Rechercher : saint ursin
De la Guerre mondiale
J'avais commencé l'étude de Verseau en citant Michel Serres, et sur la fin de celle-ci, voilà que je le retrouve, sans l'avoir vraiment cherché, car ce dernier livre de lui que je viens d'achever, La Guerre mondiale, qui vient de paraître aux éditions Le Pommier, vous vous doutez bien qu'il ne traite pas de la géographie sacrée. Du moins explicitement...
Je finissais ainsi ce premier article :
"Sur les rives de la rivière sacrée, la Bouzanne, petite Loire colérique, le village de Velles - où Stéphane Gendron ne voit qu'un banal dérivé de ville - est pour nous la voile (latin velum), toile qui ne tire son énergie que du vent. Que la paroisse relevât de l'abbaye de Saint-Gildas apparaît somme toute logique : le saint breton, l'ermite de l'île d'Houat, n'a-t-il pas accompli plusieurs fois un voyage sur les eaux ?"
La voile désigne par métonymie le bateau qu'elle propulse, comme dans ce passage de Mérimée : Enfin on signala la flotte de Castille, forte de quatre-vingts voiles, dont vingt galères de Séville, dix de Portugal (Mérimée, Don Pèdre Ier, 1848, p. 386). Or, que nous dit la quatrième de couverture de La Guerre mondiale ? "La Guerre mondiale ? Celle que les hommes font au Monde.
Nous prenons conscience aujourd'hui que l'adversaire dans cette guerre n'est autre que le vaisseau où nous sommes embarqués. Vainqueurs ou vaincus, nous risquons de couler ou disparaître. Quand le bateau fait eau, les matelots continuent-ils à s'entredéchirer ? Cette guerre nouvelle nous protégera-t-elle donc de celles que nous nous livrons les uns aux autres ?(...)
Cette image du vaisseau n'est pas anecdotique sous la plume de Serres puisque c'est bien sur la métaphore de l'Arche qu'il conclut lui-même son ouvrage. Arche qui sert à fuir le Déluge, que le philosophe décrit comme la crue de la violence qui menace d'anéantir depuis toujours la communauté humaine. Mais si ce Déluge reste identique à soi, la nature de l'Arche a changé depuis celle de Noé : alors que celle-ci ne contenait qu'un reste, une famille et un seul spécimen par espèce, comme au Muséum et au Jardin des Plantes, l'Arche nouvelle embarque des sommes : "sommant la somme des universels concrets, notre arche devient équipotente au Monde, au moins virtuellement. Nous voilà embarqués sur le Monde, avec le Monde, dans le Monde. Flottant sur un déluge mondial qu'elle contribue à créer, l'humanité navique à bord d'une arche mondiale qu'elle construit en temps réel, cognitivement. Cette puissance cognitive changera les consciences. Enfin chez elle à bord du Monde. l'humanité flotte sur des rapports humains souvent insensés. L'arche neuve rendra-t-elle ce vieux déluge inconsistant ? " (pp. 185-186).
Qu'est-ce que ces universels concrets dont parle Serres ? "moins H20, écrit-il page 184, que la totalité des eaux en réserve et en circulation, banquises, océans, pluie et ruissellements ; moins l'air que l'atmosphère dans son office, sa composition et sa probable évolution ; moins la glèbe que la somme et l'avenir de notre planète Terre ; moins le feu que nos stocks d'énergie et les poubellles de leur dégradation ; moins la vie que la diversité des espèces ; moins l'Homme que sa paléoanthropologie et l'addition de ses cultures et activités ; moins notre petite histoire que le Grand Récit... Soit, à l'horizon, le réel dans sa somme."
Arche de Noé (Abbaye de Saint-Savin)
Eau, air, terre, feu, c'est par les quatre éléments de l'astrologie que Michel Serres introduit sa vision de l'universel, mot où, soit dit en passant, se laisse lire ce "verser" qui nous occupe si fort ces dernières semaines. Cette totalité à la fois ordonnée et respectueuse du divers que propose la géographie sidérale (avec ses douze signes à la fois différents et non cloisonnés, ouverts, poreux et tissant entre eux mille relations) ne peut-elle s'apparenter à ces universels dits concrets ?
Ce dernier mot appelle de sa part une mise au point particulièrement précieuse : "J'aime ici dire concret, tant la racine de ce mot, admirablement expressif, dit en précision : ce qui croît ensemble ou en commun, ce qui croît par accrétion. Le tic journalier du journaliste consiste à exiger de celui qu'il interroge qu'il lui donne du concret ; par cette question, répétée jusqu'à vomir, il attend de lui un exemple particulier, partiel ou partial ; il croit faire, ainsi, la publicité de son propre réalisme ; le voilà, tout au contraire, idéaliste, au sens que je définis plus haut. Le partiel revient brusquement au passé, vieilli, obsolète, au formel abstrait, méchant et guerrier. Il induit à la bataille et pousse à l'affrontement, ce que cherchent en effet les interrogatoires du spectacle.
Non et non : le concret (cum-crescere) désigne la croissance de toutes les parties vers un tout solide, comme aggloméré. Le concret croît et s'assemble dans tous les calculs que je viens d'évoquer. A chaque coup, ils nous montrent le tout, ils tendent et vont vers le tout, plus réel que toutes les partialités du passé, qui, aujourd'hui, nous paraissent abstraites et chères, désormais, aux idéalistes du regret, aussi bien que chères à payer, en guerres et morts. Oui et oui, plus croît le compte, plus il approche du concret. Qu'en est-il donc de ce concret-là ? Identiquement, la totalité : du Monde, des hommes, de l'Univers et du Temps."
Ceci n'est pas sans rappeler le Quadriparti de Heidegger (la terre, le ciel, le divin et les mortels), mais Serres ne cite jamais Heidegger (il cite d'ailleurs peu ses contemporains, à la notable exception de René Girard, dont la théorie du bouc émissaire et du mécanisme victimaire nourrit explicitement sa propre réflexion). Il ne cite pas non plus Augustin Berque ; pourtant le géographe avait, dès 1999, dans Ecoumène, fait remarquer que concretus était le participe passé de concrescere, grandir ensemble.
Le concret, donc, rassemble, et l'une des figures symboliques de ce "rassembler" est le confluent, ce que nous avions vu apparaître dès ce premier article sur Verseau, avec la confluence des eaux de l'Indre et du Cher, analogue à la confluence des eaux du Limousin et des Pyrénées en Gironde dans l'Aquitaine/Aquarius du zodiaque toulousain. Figure du confluent qui affleure quasi naturellement dans le texte de Serres : "(...) nous venons de bâtir un échangeur à quatre immenses voies, mélangeant nouvellement leurs temporalités différemment rythmées. Le flux de l'Histoire y jette ses eaux, rapides, dans celles, lentes, de l'hominisation, et celles, plus étranges, de l'évolution et de la cosmogonie. Nous vivons, nous pensons et agissons aujourd'hui... face à l'Homme, à la Vie et au Monde, dont les trois anciennes abstractions se concrétisent ensemble dans et par ce confluent des temps."(p. 18)
Etrangement, ou faut-il plutôt dire significativement, Michel Serres est né à Agen. Or Guy-René Doumayrou écrit, page 77 de sa Géographie sidérale, "Les éléments , eaux mêlées et illuminées de l'intérieur, se fondent dans l'océan de l'universalité, car Verseau "est fait pour donner et se donner" (André Barbault, Verseau, p. 29). Avec la Guyenne, déformation phonétique du nom d'Aquitaine (Aquarius), Verseau enveloppe le pays d'Agen, anagramme évident pour l'ange verseur des eaux (...)."
Ange dont le prénom Michel porte aussi la marque (et je n'oublie pas le bel ouvrage qu'il consacra à leur Légende).
Certains hommes portent-ils, sans le savoir clairement, charge d'augure pour le monde à venir ?
11 octobre 2008 | Lien permanent | Commentaires (4)
Au milieu du chemin
Or, que l'Autonne espanche son usure,
Et que la Livre à juste poids mesure
La nuict egale avec les jours egaux,
Et que les jours ne sont ne froids ne chaux (...)
Ronsard (Epître d'Automne)
« Le plus grand nombre des navires d'Énée jetèrent l'ancre au promontoire de Iapygia et les autres en un endroit nommé d'après Minerve où il se trouva qu'Énée lui-même mit pour la première fois le pied en Italie. »
Les pélerins qui partaient de La Châtre – en somme, notre Castrum Minervae berrichon – en direction du Mont Saint-Michel ne manquaient pas, à ce qu'il paraît, de faire halte à Notre-Dame de Vaudouan, près de Briantes. Isolée en pleine campagne, une chapelle reconstruite au 19ème siècle, aussi vaste qu'une église de village, témoigne encore du prestige du lieu, qui se fonde sur la découverte le 25 mars 1013, jour de la fête de l'Annonciation, par une jeune fille de la région, d'une statue en bois de la Vierge à l'Enfant (lui-même tenant dans ses mains une colombe), flottant sur les eaux d'une source. Portée à l'église de Briantes, puis à la chapelle des Religieux de Saint-Germain de La Châtre, la statue chaque fois disparaît et est retrouvée le lendemain dans l'eau de la source. Devant cette obstination, où l'on voit très vite une intention de la Vierge de demeurer en ces lieux champêtres, on décide d'édifier une chapelle. « Peut-être la Sainte-Vierge indiquait-elle par son insistance, écrit le Docteur J.J. Meunier, auteur en 1959 d'une pieuse monographie sur Vaudouan, qu'elle voulait purifier par sa présence ce lieu qui avait du être jadis le témoin des faux-cultes druidiques et barbares. »
Le seigneur du Virolan qui possédait la terre la donne sans délai et l'on commence à creuser les fondations. Las, l'eau les envahit. On creuse un peu plus haut sur un talus voisin sans plus de succès. Dépité, le maître-maçon jette son marteau dans les airs.
« Miracle encore, poursuit le bon docteur Meunier : un tourbillon emporta le marteau jusqu'à 500 pas et il alla choir dans une clairière éloignée où on le chercha vainement jusqu'à ce que qu'une génisse blanche que personne n'avait remarquée se mit à mugir d'une manière inaccoutumée. On se rendit auprès d'elle et, à ses pieds, on retrouva l'outil. Puis la génisse disparut sans que l'on comprit par où elle était passée. »
Évidemment, on choisit de bâtir à cet endroit précis, à 800 mètres de la fontaine. On met six mois à élever l'édifice qui est béni au mois de septembre « en présence d'un extraordinaire concours de clercs et de laïques. » C'est encore aujourd'hui en septembre, le deuxième dimanche après la Nativité de Marie, qu'on célèbre la fête et que se déroule le pélerinage de Notre-Dame de Vaudouan. La fête du 22 septembre 1912 fut particulièrement remarquable puisqu'elle fut présidée par Mgr Dubois, archevêque de Bourges, venu honorer les cinquante années de pastorat de l'abbé Semelet qui avait entrepris la reconstruction de la chapelle. Plusieurs milliers de pélerins assistaient à la cérémonie, et pas moins de quarante prêtres étaient présents. C'est dire l'importance symbolique du lieu à cette époque encore. Un certain Villebanois pouvait écrire en 1679 : « ainsi je croy, sans dessein de charger, qu'il n'y a point de dévotion de Notre-Dame en France plus grande que celle de Vaudouan. »
Sans dessein de charger non plus, remarquons tout de même que, du 25 mars à la fin septembre, nous avons cheminé d'équinoxe à équinoxe, de Bélier à Balance. Sous le couvert du culte marial, se dissimulent les vieilles déterminations zodiacales.
Je suis arrivé moi aussi, en cet équinoxe d'automne, au milieu du chemin. Un peu en retard sur le calendrier, je ne suis pas encore prêt à aborder Balance. Vierge et Lion, très riches, m'ont demandé plus de temps que prévu. Pensez que j'avais cinq articles en réserve pour Vierge, d'après mon étude de 1989, et que, suite aux digressions champenoises, je commence seulement le deuxième avec Vaudouan...
C'est l'occasion aussi pour moi de remercier les lecteurs fidèles et les commentateurs inspirés qui me donnent désir et énergie de persévérer.
Merci à Marc et à LKL, good fellows, pour leurs aimables phrases.
23 septembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)
Bouesse et Baronte
Les fées ont quitté la vallée de la Creuse, mais la Brenne où ellles se sont, paraît-il, repliées ne bruisse plus guère non plus de leurs légendes. Et l'Evangile de Jean qui les a fait fuir a perdu lui aussi de sa superbe. Le texte est toujours flamboyant mais il n'iirradie plus que faiblement dans nos campagnes. Il faut bien établir ce constat alors même que notre périple s'achève.
Deux derniers jalons avant bouclage. Le premier se situe en limite de Brenne et de Boischaut, à Bouesse, que j'ai déjà évoqué lors de l'investigation sur le carré buissé.
Le château féodal reconverti en restaurant s'orne encore du blason de la famille de Gaucourt, qui est "semé d'hermines aux deux bars adossés de gueules". Bars étant poissons de mer, voilà bien qui s'inscrit parfaitement dans la thématique du signe zodiacal. Dans les prés du château, la fontaine de Bouesse, manifeste, elle, par sa légende, le désir de communion mystique souvent attribué aux Poissons : en effet, les amoureux qui viennent boire à cette fontaine, dans le même verre, sont sûrs de s'aimer toujours. Souci d'éternité : en cette ultime stase de la révolution cosmique, la nécessité jaillit soudain d'une échappée hors des cadres spatio-temporels. Affranchissement de la roue du temps, volonté de permanence illustrée prosaïquement par ces femmes qui venaient aussi tremper en cette même fontaine leur linge de couleur afin qu'il ne passe pas au soleil. Ces faits de croyance sont rapportés dans un écrit, Bouesse en Berry, château et terre, dont je possède un exemplaire photocopié dépourvu du nom de l'auteur, daté de juillet 1914, juste avant le grand embrasement où tant de jeunes paysans berrichons laissèrent leur vie. Beaucoup de cultes et de pélerinages populaires s'éteignirent doucement après ces années terribles, et il est bien possible que les légendes de la fontaine n'aient pas elles-même survécu à l'hécatombe. Je dis cela parce que ma famille du côté de mon père est originaire de Bouesse, que j'y fus baptisé et que ma grand-mère, née en 1915, et qui elle-même n'a pas connu son père, mort au combat, y vit toujours. Jamais elle ne m'a parlé de cette fontaine, dont j'appris l'existence dans l'ouvrage mentionné.
Il est vrai qu'on ne boit plus l'eau des fontaines et que les lave-linges ont démodé les lavoirs. Les légendes n'ont plus de veillées où elles puissent être racontées ; vestiges elles-mêmes, elles ne se rencontrent plus guère que dans les livres. Ce monde-ci est voué à la mort et à la destruction, dès lors il s'agit pour le Poisson mystique d'en sortir, de s'extraire du temps cyclique pour gagner le Royaume où le temps n'existe plus. Notre deuxième et dernier jalon porte la marque d'une telle tentative.
A Méobecq, sur la pointe du signe, au VIIème siècle, un noble franc devenu moine et nommé Baronte, eut une vision qui le transporta au ciel et en enfer. Le récit qu'il en fit le place, selon Pierre Riché, comme un précurseur de la Divine Comédie de Dante. Canonisé, sa fête était célébrée, selon Mgr Villepelet, le 2 mars, donc dans le temps des Poissons. Charles-Emmanuel Deuzeune l'évoque dans son livre "La Mort et ses rites pour tous": "Dans sa retraite monastique de Méobecq en Berry, il eut donc en esprit, avant 678-679, une anticipation de la vie éternelle par un voyage en enfer et en paradis. L'enfer n'est plus souterrain, comme chez les païens. Il est quelque part dans l'espace, hors de notre monde. Impossible donc que les morts reviennent tourmenter les vivants ! (...) L'angoisse de l'enfer a donc pour but d'utiliser l'attente pour transformer le présent et forcer ainsi les portes d'un avenir mystérieux. L'imagination sollicitée par l'au-delà laisse la place libre au réalisme du quotidien, à l'acceptation de l'histoire, que refusait le paganisme. N'oublions pas en effet que le cosmos païen, sans origine ni fin, est en proie à des forces perpétuellement renouvelées. Par le fouet de la crainte de la damnation, plus tard et non aujourd'hui, le visionnaire élargissait l'imagination de chacun hors du cauchemar sans cesse recommencé, printemps, été, automne, hiver, naissance, croissance, récolte ou razzia, mort, et, du coup, brisait le mythe païen du retour éternel par la vision d'un temps linéaire irréversible."(1)
L'enfer dans l' Hortus Deliciarum de Herrade de Landsberg (autour de 1180).
Dans la vision, saint Pierre dit à Baronte : " Quand tu seras rentré, déclare à tous l'argent que tu as gardé sans permission en entrant au monastère et que tu as tenu caché. Ensuite, empresse-toi de donner douze sous aux pauvres et aux pélerins, un par mois, des sous bien pesés par la main d'un prêtre. Ne pèche plus et veille à ne rien posséder quand l'année sera finie." Reconduit à la première porte du Paradis, Baronte retrouve des pélerins qui se rendent à Poitiers, au tombeau de saint Hilaire. Ceux-là sont au début du circuit qui les mènera, si tout se passe bien, jusqu'au lieu suprême de l'ascension spirituelle.
Baronte choisira après sa vision de se retirer en Toscane, et il finira sa vie dans un monastère près de Pistoia, en compagnie d'un autre moine qui sera lui aussi canonisé : Desiderius. Ce nom ne saurait nous laisser indifférents, car il renvoie à un passage fondamental de la Géographie Sidérale de Guy-René Doumayrou :
"Elle [la projection zodiacale] résume la structure du monde et celle de tout être achevé, en même temps que la voie des révolutions sidérales qui lui donnent vie, modèle de la genèse que cherche à reproduire le philosophe dans son microcosme. Elle demeure une ossature interne et tout naturellement occulte, ou bien ses évidences sont si criantes qu'elles passent inaperçues ; mais la même ossature existe, affleurant plus ou moins à la conscience, en chaque individu et les coïncidences de l'une à l'autre contribuent, selon la vigueur de son désir (du latin sidus, étoile, qui a donné desiderium, regret, désir), à l'éveiller et à le guider dans la traversée des sept niveaux de la réalité. C'est alors lui qui courra l'aventure du soleil, de solstice en équinoxe et d'équinoxe en solstice : la roue zodiacale est la même chose que le chemin d'étoiles, la voie lactée, chemin de Saint-Jacques, route des Argonautes."(2)
_____________________________
(1 )Charles -Emmanuel Deuzeune, La Mort et ses rites pour tous, Le plein des sens 2003, pp. 88-89. En fait ce passage est un plagiat éhonté du grand livre de Philippe Ariès, Paul Veyne, Georges Duby et Arthur Gloldhammer, Histoire de la vie privée. C'est en recherchant sur le net des informations pour Baronte afin de compléter mon texte de 1989 que je suis d'abord tombé sur le passage de Deuzeune grâce à Google Books. Puis, j'ai découvert la version anglaise du livre édité par Paul Veyne (la française n'est pas en ligne). Il n'est pas besoin d'être un expert dans la langue de Shakespeare pour constater la forfaiture. J'aurais pu passer ce détail sous silence, mais je trouve intéressant de montrer qu'il n'y a pas que sur le net que sévit le copier-coller.
(2) op. cit. p. 55
Avec ce dernier billet s'achève donc notre pérégrination zodiacale. Conclusion provisoire, on s'en doute. Il me reste à reprendre l'ensemble de ces textes, afin d'en établir une version que je destinerai à une édition papier. Une réflexion plus générale reste à entamer, un index des noms, lieux et oeuvres cités à élaborer. Le blog ne cesse pas pour autant toute activité, il entre simplement dans une nouvelle phase. La recherche continue, de nouvelles découvertes sont toujours possibles, un regard peut-être plus affirmé sera porté sur les études susceptibles de nous éclairer sur le chemin encore long qui nous est dévolu.
Merci à tous ceux qui m'ont suivi et accompagné pendant plus de quatre ans, qui ont stimulé ma réflexion et donné l'énergie de poursuivre jusqu'au bout. J'ai une pensée toute particulière pour vous, Marc, Jean-Marc et Ornithorynque, dont la bienveillante attention m'a souvent touché au coeur.
21 juin 2009 | Lien permanent | Commentaires (3)
Denis Gaulois (18) : D'argent et de gueules
"Telle est la légende de Denis Gaulois, conclut le docteur Fauconneau-Dufresne, qui se trouve en tête de la pièce intitulée : .Petite chronique et généalogie des seigneurs qui ont possédé les terres de Déols et Châteauroux, depuis l'an 218 jusqu'en 900, et depuis l'an 900 jusqu'à l'an 1620, et les dons qu'ils ont fait"
Avant de conclure à mon tour cette petite étude de la légende, je voudrais revenir sur un point d'héraldique abordé récemment.
J'ai dit qu'Argenton possédait au centre de ses armes celles de Déols. Pour être plus précis, il s'agit d'un demi écusson fascé d'argent et de gueules.
Ces deux couleurs apparaissent également dans le blason des Chauvigny, qui succèdent aux princes de Déols à partir de 1187. D'ailleurs ce sont leurs armes qui figurent aussi en haut à gauche du blason d'Argenton (d'argent à cinq fusées et deux demies de gueules accolées et rangées en fasce, accompagnées en chef d'un lambel de six pendants du même).
Par sérendipité, j'ai découvert ensuite qu'argent et gueules étaient également les couleurs de Dol-de-Bretagne, dont j'ai déjà mis en relief la parenté étymologique, géophysique et mythologique avec Déols.
Pour être tout à fait précis, le blason actuel de la ville est très différent, mais le site Geobreizh confirme bien que "Le premier blason de l'archevêché de Dol datant de 1173 était de gueule fuselé d'hermine (rouge avec des losanges d'hermine). Le second était écartelé d'argent et de gueules."
Pourquoi maintenant ces deux couleurs : d'argent et de gueules ? Selon le tableau de correspondances des couleurs héraldiques établi par Gérard de Sorval (Le langage secret du blason, Bibliothèque de l'Hermétisme, Albin Michel, 1981, p.108-109), Argent peut être rattaché à la Lune et à Artémis, tandis que Gueules est logiquement dévolu à Mars. Or, nous avons encore en mémoire les épisodes mythologiques du sarcophage de saint Ludre, où Artémis se taillait la part belle. Marc Lebeau avait justement fait observer que la relation Bélier-Capricorne visible sur le terrain avec Argenton-Leucade se reflétait dans la légende où Méléagre, le tueur du sanglier de Calydon, était selon certaines sources considéré comme le fils d'Arès.
Ici se clôt notre périple capricornien. Je laisse à chacun le temps de la réflexion, le temps d'une pause océane ainsi que nous en avons pris l'heureuse habitude. Les commentaires seront aussi momentanément fermés. Au retour, nous arpenterons enfin les terres encore indéfrichés de Verseau (le seul signe qui n'a pas encore sa catégorie). Merci à vous tous, lecteurs de plus en plus nombreux, qui me donnez désir et courage de continuer ce voyage en symbolisme.
22 avril 2007 | Lien permanent | Commentaires (2)
Denis Gaulois (15) : lui faisant caresses comme s'ils avoient su parler
Retour, comme annoncé, à la légende de Denis Gaulois (résumé des épisodes précédents : Denis revient de Bourges avec Léocade et sa suite ) :
"En approchant du canton de Déols, les autres animaux qui étoient restés au luant du seigneur Gaulois le sentirent arriver ; ils furent au devant de lui ; lui faisant caresses comme s'ils avoient su parler. Léocade et ses gens ne laissèrent pas d'avoir peur : mais le bonhomme leur ayant parlé, les fit tous connoître.
Léocade et sa femme étant donc arrivés au luant du seigneur Gaulois, demeurèrent quelque temps dans ce luant. Leurs gens étaient logés dans le canton de Dieux. Tous les jours Denis Gaulois menoit Léocade, Ludre et ses gens chasser les bêtes féroces et en tuèrent beaucoup. Avant que de partir, ils furent dans la chapelle entendre la prière que faisoient les moines ; ensuite ils montèrent sur chacun de ces animaux, à la faveur des quels ils en tuèrent beaucoup d'autres, surtout dans le canton de Roux."
On retrouve dans ce passage cette indétermination que j'ai déjà signalé sur l'identité des animaux compagnons de Denis Gaulois. Leur apparence doit être assez redoutable puisqu'ils effraient des chasseurs aussi aguerris que Léocade et sa troupe. Sensitifs et affectueux, ils entourent Denis de retour en son luant et comprennent ses paroles quand celui-ci les "fit tous connoître". Ils servent ensuite de montures pour la chasse aux bêtes féroces, elles aussi non désignées formellement. Ce flou dans les désignations renforce le sentiment d'étrangeté de cette histoire. Denis Gaulois apparaît encore plus qu'ailleurs comme un maître de la faune, un Homme Sauvage gouvernant les puissances animales. Cet aspect païen est contrebalancé par la référence à la prière, aux moines, à la chapelle, mais ceci est comme plaqué artificiellement sur l'intrique et ne contribue en rien au dénouement.
El salvaje y el civilizado - Sculpture gothique présentant l'homme sauvage (homo sylvestris) au côté de l'homme civilisé à Valence.
Photo : Chosovi
Notons aussi le décalage dans les noms des cantons : Dieux renvoie certainement au Bourg-Dieu, autre nom ancien de Déols, et Roux à Châteauroux, mais pourquoi ces inventions lexicales, alors que les noms de Bourges et de Déols sont par ailleurs mentionnés ?
"Il arriva un jour que Ludre se trouva malade ; il pria Léocade de le changer de canton, parce que les chaleurs des bois le feroient mourir. Léocade n'ayant que ce fils, pria instamment le seigneur Gaulois de lui donner un autre canton : à quoi reprit le bonhomme : - Cherchez, vous êtes maître ; si vous n'avez pas de trésor, prenez dans mon luant ce qu'il vous faut ; mais ne vous écartez pas de moi bien loin.
Alors Léocade fit bâtir un châtel entre Dieux et Déols, sur une petite montagne, où il n'y avait qu'une prairie à passer entre son châtel et celui du seigneur Gaulois."
L'on voit à travers ce passage que Denis reste maître sur ces terres : Ludre malade prie son père qui en appelle lui-même à Denis. On retrouve également le thème de la chaleur dans les bois, celle-là même qui en faisait sortir les bêtes féroces et ravager les cantons. Curieuse chaleur en vérité, puisqu'à rebours de l'expérience ordinaire de tout un chacun, où l'on va chercher la fraîcheur dans ces mêmes bois.
La description de l'emplacement du châtel de Léocade fait penser au château Raoul, édifié sur le coteau de la rive gauche de l'Indre, séparé de Déols par la seule prairie Saint-Gildas.
16 avril 2007 | Lien permanent
Astres et cadastres
Dans ma dernière note, en recherchant des tables pour les azimuts du lever de soleil à une date quelconque de l'année, de par la grâce de la sérendipité, je suis tombé sur plusieurs études sur la centuriation romaine. La centuriation est définie dans la notice que lui consacre Wikipédia comme " le schéma géométrique du plan d'une ville et du territoire agricole environnant, utilisé dans le monde romain, qui était tracé à l’aide des instruments d’arpenteurs, dans chaque nouvelle colonie."
J'ai découvert ainsi un article paru en 2002 dans la revue Histoire et Mesure, aux éditions de l'EHESS, intitulé Approche géométrique des centuriations romaines. Les nouvelles bornes du Bled Segui, rédigé par un collectif d'auteurs (Lionel R. Decramer, Rachid Elhaj, Richard Hilton et Alain Plas). Des mêmes auteurs, on pourra lire également La grande carte de l'Afrique romaine. Genèse d'une découverte. Si je résume grossièrement, il semblerait que les géomètres romains aient établi une carte (forma) de cette vaste région de l'Empire en traçant des cadastres orientés astronomiquement. La colline de Byrsa, près de Carthage, aurait servi d'observatoire initial, de point de départ pour le calcul de tous les azimuts. Certaines bornes dites gromatiques (du nom de l'instrument dit groma servant à déterminer les axes de la centuriation), retrouvées dans le paysage nord-africain, ont contribué de par leur position à reconstituer le système.
(Utilisation de la groma)
Image tirée du site aqueducs-romains.fr
Ceci m'a entraîné à découvrir tout un nouveau domaine de recherche appelé archéogéographie, qui cherche actuellement à s'imposer dans le paysage de la recherche universitaire. Un site, dirigé par Gérard Chouquer, directeur de recherche au CNRS, se veut le miroir des travaux publiés sous cette égide. Tout ceci est bien sûr passionnant, mais il me faudra du temps encore une fois pour parcourir les données rassemblées par ces nombreuses études très fouillées et souvent ardues techniquement.
Des questions se posent immédiatement : quel rapport entre cette nouvelle discipline et la géographie sacrée ? Le triangle de Saint-Just a-t-il quelque chose à voir avec une centuriation romaine ? Le cadastrage antique, s'il est avéré, se place-t-il en opposition, en complémentarité ou en superposition avec la trame géosymbolique que nous arpentons depuis quelques années ? Je me doute bien que les archéogéographes universitaires ne verraient que pures conjectures et divagations fantaisistes dans mes propres relevés, mais il m'intéresse de mon côté, discrètement, de les confronter à leurs propres hypothèses. Il est déjà intéressant de voir démontrée la capacité des géomètres antiques de baliser l'espace sur des centaines de kilomètres, comme cela semble être le cas en Afrique au moins.
Ceci dit, a-t-on relevé des centuriations en Berry ? Des études existent-elles sur le sujet ? Je m'en suis inquiété et j'ai trouvé une thèse portant sur un espace rural en Berry, un micro-secteur dans la région de Sancergues, dans le Cher. Je l'ai parcouru rapidement sans y trouver d'éléments essentiels pour mon propos. Mais il se peut très bien que je sois passé à côté d'une étude valable, et le net n'abrite pas forcément toutes les ressources sur le sujet.
29 mars 2010 | Lien permanent | Commentaires (3)
Le Moment Fraternité
C'est rarement dans les brochures ésotériques que je trouve matière à réflexion sur le sacré. Et ma dernière lecture ne déroge pas à cette règle : Le Moment Fraternité de Régis Debray, paru chez Gallimard cette année, a renforcé ma conviction qu'à l'avenir le sacré pourrait à nouveau avoir un rôle à jouer dans nos sociétés. Pas le sacré sucré des programmes de développement personnel, pas le sacré à sensation des mystères mille fois recyclés du paranormal frelaté, mais le sacré qui rassemble, qui relie, qui tisse la communauté humaine. Sacré qui permet l'avènement d'un nous. C'est de cela dont Régis Debray nous entretient avec lucidité, sans occulter les risques de l'opération (car l'on n'ignore pas non plus les liens du sacré et de la violence). Sacré qui ouvre sur la fraternité.
"Notre machine à faire de l'indivis est tombé en panne", nous dit-il, page 339 : "Tout est lutte de chiffonniers, défense du bout de trottoir, couverture tirée à soi, à hue et à dia." Il en appelle au final à trois efforts, qu'il définit comme "légères pénitences" : "(...) un effort d'humilité, pour réapprendre les mondes ; un effort de patience, pour réapprendre le temps ; et un effort d'abnégation, pour réapprendre rites et frontières, quii ont partie liée."
Cela m'a reconduit vers la méditation sur ce territoire berrichon que j'ai arpenté sur ce blog pendant quatre ans. Qu'est-ce donc qui a donné corps à cette entité provinciale, dérivée de la civitas gauloise des Bituriges ? En tout cas, ce n'était pas la géographie : aucune délimitation physique ne donne sa singularité à cette terre, plusieurs milieux naturels s'y côtoient. Quoi de commun entre le pauvre plateau de la Brenne, les vallonnements bocagers du Boischaut et l'austère plaine de Champagne ? Pas de bassin fluvial dominant, pas de frontière naturelle évidente, non, de tous côtés ouvertures paysagères et pourtant, d'un autre côté, clôtures d'une grande permanence, qui passent les siècles et les dynasties royales. Une identité qui se maintient depuis plus de deux mille ans. D'où venue ?
Bituriges, on l'a déjà dit, sont étymologiquement rois-du-monde. Au centre de la Gaule, il faut imaginer la toile d'aragne d'une constellation de sites sacrés, certainement sous-tendue d'un écheveau de mythes dont les fragments perdurent dans l'hagiographie, dans ces histoires troubles de saints extravagants que nous avons maintes fois rencontrées.
Ce sacré, si tant est qu'on veuille bien admettre son existence, peut-il maintenant avoir d'autre statut que celui de vestige, à l'instar d'une poterie ou d'une épée trouvée dans un tombeau ? Ne subsistera-t-il que comme curiosité, détail de la longue histoire des hommes, ou bien peut-il nourrir et irriguer à nouveau une communauté ? Entendons bien que je ne prône nullement un revival du type druidique, tel qu'il peut exister en Bretagne par exemple (ces rémanences folkloriques ne me semblent pas porteuses d'avenir). Autrement dit, si une nouvelle sacralité devait surgir, quelles formes empruntera-t-elle ? Nous sommes à cette heure bien incapables de le dire.
11 juillet 2009 | Lien permanent
La chevelure du mérovingien
Il me faut faire une petite digression dans l'étude de la Brenne que j'ai entreprise, histoire d'enrichir ma catégorie du Facteur de coïncidences. En effet, comme me l'annonçait Marc Lebeau dans un commentaire récent, j'ai bien reçu l'image du Dernier mérovingien, tableau d'Evariste Vital Luminais visible au Musée des Beaux-Arts de Carcassonne, ainsi que la notice correspondante. Je les ai plus tard retrouvés sur le portail de Rennes-le-Château, mais ceci n'est pas fortuit...
« La scène représente l'ordination contre son gré de Childéric III, dernier mérovingien déposé en 751 par Pépin le Bref. Les liens qui le retiennent à son siège, les moines qui l'encadrent et le maintiennent, attestent de la violence qui lui est faite. Son manteau rouge et sa couronne sont jetés à ses pieds. Sans doute Luminais s'inspira-t-il de l'historien Augustin Thierry (1795-1856) qui indique : « Un prince mérovingien pouvait subir de 2 façons la déchéance symbolisée par la coupe des cheveux : ou ses cheveux étaient coupés à la manière des Francs, c'est-à-dire à hauteur du col, ou bien on le tondait très court, à la mode romaine et ce genre de dégradation, plus humiliante que l'autre, était ordinairement accompagnée de la tonsure ecclésiastique ». C'est bien cette « infamie » que nous décrit ici le peintre, soulignée par la puissance physique du guerrier maintenant enchaîné et confronté aux faciès hagards, pleutres et satisfaits des hommes d'église. »
Or il se trouve que je suis en train de lire l'essai d'Anne Lombard-Jourdan, Fleur de lis et oriflamme, Signes célestes du royaume de France (Presses du CNRS, 1991). Ouvrage, je le précise, sans rapport direct avec l'actuel objet de mon étude. Or, le chapitre que je lisais au moment du message commençait justement par l'évocation de la chevelure des rois mérovingiens. Comme en témoigne ce passage :
"Grégoire de Tours raconte comment les Francs, arrivés en Thuringe, "créèrent pour les commander des rois chevelus (reges crinitos) pris dans la première et, pour ainsi dire, la plus noble de leurs familles." Il ne décrit pas leur coiffure, mais revient à plusieurs reprises dans son Histoire des Francs sur cette chevelure des enfants mâles de la race mérovingienne, que les ciseaux ne devaient jamais toucher et qui s'étalait en mèches et en boucles (flagelli crinium). Elle établissait leur droit à régner et ils perdaient ce droit du fait seul d'avoir été tondus." (p. 53)
Marc me signale également que l'ancêtre éponyme des Mérovingiens, Mérovée, serait "né mi-partie d'un monstre marin, ce qui nous ramène, écrit-il, à la Mer Rouge, mais aussi au secteur Poissons dans lequel vous localisez ces sites... "
Régine Le Jan, dans un article savant et passionnant sur la sacralité de la royauté mérovingienne (qui commence d'ailleurs par l'évocation de la tonsure de Childéric), précise que "d’après la légende, Mérovée serait né du contact de sa mère avec un monstre marin à tête de taureau, et une tête de taureau est représentée sur le bouclier trouvé dans la tombe de Childéric."
Les Mérovingiens sont par ailleurs bien à l'honneur en Brenne, puisque la tradition attribue à Dagobert la fondation des deux abbayes de Méobecq et de Saint-Cyran. Mais là-dessus je m'aperçois qu'il va me falloir revenir plus en détail.
25 février 2009 | Lien permanent | Commentaires (1)
Les Gémeaux
Les Gémeaux enfin. A la Saint-Jean passée. Alors que nous vivons déjà sous le régime de Cancer. J'accuse donc un signe de retard... Mais je ne perds pas tout à fait espoir de reprendre une marche synchrone, Gémeaux et Cancer présentant a priori une matière moins riche que Bélier et Taureau, les indices y étant moins nombreux (je dis ça, mais en réalité je serais déçu si quelque nouvelle piste ne venait pas s'imposer, comme cela s'est régulièrement déroulé jusqu'ici). Gémeaux donc, un signe traditionnellement représenté par deux colonnes unies à leur faîte par le toit et à leur base par le sol du temple à l'entrée duquel elles se dressent. Deux colonnes que l'on retrouve en franc-maçonnerie sous les noms de Boaz et Jachin : elles symbolisent les deux polarités (masculine et féminine, positive et négative, diurne et nocturne...) qui sans relâche s'affrontent dans l'univers. Le signe se rattache par ailleurs au mythe des Dioscures, Castor et Pollux, fils de Léda. Deux frères qui n'ont pas le même père, seul Pollux est fils de Zeus (lequel s'était transformé en cygne pour parvenir à ses fins), Castor étant fils du mortel Tyndare, mari de Léda. Enlevés par Hermès dès le berceau, Castor et Pollux demeurèrent inséparables et participèrent ensemble à toutes les grandes expéditions légendaires, accompagnant par exemple les Argonautes dans leur périple ou chassant le sanglier de Calydon. Dans le domaine amoureux, ils connurent cependant moins de réussite : amoureux de Phoibê et d'Hilaera, filles du roi Leucippos, ils n'hésitèrent pas à les enlever. Ce qui ne fut pas du goût des fiancés légitimes, Idas et Lyncée, par ailleurs leurs propres cousins... Rattrapé, Castor périt dans le combat qui suivit, tandis que Pollux, immortel par la grâce de son ascendance divine, fut seulement blessé. Profondément affligé par la mort de son frère, il supplia Zeus de le rendre immortel. Cette prière ne pouvant être entièrement exaucée, l'immortalité fut partagée entre eux, un jour sur deux. Cette fraternité essentielle se trouve exprimée dans notre secteur par le confluent de la Petite et de la Grande Creuse, à Fresselines. Ces deux rivières ne portent pas par hasard le même nom. Après le confluent, on parle de la Creuse tout simplement dont nous avons vu le rôle qu'elle joue à quelques kilomètres de là, à Crozant (autre confluent, avec la Sédelle).
Le site est remarquable, où l'on n'accède qu'après une marche à pied : les deux Creuse, qui ont longtemps roulé leurs eaux presque parallèles, s'y épousent comme les deux segments égaux d'un triangle isocèle, dans un paysage de roches et de vallées encaissées. La beauté des lieux, la lumière qui en émane ont inspiré Claude Monet, qui en fit le sujet d'une vingtaine de toiles en 1889, à l'occasion d'une visite au poète Maurice Rollinat. Creuse, soleil couchant25 juin 2005 | Lien permanent
Io et Isis
« Tout avait commencé par certains rêves étranges, lorsque Io était prêtresse de l'Héraïon près d'Argos, le plus ancien des sanctuaires, le lieu qui donnait la mesure du temps : pendant longtemps, les Grecs ont compté les années en se référant à la succession des prêtresses dans l'Héraïon. Les rêves sussurraient l'amour ardent que Zeus ressentait pour elle et lui conseillaient d'aller vers les prairies de Lerne, où paissaient les boeufs et les moutons de son père. Désormais, les rêves la voulaient ainsi : non plus prêtresse consacrée à la déesse, mais bête consacrée au dieu (...). C'est ce qu'elle devint. » (Roberto Calasso, Les Noces de Cadmos et Harmonie, p. 16)
Cette Io, fille du roi grec Inachos, était identifiée selon une tradition classique à Isis, comme en témoigne la note suivante de Jean Miélot, secrétaire de Philippe le Bon, lors d' un commentaire de l'Epitre d'Othéa de Christine de Pisan : Yo, fut autrement appellee Ysis, dont Paris ou Parisisus est ditte, de para, c'est a dire empres, et de Ysis, ainsi : Paris est une cite situee empres Ysis, c'est a dire empres Saint Germain des prez ou son idole fu jadiz aouree et encore y perd aujourdhuy. ( Baltrusaitis, La Quête d'Isis, p.59) Calasso décline les diverses variantes de l'enlèvement d'Europe, dont celle-ci : « Comment tout cela avait-il commencé ? Si l'on veut de l'histoire, c'est une histoire de discorde. Et la discorde naît de l'enlèvement d'une jeune fille, ou du sacrifice d'une jeune fille. L'un ne cesse de se transformer en l'autre. Ce furent les « loups marchands » débarqués de Phénicie qui enlevèrent à Argos la tauropárthenos, la « vierge dédiée au taureau », appelée Io. Comme un message transmis de montagne en montagne, cela alluma le feu de la haine entre les deux continents. Depuis lors, Europe et Asie se battent, et à chaque coup de l'une suit un coup de l'autre. Ainsi les Crétois, « sangliers de l'Ida », enlevèrent à Asie la jeune fille Europe. Ils revinrent dans leur patrie sur un bateau en forme de taureau et ils offrirent Europe en épouse à leur roi Astérios. Ce même nom céleste aurait été aussi un des noms d'un petit-fils d'Europe : ce jeune homme à tête de taureau qui vivait au centre du labyrinthe, dans l'attente de ses victimes. Mais, plus souvent, on l'appela le Minotaure. » (Les Noces de Cadmos et Harmonie, p. 17) Plusieurs illustrations anciennes représentent l'enlèvement d'Europe par Zeus sur un bateau décoré d'une image de taureau. Baltrusaitis signale ainsi une miniature en tête d'un chapitre de Boccace (1313-1373) figurant la « tres ancienne ysis deesse et royne des egyptiens » dans un bateau semblable à celui du blason parisien. Dans une autre miniature, le navire arbore un pavillon avec une vache.15 juin 2005 | Lien permanent