dorée, écrit qu' « on l'appelle encore « procession », parce que l'Eglise fait généralement la procession. Or, on y porte la croix, on sonne les cloches, on porte la bannière ; en quelques églises, on porte un dragon avec une queue énorme et on implore spécialement le patronage de tous les saints. » Les cloches servent à éloigner les démons et les tempêtes : pour Philippe Walter , c'est une fête agraire où, par « des rites ambulatoires, il s'agit de protéger les récoltes en pleine croissance non seulement à un moment critique de l'année où les risques de gelée n'ont pas encore disparu mais également à une période où la sécheresse peut être dramatique. C'est la saison très redoutée de la lune rousse dont on souligne encore les méfaits dans certains terroirs. Le roux et la rouille sont d'ailleurs l'aspect dominant de toute la période des Rogations ; ils sont au coeur de ce mythe saisonnier. On notera cependant les silences ou les faiblesses de l'explication liturgique sur certains détails de la fête ( les dragons processionnels ou la triade festive par exemple). »(Mythologie chrétienne, Imago, 2005, p.136)

Cette fête n'a pas échappé au regard acéré de Guy-René Doumayrou, qui mentionne lui aussi les Dragons des Rogations survivant encore en plusieurs cités du Languedoc. Mieux, il montre l'existence d'un Axe des Rogations, qu'il rapproche de la visée du premier mai :

 

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« On a été tenté de l'appeler « axe du premier mai », parce qu'il vise le lever héliaque aux alentours de cette date. Toutefois, comme on le trouve souvent balisé en ligne droite sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres, on ne peut l'associer à une position trop précise du soleil dans sa divagation saisonnière. On peut en revanche, sans craindre d'errer, le mettre en rapport direct avec le temps des Rogations puisque, tout aussi bien, l'ethnologie a déjà revalorisé ce vocable d'origine chrétienne pour désigner le groupe fabuleux, beaucoup plus archaïque, des dragons processionnels que l'on sortait pour célébrer ce « rite » destiné à faire descendre les dons du ciel sur la terre0 Axe des Rogations donc, cet orient, dont le trait part du soleil levant au début mai pour s'éteindre avec le soleil couchant du début novembre, sera plus justement encore appelé le Chemin du Dragon. » (Evocations de l'Esprit des Lieux, p. 110)

 

Un peu plus loin, Doumayrou affirme que « le pays de Mélusine, serpente médiévale, ne pouvait manquer d'avoir le sien, le traversant de Poitiers à La Rochelle en passant par Niort, selon un azimut qui est, cette fois, effectivement celui du premier mai. Mais il est issu de Vézelay où rayonna, quelque temps, un des centres les plus importants de la Chrétienté, en l'honneur de Marie-Madeleine. La pleureuse aux longs cheveux n'était pas un dragon, sans doute, mais c'était une « moins que rien », déchue comme Lucifer, pourtant si fort illuminée par l'amour de l'homme divin qu'elle s'éleva à une dignité qui l'égalait presque à la vierge mère. » Et Doumayrou achève ce paragraphe crucial par ce passage que j'ai déjà cité en exergue d'une note passée, sans savoir que j'allais le retrouver encore plus pertinent dans son rapport au territoire que nous arpentons :

 

"L'axe Vézelay - La Rochelle, qui frôle Bourges, dont la cathédrale est dédiée à saint Etienne le lapidé, l'homme dissous par la pierre brute, et traverse les marécages de la Brenne, gouffre ombilical des Gaules, pour aboutir à ce port dont le nom, La Roche-Hélios, la Pierre-Soleil, annonce la métamorphose, au bout du pays qu'illustrèrent les miracles de la Mère Lucine, est le chemin d'étoiles de la Femme Perdue, dragon humanisé."(Guy-René Doumayrou, Evocations de l'Esprit des Lieux, p. 112)

 

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L'axe  des Rogations est indiqué sur cette carte, filant vers Prague.

 

Quand ces résonances se sont offertes à moi, j'ai songé tout de suite à vérifier si le monument de Sauzelles était sur ce fameux Axe des Rogations surgi de Vézelay. Mais non, déception, il s'en fallait d'une petite quinzaine de kilomètres : le Chemin du Dragon filait plus au nord. Déception de courte durée cependant, car en projetant une visée sur Vézelay, je constatai immédiatement qu'elle traversait Bourges (contrairement à l'axe défini par Doumayrou qui « frôle » cette ville en s'en écartant tout de même lui aussi d'une dizaine de kilomètres). Et il n'est sans doute pas fortuit que l'axe Saint-Savin – Le Blanc – Déols, converge lui aussi sur Vézelay.

Enfin, dernier indice très significatif, la paroisse de Sauzelles dépendait elle-même de l'abbaye de Vézelay.

J'ai épluché consciencieusement le guide de l'Indre de Michel de la Torre (Nathan, 1985), c'est la seule des 247 communes du département à posséder cette caractéristique.

06 janvier 2008

Apollon Grannus, Erichtonios et Sirona

Cette eau qui court souterrainement, mélusinienne ou diabolique, j'avais souvenance d'en avoir eu un exemple celtique. Un rangement de revues m'a permis de remettre la main sur le numéro 162 des Dossiers d'Archéologie, de juillet-août 1991, consacré à "Grand, prestigieux sanctuaire de la Gaule". Ce petit village des confins de la Champagne et de la Lorraine abrite quelques-uns des plus formidables vestiges du monde romain dont un  amphithéâtre de 17 000 places ( alors que Grand ne compte plus actuellement que 518 habitants). Sur ce plateau calcaire dont l'aridité est notoire, c'est pourtant à un sanctuaire de l'eau, dédié à Apollon-Grannus, dieu-guérisseur,  que nous avons à faire. Une résurgence, près de l'église, est le point central d'un territoire  défini, d'une part par un rempart hexagonal renfermant le temple, d'autre part par une enceinte circulaire  (ou pomerium) dont l'empreinte est encore nettement visible  (les anciens cadastres la mentionnent comme "la Voie Close"). Une vaste étude hydrogéologique menée grâce au mécénat d'EDF a clairement établi que les Romains avaient une parfaite maîtrise du réseau hydrologique souterrain : pour que la source se manifeste en toute saison, ils avaient  aménagé un système de galeries de part et d’autre de la rivière souterraine permettant ainsi de capturer les eaux de deux bassins versants latéraux.


La christianisation du site se lit à travers l'histoire de sainte Libaire : "Selon la légende dorée, Libaire, l’une des cinq enfants d’une famille patricienne, convertie au christianisme, fut martyrisée en 362 sous le règne de Julien l’Apostat pour avoir refusé de sacrifier aux dieux païens. Elle fut décapitée à l’extérieur du sanctuaire, en bordure de l’ancienne voie romaine de Grand à Soulosse. Et là le miracle se produisit. Elle prit elle-même sa tête et, entrant dans Grand, vint la laver à la source qui était " au milieu de la cité, puis elle s’endormit dans le Seigneur " et si un infirme buvait de l’eau où sainte Libaire était venue laver sa tête, il était guéri."

Ce site fascinant pose encore nombre de questions. Ainsi, le tracé du rempart n'a pas encore reçu d'explication. Aucune contrainte du relief, aucune nécessité militaire  ne justifie ses six côtés irréguliers. "C'est d’ailleurs, signale Chantal Bertaux, le seul rempart de l’époque gallo-romaine en Lorraine à avoir été édifié en temps de paix." Elle écrit en 1991 qu'il s'agit peut-être "d'une projection au sol d'un schéma astral." Depuis la parution du dossier, aucun élément nouveau n'a été découvert si l'on en juge par la lecture du site de Grand, qui ne fait que reprendre sous une forme condensée les données établies voici dix-sept ans.

Pourtant, si l'on évoque un possible schéma astral, il n'est pas très compliqué de consulter un atlas d'astronomie pour rechercher si le dessin d'une  constellation donnée peut  bien correspondre avec la figure hexagonale du rempart. Disons tout de suite que je n'ai pas trouvé l'adéquation parfaite qui ne laisserait aucun doute sur l'intention des constructeurs, mais il y a tout de même lieu de s'interroger sur une possible convergence avec la constellation du Cocher (Auriga).

Constellation du Cocher (Auriga) 

 Plan du site de Grand

 

Le Photo-Guide du ciel nocturne de Delachaux et Niestlé  écrit (p. 444) que "Le Cocher dessine sur le ciel un hexagone irrégulier reliant, dans le sens des aiguilles d'une montre, Capella à Ε,  ι Aur  puis à β Tau  qui, sans faire officiellement partie de la constellation, est ordinairement incluse dans l'hexagone), enfin à  θ et β Aur.

Plus que la forme, qui n'est - je dois le reconnaître - que bien approximativement celle du rempart, la symbolique du Cocher rencontre celle qui est à l'oeuvre à Grand. En effet, le Cocher, une des premières  constellations à porter un nom, symbolise un conducteur de char qui est, tantôt Héphaïstos, tantôt son fils Erichtonios, tous deux boiteux et, selon les Grecs, inventeurs du dit char. Or Erichtonios n'est autre qu'un dieu-serpent : " Selon la version la plus couramment admise, Héphaïstos rattrapa sur l'acropole Athéna, qu'il poursuivait de ses assiduités, mais celle-ci lui résistant, le dieu laissa échapper son sperme sur la cuisse de la déesse. Athéna nettoya la souillure à l'aide d'une boule de laine qu'elle arracha à son péplos et jeta ensuite sur le sol. De cette fécondation naquit Erechtonios (ou Cécrops). II en garda une double nature : la partie supérieure de son corps était humaine mais il possédait une queue de serpent, ce qui, comme tous les autres monstres possédant le même attribut, fait incontestablement de lui un γη-γενής, gegenès, un "fils de la terre". Pour les Athéniens, il est non seulement le premier roi mais le héros fondateur, le père, l'ancêtre commun à tous."


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Naissance d'Érichthonios : Athéna reçoit le nouveau-né des mains de Gaïa,

stamnos attique à figures rouges (art. Wikipédia)



Erichtonios, considéré parfois aussi comme un dieu "autochtone", autrement dit comme un enfant spontané de la Terre (Gaïa), exprime bien la nature même du sanctuaire de Grand, fondé, on l'a vu, sur une source, une résurgence d'un réseau souterrain aux sinuosités multiples. Dieu-serpent, il n'est donc pas sans parenté avec Mélusine, liée également aux vertus et vertiges des entrailles humides de la terre. Claude Lecouteux, dans son ouvrage sur Mélusine (Payot, 1982, p. 41-42), signale qu'en "dehors des hypothèses étymologiques, onomastiques peu sérieuses, il faut citer le rapprochement que R. Philippe fait entre Mélusine et Cécrops. Lusignan est situé tout près de Melle-sur-Belonne, l'ancienne Metallum des Romains ; il y avait là un gisement de plomb argentifère et sans doute une tradition d'exploitation minière, c'est-à-dire, note R. Philippe, qu'on avait dû adorer, de très haute antiquité, un dieu-serpent comme c'était le cas primitivement à Athènes. Or, Cécrops est attaché à d'anciennes traditions métallurgiques et il symbolise la richesse du sol. Si R. Philippe n'explique pas l'origine du nom, sa thèse rejoint celle de Littré qui voyait dans un des noms du serpent en breton l'origine de Mélusine."

Ces hypothèses rejoignent par ailleurs celle, plus récente, d'Anne Lombard-Jourdan pour qui Mellusine (elle l'orthographie avec deux l) est composé de trois éléments : "1° le radical d'origine celtique lus (ou luz) qui désigne "un serpent d'eau douce";  2° le radical également celtique *mel-s, au sens de "membre, partie" (d'homme ou d'animal) ; 3° le suffixe latin -ina." (Aux origines de Carnaval, Odile Jacob, 2005, p. 250)

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Sirona et Apollon


Mais Erichtonios a aussi une vocation céleste, en tant qu'inventeur du char, il est élevé au ciel par Zeus. En cela il s'apparente à l'Apollon, dieu céleste et lumineux. Signalons encore que l'Apollon Grannus est parfois associé dans les inscriptions à sa parèdre Sirona. Or celle-ci est représentée avec la corne d’abondance et quelquefois  un serpent, comme sur un des  piliers de Vienne-en-Val, dans le Loiret, où elle est associée non seulement à Apollon mais aussi à Hercule et Minerve. On la retrouve aussi, toujours avec le serpent, encore  dans l'est de la France, au sanctuaire d'Ihn.

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Sirona à Vienne-en-Val 

 Pour conclure, observons que la laine ( (ἔριον / érion) qui entre dans le nom d'Erichtonios se retrouve curieusement dans l'histoire de la Malnoue à Aubigny, quand  les cardeurs bouchèrent, avec une énorme pelote de laine. le gouffre ouvert par la Malnoue et d'où elle inondait la ville,

22 décembre 2007

La Malnoue, saint Généfort et la Vierge au goître

Revenant du Musée Bertrand jeudi dernier, je me suis attardé un moment au Plaisir de Lire, la petite librairie solitaire du bout de la rue Grande. En feuilletant un livre sur Les Mystères du Berry, j'ai trouvé de nouvelles informations bien intéressantes. Je me méfie en général de ce genre d'ouvrages qui aime à monter en épingle les soi-disant traditions de sorcellerie berrichonne. Je ne prétends pas qu'elles n'existent pas, mais elles occupent dans l'esprit du paysan berrichon beaucoup moins de place qu'on a bien voulu le faire accroire. Une enfance tout entière passée à la campagne fonde ma conviction sur ce point. Certes, il existe de nombreux "panseurs" et guérisseurs ; une véritable médecine traditionnelle perdure discrètement. Cela n'a pas grand chose à voir avec la sorcellerie. Jamais je n'entendis parler de sorcier ou de sorcière avant certaines émissions de télévision qui firent grand bruit.
Bref, je feuillette le livre (que je n'achète point, que l'auteur - Jean-François Ratonnat -  m'en excuse) - une sorte de compilation où se mêlent jeteurs de sorts, légendes, saints et sources miraculeuses. A l'article Chabris, je n'apprends rien de plus sur saint Phalier ; en revanche, je découvre des aspects de Chaon tout à fait inédits pour moi. Chaon, qu'on se rappelle, est cette petite ville au sud de Souvigny-en-Sologne qui fleure bon le Chaos... Il est d'ailleurs curieux qu'elle soit répertoriée en Berry, mais il est vrai que nous sommes dans une zone frontalière.

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De mémoire, je vous redis ici ce que j'ai lu. Tout d'abord sous l'église du village coulerait la Malnoue, une rivière souterraine, fille du Diable, qui serait à l'origine de certaines crues catastrophiques. On entendrait son murmure inquiétant si on plaçait son oreille contre la dalle.

En cherchant sur le net, j'ai appris que la Malnoue était une légende commune à toute la Sologne, recouvrant une entité géologique tout à fait réelle, à savoir une nappe phréatique très importante : "La légende de la Malnoue, est partout dans la Sologne et l’on affirme que dans certains de ses exécutoires l’on envoya des canards bagués dont certains refirent leurs apparitions dans la source du Loiret. Si cela est le cas, cela referait l’histoire du Loiret qui ne serait donc pas seulement alimenté par des pertes de la Loire, mais aussi par une nappe phréatique de la Sologne." Sur un site perso, un certain Antoine Peillon définit ainsi la Malnoue : " Selon d'anciennes légendes de Sologne, on appelait "malnoues" les mares et les étangs ensorcelés, où le malin engloutissait celles et ceux qu'il destinait à ses marmites infernales. Chants mystérieux, silhouettes de jeunes femmes dévêtues, gibiers fabuleux... : autant de sortilèges qui attiraient fatalement les bergères trop curieuses, les avides braconniers et les voyageurs égarés par la brume, jusqu'aux vases maléfiques des malnoues. Dans La Malvenue de Claude Seignolle, le meunier de Ménétréol explique aussi : "En ce moment, sous nos pieds, il y a un grand fleuve qui court d'un bout à l'autre de la grande bouche de la Loire. Toute la Sologne flotte comme ces îlots d'herbes que tu vois sur les étangs. Ce fleuve, d'aucuns l'appellent la Malnoue, on dit qu'il va se jeter dans l'Océan, toujours courant par en dessous la terre."

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Ce roman de Claude Seignolle (par ailleurs auteur lui-même d'un ouvrage sur le Berry des traditions et des superstitions) est décrit ainsi par Roland Ernould : "Dans La Malvenue  le récit s'organise surtout autour du marais qui jouxte les champs peu généreux du paysan Moarc'h, un breton venu dans le pays jadis. Lieu réputé aux alentours comme habité par une entité maléfique, s'y risquer ne peut amener que la mort du téméraire. Or, par appât du gain, Moarc'h a commis une double violation en cherchant à gagner de la terre sur le marécage. En fin de journée lui a pris l'idée d'aller plus loin que ses limites ordinaires, et il a volé au marais quelques sillons complémentaires, alors qu'un pressentiment l'en détournait :"Quelque chose l'oppresse. Il se sent seul avec ce mystère dont il se gaussait avant. Il a soudain envie d'en finir, de rentrer à la Noue. Mais un sillon en appelle un autre, aussi vrai qu'un verre demande à être rempli aussitôt vide." (268)Cette première transgression, pénétrer la nuit tombante dans l'espace maléfique de la Malnoue, rivière souterraine liée à Mélusine, est doublée d'une seconde, une profanation, puisqu'il a tranché avec le soc de sa charrue la tête d'une statue. Il l'emporte chez lui.

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Cette relation à Mélusine nous intéresse bien sûr au plus haut point ; R. Ernould développe cette allusion un peu plus loin : "Le marais dépend du vaste ensemble hydrogéologique de la Malnoue, nappe d'eau ou fleuve souterrain, symbolisé par l'évocation de Mélusine, bien connue en Bretagne. Mélusine a une double caractéristique aquatique et lunaire, et elle est considérée comme ayant un pouvoir de fécondité. La tête de la statue a eu jadis un pouvoir érotique puissant. La femme de Moarc'h ne pouvait pas avoir d'enfant et son époux n'était guère vaillant au lit. Mais la nuit où la pierre pénètre dans la maison, les époux entrent en émoi et conçoivent l'enfant, une fille, Jeanne."

Tout ceci confirme en tout état de cause la place essentielle des sources sacrées qui a été mise en lumière lors de l'inventaire des Souvigny.


En ce qui concerne les statues, l'église de Chaon en renferme deux de première importance. Tout d'abord un saint Généfort, dont le rôle aurait été, selon l'auteur,  de vivifier les "membres faibles" (en interprétant donc la racine gen comme celle de la génération, comme avec saint Genou). Autant dire qu'il serait là l'analogue de saint Phalier. Nous connaissons bien saint Généfort qu'Anne Lombard-Jourdan rapproche de Sucellus- Cernunnos, à la faveur d'une autre étymologie (le verbe guiner qui voudrait dire frapper). Il n'y a peut-être pas d'antinomie entre les deux propositions et Généfort/Guinefort condenserait les deux symbolismes sexuel et guerrier si l'on veut bien admettre, comme je le suggérai récemment,  que "sur le système symbolique celtique, les Romains ont greffé ensuite leur propre mythologie, sans toucher à l'essentiel. Ainsi Priape se serait-il plus ou moins substitué à Sucellus, sans doute par le truchement d'une divinité comme Sylvain qui présente des caractères communs aux deux divinités en question. "


La seconde statue est celle d'une Vierge dite au goître, une représentation très inhabituelle de la madone. Rappelons que le goître, affection résultant d'une hypertrophie de la thyroïde (maladie fréquente chez les solognots, explique Ratonnat, mais cela ne saurait justifier qu'on en affuble la Mère du Christ), tire son nom du latin guttur, gorge. Et nous sommes donc là en totale cohérence avec le symbolisme de saint Blaise du Souvigny voisin dont j'ai parlé naguère.


Et ce n'est sans doute pas  fortuitement que Seignolle choisit le prénom de Blaise pour l'amoureux de la Malvenue :

"Après diverses péripéties, la Malvenue jette les débris de la tête de la statue dans le marais, avec des conséquences physiques et météorologiques, comme toutes les fois où une puissance infernale est concernée :"La surface écume en gros bouillons qui montent du fond et éclatent avec des puanteurs fétides. On dirait que la Malnoue est soudain un immense chaudron bouillant sur une des bouches de l'enfer". (356)L'orage éclate, électrise la Malvenue, qui offre son pucelage à l'amoureux qui l'avait accompagnée :"Jeanne tire Blaise à elle. Il s'allonge à côté d'elle, sous la pluie, dans la boue. Blaise veut le corps de Jeanne. Il tire l'étoffe collée à la peau. La fille s'allège pour l'aider. Il pleut, pleut... Blaise s'impatiente. il a un geste plus brusque. Tout vient d'un coup. L'eau du ciel ruisselle, ruisselle... Jeanne est nue, luisante de pluie. Elle dresse les bras et les referme sur Blaise." (359) La Malvenue ne pouvait devenir femme que dans l'élément constitutif de la Malnoue, l'eau, et sous l'influence de Mélusine, son entité."

 

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Pour finir :

le 3 février 1978, jour de saint Blaise, Truphémus et Calaferte conversent à la suite d'une exposition de peinture qu'ils ont jugé sévèrement :

 "(...) Nous sommes tombés d'accord sur cette constatation que ce que nous apprenons au cours de notre vie et grâce à nos travaux n'est que confirmation de ce que nous pressentions dans notre jeunesse, alors que mille connaissances nous faisaient encore défaut.

- Nous ne faisons en vieillissant, m'a-t-il dit, que nous approcher du noyau.

- Mais nous savions à seize ans que le noyau existe, ai-je ajouté, à son approbation."

(Le Spectateur Immobile, Carnets IV, p. 21)