Rechercher : saint ursin
Martial et Mithra, même combat
« Bull and cave themes are found in Christian shrines dedicated to the archangel Michael, who, after the officialization of Christianity, became the patron "Saint" of soldiers. Many of those shrines were converted Mithraea, for instance the sacred cavern at Monte Gargano in Apulia, refounded in 493. It is hard to avoid the conclusion that the Mithras cult was transferred to the previously unvenerated archangel. Bull and crypt are linked in the Christian saint Saturnin (frequently "Sernin" or "Saturninus") of Toulouse, France. The Mithraeum is retained as a crypt under his earliest church, evocatively named "Notre-Dame du Taur."Je n'ai donc rien inventé : mon hypothèse reliant Saint Sernin de Toulouse au culte de Mithra, je l'ai retrouvée exprimée ce soir même dans l'article du Wikipedia anglo-saxon sur le Mithraïsme, beaucoup plus complet que son homologue français. A la légère déception d'avoir été précédé dans l'émission de l'idée, a succédé heureusement le plaisir de se voir d'une certaine manière confirmé. Je me sens d'autant plus tenté maintenant de compléter mon interprétation mithraïque du personnage de saint Martial. J'ai déjà écrit que par son nom – Martial - il me semblait correspondre au troisième grade de l'initiation (miles), celui du soldat. Il faut rappeler aussi que ce sont essentiellement les légionnaires romains qui ont propagé cette religion orientale. Robert Turcan, par exemple, a montré le lien étroit entre le culte de Mithra et le réseau de colonies et de voies militaires de la vallée du Rhône (le christianisme suivra d'ailleurs le même axe de pénétration). Je verrai volontiers dans le souci récurrent de la crypte et du souterrain chez les moines bâtisseurs de Saint Martial de Limoges la marque de la filiation avec l'héritage mithraïque, le souvenir du mithraeum édifié sous la terre ou dans le rocher. Bien entendu, il ne faut pas supposer une démarche consciente chez les religieux de l'époque romane, le symbolisme originel était sans aucun doute perdu, remplacé par un autre puisant en réalité aux mêmes sources essentielles : « (...)l'architecture des temples et maisons n'a de sens qu'en tant qu'elle est une reproduction symbolique des structures cosmiques, tant statiques que dynamiques. La cave des demeures, ou simplement leur sol, la crypte des églises, les salles enténébrées des soubassements des temples, communiquent avec les Grandes Eaux de l'Abîme, et aussi avec la Grande Terre Mère. » (Gérard de Champeaux, dom Sébastien Sterckx, Introduction au Monde des Symboles, Zodiaque, p. 58) Les mêmes auteurs, spécialistes du monde et de l'art roman, retrouvent d'ailleurs quelques lignes plus loin la thématique ouverte avec le signe du Taureau : « La plupart des peuples soulignent cet aspect de Mystère Vivant que prennent à leurs yeux les régions inférieures, en faisant d'un animal mythique le support de la terre : simple expression symbolique d'une intuition très profonde. (...) Chez les peuples du Caucase, en partie en Egypte, et là où l'Islam a étendu son influence, on retrouve le taureau comme support de la terre : le taureau est universellement reconnu comme un symbole en rapport avec la chaîne eau-terre-fécondité-femme. » La résurrection d'Austriclinien M'intriguent aussi les deux compagnons de Martial, saint Alpinien et saint Austriclinien. Comme Martial, ils sont clairement désignés par Grégoire de Tours comme prêtres orientaux. Ces deux noms si proches phonétiquement me font furieusement penser aux noms des deux dadophores (porteurs de torches) qui se dressaient de part et d'autre soit de l'accès au couloir central du mithraeum, soit de Mithra lui-même. L'un tenait sa torche levée (Cautès), l'autre sa torche abaissée (Cautopatès). De même, Alpinien et Austriclinien, ayant survécu à Martial, sont ensuite enterrés à ses côtés dans la crypte Saint Martial. « Suivant les régions et les climats du monde romain, souligne Robert Turcan (E.U, 12, 365), Cautès s'identifie avec la période verdoyante, Cautopatès avec la période stérile de l'année, ou inversement. D'autres symbolismes concernant la descente des âmes dans le monde terrestre et leur remontée au ciel peuvent s'être greffés sur cette imagerie, comme le suggèrent les recherches (très contestées) de Leroy A. Campbell) » Interrogeons donc maintenant les étymologies d'Alpinien et d'Austriclinien. (A suivre)
28 mai 2005 | Lien permanent
Crozant
Reprenons : Gérald (ou Géraud) de Crozant concède la villa Sosteranea aux chanoines de saint Martial. Crozant où s'élève la forteresse des Comtes de la Marche, un peu plus au nord de La Souterraine, en secteur Taureau, sur l'éperon rocheux dominant le confluent de la Creuse et de la Sédelle. Site impressionnant, sauvage, que l'on atteint par de petites routes escarpées, tortueuses. George Sand, en découvrant ce lieu en 1827, en assura sa célébrité et toute une pléiade de peintres paysagistes s'en enticha au point qu'on parle encore aujourd'hui d'une Ecole de Crozant. Lieu retiré, mal accessible, pourtant sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, étape entre Gargilesse et La Souterraine, ayant longtemps appartenu à la famille des Lusignan que nous connaissons bien maintenant. A l'intérieur des ruines, nous retrouvons une crypte, sise entre la Tour dite du Renard et celle dite d'Isabelle d'Angoulême, épouse de Hugues de Lusignan (XIIème siècle).
01 juin 2005 | Lien permanent
Le jongleur de Dieu
Au Moyen Age, le jongleur est le plus souvent considéré comme un suppôt de Satan, un serviteur du Malin. L'enfer lui est promis, la terre chrétienne refusée. Cet amuseur héritier des bardes celtiques, qui va d'un château l'autre, jongleur « de bouche » ou acrobate, est l'exemple même, selon Jacques Le Goff, du héros ambigu. « Je suis surtout frappé, écrit-il dans son beau livre Héros et Merveilles du Moyen Age1 ( Seuil, 2005) par ses liens étroits avec la nouvelle société féodale qui se met en place du Xe au XIIe siècle. » En effet, à la même époque où Honorius Augustodunensis et Abélard enfoncent le clou sur la nature démoniaque du jongleur, Bernard de Clairvaux entreprend sa première réhabilitation. « Pour saint Bernard, précise J. Le Goff, les jongleurs offrent aux hommes un exemple d'humilité. Et, devenus humbles, les hommes ressemblent « aux jongleurs et aux acrobates qui, la tête en bas et les pieds en l'air, font le contraire de ce qui est l'usage des hommes, marchent sur les mains et attirent ainsi sur eux le regard de tous. Ce n'est pas un jeu puéril, ce n'est pas un jeu de théâtre qui provoque le désir par des ondulations féminines honteuses et qui représentent des actes ignobles, mais c'est un jeu agréable, décent, sérieux, remarquable, dont la vue peut réjouir les spectateurs célestes. » N'est-il pas réjouissant de voir le cistercien austère vanter les mérites du saltimbanque ? Saint Bernard alla même jusqu'à se dire jongleur de Dieu par humilité.
Amusons-nous à notre tour à jongler avec les mots. Le nom du jongleur vient du latin jocus, jeu. Or, le village de Saint-Denis de Jouhet était dénommé De Joco en 1200. Rappelons qu'il est placé sur le méridien de l'abbaye cistercienne de Notre-Dame de Varennes. Sur la même verticale, étaient donc réunies les deux figures mises en avant par saint Bernard, le jongleur et surtout la Vierge Marie. Voici ce qu'on peut lire par exemple, au sujet de cette dernière , sur un site consacré au pélerinage de Chartres :
« Le XIIe siècle marque, avec Saint Bernard, l'ouverture d'un culte de la Vierge considérée comme porteuse en soi de valeurs spirituelles originales. Bernard de Clairvaux voit en elle la médiatrice par excellence, celle qui ne cesse de plaider auprès de son fils la cause du genre humain dans son ensemble. Entre le naturel et le surnaturel, elle est l'intermédiaire voulu par Dieu, plus qu'une autre capable de comprendre la fragilité de l'homme. Selon l'idée maîtresse suivant laquelle il n'est pas de faute inexpiable, l'intercession de Marie, c'est l'ultime recours du pécheur. " Le Fils exaucera sa Mère, écrit Saint Bernard, et le Père exaucera son Fils ".
Dès le milieu du XIIe siècle, l'enthousiasme marial de Saint Bernard porte ses fruits à travers tout l'occident. C'est à Notre-Dame que l'on dédie les grandes cathédrales gothiques. Cette émergence de la Vierge comme personnage central de l'humanité chrétienne porte très haut les sanctuaires dont elle était déjà la référence spirituelle. Un tel mouvement met Chartres hors de pair : parce qu'elle est le sanctuaire de la Vierge, la cathédrale s'inscrit au sommet des lieux où rayonne la grâce. A l'époque des grandes croisades, Chartres prend donc rang parmi les tout premiers pèlerinages du monde occidental. »
Nous allons voir maintenant, après nos excursions champenoises et bourguignonnes, comment le secteur Vierge du zodiaque de Neuvy Saint-Sépulchre porte haut les valeurs mariales.
1L'iconographie de cet ouvrage est remarquable. J'ai été heureux d'y retrouver dans ce chapitre consacré au jongleur le superbe Jongleur roman que j'avais pu admirer voici plus de dix ans au Musée des Beaux-Arts de Lyon. Dans la légende, on a néanmoins oublié de préciser que cette sculpture était originaire du Berry : on l'appelle le jongleur de Bourges.
21 septembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (3)
En quête de Diou
J'ouvre une parenthèse. Sans me détacher de mon sujet - la géographie sacrée prézodiacale*- je tente une expérience : plutôt que d'attendre de mener une enquête à son terme, je vous propose de me suivre pas à pas dans une investigation donnée. Pas à pas, c'est-à-dire presque au jour le jour, avec les questions qui se posent, les avancées, les reculades, les hypothèses, les outils utilisés, sans la certitude absolue de parvenir à un résultat valable et tangible.
Le sujet envisagé ici est le cas de Diou dans l'Allier, ce village homonyme du Diou berrichon, dont S. Gendron déplorait qu'il soit malheureusement sans mention. Dans une telle situation, j'ai tendance à m'obstiner : puisqu'il n'existe pas de données épigraphiques ou littéraires, allons donc examiner le site lui-même, dans son milieu naturel et historique. Avec l'espoir bien sûr de découvrir des résonances avec notre Diou à nous.
Le recours aux cartes est bien sûr le premier réflexe. Avant même de consulter la carte papier Michelin 69, je ne quitte pas l'écran et consulte en ligne, site du Quid pour la fiche du village et localisation sur carte (Googlemap) :
Me frappent ensuite immédiatement les deux Saint-Denis, placés, dirait-on, de part et d'autre de Diou, à équidistance.
Cela m'intéresse d'autant plus que Diou (Indre) est situé juste en amont de Reuilly, dont l'église Saint-Denis appartenait en propre à l'abbaye de Saint-Denis de France.
Il faut aller y voir de plus près, cette fois avec le papier, la règle et le crayon...
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* J'ai ouvert une nouvelle rubrique sous cette apppelation, car depuis quelque temps déjà il n'y avait pas de sens à identifier sous les signes zodiacaux des constructions débordant souvent largement de cette structure, et de toute façon édifiés bien avant la géographie sacrée zodiacale relative à l'établissement de Neuvy Saint-Sépulchre. Certains articles rejoindront bientôt cette nouvelle rubrique.
07 février 2008 | Lien permanent | Commentaires (2)
Inventaire des Souvigny
Quatre lieux nommés Souvigny sont recensés en France. L'idée m'est donc venue de mener une petite enquête sur chacun d'eux, afin de voir si des points communs les rassemblaient au-delà de la dénomination. Je n'insiste pas sur Souvigny en Allier, dont j'ai déjà beaucoup parlé (même si certains éléments importants n'ont pas encore été évoqués, mais cet inventaire sera précisément l'occasion de le faire), et je porte d'abord mon attention sur les trois autres Souvigny.
1. Souvigny-en-Sologne
Petit village de 419 habitants, dans le Loir-et-Cher, Silviniacus en 938, vestiges préhistoriques et gallo-romains, église Saint-Martin du XIIème siècle, fête de la Saint-Blaise (31/1).
2. Souvigny-de-Touraine
Ce village est proche d'Amboise, l'ancienne capitale des Turons, cité royale depuis la Guerre de Cent Ans jusqu'au XVIème siècle.
Extrait de la présentation du site cg37 :
"Souvigny-de-Touraine est un village en grande partie boisé et traversé par le cours sinueux de l'Amasse qui faisait autrefois tourner jusqu'à cinq moulins.
Le nom de Souvigny apparaît pour la première fois au XIème siècle (Salviniacum du latin Silva : forêt). De l'occupation néolithique, on passe à un habitat gaulois, puis gallo-romain.
Le village s'est développé autour de l'église actuelle construite au XIIème siècle, sur l'emplacement d'un ancien édifice religieux : des fonts baptismaux datant du Vème-VIème siècle en témoigne et dans son enceinte un préau a été récemment bâti.
Un lavoir construit à l'emplacement d'une ancienne fontaine sacrée gauloise a été remis en valeur."
Le porche de l'église du village, placée sous le vocable de Saint-Saturnin, est orné de signes du zodiaque entourant l’Agneau pascal.
3. Souvigny (dans les Yvelines)
Ce Souvigny, signalé par ViaMichelin, a été le plus difficile à repérer. En effet, le site donnait l'emplacement sans préciser le nom, et la carte Michelin plus précise restait muette sur un quelconque Souvigny.
Heureusement, j'ai fini par mettre la main sur une carte datée du 17 septembre 1788, où Souvigny apparaît sous la forme Savigny, maison isolée à la lisière de la forêt, près de la route de Saint-Léger.
Enfin, Saint-Léger se situe non loin de la limite des diocèses de Chartres et de Paris.
1. L'omniprésence de la forêt pour les quatre Souvigny étudiés nous autorise à abandonner l'hypothèse du nom propre romain pour expliquer leur étymologie : la silva est bel et bien motif central.
2. Le caractère royal de cette forêt est établi pour Souvigny-de-Touraine (forêt d'Amboise), et Souvigny en Yvelines (résidence capétienne). Souvigny en Allier, déjà honorée par la visite de papes et de rois, fut longtemps sépulture des Bourbons à tel point qu'on a pu écrire que Souvigny était le Saint-Denis du Bourbonnais.
3. Le caractère frontalier des quatre Souvigny est également patent. Que Souvigny (Allier) et Souvigny (Yvelines) soient liés à saint Léger corroborent l'observation réalisée lors de l'inventaire des Saint-Léger, à savoir que la grande majorité des Saint-Léger prenant place dans la géographie sacrée est située sur des marches, des points de contact entre plusieurs entités géographiques et politiques.
4. L'eau semble avoir aussi de l'importance : fontaine sacrée à Souvigny-de-Touraine ; à Souvigny (Allier), "les deux saints étaient représentés en gisant sur le tombeau, au centre de l’église. En dessous, il y avait une hypogée avec une source, où se rendaient les pèlerins."
Cet aspect est moins flagrant pour les deux autres Souvigny, mais Souvigny-en-Sologne, arrosé par un affluent du Beuvron, est tout de même au coeur d'une région d'étangs, tandis que le Souvigny yvelinois se place juste à l'amont de la naissance d'un ruisseau.
5. Le zodiaque est figuré à Souvigny-de-Touraine ainsi qu'à Souvigny en Allier. En effet, la cité renferme une des pièces les plus extraordinaires de la sculpture romane, un fût en pierre octogonal de la fin du XIIe siècle dite la Colonne du Zodiaque (ou Calendrier de Souvigny), dont quatre faces sont couvertes de bas-reliefs : mois de l'année, signes du Zodiaque, peuples et animaux étranges et fabuleux. Hélas, la colonne est mutilée, la partie basse correspondant aux premiers mois de l'année a disparu.
Cet inventaire des Souvigny semble donc mettre en lumière un complexe cultuel situé sur des zones frontalières, au coeur d'un massif forestier, en relation avec les puissances souterraines incarnées par la présence de sources sacrées. Si l'on recherche quelle divinité celtique pourrait bien avoir été au centre d'un tel complexe, on ne peut que penser au Silvain gallo-romain, assimilé au gaulois Sucellus, le dieu au maillet que j'ai déjà évoqué au sujet de Levroux.
10 juillet 2007 | Lien permanent
Suin, Soudun et Issoudun
Saint Fleuret, qu'on retrouve à Mijault et à Estaing, n'est pas le seul lien qu'entretient la région avec le lointain Rouergue. Le Suin, dont nous avons déjà évoqué la légende des 365 gouffres, nous en procure un autre par son étymologie. Je me reporte là à celle que propose Stéphane Gendron. Sachons d'abord que Suin désigne aussi un hameau situé à la limite entre Preuilly-la-Ville et Pouligny Saint-Pierre, sur une hauteur. Voici maintenant ce que le chercheur écrit :
« P.ê du gaul. *Segodunum, avec segu- « force », c'est-à-dire « forteresse solide, imprenable » (DELA-MARRE 2003 : 228-9). A comparer avec Suin, commune de Saône-et-Loire, Sedunum au XIe siècle, avec Rodez, Sogodounon au IIe siècle chez Ptolémée, et Sion, ville de Suisse, Sedunum au IVe siècle. »
Un autre lieu tout proche relève pratiquement de la même étymologie, c'est le château féodal du Soudun, situé à Néons-sur-Creuse, sur un promontoire dominant la rivière. Il se nommait autrefois Issoudun, comme la ville que nous connaissons bien, ou Issoudun-sur-Creuse.
Or, il se trouve que ce château du Soudun n'est pas sans rapport avec un autre château, celui de Rochefort, qui surplombe justement notre stèle de Sauzelles. Une légende rapportée par Chantal de La Véronne raconte l'ultime épisode de la lutte qui opposait de longue date les fées des deux châteaux. C'était à l'époque où l'évangile de saint Jean fut retrouvé... (A suivre)
04 mai 2009 | Lien permanent | Commentaires (2)
Phalier, Priape et les vergers
quae templi pendeat ante fores;
pomosisque ruber custos ponatur in hortis,
terreat ut saeva falce Priapus aves;
(Traduction : Blonde Cérès, que te soit donnée une couronne d'épis venant de notre domaine, pour qu'elle soit suspendue devant les portes de ton temple, et que l'on installe un Priape, rouge gardien, dans nos vergers pleins de fruits, pour que de sa faux cruelle il effraie les oiseaux.)
Etrange destinée mythologique que celle de Priape : le fils de Dyonisos et d'Aphrodite (certaines traditions disent même de Zeus), originaire de Lampsaque en Aise Mineure, dieu de la fécondité et de la fertilité à qui l'on dédie chants et poésies, finit dans les vergers romains sous forme de statues grossières en bois de figuier vermillonné, autrement dit en épouvantail.
Mais c'est cette association latine entre vergers et Priape qui me retient d'exclure complètement l'hypothèse phallique du nom de saint Phalier. En effet, si l'on veut bien revenir quelque peu en arrière, examinons à nouveau la légende de Saint-Outrille, près de Graçay, où se trouve le premier Saint-Phallier que j'ai mentionné :
"Un jour, on aperçut le diable dans le village. Aussitôt, les braves villageois se mirent en devoir de lui donner la chasse. Le diable se réfugia sur le clocher. Une vaillante commère entreprit de l'en déloger et commença l'escalade. Le diable, sentant son refuge menacé, sauta dans le verger avoisinant. Mais sa queue se prit dans la flèche et la tordit de telle façon que, de nos jours, elle demeure vrillée ...."
Bien sûr, on peut juger que c'est somme toute assez banal, la présence d'un verger au pied d'une église. Poursuivons donc avec le Saint-Phalier levrousain : ceux qui se sont penchés sur la carte IGN du site, que j'ai déjà insérée deux fois, y auront peut-être aperçu sur la route qui mène à Levroux le lieu-dit nommé précisément Le Verger.
Trouverons-nous un troisième verger sur la troisième pointe du triangle, à savoir à Chabris, terre d'élection du saint ermite ? Je n'en ai point décelé, il est vrai, mais il existe, me semble-t-il, d'autres indices. Encore une fois, c'est l'excellente recension de Jean-Louis Desplaces (Florilège de l'eau en Berry, vol. 3) qui va nous servir de guide. La dernière procession à la fontaine Saint-Phalier, proche de l'oratoire du même nom ( dont j'ai noté qu'elle balisait l'alignement avec le Saint-Phalier de Graçay), a eu lieu en 1973 où elle ne recueillit qu'une centaine de personnes. Cruel contraste avec la même procession avant-guerre, décrite par l'écho paroissial de Chabris en septembre 1934. La narration est enthousiaste :
A dix heures et demie, "les chiens de Saint-Phalier" cloches au timbre argentin, aboient à la population qui, à ce signal, se presse vers l'église et la remplissent. La longue nef ogivale est décorée à chaque arceau d'oriflamme au chiffre du saint Patron. la tribune porte en pendentifs d'immenses grappes de roses d'un merveilleux effet. Le sanctuaire est tapissé de verdure et de roses aux vives couleurs. Deux bosquets de palmiers et de plantes vertes encadrent l'autel dont les degrés sont chargés de bégonias éclatants et superbes, ensemble qui retient les regards."
C'est cette profusion de verdure et de roses qui m'intrigue et me fait penser aux vers virgiliens :
spicis : una mihi est horrida pestis hiemps.
Au printemps je suis couvert de roses, en automne de fruits , en été d'épis ; seul l'hiver m'est un horrible fléau.
"La rose, explique-t-on ici, symbole de l'amour et du désir, est la fleur de Vénus, de Bacchus et de Priape, auquel on offre aussi, à l'occasion, d'autres fleurs : violettes, pavots, etc."
Pascal Quignard : "A Rome, on ne peut distinguer lusus et religio, sarcasme et sacrifice, Dieu raillé ou Dieu puissant. Fascinus ou Priapus fut honoré de stèles durant tout l'Empire. Priapus est "le premier des dieux", le dieu Prin, le dieu Priopoien (le dieu qui crée-avant la création elle-même). Priapus fut sans la moindre hésitation le dieu le plus représenté de l'Empire. Sarcasme vient du grec sarx, qui est le mot qu'employait Epicure, pour dire le corps (sôma) de l'homme et le lieu unique du bonheur possible. Le sarkasmos, c'est la peau prélevée sur le corps de l'ennemi qu'on a tué. En cousant ces peaux "sarcastiques", le soldat formait un manteau de victoire. Le plus souvent Athéna arbore la tête de Gorgone sur son bouclier, mais il arrive que la déesse porte sur son épaule la dépouille (le sarkasmos) de Méduse. Le latin carni-vore traduit mot à mot le grec sarko-phage." (Le sexe et l'effroi, Gallimard, pp. 104-105)
Difficile de ne pas songer au sarcophage vide de saint Phalier, au profond de la crypte, en calcaire monolithe reposant sur deux piliers, auge de pierre dont on grattait donc "sarcastiquement" la surface pour recueillir la poussière guérisseuse.
26 octobre 2007 | Lien permanent | Commentaires (4)
Le chaos et la forêt
Hé Dieux! que le temps m'anuie,
Un jour m'est une sepmaine;
Plus qu'en yver longue pluie,
M'est ceste saison grevaine.
Helas! car j'ay la quartaine,
Qui me rent toute estourdie
Souvent et de tristour pleine:
Ce me fait la maladie.
Christine de Pizan (Ballade XLIII)
Revenons sur l'axe Saint-Genou ¬ Saint-Ambroix, parallèle d'où a émergé la géométrie sacrée de saint Outrille et de saint Phalier : j'ai pu mettre en évidence le point commun entre les deux saints donnant leur nom aux deux localités, à savoir que tous les deux furent évêques de Cahors. Cette dernière ville devant être mise en rapport elle-même avec le chaos.
L'autre grande direction cardinale issue de Saint-Genou, son méridien, nous avait amenés à Sainte-Gemme et au bois de Souvigny, toponyme dont un inventaire a mis « en lumière un complexe cultuel situé sur des zones frontalières, au coeur d'un massif forestier, en relation avec les puissances souterraines incarnées par la présence de sources sacrées. Si l'on recherche quelle divinité celtique pourrait bien avoir été au centre d'un tel complexe, on ne peut que penser au Silvain gallo-romain, assimilé au gaulois Sucellus, le dieu au maillet que j'ai déjà évoqué au sujet de Levroux. »
Christine de Pizan instruisant son fils
Or, les thématiques portées par ces deux directions cardinales, le parallèle et le méridien, ne sont pas sans lien dans l'imaginaire des hommes du Moyen Age ; c'est ce que j'ai découvert grâce à un de ces livres glanés au Bleu fouillis des mots, la librairie d'ancien de Châteauroux. Dans La couleur de la mélancolie sous-titrée La fréquentation des livres au XIVe siècle 1300-1415 (Hatier, 1993), Jacqueline Cerquiglini-Toulet écrit que la matière, « c'est l'unité primitive, le chaos primordial tel que Christine de Pizan le présente au début de L'Advision, l'indivision première.
Le grand ymage, dont a son commencement ce dit livre parle, pour tout le monde puet estre pris ; c'est asavoir ciel, terre et abeisme. Son nom qu'escript en son front portoit, c'est assavoir Chaoz, puet estre entendu que a son commencement les pouetes anciens nommerent la masse que Dieu fourma, dont il trey ciel et terre et toutes choses, chaos, qui est a dire confusion, qui encore assez est au monde. Les .ii. Conduis qu'il avoit par ou peüz estoit et purgiéz se puet entendre la naissance de toutes corporelles choses, et aussi la mort de toute creature vive.
« Glose sur la premiere partie de ce present volume », in L'Advision Christine (Ed. C. Réno), pp. 1-2.
( La grande image dont parle ce livre à son début peut être prise pour l'ensemble du monde ; à savoir le ciel, la terre et l'abîme. Le nom qu'elle porte écrit à son front, chaos, peut être entendu de cette manière : au commencement du monde, les anciens poètes nommèrent la masse que Dieu forma et dont il tira le ciel, la terre et toutes choses, chaos, c'est-à-dire confusion, laquelle est encore bien présente dans ce monde. Par les deux tuyaux de l'image, par lesquels elle était nourrie et purgée, on peut comprendre la naissance de toutes les choses corporelles, et aussi la mort de toute créature vivante.) »
L'auteur poursuit ainsi : « Ce chaos peut être vu comme forêt, materia prima, hylè des Grecs. C'est la forêt obscure dans laquelle se trouve Dante au début de La Divine Comédie, « chose dure à dire, sauvage et âpre et forte » (Enfer, chant 1er, vv. 4-5), cette « silve » qu'évoque Christine de Pizan dans son Chemin de Long Estude (v. 1131), profondeur ténébreuse de l'informe à valeur d'enfance. La matière en tant qu' origine renvoie à l'élémentaire et la forêt en constitue, métaphoriquement, le paradigme. » (p. 70)
Cette longue citation - trouvée presque accidentellement alors que je feuilletais ce volume longtemps après l'avoir l' acheté - donne encore plus de cohérence au schéma symbolique ordonné autour de Saint-Genou et donne un sens jusque-là encore inaperçu à certains noms présents sur les cartes. Ainsi, j'étais intrigué par cette forêt de Chaon près de Souvigny-en-Sologne ; vue à la lueur du passage ci-dessus, c'est presque un pléonasme qu'on peut alors y lire.
L'idée de naissance attachée au chaos est également illustrée par l'importance donnée dans ce village à la fête de saint Blaise. Placée là au 31 janvier, selon le Quid, elle est plus traditionnellement attribuée au 3 février. Or, ce 3 février est précisément la date donnée par Rabelais pour la naissance de Gargantua, dont nous avons déjà vu avec la vieille de Brise-Paille le lien avec Saint-Genou. Situé exactement quarante jours après Noël et quarante jours avant Pâques, le 3 février a sans doute été choisi, pense Anne Lombard-Jourdan, parce que la spécialité du saint était de soigner la gorge, « si présente dans la nomenclature de la famille Gargantua et dans l'histoire du géant. Mais il faut prendre aussi en considération la signification du nom du saint. » (Aux origines de Carnaval, Odile Jacob, 2005, p.52). Analyse partagée par Philippe Walter pour qui Rabelais inscrit « délibérément le mythe gargantuesque dans la tradition et la religion carnavalesque. A la fois lieu de parole, lieu d'absorption des aliments, , lieu de circulation du souffle vital (en allemand blasen signifie « souffler »), la gorge de Blaise (ou de Gargantua) renvoie à celle du loup divin, l'homme-loup (ou l'homme-ours) qui gouverne les cycles du Temps mais aussi les liturgies de Carnaval : la musique sur les instruments à vent, le grand manger, la sortie de l'ours (ou du loup-garou) prédateur, autant de rites qui renvoient à un temps originel cherchant à établir les principes d'un ordre par rapport auquel l'homme devra se définir. » (Mythologie chrétienne, Imago, 2005, p. 103)
Pour conclure provisoirement, je songe encore à la rivière qui coule à Souvigny-de-Touraine, dont le nom, l'Amasse, renvoie peut-être à « la masse que Dieu forma et dont il tira le ciel, la terre et toutes choses, chaos ». Ici encore, la naissance est sur-signifiée par la présence de fonts baptismaux très anciens (Vème-VIème siècle) et d'un lavoir construit à l'emplacement d'une fontaine sacrée gauloise.
06 décembre 2007 | Lien permanent | Commentaires (4)
Verneuil (suite)
Verneuil est étymologiquement la clairière de vergnes. Les deux éléments de ce toponyme sont d'origine celtique. La finale euil dérive de ialos, la "clairière cultivée". Or c'est bel et bien une clairière que saint Fiacre délimite avec son bâton miraculeux, renouvelant en cela un geste ancestral attesté dès l'époque de La Tène ancienne (- 500, - 250). "Le lieu de culte n'était rien d'autre, soutient Jean-Louis Brunaux, qu'une aire sacrée limitée par un fossé et parfois une palissade. (...) L'enclos est, en effet, la représentation la plus simple et la plus durable du lieu de culte chez la plupart des peuples indo-européens, et particulièrement chez les Grecs et les populations italo-celtiques. Le témenos et le templum, mots de même racine, ne sont rien d'autre que ce terrain "découpé". Un simple trait sur le sol, un sillon de charrue, un fossé suffisaient à délimiter la place du sacré." (Les Gaulois, Sanctuaires et rites, Errance, 1986, p. 28) Ayant fortuitement retrouvé l'association Fiacre-Verneuil avec la statue du saint à Verneuil-sur-Avre, j'ai lancé hier une petite recherche systématique sur le web avec ces deux mots-clés. Et c'est ainsi que j'ai déniché la petite commune de Parnay, 49 habitants seulement, dans le Cher, sur les rives de l'Auron. Une commune berrichonne donc, qui s'honore d'une église Saint-Fiacre, mais aussi des ruines d'un prieuré dépendant de l'abbaye de Verneuil-les-Bois. Ajoutons enfin que la commune relevait de l'abbaye de Déols.
25 mars 2005 | Lien permanent
De Septem Fontibus
La question est maintenant de savoir quel culte païen a été recouvert par les figures de saint Martin, saint Silvain, saint Silvestre et autres Rodène et Corusculus. Comme à Vatan, il est très certainement lié à une ou plusieurs sources : « A l'origine, écrit Stéphane Gendron, le village semble avoir joué un rôle important dans le culte de l'eau guérisseuse. La fontaine guérisseuse de sainte Rodène (scrofuleux, feu de saint Sylvain, ou érysipèle, engelures...) est fréquentée au moins depuis le XIIIe siècle. » (Les Noms de Lieux de l'Indre, op. cit. p. 25.) Un ruisseau prend source à Levroux, à l'est de la ville intra muros, ruisseau nommé Céphons, c'est-à-dire Septfons, les sept fontaines, près d'une métairie appelée déjà Sept Fonds au XIIIe siècle. Stéphane Gendron encore : « Selon Ardouin-Dumazet, la source est l'objet de légendes : “On prétend qu'une grosse pierre bouche le fond de l'abîme et empêche les eaux d'être trop abondantes ; si on l'enlevait, Levroux serait inondé ! ” ».
Il semble qu'il y eut par le passé des débats passionnés sur l'orthographe du cours d'eau (Céphons ou Septfonds) et pour savoir s'il y avait bien sept fontaines à Levroux. A mon humble avis, c'était être aveugle à la portée symbolique des termes choisis. Je ne m'étendrai pas sur la valeur universelle du septenaire qui est bien connue, sinon pour dire qu'il signe, entre autres, le Septentrion, c'est-à-dire les sept étoiles de la Grande Ourse1 . Cette valence cosmique se répète peut-être avec la graphie de Céphons, qui évoque irrésistiblement Céphée, autre constellation boréale dont les étoiles alpha et gamma furent polaires, voici 21 000 et 19 000 ans avant notre ère.
Céphée « est reconnaissable à sa forme de pentagone irrégulier, ou de dessin enfantin d'une maison à toit pointu. » Or, la cité médiévale de Levroux avec sa ceinture de remparts nous présente une figure étrangement proche, comme l'attestent la carte de Cassini ou l'atlas de Trudaine.
Levroux en 1747 (atlas de Trudaine)
Sources des cartes : Histoire et Archéologie du pays de Levroux (Indre), 2003
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1 Je ne parviens pas à remettre la main sur une note prise lors de la lecture du Journal de Paul Claudel : il y mentionnait, si j'ai bonne mémoire, avoir vu sept puits à l'intérieur d'un temple chinois, figurant la constellation boréale.
04 avril 2006 | Lien permanent | Commentaires (9)