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Vicus Dolensis et Mont-Dol
Déols. Enfin nous y sommes. Déols l'inspiratrice, dite aussi le Bourg-Dieu. Combien de fois déjà ce nom a-t-il hanté ces notes ? N'ai-je pas depuis longtemps affirmé que Déols et Bourges étaient à la source de la geste zodiacale, bouillonnante du feu souterrain de la mythologie celtique ? Pourtant, que sait-on de Déols elle-même ? Pas grand chose, en vérité. Quelques lignes dans le Quid résument l'essentiel : « Anciennement "Vicus Dolensis", cité gallo-romaine administrée au 3ème par le sénateur Léocade, dont le fils, saint Ludre, fut le premier disciple de saint Ursin. Les tombeaux de saint Ludre et de son père devinrent un important lieu de pèlerinage, célèbre dès le 6ème. Au 10ème, Déols était un gros bourg appartenant à une puissante famille féodale dans la mouvance des ducs d'Aquitaine. En 917, Ebbe Le Noble fonda l'abbaye de Saint-Pierre, Saint-Paul et Notre-Dame qu'il donna à des moines de Cluny. L'abbaye, qui était l'une des plus belles et des plus riches du royaume, fut ravagée par les huguenots au cours des guerres de Religion puis sécularisée en 1622 par Henri II de Condé, père du Grand Condé. Engagée dès cette époque, la démolition de l'édifice fut poursuivie jusqu'au milieu 19ème. »
Léocade, Ludre, Ursin, ces personnages cités par Grégoire de Tours ont-ils réellement existé ? Rien n'est moins sûr. Je m'interroge : qu'est-ce qui détermine ce site des bords de l'Indre, qui n'a en apparence, sur le plan strictement géographique, rien d'exceptionnel, à devenir un haut lieu de pélerinage dès le VIème siècle, puis à accueillir l'une des plus formidables abbayes du royaume, fondée sur le modèle de Cluny ?
Si l'on examine l'étymologie, l'incertitude est là aussi de mise : Stéphane Gendron (Les Noms de Lieux de l'Indre, op. cit. p. 9), signale qu'on a proposé le gaulois dol « méandre », « qui convient parfaitement pour Déols, dans une boucle de l'Indre », mais il ajoute aussitôt : « Nous restons cependant méfiant car cette explication ne convient pas pour son principal homonyme, Dolus-le-Sec (Indre-et-Loire, Dolus VIe), loin de tout ruisseau. »
Je reviendrai sur ce fameux Dolus-le-Sec, mais, à ce stade, n'ayant rien à perdre, j'ai songé à un autre Dol : Dol-de-Bretagne que je ne connaissais que de nom. Un petit tour sur le net m'apprend vite que cette petite ville bretonne fut longtemps (jusqu'en 1199) le siège d'un archevêché, en concurrence avec celui de Tours. Le roi des Bretons, Nominoé, y fut sacré en 848. L'évêque de Dol présidait les États en l'absence du duc de Bretagne. Cette prééminence serait redevable au moine gallois saint Samson , l'un des sept saints fondateurs de la Bretagne, qui se serait fixé à Dol au VIe siècle. Son sarcophage est conservé dans la cathédrale de Dol.
Non loin de Dol, on peut visiter le Mont-Dol dont l'histoire est d'une exceptionnelle richesse, comme en témoigne l'exposition qui a semble-t-il lieu actuellement dans l'église même de Mont-Dol.
La tradition attribue à saint Samson la gravure de trois croix pattées sur un pointement granitique à l'est du tertre, sans doute un rocher sacré païen qui fut ainsi christianisé : « Les mêmes croix visibles sur une base de colonne antique réemployée dans l'église, témoignent probablement de la christianisation d'un monument romain à Jupiter, élevé primitivement sur le plateau. »
Notons aussi le légendaire attaché à Gargantua : « Un jour où il se promenait dans la région, une douleur soudaine lui fit retirer sa chaussure qu'il secoua : il en tomba trois cailloux qui sont aujourd'hui le Mont-Dol, le Mont Saint-Michel et le rocher de Tombelaine. Le même géant passait de Normandie en Bretagne en trois pas colossaux, jalonnés par la roche de Carolles, Mont-Dol, le Mont Saint-Michel et Tombelaine. »
Dol ne serait-il pas le premier élément du mot dolmen, élément signifiant "table" ? Marquant ainsi la présence d'une roche tabulaire sacrée ? Mais, me direz-vous, à Déols, aucun dolmen déclaré, existant ou détruit, aucune pierre votive.
Pas si sûr. Je m'en vais vous le montrer tout à l'heure. (A suivre)
02 juin 2006 | Lien permanent | Commentaires (1)
La sérendipité et les otages
Savez-vous ce qu'est la sérendipité ? Ce mot, francisation de l'anglais serendipity inventé par Horace Walpole en 1754, désigne le phénomène par lequel on fait la découverte fortuite d'informations qu'on ne cherchait pas exactement. La plupart du temps, on cherchait même autre chose et puis voilà qu'au détour d'une page on tombe soudain sur un passage qui fait profondément sens pour nous. La recherche sur le web a multiplié les occasions de sérendipité, et je dois dire que nombre des notes de ce site sont redevables à de semblables trouvailles.
C'est ce qui s'est passé récemment alors que j'étais en quête d'un article ancien. Parvenu sur la page de Wikipédia consacrée à la ville de Culan, je suis tombé en arrêt devant la mention de Louis de Culan, personnage que je ne connaissais encore pas. Baron de Châteauneuf sur Cher, amiral de France, compagnon de Jeanne d'Arc et du roi Charles VII, commandant en second de l'armée du roi lors du siège d'Orléans, il fut l'un des quatre "otages de la Sainte-Ampoule“ lors du sacre à Reims. "Quatre seigneurs devaient en effet escorter la "Sainte-Ampoule" entre l'abbaye de Saint-Rémi où elle était gardée depuis le IVe siècle jusqu'à la cathédrale de Reims, lieu du sacre du roi de France. Les seigneurs devaient défendre jusqu'à la mort — d'où le nom d'otages — le saint-Chrême contenu dans une fiole de cristal (ampoule) qui avait déjà servi pour le sacre de Clovis par Saint-Rémi. Être "otage de la Sainte Ampoule" était donc un honneur considérable qui permettait le jour du sacre d'entrer à cheval dans la cathédrale pour remettre cette "ampoule" en forme de colombe à l'archevêque. Aux côtés de Louis de Culant, étaient "otages" pour le sacre du Charles VII : le maréchal Jean de Brosse, seigneur de Boussac et de Sainte-Sévère : Gilles de Laval, baron de Rais; et Jean Malet seigneur de Graville."
Alors que je venais d'écrire ma note sur les liens qui avaient perduré entre Berry et Ile-de-France, cela venait singulièrement apporter de l'eau à mon moulin. Le roi Charles VII qui s'était retiré à Bourges quand les Bourguignons avaient mis main basse sur Paris (ce qui lui avait valu l'appellation péjorative de "roi de Bourges") semble choisir, pour la cérémonie la plus importante qui soit, des seigneurs qui ont un lien très fort avec la géographie sacrée du pagus bituricus.
J'ai déjà montré la place de Culan dans la géographie sacrée celtique, articulée sur les rivières Arnon et Bouzanne. Il faut savoir aussi qu'il existait depuis le XIIe siècle un prieuré dépendant de l'abbaye de Déols au lieu-dit “Prahas” qui a servi d'église paroissiale jusqu'en 1630. À cette date, c'est une vieille connaissance, le prince de Condé, qui obtient de l'évêque que la chapelle du château devienne église paroissiale de Culan.
Voyons maintenant Jean de Brosse : Seigneur de Boussac et de Sainte-Sévère, nous l'avons déjà croisé en Gémeaux où, compagnon de Jeanne d'Arc, il est réputé l'avoir accompagné à la chapelle du Mas Saint-Jean, près de Dun-le-Palestel dans la Marche.
Observons aussi que Boussac se trouve sur le méridien de Toulx Sainte-Croix en même temps que Mehun sur Yèvre, où Charles VII fut proclamé roi et où il mourut le 22 juillet 1461, fait que j'ai mentionné dans ma note du 31 juillet 2005 sur le cheval Mallet, écrite pour rendre compte de la concentration de lieux Mallet ou Malleret autour de cet axe polaire de Toulx. Il n'est peut-être pas fortuit de voir Jean Malet, seigneur de Graville, comme troisième otage du Saint-Chrème. Ce n'est pas cependant un seigneur berrichon : ultime défenseur de la Normandie, il fut nommé Grand Maître des Arbalétriers en 1425, une charge créée soit dit en passant par Saint-Louis.
Reste Gilles de Rais, à la sinistre réputation. Pas un berrichon lui non plus. Là, je dois avouer que sa relation avec la géographie sacrée ne m'apparaît pas encore clairement, si tant est qu'il y en ait une.
En tout cas, derrière les otages de la Sainte-Ampoule, venait l'escorte de l'épée royale tenue par le Connétable de France. Mais celui-ci étant en disgrâce, c'est Charles d'Albret, lui-même fils et gendre de connétable, neveu du grand chambellan La Trémoïlle, qui reçut l'honneur de porter l'épée royale. Or Charles d'Albret, comte de Dreux, était aussi seigneur d’Orval, de Montrond (actuellement Saint-Amand-Montrond), Bois-Belle (actuellement Henrichemont) et la Chapelle d’Angillon, localités toutes berrichonnes.
Enfin venaient les douze pairs qui ne sont pas bien sûr sans faire penser aux douze signes du zodiaque : "L'imposition de la couronne par l'archevêque met en jeu la collaboration à la sacralisation royale des douze pairs - héritage de la légende de Charlemagne - qui fait participer au rite royal six évêques et six grands seigneurs laïcs par un geste d'intégration de l'aristocratie ecclésiastique et laïque." (Jacques Le Goff, Saint-Louis, p.831)
Parmi ces douze pairs, notons Raoul de Gaucourt, capitaine d' Orléans, originaire du Nord de la France, qui prendra possession à la même époque de la terre de Cluis-Dessous.
14 mars 2007 | Lien permanent | Commentaires (4)
Les enfants du marais
Les mégalithes ne sont pas le seul point commun entre les lieux Dolus. Il en existe au moins un autre, d'ordre géographique. Reprenons l'inventaire.
Mont-Dol, Dol-de-Bretagne : « On passe, écrit Jacques-Pierre Amette, devant la cathédrale de Dol, on suit une descente goudronnée parmi des maisons basses aux teintes chocolatées, on glisse sous la nationale 176 qui va de Pontorson à Dinan, la grande route à quatre voies de pénétration de la Bretagne nord ; on découvre alors un espace infini et si plat qu'il en miroite : le marais de Dol. Magique. »
Dolus d'Oléron : Le marais aux oiseaux, situé aux Grissotières, « est à la fois un parc animalier à vocation pédagogique mais aussi un centre de sauvegarde et une réserve de faune sauvage. »
Déols : « Les mentions faites de marais -paludis – indiquent assez son action déterminante sur la nature du terrain : l'Indre décrit ici « des méandres divagants s'inscrivant dans une large vallée marécageuse, à fond plat et à pente très faible »1
De vastes prairies -pratum Longum, pratum Ubarense – sont cernées par ses nombreux bras morts. Un ruisseau coule parallèlement à son lit, avec lequel il communique par plusieurs bras avant de s'y jeter ; il emprunte son nom au Montet - Monte Batolio – escarpement calcaire qui borde la vallée de l'Indre. C'est sur la rive droite de cette vallée que s'est formée une agglomération humaine -villa Dolis-, au point de rencontre de la rivière et du ruisseau. » (Patricia Duret, La sculpture romane de l'abbaye de Déols, Issoudun, 1987, p. 19.)
La proximité de marais se vérifie donc sur ces trois lieux Dolus. La signification mythique du marais ne fait aucun doute : lieu de la matière indifférenciée, il joue dans la Grèce antique, nous dit le Dictionnaire des Symboles, le même rôle que le labyrinthe. Glastonbury, en Angleterre, qui passe pour l'ancienne île d'Avalon, s'est édifiée au-dessus des marécages.
Pour résumer, le dol serait en somme un espace surplombant un marais, un affleurement naturel de roche que les hommes sur-signifient en y implantant des mégalithes, et plus tard, des autels et des églises.
Et Dolus-le-Sec, me direz-vous ? Point de marais dans le proche voisinage, certes. Mais le village n'est qu'à dix kilomètres au nord-ouest de Loches, la cité royale avec son donjon et sa collégiale Saint Ours (qui n'est pas sans nous rappeler évidemment le saint Ursin berruyer). Or, Loches se serait nommée dans l'Antiquité Castrum Locae, le « Camp des Marais ».
Point commun entre Loches et Dolus : leurs églises ont été semblablement fondées au Vème siècle par le second successeur de saint Martin à la tête de l'évêché de Tours, saint Eustoche, si l'on en croit Grégoire de Tours, dans le dixième livre de l'Histoire des Francs :
« Le cinquième fut Eustoche, homme saint et craignant Dieu, de naissance sénatoriale. On dit qu’il institua des églises dans les bourgs de Brisay, d’Iseure, de Loches et de Dol. Il bâtit aussi, dans les murs de la cité, une église dans laquelle il plaça les reliques des martyrs saints Gervais et Protais, apportées d’Italie par saint Martin, comme le raconte saint Paulin dans son épître. Il tint dix-sept ans le siège épiscopal , et fut enterré dans la basilique qu’avait élevée l’évêque Brice sur le tombeau de saint Martin. » (C'est moi qui souligne.)
C'est le même Grégoire de Tours qui fait mention pour la première fois de Déols comme Vicus Dolensis.
Ce rapprochement que j'opère entre Déols et Loches, par le biais de Dolus, se trouve enfin renforcé par la très forte parenté entre le clocher de Déols et celui de Beaulieu-lès-Loches, aux portes de Loches, comme son nom l'indique, parenté relevée dans l'étude très fouillée de Patricia Duret :
« Si l'abbatiale de Déols puise aux sources aquitaines son inspiration, sa situation en marge des pays de la Loire la tient cependant en contact avec d'autres formes. L'étonnante similitude du clocher de Déols avec le clocher de Beaulieu-lès-Loches, du milieu du XIIe siècle, en témoigne : même volume, à la fois élancé et robuste, mêmes baies géminées en plein-cintre sur les quatre faces de l'étage des cloches -baies exemptes d'arcs de décharge mais enrichies par de nombreuses voussures et colonnettes -, mêmes colonnes logées dans les angles de la tour quadrangulaire, mêmes corniches pour parachever la composition. » (op. cit. p. 64.)
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1G. Coulon, J.N Delétang, M. Garraut, R. Pécherat, J. Tournaire, Histoire de Châteauroux et de Déols, Roanne, 1981, p. 7.
13 juin 2006 | Lien permanent | Commentaires (5)
Lusignan, Luzeret et les Wisigoths
La question est depuis longtemps de savoir si Mélusine tire son nom de Lusignan, le château qu'elle a fondé, ou bien si c'est celui-ci qui lui doit son nom ? Claude Lecouteux penche pour la première hypothèse, réhabilitant ainsi la thèse souvent raillée de Léo Desaivre, selon laquelle Mélusine serait la déformation de "mère des Lusignan" : "Cette fée bienveillante qui a édifié la forteresse de Lusignan est donc, dans l'esprit des hommes de l'époque, aussi bien à l'origine de la réussite de la lignée que de son déclin. Au Moyen Age, on appelait ces fées "bonnes dames", et il n'est pas impossible, ni même invraisemblable de penser que le génie tutélaire du château fut nommé "bonne dame de Lusignan", puis par extension "mère Lusignan" comme il est fréquent dans nos campagnes. L'usure de la langue conduit alors à une contraction de cette appelation en "merlusignan", et, les liquides /r/ et /l/ ayant presque le même point d'articulation, nous aboutissons à la forme "mellusignan", avec gémination du /l/ puis à Mellusigne, forme attestée par les manuscrits." (Mélusine et le chevalier au cygne, p. 45)
Mais la question n'en est que repoussée : pourquoi la fée a-t-elle été rattachée à cette famille, à ce lieu même de Lusignan ? La ville, qui se situe à la bifurcation des chemins Poitiers-Saintes (route de Saint-Jacques) et Poitiers-Niort-La Rochelle, se place donc dans le signe du Bélier du zodiaque neuvicien. Or, dans le secteur homologue du zodiaque toulousain, on rencontre Saint-Jean-de-Luz. Doumayrou : "port extrêmement actif au XIIe siècle : l'attribut de ce nom venu d'un mot basque (lohitzun) signifiant marais, a pris tout naturellement la forme romane (lutz) du nom de la lumière, que le tourbillon du Bélier doit extraire de la tourbe ; on sait déjà, si l'on se souvient de ce qui a été dit à propos du mot troubadour, que cette lumière est la trouvaille par excellence." Ajoutons que dans le prolongement de l'axe Toulouse-Saint-Jean-de-Luz, on découvrira Saint-Jacques de Compostelle. La même forme se retrouve-t-elle à la racine du nom des Lusignan ? Ce serait cohérent avec la logique du signe et ferait en quelque sorte de Mélusine une mère-Lumière. A l'appui de cette hypothèse, on peut avancer la présence en Bélier, non loin d'Argenton, du village de Luzeret qui, au-delà de son nom (Albert Dauzat le dérive de l'ancien français lusier : porte-lumière), ne laisse pas d'être intéressant. Tout d'abord, remarquons qu'il est situé sur le méridien de Toulouse. Ensuite son église est la seule de la région à être consacrée à saint Vivien, mort en 460. Le site nominis en donne la biographie suivante : "Originaire de Saintes, il devint administrateur de la région de Saintes par décision de l'empereur Honorius, puis renonçant à cette charge, il devint prêtre et évêque. Il connut l'invasion des Visigoths d'Espagne et accompagna les prisonniers jusqu'à Toulouse pour les soutenir dans leur épreuve. Il gagna l'estime du roi Théodoric et put obtenir de lui, quelque temps plus tard, la libération des prisonniers. Il est reconnu au martyrologe romain, mais n'est fêté que dans le diocèse de La Rochelle." Il n'est pas sans intérêt de retrouver là encore les Wisigoths, que l'on a déjà vus à l'oeuvre avec saint Laurian. Toulouse et Tolède (où Jean Richer voit le centre zodiacal de la péninsule hispanique) ayant été leurs capitales successives, Doumayrou suggère qu'ils ont peut-être joué un rôle important de relais dans la chaîne traditionnelle. (Petite pause océane pour le géographe sidéral. De retour ici dans quelques jours.)15 avril 2005 | Lien permanent
Ronan et les loups
Le nemeton de Locronan se situait dans la forêt de Névet. Il est clair que le christianisme a dû renoncer à éradiquer purement et simplement le lieu et les cultes qui s'y rattachaient. Il a fallu créer la légende de Ronan pour leur donner un vernis évangélique. Sur la Toile, j'ai trouvé plusieurs variantes. L'une -celle du site de la cité- fait du saint irlandais un évêque chargé à Rome de déterminer la date de Pâques pour les années suivantes – ce qui est tout à fait absurde. Nous préférerons celle de l'abbé Maurice Dilasser, ancien recteur de Locronan : "L’histoire légendaire assure qu’après sa navigation et un passage infructueux sur les terres léonardes, il fixa son ermitage dans les bois de Névet, suivant les indications d’un ange. Là il cheminait habituellement sur le parcours des antiques déambulations. Il signalait son passage, au son de sa cloche à main, qui écartait les loups et les suppôts diaboliques, et invitait à la prière. La vie latine du saint rapporte que, malgré son témoignage de lumière une femme hostile le fit passer pour un être de ténèbres. Calomnié, accusé de lycanthropie, il s’en alla mourir près de Saint-Brieuc. Là, le corps du saint, fut déposé sur un char ; et tiré par des bœufs, marchant à l’aventure, il fit retour au lieu même de son ermitage, en rejoignant sur la fin de sa course son circuit familier. Quoi qu’il en soit, au XIe siècle, son culte rapidement répandu incita un comte de Cornouaille Alain Caignart, victorieux d’ un combat décisif par l’invocation de la croix et du nom de saint Ronan, à constituer un prieuré et son domaine, le locus Ronani, Locronan, vers où convergea un courant de pèlerinages. " On remarquera l'insistance dans la légende sur les loups (ceux qu'il écarte avec sa cloche, l'accusation de lycanthropie). A l'époque de la rédaction de l'histoire latine de Ronan, la Vita Ronani, datée du XIIIème, les clercs ont commencé à répandre la symbolique du loup comme représentant des forces obscures ou diaboliques, mais auparavant le loup avait un statut plus ambivalent. "Positif apparaît le symbolisme du loup, note le Dictionnaire des Symboles, si l'on remarque qu'il voit la nuit. Il devient alors symbole de lumière, solaire, héros guerrier, ancêtre mythique. C'est la signification chez les Nordiques et chez les Grecs où il est attribué à Belen ou à Apollon (Apollon lycien)"
Le loup et l’agneau Paris, BNF, département des Manuscrits, Français 15213, fol. 12v. Nous retrouvons donc là encore des divinités bien connues. Les mêmes auteurs signalent plus loin que le loup, comme l'illustre la fable de la louve de Rémus et Romulus, est associé à l' idée de fécondité. M. Dilasser lui-même ne peut passer sous silence l'existence de pierres de fécondité sur le parcours de la Troménie, et en particulier la Gazeg vaen , la Jument de pierre ou la Cavale Blanche, un mégalithe présenté aussi comme "la chaise de Ronan", et sur lequel, aujourd'hui encore, certaines femmes s'assoient dans l'espoir de provoquer une maternité. Il est remarquable qu' homologiquement, à Bélâbre, dans le parc de l'ancien château, un gisant de pierre du 15ème soit dit de saint Greluchon. Ce saint, dont on trouve d'autres occurences dans le Berry (Nohant-Vic, Gargilesse par exemple), est plus que suspect aux yeux de l'église. Son nom évoque en effet la guerliche, autrement dit le sexe en patois. A Gargilesse, "les femmes en mal d’enfants râpaient consciencieusement à l’endroit du sexe un peu de la pierre du gisant qu’elles buvaient pendant 9 jours dans du lait, le chiffre 9 symbolisant les 9 mois de grossesse, et le lait, la maternité. Elles allaient jusqu’à simuler l’acte sexuel dans la crypte. Les jeunes filles qui voulaient se marier piquaient avec des épingles le nez du Saint ! En 1736, le curé de Gargilesse signalait l’abus de ses paroissiennes. Ordre fut donné de murer la statuette en bois de Saint Guerluchon."05 mai 2005 | Lien permanent
L'autre Léger
Je l'ai découvert par hasard au cours de mes dernières recherches internautiques, sur le très riche site de Jacques Duguet, Etudes et documents historiques sur la région Poitou-Charentes. Dans le fatras de résultats de googlage sans intérêt, d'offres de location et de ramifications généalogiques interminables, émerge parfois une page qui ouvre soudain d'autres perspectives. C'est le cas ici. Je résume la biographie qui est donnée de ce Léger qui, bien que religieux, n'a pas été canonisé. D'origine inconnue, il apparaît comme archidiacre de Thouars le 10 février 1096, dans un acte par lequel Pierre II, l'évêque de Poitiers, rétablit la discipline ecclésiastique dans l'abbaye d'Airvault. Immédiatement, cette date nous interpelle : c'est cette année-là que le pape Urbain II avait donné à Robert d'Arbrissel mandat d'être un " semeur du verbe divin ". Nous avons vu naguère le rôle important du prédicateur breton dans l'édification de la géographie sacrée.
Revenons sur cette fonction d'archidiacre de Thouars (ville près de laquelle nous avons décelé un alignement de saint-Léger). En 1096, le diocèse de Poitiers comptait trois archidiaconés : outre Thouars, il y avait Poitiers et Brioux. Archidiacre, saint Léger l'avait été, je le rappelle, avant de rejoindre l'abbaye de Saint Maixent. De Saint-Maixent, il est d'ailleurs question le 15 janvier 1099 : Léger souscrit alors pour son évêque qui donne à l'abbaye les églises de Nanteuil, d'Augé et de Romans. La même année, il assiste au concile de Rome cette fois en qualité d'archevêque de Bourges. « Il ne rompt pas toutefois avec Poitiers et, dans les premières années de sa nouvelle charge, on le voit intervenir dans les affaires de son ancien diocèse. Avant le 23 mai 1100, il souscrit en compagnie des archidiacres Hervé, de Brioux, et Pierre Gautier, de Poitiers, et en l'absence de celui de Thouars, une confirmation des acquisitions de l'abbaye de Saint-Cyprien, faite par Pierre II à la demande de l'abbé Rainaud. En 1104 ou 1105, un plaid réunit autour du duc et de l'évêque une nombreuse assistance de dignitaires ecclésiastiques, pour terminer un conflit entre l'abbaye de Saint-Maixent et Hugues de Lusignan; c'est encore Léger qui représente le pays thouarsais; il est désigné en tête des assistants. C'est sans surprise qu'on le voit présider, en 1107, une cour convoquée par l'évêque pour trancher un litige au sujet de la possession de l'église Saint-Laon de Thouars; parmi les chanoines de Saint-Laon délégués pour défendre les intérêts de leur communauté, on remarque un certain "maître Chauchard, archidiacre de Bourges", qui a dû être appelé en Berry par l'ancien archidiacre de Thouars. »
Léger meurt le 31 mars 1120 et est inhumé « dans le diocèse qu'il a administré pendant une vingtaine d'années au prieuré d'Orsan fondé par son ami Robert d'Arbrissel. »
Ce bref portrait, certainement très lacunaire, permet néanmoins de considérer Léger comme un personnage essentiel dans le processus de construction de l'espace sacré berrichon-poitevin (ou pictavo-biturige, si l'on veut). Qu'il soit enterré à Orsan, terre fontevriste, n'est pas fortuit. Qu'il porte le nom d'un saint des plus populaires, patron de nombreuses églises et abbayes, ne l'est pas moins. C'est la puissance spirituelle du martyr qu'il investit symboliquement.
18 août 2005 | Lien permanent | Commentaires (2)
Ora et labora
Une des objections que l'on fait souvent au type de travail auquel je me consacre est la sélection, consciente ou inconsciente, des données, autrement dit on ne prendrait en considération que ce qui irait dans le sens de l'hypothèse initiale, et l'on écarterait, plus ou moins intentionnellement, tout ce qui pourrait la remettre en question. C'est en effet un danger qui guette le chercheur, à partir du moment où il a enregistré un nombre certain de corrélations troublantes : dissimuler, oublier, omettre l'anomalie, le site, le mythe, le fait historique ou matériel qui ne fait plus sens dans la configuration envisagée. Bien souvent, la remise en cause à partir de cet indice résistant permet d'élargir encore et de découvrir une nouvelle structure symbolique adventice ou plus vaste. Et quand cela n'est pas possible, pourquoi ne pas accepter son impuissance ? De la géographie sacrée, il en va comme de la mythologie, nous n'en connaîtrons jamais que des fragments - d'où le nom de ce blog – à partir desquels nous hasardons nos reconstitutions. Tentatives toujours risquées, incertaines, provisoires, qui nous éloignent de la tentation de prétendre posséder la vérité.
Confrontons par exemple nos derniers développements à une étude extérieure : en 1989, j'avais choisi celle de Brigitte Rochet-Lucas sur les fontaines du Bas-Berry consacrées à la terre.1 Quatre sont citées :
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Fontaine Sainte-Madeleine du Ponderon
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Fontaine de Notre-Dame de Vaudouan
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Fontaine de la Chaise, à Mosnay
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Fontaine Saint-Pardoux, à Saint-Chartier.
Or les deux premières, on l'a vu, sont situées en Vierge et la troisième trouve place sur ce que j'ai appelé l'axe majeur, qui est un alignement Vierge-Poissons. Seule une fontaine reste en dehors de notre hypothèse zodiacale. On pourrait la passer sous silence, se contenter d'un trois sur quatre déjà édifiant, mais n'est-il pas plus fécond de prolonger l'enquête, d'aller chercher dans le détail ce qui se rattache à cette fontaine rétive ? Observons déjà qu'une coutume identique à celle de Mosnay, abandonnée aujourd'hui, la caractérisait, c'est-à-dire que les femmes cueillaient des rameaux de buis, les trempaient dans l'eau et aspergaient l'ecclésiastique, lequel devait se laisser faire (sinon la pluie ne venait pas).
De fait, il y a une petite erreur dans la relation de B. Rochet-Lucas : la fontaine se trouve en réalité sur la commune de Lourouer Saint-Laurent, à deux kilomètres environ du bourg, vers le sud-ouest. Or, le titulaire de l'église est saint Pardoux et non saint Laurent. « Fondateur de l'église de Guéret, rappelle J.L. Desplaces, il n'est pas vénéré dans l'Indre où aucune autre paroisse ne lui est dédiée. » (op.cit. p. 69). Quelle est la raison d'une telle originalité ?
Première constatation : la fête de saint Pardoux étant fixée au 6 octobre, cela la place donc dans le signe de la Balance, où se situe précisément Lourouer Saint-Laurent. Je note ensuite que ce village est sur le même parallèle que Mosnay. Saisissons-nous alors de la figuration du signe par une balance avec son fléau et ses deux plateaux : « La flèche, lorsque les plateaux sont en équilibre (équinoxe), ou l'épée qui s'identifie à elle, c'est le symbole de l'Invariable Milieu. » (Dict. Des Symboles, art. Balance, p. 99). Si nous traçons maintenant la ligne Mosnay-Lourouer, le méridien passant par le milieu du segment désigne le village de Lourdoueix Saint-Pierre, dans la Marche. Comme Lourouer (en 1249, cité comme « Decima de oratorio »), Lourdoueix doit son nom à un oratoire.
Remarquons tout de suite que la figure qui se dessine ici, joignant les trois pôles Mosnay-Lourouer-Lourdoueix, est un quasi triangle équilatéral, symbole bien connu de divinité, d'harmonie, de proportion et d'équilibre. Triangle renversé en l'occurence, avec sa pointe en bas, il représente également l'eau et le sexe féminin (d'où, peut-être, les rites d'aspersion que nous avons vus menés par des femmes).
1Ce n'est certes pas la plus exhaustive. Mieux vaudrait maintenant prendre celle de Jean-Louis Desplaces, avec ses trois volumes du Florilège de l'eau en Berry. Je m'y emploierai un de ces jours.
19 octobre 2005 | Lien permanent
Vézelay, le Mont Scorpion
(H. Delautre, J. Gréal, Vézelay, Basilique Sainte Madeleine, Editions Franciscaines, p. 5.)
Vézelay, désignée par Colette dans un récent commentaire, s'est donc imposée à moi. J'aime ces surprises, ces ouvertures soudaines sur un ailleurs, comme un rideau dévoilant une pièce oubliée. Vézelay, je connaissais, du moins je croyais connaître, j'en avais arpenté les rues, éprouvé les pentes, je savais que la voie jacquaire passant à Neuvy en provenait, mais Vézelay était restée jusque là muette, lointaine, indifférente au périple zodiacal. Et puis d'un seul coup, elle s'y épanouit, devient nécessaire et complète une partie du puzzle cosmique.
Quelques coïncidences achevèrent d'emporter ma conviction : un être cher me signalant un livre de littérature de jeunesse se déroulant tout entier à Vézelay, et s'achevant sur une citation de Jules Roy, illustre habitant de la vieille cité :
« Le week-end dernier, juste avant de quitter Vézelay pour rejoindre sa compagnie en Espagne, Suzelle a été attirée, en marchant, par le titre d'un ouvrage exposé dans la vitrine du libraire : Vézelay ou l'amour fou, signé Jules Roy. Elle se l'est offert pour accompagner son voyage. Entre le train et l'avion, elle n'a pu s'empêcher de souligner au crayon :
« Vue du ciel, la ville représente en effet une forme courbe, un abdomen à sept anneaux, avec une queue à segments dont le dernier est armé d'un aiguillon sans doute venimeux.
De tous les signes du zodiaque qui figurent dans les voussures des tympans pour représenter l'univers et les saisons, le Scorpion caractérise Vézelay par le drame vie-mort-vie.
Vézelay n'existe plus que par l'amour, et par la mort vaincue. »
( Les roses de cendre, Erik Poulet-Reney, Syros, 2005, pp.119-120)
Vezelay, Mont Scorpion, cela je l'ignorais jusqu 'à ce jour. Or, il est facile de vérifier que, comme Bourges,Vézelay est situé dans le signe du Scorpion du zodiaque neuvicien.
C'est sur cette belle rencontre, où certains ne verront encore une fois que le triomphe du hasard, que je fête le premier anniversaire de ce blog. A cette occasion, qu'il me soit permis de saluer tous les lecteurs fidèles ou irréguliers qui me suivent sur ce chemin d'étoiles.
Mille mercis à l'Oiseau nervalien, l'Artiste LKL, ATP malheureusement en sommeil depuis juillet 2005, Gatito, Colette et Marc pour leurs liens et/ou leurs commentaires qui m'ont si souvent permis de prolonger, rectifier, préciser tel ou tel fragment de géographie sacrée...
Une pensée enfin pour mes proches dont je ne louerai jamais assez la patience et la compréhension. Mon amour les accompagne.
20 mars 2006 | Lien permanent | Commentaires (6)
En suivant la Mage
"Le devenir poussait en avant chaque saison comme un revenir vers sa plus grande force, vers sa sève fécondante. Le temps avait un but : c'était ce que la langue française appelle de façon merveilleuse le printemps. Les Romains l'appelaient ver et s'ils dirent primum tempus, ce fut pour marquer le premier temps - le temps fort selon le temps. Le premier temps est l'origine temporelle. Le printemps est la phanie elle-même." Pascal Quignard (Sur le jadis, p.32) Les jardiniers d'Argenton venaient à la chapelle de Verneuil déposer des fleurs en l'honneur de leur saint patron, suivant en cela le parallèle ombilical, cette ligne équinoxiale qui sépare l'hiver du printemps, le signe des Poissons de celui du Bélier. Mais on peut suivre aussi la voie des eaux : le ruisseau qui s'écoule de la fontaine Saint-Fiacre rejoint celui de la Mage qui se jette lui-même dans la Creuse, au coeur du vieux quartier Saint-Etienne, à Argenton. Le moine limousin Yrieix y passe lors de son voyage à Tours, daté entre 556 et 573, et décrit le lieu comme profane et consacré aux démons de la religion antique. Il faut dire que celle-ci avait une source encore proche : la ville gallo-romaine d'Argentomagus, abandonnée à la fin du IVe siècle ou au début du Ve. Persistance du paganisme que n'avait pas endigué la fondation probable d'un édifice chrétien implanté au-dessus d'un bâtiment antique et qui allait devenir l'actuelle église Saint-Etienne (une vieille histoire que cette lutte du païen et du chrétien, puisque cette même église, désaffectée, abritait voici encore peu de temps une école maternelle publique...). Selon Maurice de Laugardière (L'Eglise de Bourges avant Charlemagne, Paris-Bourges, 1951), cette implantation d'église faisait partie d'un vaste projet de l'archevêché de Bourges de construire un réseau de succursales de la cathédrale en différents lieux du diocèse. "En effet, écrit Armelle Querrien (in Argenton-sur-Creuse à la croisée de ses chemins, Editions du C-H-A, 2001), la répartition des églises Saint-Etienne, églises qui ont le même patron que la cathédrale de Bourges, quadrille le territoire du diocèse et coïncide avec les agglomérations protohistoriques et gallo-romaines et avec les grands carrefours routiers antiques. Ce réseau serait postérieur au décret de Valentinien III de 435 ordonnant de détruire les derniers temples païens et antérieur à 470 et aux persécutions des Wisigoths, adeptes de l'arianisme. L'église d'Argenton aurait donc été bâtie avant le passage de saint Yrieix. Elle a essaimé en trois lieux proches dont l'église a le même patron, Tendu, Bouesse et Velles, et peut-être plus loin, à Crozant, Eguzon et Cuzion." Il apparaît ainsi, et nous ne cesserons pas d'en découvrir de nouveaux exemples, que l'édification de la géographie sacrée se confond largement avec l'histoire de la sainteté chrétienne et de l'évangélisation des campagnes.
01 avril 2005 | Lien permanent
Les lions de pierre
Curieux monument que l'église de Toulx Sainte-Croix : trois travées de la nef se sont effondrées et le clocher-porche est maintenant séparé du choeur. On a peine à croire d'ailleurs à une telle destruction, tant on est impressionné par les contreforts massifs qui cernent l'édifice. André Guy écrit que « l 'écroulement paraît remonter au 15e ou 16e siècle, à en juger par la forme de la porte donnant accès à l'église, et d'autre part à une inscription déjà relevée par Barailon sur une grosse poutre du beffroi où l'on peut lire 1507. » Plutôt que de rebâtir à l'identique, on se sera donc accommodé de la catastrophe. Une route passe entre les deux parties du monument, dont les portes se font face. Ce qui reste de la nef centrale, ainsi que les deux nefs latérales, est voûtée en berceau, ce qui indiquerait, toujours selon André Guy, une influence de l'école romane poitevine, qui se manifesterait de façon encore plus nette dans le déambulatoire et le choeur formant la partie la plus ancienne de l 'église (fin XIème siècle) : « Parmi les six colonnes qui séparent le choeur du déambulatoire, quatre sont cylindriques et deux de plan tréflé (exemple unique dans la région d'un pilier roman-poitevin. » Cette singularité s'éclaire si l'on admet que Toulx s'est inscrit dans un système de correspondances symboliques mis en place par des seigneurs poitevins et berrichons. L'importance de ce haut-lieu, je veux en voir un autre indice dans l'histoire de saint Martial : ce fut, si l'on en croit la Vie du saint, la première cité des Lémovices qu'il aurait évangélisée (une fresque du Palais des Papes, à Avignon, représente cet épisode). Si l'on prend la peine de signaler un tel fait, c'est qu'il devait bien exister à cet endroit un culte païen assez important pour qu'il soit apparu nécessaire de le recouvrir avec un récit de conversion.
Une autre particularité de l'église de Toulx est la présence de trois lions de granit aux entrées, deux devant l'église, un devant le clocher. George Sand les met en scène dans Jeanne, son premier roman champêtre, qui se déroule dans cette région de Boussac, en leur attribuant un rôle de symbole de l'occupation anglaise : « Renversés par des paysans au temps de la Pucelle ; mutilés, devenus informes... ils gisent le nez dans la fange. » André Guy fait justice de cette signification abandonnée depuis longtemps par les historiens. « Bien antérieurs à cette occupation », ils ne sont d'ailleurs pas uniques en leur genre : « ils sont semblables à ceux de Limoges (église Saint-Michel-des-Lions), ou encore à ceux si fréquents en Creuse de Peyrat-la-Nonière, Vallière, Lupersat, Jouillat, Saint-Georges-la-Pouge, Saint-Marc-à-Loubaud... sans compter ceux détruits au cours des siècles. » Osera-t-on alors, compte tenu de cette dissémination, leur donner une valence zodiacale (en précisant que leur nombre même indiquerait les trois décans du signe) ? Ce qui est certain c'est que ces lions avaient assez de prestige pour apparaître dans les cartulaires comme lieux de justice. Les actes sont souvent conclus près des lions, ou entre les lions. En Suisse, jusqu'au XVème siècle, les lions des entrées étaient comme les assesseurs de la justice écclésiastique, le prieur venant siéger « inter leones » (Lexique des Symboles, Zodiaque).28 juillet 2005 | Lien permanent