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Rechercher : saint Denis

De Dolus en Pierre Folle

Je m'aperçois que je vais trop vite en besogne. Avant d'en venir à Déols, attardons-nous un moment sur les deux autres Dolus que nous livrent les moteurs de recherche. Le site de la Société de Mythologie Française nous apprend par exemple qu' aux « deux extrémités de l'île d'Oléron, à Saint-Denis et à Dolus, les restes de deux anciens dolmens constituent les Palets de Gargantua. »

Quant à Dolus-le-Sec, minuscule commune près de Loches, j'en ai retrouvé la trace sur un site traitant des légendes de Touraine. Trois fées auraient bâti en une nuit le grand dolmen de Saint-Antoine-du-Rocher, où elles auraient élu domicile ainsi que « dans les trois cimetières des fées ou pucelles de Neully-le-Brignon, Marcé-sur-Esves et Saint Epain, sans compter la Chambre aux dames de Semblançay, la Pierre Folle de Bueil et la Fontaine de la Pierre Couverte de Dolus. » (C'est moi qui souligne.)

Cette récurrence de mégalithes liée à un légendaire populaire (de type fée ou Gargantua), rencontrée sur chacun des Dolus, me laisse à penser que Déols ne doit pas faire exception à la règle, et qu'à l'origine de la dévotion et du pélerinage en ces lieux doit se trouver une ou plusieurs pierres sacrées. Or, je l'ai dit, rien de tel officiellement à Déols.

Sauf que l'étude de la toponymie proche de Déols nous apporte quelques indices pour le moins troublants. A la sortie du centre-ville actuel, le quartier des Maussants porte trace d'une antique occupation : un temple gallo-romain y a été fouillé en 1990, et le nom même de Maussants dérive, selon S. Gendron, du bas-latin muro-cinctus « ceint de murs », et désignait donc une localité ou un domaine fortifié. On retrouve d'ailleurs le terme à Saint-Marcel, où sur le plateau dit des Mersans sont localisées les fouilles de l'antique Argentomagus, ainsi qu'à Levroux (ça faisait longtemps...), avec le hameau de Maussant où se trouve l'emplacement de l'oppidum des Tours, occupé à partir du 1er siècle av. J.C.

 

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Or, près des Maussants de Déols, que lit-t-on sur la carte IGN ? De l'autre côté du rond-point de la D135, le hameau des Grandes Pierres Folles nous laisse rêver à une hypothétique allée couverte... Sur la même page 197 de son livre sur Les Noms de Lieux de l'Indre, S. Gendron signale encore la Pierre Folle, « à Déols, près des Etollières, Cloux de Pierre Folle 1539 (...) ». Ce lieu-dit est situé sur une étroite éminence entre deux petits affluents de l'Indre.

Tout ceci est pure conjecture, je l'avoue, rien ne subsistant de ces dolmens ou menhirs dont seule la toponymie nous conserve peut-être le souvenir. Mais je tiens tout de même à préciser que c'est seulement après avoir formulé cette hypothèse mégalithique, à partir de l'examen des autres lieux dolus, que je me suis reporté à la carte IGN et ai constaté la présence de ces Pierres Folles - dont on a vu qu'un autre exemple, en Touraine, à Bueil, entrait dans la mythologie populaire.



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08 juin 2006 | Lien permanent | Commentaires (2)

Le jongleur de Dieu

Au Moyen Age, le jongleur est le plus souvent considéré comme un suppôt de Satan, un serviteur du Malin. L'enfer lui est promis, la terre chrétienne refusée. Cet amuseur héritier des bardes celtiques, qui va d'un château l'autre, jongleur « de bouche » ou acrobate, est l'exemple même, selon Jacques Le Goff, du héros ambigu. « Je suis surtout frappé, écrit-il dans son beau livre Héros et Merveilles du Moyen Age1 ( Seuil, 2005) par ses liens étroits avec la nouvelle société féodale qui se met en place du Xe au XIIe siècle. » En effet, à la même époque où Honorius Augustodunensis et Abélard enfoncent le clou sur la nature démoniaque du jongleur, Bernard de Clairvaux entreprend sa première réhabilitation. « Pour saint Bernard, précise J. Le Goff, les jongleurs offrent aux hommes un exemple d'humilité. Et, devenus humbles, les hommes ressemblent « aux jongleurs et aux acrobates qui, la tête en bas et les pieds en l'air, font le contraire de ce qui est l'usage des hommes, marchent sur les mains et attirent ainsi sur eux le regard de tous. Ce n'est pas un jeu puéril, ce n'est pas un jeu de théâtre qui provoque le désir par des ondulations féminines honteuses et qui représentent des actes ignobles, mais c'est un jeu agréable, décent, sérieux, remarquable, dont la vue peut réjouir les spectateurs célestes. » N'est-il pas réjouissant de voir le cistercien austère vanter les mérites du saltimbanque ? Saint Bernard alla même jusqu'à se dire jongleur de Dieu par humilité.

Amusons-nous à notre tour à jongler avec les mots. Le nom du jongleur vient du latin jocus, jeu. Or, le village de Saint-Denis de Jouhet était dénommé De Joco en 1200. Rappelons qu'il est placé sur le méridien de l'abbaye cistercienne de Notre-Dame de Varennes. Sur la même verticale, étaient donc réunies les deux figures mises en avant par saint Bernard, le jongleur et surtout la Vierge Marie. Voici ce qu'on peut lire par exemple, au sujet de cette dernière , sur un site consacré au pélerinage de Chartres :

« Le XIIe siècle marque, avec Saint Bernard, l'ouverture d'un culte de la Vierge considérée comme porteuse en soi de valeurs spirituelles originales. Bernard de Clairvaux voit en elle la médiatrice par excellence, celle qui ne cesse de plaider auprès de son fils la cause du genre humain dans son ensemble. Entre le naturel et le surnaturel, elle est l'intermédiaire voulu par Dieu, plus qu'une autre capable de comprendre la fragilité de l'homme. Selon l'idée maîtresse suivant laquelle il n'est pas de faute inexpiable, l'intercession de Marie, c'est l'ultime recours du pécheur. " Le Fils exaucera sa Mère, écrit Saint Bernard, et le Père exaucera son Fils ".
Dès le milieu du XIIe siècle, l'enthousiasme marial de Saint Bernard porte ses fruits à travers tout l'occident. C'est à Notre-Dame que l'on dédie les grandes cathédrales gothiques. Cette émergence de la Vierge comme personnage central de l'humanité chrétienne porte très haut les sanctuaires dont elle était déjà la référence spirituelle. Un tel mouvement met Chartres hors de pair : parce qu'elle est le sanctuaire de la Vierge, la cathédrale s'inscrit au sommet des lieux où rayonne la grâce. A l'époque des grandes croisades, Chartres prend donc rang parmi les tout premiers pèlerinages du monde occidental. »

Nous allons voir maintenant, après nos excursions champenoises et bourguignonnes,  comment le secteur Vierge du zodiaque de Neuvy Saint-Sépulchre porte haut les valeurs mariales.

 

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1L'iconographie de cet ouvrage est remarquable. J'ai été heureux d'y retrouver dans ce chapitre consacré au jongleur le superbe Jongleur roman que j'avais pu admirer voici plus de dix ans au Musée des Beaux-Arts de Lyon. Dans la légende, on a néanmoins oublié de préciser que cette sculpture était originaire du Berry : on l'appelle le jongleur de Bourges.

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21 septembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (3)

Les fées et les pierres

A la base de l'observation de Doumayrou sur l'axe Dio - Nyse, il y a une interrogation plus large sur le thème de la Tête Morte, de la céphalophorie, c'est-à-dire de l'ensemble des récits mythiques qui rapportent la fondation d'un lieu sacré par un personnage portant sa tête dans ses mains - et dont l'exemple le plus célèbre est bien sûr saint Denis. Il rappelle les deux traits permanents repérés par Henri Dontenville dans toutes les variétés de cette série légendaire : le "besoin d'une onde pure" et "le rapport presque constant entre la tête chue et une pierre."


Une onde pure, une tête chue, une pierre : ces éléments, est-ce que je ne venais pas de les rencontrer, fors la tête, avec l'histoire du château du Bouchet et de ses anciens propriétaires, les Rochechouart ? Je me reportai aussitôt à l'original, c'est-à-dire La France Mythologique d'Henri Dontenville, publié en 1966, chez Tchou, et depuis bien longtemps dormant sur une étagère.
Mention est faite bien sûr de saint Denis, mais aussi de saint Savinien à Troyes et de saint Just. Dans ce dernier cas, la version est légèrement différente : le saint demande à ses compagnons  de voyage d'emporter sa tête à Auxerre pour la donner à sa mère. C'est aussi ce que demande le géant Bran dans la légende irlandaise:  blessé au pied par une lance empoisonnée, il ordonne que sa tête soit coupée et enterrée à Londres, à Y Gwynvryn (la « Colline Blanche ») .


Le mythe se complique, écrit Dontenville, d'un "rapport presque constant entre cette tête chue et une pierre. En pays wallon et en Nivernais, Gargantua meurt d'une pierre à la tête. Ou bien le personnage légendaire meurt en se fracassant la tête sur les pierres. C'est le cas de Hok Bras et du géant Gallimassue. Enfin le récit de la fin  de Grantgosier et de Galemelle dans les Grandes et inestimables chroniques du grand et énorme géant Gargantua montre les deux géants déposant dans la mer les rochers du Mont Saint-Michel  et de Tombelaine qu'ils ont apportés depuis la Montagne d'Orient, sur leur tête, après quoi les deux géants s'empressent de mourir.
Ainsi le rapport pierre-tête est constant. La tête a une affinité pour la pierre, et cette pétrification, ou ce commerce avec la pierre, est oeuvre mortelle.
" (p. 235)

 

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Le grès rouge de la Brenne


Avons-nous dans le cas du Bouchet une semblable relation à la pierre, au-delà du simple nom des Rochechouart ? Il n'est que de se reporter au passage consacré par Chantal de la Véronne, dans son histoire de la Brenne, aux légendes des pierres. Mégalithes, dolmens ou menhirs y sont le plus souvent transportés par les fées, aussi dénommées martres, fades, dames ou demoiselles :

"Ce sont elles qui ont édifié le géant de la Brenne, le château du Bouchet, à la demande du seigneur du lieu, il y a de cela bien longtemps. Mais le seigneur avait oublié de s'adresser à l'une d'elles, qui, courroucée de cet affront, vint au Bouchet le soir même du jour où ses compagnes devaient commencer leur oeuvre (car les fées ne travaillent que la nuit), et jeta un sort : si le château n'était pas terminé avant que le coq ne chante, il ne le serait jamais. Les petites fées se dépêchèrent donc autant qu'elles le purent, transportant les matériaux dans leurs devantiaux d'arentelles (tabliers de toiles d'araignées), dont la force de résistance devait disparaître avec le premier cri du jau. La forteresse était presque finie, quand l'aube parut, et le coq chanta : l'une des petites fées apportait la dernière pierre, son devantiau se déchira et la pierre tomba. Elle manque toujours aux murs du Bouchet ; on peut la voir à un kilomètre et demi à l'ouest du château, c'est la Pierre à la Fée ou à la Fade. Et c'est pourquoi le Bouchet ne pourra jamais être achevé..." (pp. 95-96)


Il est significatif que le château du Bouchet soit personnifié comme le géant de la Brenne. Brenne marquée par ailleurs par le passage d'un autre géant, Galifront, que l'on présente toujours comme la version brennouse de Gargantua. On lui attribue la formation des étangs et des buttons qui parsèment la Brenne lorsqu'il dut la traverser  pour se rendre de Touraine en Limousin. Il secouait ses pieds pleins de boue, se dépattait comme on dit en Berry, et formait ainsi les monticules de grès dont le Bouchet est un exemple. Peut-on lire ce Galifront littéralement comme la Tête (le Front) Gallique (au sens de ces mythologies galliques que voulait défendre Rabelais) ?

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Sur la chaussée de la Mer Rouge


Cette pierre qui tombe loin du château qu'elle est sensée compléter se répète en un autre lieu (que je ne connaissais d'ailleurs pas alors que j'ai souvent arpenté la contrée) : le château de Salvert, aujourd'hui ruiné aux bords d'un gouffre du Suin, le ruisseau qui traverse l'étang de la Mer Rouge. Là aussi les fées étaient chargés de la construction jusqu'à  ce qu'un enchanteur plus puissant qu'elles  leur intima de cesser leur labeur sur-le-champ et de quitter le pays. Une des fées qui transportait une énorme pierre la laissa choir sur le chemin qui menait au château : "on peut l'y voir encore tout près du gouffre qui protégeait la façade sud-est de l'ancien château de Salvert, et ce chemin s'appelle le chemin du Gros Rô (roc)."
Cette dualité de pierres qui tombent à distance du haut-lieu en construction n'est pas sans rappeler les monts Tombe et Tombelaine, dans la baie du Mont Saint-Michel, montagnes doubles "qui sont, précise Doumayrou,  les pierres chues de la tête du couple des Bons Géants." Sur le terrain, des alignements caractéristiques montrent bien que les légendes ne font que porter témoignage d'un compagnonnage essentiel. En effet, Salvert, sur l'horizon de la chapelle de la Mer Rouge, (dont la légende liée à Aimery Sénebaud, le baptiseur de la Mer Rouge, a été contée ici en 2005), s'aligne avec Le Bouchet en prenant dans sa course deux dolmens, celui des Sablons et celui, précisément, de la Pierre à la Fée.

 

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(Cliquer sur la carte pour en avoir une version plus large)

Il faut noter aussi que trois lieux-dits jalonnent l'alignement : les Sablons, la Hire et la Milandière. Il est surprenant de retrouver là le nom même du fidèle compagnon de Jeanne d'Arc, La Hire, dont on fit plus tard le valet de coeur de nos jeux de cartes. Mais j'avoue pour l'instant ne pas trouver de justification symbolique à sa présence. La Milandière est, elle,  une ferme et anciennement une châtellenie. Son nom viendrait, selon S. Gendron, du nom propre Milan. Or, l'église de Douadic, qui se situe dans la pointe des deux axes, est dédiée à saint Ambroise, Aurelius Ambrosius dit plus communément Ambroise de Milan (il fut évêque de la ville de 374 à 397, et c'est l'un des Pères de l'église latine).


Ces axes directeurs mettent en relation des géosymboles très disjoints dans le temps :  du dolmen néolithique au château du XIV ème siècle, ce sont  plusieurs millénaires qui se trouvent ainsi reliés, témoignant d'une permanence de vision à travers les différentes époques.

 

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08 février 2009 | Lien permanent | Commentaires (1)

Les naissances gémellaires

"Toutes les naissances sont des naissances gémellaires. Personne ne vient au monde sans accompagnement ni escorte."

Peter Sloterdijk (Bulles, Sphères I, Fayard, 2002, coll. Pluriel, p. 450)


adc2f41799da1be002d5a57acccf40a4.jpg Je vous dois la vérité : je  n'ai pas  encore  lu  ce livre  du philosophe allemand qui occupe pourtant un coin de mon bureau depuis 2004. Néanmoins j'ai l'impression curieuse de le bien  connaître, l'ayant si souvent manipulé, feuilleté, ouvert au hasard (il est accompagné, qui plus est,  d'une riche iconographie). Et c'est bien parce que, une fois de plus, j'ai pratiqué tout récemment une courte plongée dans ses abîmes (près de 700 pages d'une écriture serrée), que j'en suis ressorti avec la sensation d'y avoir aperçu un gros poisson. Le chapitre VI, intitulé Le séparateur de l'espace spirituel, m'offrait soudain une résonance inattendue avec les propres thèmes qui m'occupent ici. Sloterdijk y cite notamment un texte du rhéteur Censurinus, tenu à l'occasion du 49ème anniversaire de son mécène Caerelius, en 238 ap. J.C.

" Genius est le dieu sous la protection (tutela) duquel chacun vit dès sa naissance. Il tient sûrement son nom, Genius, de geno ("engendrer"), ou bien parce qu'il veille à ce que nous soyons engendrés, ou bien parce qu'il est lui-même engendré avec nous, ou bien encore qu'il s'empare de nous (suscipi) une fois que nous sommes engendrés et nous protège. Beaucoup d'auteurs antiques ont rapporté que Genius et les lares sont identiques." (De die natali, d'après l'édition allemande de klaus Sallmann, Weinheim, 1998 ).

Pour Sloterdijk, ce document "exprime clairement l'idée que pour les Romains, il n'existe pas un jour anniversaire unique - précisément parce que  chez les êtres humains, il ne peut jamais être question de naissances solitaires. Chaque anniversaire est un double anniversaire en soi ; on ne commémore pas seulement ce jour-là le prétendu heureux événement, mais plus encore le lien indissociable entre l'individu et son esprit protecteur, lien qui existe depuis ce jour coram populo."


Comment ne pas faire le lien avec saint Genou, dont le nom rappelle à l'évidence le Genius latin ? D'autant plus que Genou est très clairement désigné dans sa légende comme étant né à Rome en 230, autrement dit à la même époque que le texte de Censerinus. Et ce Génit, présenté parfois comme son père, parfois comme son compagnon, est l'indice même de la gémellité. L'ange gardien, le jumeau sont en effet des figures proches du Genius, décrivant la même relation unitaire essentielle :   Sloterdijk en donne une parfaite illustration à travers un extrait des récits de Mani (216-277 ap. J.C ), le fondateur du dualisme gnostique dont il reste la trace dans la langue d'aujourd'hui avec le péjoratif manichéisme :


"Lorsque la douzième année de sa vie fut arrivée à son terme, il fut saisi [...]par l'inspiration donnée par le roi du paradis de la lumière [...]. Le nom de l'ange qui lui porta le message de la révélation était at-Tom ; c'est du nabatéen et cela signifie dans notre langue "le compagnon" [...] Et lorsqu'il fut arrivé au bout de sa vingt-quatrième année, at-Tom revint vers lui et dit : " Désormais est venu le temps que tu sortes au grand jour."[...].

[...] Et Mani affirma être le Paraclet qu'avait promis Jésus."

 Sloterdijk : "La parenté du nom at-Tom avec l'araméen toma, le jumeau, saute bien sûr aux yeux. Le fait que le "compagnon" ou le syzygios de Mani ait effectivement les qualités d'un personnage de jumeau transfiguré ressort très clairement des récits sur la vocation de Mani selon le Code Mani de Cologne, mais aussi des sources du Moyen Iran :

 "Sortant des eaux m'apparut une (silhouette) humaine qui, avec la main, me fit signe de rester calme, pour que je ne pèche pas et que je ne la plonge pas dans la détresse. De cette manière, à partir de ma quatrième année et jusqu'à ce que j'arrive à la maturité physique, je fus protégé par les mains du plus saint des anges.[..]"(Bulles, pp. 472-473)


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Dioscorus et sa femme  © CMN

 

Une autre indice convergent nous est donné par la peinture murale de la chapelle Saint-Genoulph à Selles Saint-Denis, représentant sur une frise la vie du saint. Elle nous montre, entre autres scènes, celle où les deux compagnons (saint Genou et saint Genit ici désigné par un autre nom, saint Révérend) rencontrent le préfet de Cahors, Dioscorus, et sa femme.

 

Ce Dioscorus ou Dioscurus, d'abord hostile (il les jette en prison), puis converti à la suite de la résurrection de son fils,sera baptisé par Genou lui-même (scène représentée à la cathédrale saint-Etienne de Cahors). Or, ce nom fait bien entendu irrésistiblement penser aux Dioscures, Castor et Pollux, les Gémeaux de la Mythologie.


 Que faut-il penser aussi de Sainte-Gemme, dont le village se dresse, on l'a vu, au méridien de Saint-Genou ?  Outre que le nom même est littéralement  proche de la gémellité, la légende de la sainte nous apprend que  Gemme avait une soeur jumelle nommée Quitterie, sainte et martyre elle aussi. Il faut ajouter que leur naissance venait après celle de sept soeurs. Las de tant de progéniture féminine, désespérant d'avoir un héritier mâle, leur père, le  rude Caïus Catilius, gouverneur de la Galice, ordonne à une de ses esclaves de les noyer. Le peu clairvoyant soudard choisit une chrétienne qui  s'empresse de les confier à une famille  amie en un village éloigné.

Il faut noter encore que la mère des neuf soeurs, Calsia, était donnée comme issue d'une excellente famille romaine.

J'ai même trouvé une version de la légende où les neuf soeurs sont données comme jumelles, on la trouvera page 17 de la version Pdf du numéro 4 du Bourdon, bulletin périodique des Amis de Saint-Jacques de Compostelle en Aquitaine (septembre 1993). J'en extrais ici un passage significatif :

"L'histoire de Bazella [une des soeurs] est cependant la plus significative puisque son supplice donne lieu à un miracle immédiat récapitulatif de toute la fable : sa tête tranchée rebondit neuf fois, faisant jaillir neuf sources. Les habitants ont toujours conservé intact le lieu du miracle au milieu des champs et des vignes. Une petite chapelle antique et fruste, des filets d’eau courant au ras de l’ herbe témoigne pour une curieuse permanence hors du temps mémorial . Dix-neuf siècles peut-être ont passé sur ce lieu rustique rigoureusement inaperçu, sans changer quoique que ce soit à l' ordre naturel. Mais il est vrai de dire que les sanctuaires les mieux protégés sont les plus pauvres ... (Chapelle de Neuffonds:"neuf fontaines et neuf bonbs", à Sainte Bazeille près de Marmande.)
Ainsi, les neuf filles "jumelles" du proconsul de Galice converties par un disciple de Saint Martial, martyrisées sur les routes d’ Aquitaine et à l’ origine de neuf sanctuaires tracent, à l’origine de la chrétienté, un itinéraire inverse à celui qui sera et qui est déjà sous d’autres formes le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, établissent en termes de légende dorée qui voile à peine les symboles d’ un grand mythe cyclique, le lien entre Galice et Aquitaine."

J'ajoute que Bazella tire certainement son nom du celte batz, source, qu'on retrouve dans le nom du plateau de Millevaches, qui désigne non pas les sympathiques ruminants, mais les mille sources (mille batz) qui constellent son territoire et dont sont issues entre autres Vienne,  Corrèze et  Dordogne. Dans l'espace neuvicien, deux villages me semblent porter cette racine batz : Bazelat et Bazaiges. Le premier est creusois et le second indrien, mais les deux paroisses relevaient de Déols et sont alignées sur le même méridien. Et sur le parallèle de Bazelat nous relevons  Genouillac (également sous le patronage déolois) et Boussac-Bourg : or ce bourg d'origine romaine (Bociacum) présente la particularité d'avoir des églises jumelles : "Ce bourg possède deux églises 11ème/12ème se ressemblant beaucoup et placées l'une à côté de l'autre." (source : Quid)  L'une est dédiée à saint Martin (qui s'honore aussi d'une fontaine) et a été construite par les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

 

Et je ne peux manquer d'être ébloui par la logique à l'oeuvre dans cette géographie sacrée neuvicienne puisque je retrouve à Boussac-Bourg le thème de la naissance à travers la superbe fresque murale du XIIème siècle représentant une Nativité décrite ainsi dans le site perso de D. Boucart :

"La chapelle primitive possède des fresques du XIIe siècle. En particulier, une scène de la Nativité qui est l'une des plus belles de l'art roman. La vierge, allongée sous une couverture bleue parsemée d'étoile, indique de l'index le christ couché dans son berceau. La tête de l'âne et la tête du boeuf le réchauffent de leur souffle."

 

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04 juillet 2007 | Lien permanent | Commentaires (5)

Inventaire des Souvigny

Quatre lieux nommés Souvigny sont recensés en France. L'idée m'est donc venue de mener une petite enquête sur chacun d'eux, afin de voir si des points communs les rassemblaient au-delà de la dénomination. Je n'insiste pas sur Souvigny en Allier, dont j'ai déjà beaucoup parlé (même si certains éléments importants n'ont pas encore été évoqués, mais cet inventaire sera précisément l'occasion de le faire), et je porte d'abord mon attention sur les trois autres Souvigny.

1. Souvigny-en-Sologne


Petit village de 419 habitants, dans le Loir-et-Cher, Silviniacus en 938, vestiges préhistoriques et gallo-romains, église Saint-Martin du XIIème siècle, fête de la Saint-Blaise (31/1).


 
Deux observations importantes : on voit bien sur la carte que, d'une part Souvigny-en-Sologne est cerné par la forêt, d'autre part il est situé à l'extrémité du département, en un point de contact entre Cher, Loiret et Loir-et-Cher, en limite des anciens diocèses de Bourges et d'Orléans.



2. Souvigny-de-Touraine

Ce village  est proche d'Amboise, l'ancienne capitale des Turons,  cité royale depuis  la Guerre de Cent Ans jusqu'au XVIème siècle.

Extrait de la présentation du site cg37 :


"Souvigny-de-Touraine est un village en grande partie boisé et traversé par le cours sinueux de l'Amasse qui faisait autrefois tourner jusqu'à cinq moulins.
Le nom de Souvigny apparaît pour la première fois au XIème siècle (Salviniacum du latin Silva : forêt). De l'occupation néolithique, on passe à un habitat gaulois, puis gallo-romain.
Le village s'est développé autour de l'église actuelle construite au XIIème siècle, sur l'emplacement d'un ancien édifice religieux : des fonts baptismaux datant du Vème-VIème siècle en témoigne et dans son enceinte un préau a été récemment bâti.
Un lavoir construit à l'emplacement d'une ancienne fontaine sacrée gauloise a été remis en valeur.
"



Le porche de l'église du village, placée sous le vocable de Saint-Saturnin, est  orné de signes du zodiaque entourant l’Agneau pascal.
Là encore, on constate que le village est  au centre d'un important massif forestier, et à la limite d'un département. Une ancienne carte des diocèses montre qu'il était proche du carrefour de l'archevêché de Tours avec les deux évêchés de Blois et d'Orléans.



3. Souvigny (dans les Yvelines)

Ce Souvigny, signalé par ViaMichelin, a été le plus difficile à repérer. En effet, le site donnait l'emplacement sans préciser le nom, et la carte Michelin plus précise restait muette sur un quelconque Souvigny.
Seul renseignement exploitable : le lieu faisait partie de la commune de Boissière-Ecole, qui fut au Moyen Age fief de la châtellenie de Saint-Léger.  Saint-Léger-en -Yvelines se dresse en effet à quelques kilomètres au nord-est, au coeur une nouvelle fois d'une région très boisée, en limite de la grande forêt de Rambouillet, elle-même vestige de l'antique forêt d'Yveline : "Important à l'époque gallo-romaine, le village de St Léger fut, avec son ancien château, résidence royale de 987 à 1203 et, de nouveau, de 1499 à 1875 avec le nouveau château-pavillon de chasse des rois de France. Entre les deux châteaux furent d'ailleurs installés les premiers haras royaux."

Heureusement, j'ai fini par mettre la main sur une carte datée du 17 septembre 1788, où Souvigny apparaît sous la forme Savigny, maison isolée à la lisière de la forêt, près de la route de Saint-Léger.

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Enfin, Saint-Léger se situe non loin de la limite des diocèses de Chartres et de Paris.

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Essai de synthèse


1. L'omniprésence de la forêt pour les quatre Souvigny étudiés nous autorise à abandonner l'hypothèse du nom propre romain pour expliquer leur étymologie : la silva est bel et bien motif central.


2. Le caractère royal de cette forêt est établi pour Souvigny-de-Touraine (forêt d'Amboise), et Souvigny en Yvelines (résidence capétienne). Souvigny en Allier, déjà honorée par la visite de papes et de rois,  fut longtemps sépulture des Bourbons à tel point qu'on a pu écrire que Souvigny était le Saint-Denis du Bourbonnais.

         Rappel : Souvigny en Allier
 

3. Le caractère frontalier des quatre Souvigny est également patent. Que Souvigny (Allier) et Souvigny (Yvelines) soient liés à saint Léger corroborent l'observation réalisée lors de l'inventaire des Saint-Léger, à savoir que la grande majorité des Saint-Léger prenant place  dans la géographie sacrée est située sur des marches, des points de contact entre plusieurs entités géographiques et politiques.


4. L'eau semble avoir aussi de l'importance : fontaine sacrée à Souvigny-de-Touraine ; à Souvigny (Allier), "les deux saints étaient représentés en gisant sur le tombeau, au centre de l’église. En dessous, il y avait une hypogée avec une source, où se rendaient les pèlerins."

Cet aspect est moins flagrant pour les deux autres Souvigny, mais Souvigny-en-Sologne, arrosé par un affluent du Beuvron, est tout de même au coeur d'une région d'étangs, tandis que le  Souvigny yvelinois se place juste à l'amont de la naissance d'un ruisseau.


5. Le zodiaque est figuré à Souvigny-de-Touraine ainsi qu'à Souvigny en Allier. En effet, la cité renferme une des pièces les plus extraordinaires de la sculpture romane, un fût en pierre octogonal de la fin du XIIe siècle dite la Colonne du Zodiaque (ou Calendrier de Souvigny), dont quatre faces sont couvertes de bas-reliefs :   mois de l'année, signes du Zodiaque, peuples et animaux étranges et fabuleux. Hélas, la colonne est mutilée,  la partie basse correspondant aux premiers mois de l'année a disparu.

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Cet inventaire des Souvigny semble donc  mettre en lumière un complexe cultuel situé sur des zones frontalières, au coeur d'un massif forestier, en relation avec les puissances souterraines incarnées par la présence de sources sacrées. Si l'on recherche quelle divinité celtique pourrait bien avoir été au centre d'un tel complexe, on ne peut que penser au Silvain gallo-romain,  assimilé au gaulois  Sucellus, le dieu au maillet que j'ai déjà évoqué au sujet de Levroux.

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10 juillet 2007 | Lien permanent

Paris ne finit jamais

Entracte dans le feuilleton Denis Gaulois. Ceux qui me lisent régulièrement savent que je tire deux fils distincts sur ce site, l'un est bien entendu l'enquête autour de la géographie sacrée du Bas-Berry et ses alentours, l'autre est cette interrogation sur les coïncidences qui vient sporadiquement s'intercaler dans le cours de mes investigations zodiacales. Ces deux fils ne cessent d'ailleurs de se croiser, formant un brin qu'il serait bien artificiel de démêler. C'est comme une de ces pièces de théâtre élizabéthaines avec ses deux intrigues : la principale et la secondaire qui se dénouent ensemble au final. Sauf que le final ici n'est pas de mise...

medium_villa-matas.jpgCe préambule pour dire qu'au même moment où je m'évertuais à pénétrer cette obscure légende déoloise en poursuivant ma lecture de Montjoie et saint Denis !, je me suis offert le luxe d'une digression dans l'univers romanesque de l'écrivain espagnol Enrique Vila-Matas. Je dis bien luxe, car cette initiative n'avait rien de raisonnable : le temps me manque déjà pour venir à bout des lectures entamées et je me rajoute une nouvelle dose d'imprimé. Cela, on en conviendra aisément, frise l'inconséquence... Pour venir à bout des scrupules qui naturellement me tenaillent (« Finis donc déjà ce que tu as commencé, tu verras bien après »), je me donne d' « excellents » prétextes : Villa-Matas, dont je n'ai lu jusqu'à présent que des extraits et quelques articles de revue, est un écrivain qui fait lui aussi la part belle aux coïncidences (avec une savante ironie qui est, semble-t-il, sa marque de fabrique et qui fait se demander toujours si ce qu'il raconte est, comme l'on dit trivialement, du lard ou du cochon). Par ailleurs, le livre de lui que j'ai choisi se nomme  Paris ne finit jamais, ce qui fait écho à l'étude d'Anne Lombard-Jourdan dont il est dit (quatrième de couverture) qu'elle « éclaire ainsi de façon décisive les causes profondes de la primauté de l'abbaye royale de Saint-Denis et de la singularité et de l'ascendant de Paris capitale. » Ce livre se tenait donc dans le droit fil de mes deux problématiques (allons-y pour le mot pédant) exposées au-dessus.

Quel est l'argument du livre ? Quatrième de couverture encore : « A l'occasion d'une conférence qu'il doit donner à Barcelone, un écrivain revient sur ses années de bohême et d'apprentissage littéraire à Paris. Sous la figure tutélaire d'Ernest Hemingway, il dit son amour pour cette ville à travers les souvenirs de ses premiers pas dans l'écriture. »

Bon, là-dessus, j'achète ce matin le Journal du Dimanche et voici qu'en dernière page du supplément Paris-Ile de France, je tombe sur un grand article de l'écrivain américain Jérôme Charyn, intitulé Le grand Paris de Hemingway. C'est une promenade jalonnée par les différents lieux parisiens marqués par le passage de « Papa », promenade où Charyn ne se prive pas d'égratigner le mythe à l'occasion.

Ainsi évoque-t-il la rencontre avec Scott Fitzgerald en 1925, au Dingo Bar, dans le 14ème : « A l'époque, l'auteur de Gatsby le Magnifique est idolâtré dans le monde entier. Mais il reconnaît tout de suite le talent de Hemingway. Et semble même impressionné par le jeune écrivain. Il l'aide d'ailleurs à faire publier Le soleil se lève aussi, le roman qui fait de lui une star.

C'est le début d'une amitié. Même si lors de cette première rencontre Scott pose des questions indiscrètes sur la sexualité de Hem' et finit la soirée ivre mort. Hemingway s'amuse à noter que, quand Scott est assis au bar, ses jambes sont si courtes qu'elles ne touchent pas le sol. Comme à son habitude, il ne peut s'empêcher de se moquer de la personne qu'il encense. »

Or, la page sur laquelle j'avais arrêté ma lecture du livre, la page 54, relatait précisément cette rencontre de 1925 entre Fitzgerald et Hemingway : « Ce fut le début d'une amitié qui commença sur un bon rythme et finit très mal. Paris est une fête raconte que, quelques jours après cette première rencontre , ils partirent tous les deux en train pour Lyon afin de récupérer la voiture décapotable que l'écrivain à succès y avait abandonnée, l'un l'écrivain très riche, brillant et déjà très célèbre (Scott Fitzgerald), et l'autre, un peu plus jeune et encore un débutant (Hemingway), un écrivain sans argent, avide de triompher et content d'avoir fait la connaissance de cette grande étoile de la littérature. »

Il faut savoir que lorsque j'ai commencé à prendre note quasi systématiquement des coïncidences (en février 1991, dans un cahier Clairefontaine à couverture rose), la première page mentionnait déjà Hemingway, à travers une de ses nouvelles intitulée Une très courte histoire.

Cette histoire-ci promet en revanche d'être très longue...

 

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01 octobre 2006 | Lien permanent | Commentaires (2)

De l'influence des camionnettes sur la géographie symbolique

 

Qu'on me permette une légère digression dans mon « périple » biturige. A priori, ça n'a rien à voir, mais... La semaine dernière, la maison voisine a été l'objet de menus travaux, réfection de chéneaux et gouttières à ce qu'il medium_meunet1.jpgsemble, et un échafaudage a occupé le trottoir pendant quelques jours. Rien que de très ordinaire, sauf qu'un matin, sortant de chez moi, je m'avise que l'entreprise chargé de la besogne est basée à Saint-Léger, un minuscule hameau de la commune de Meunet-Planches. Or, j'ai déjà mentionné ce lieu-dit dans une note sur Saint-Denis-de-Jouhet. Et j'y reviendrai lors de l'étude du secteur Sagittaire, car ce Saint-Léger (dont j'ai déjà dit qu'il était l'unique toponyme représentant le saint dans le département) figure également sur un alignement Lys Saint-Georges-Issoudun. Le logo même de l'entreprise avec le clocher d'église me frappait comme un écho supplémentaire. Je trouvai amusant de retrouver Saint-Léger à ma porte, lui qui m'avait si fort occupé cet été. D'ailleurs, c'est sur le hameau en question que s'est achevé ma correspondance avec le webmestre du site de l'Association des Saint-Léger. J'avais, à son intention, rédigé un inventaire provisoire des Saint-Léger dans la géographie sacrée, mais j'ai sans doute échoué à éclairer sa lanterne, puisque je n'ai plus eu de nouvelles par la suite. Et le site léodégarien ignore toujours mes travaux (ce qui ne me soucie guère d'ailleurs, n'ayant jamais fait le siège d'aucun site pour qu'on y mentionne mes petites trouvailles, et n'étant pas pressé de changer ma politique à cet égard).

 

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J'en étais là de mes pensées sur l'affaire saint Léger, lorsque j'ai reçu le commentaire de Marc Lebeau (merci à lui) sur l'oppidum de type belge ou « de Fécamp » : une simple question technique à laquelle j'ai cherché réponse sur le Net, sans grand succès d'ailleurs, mais, en fait, j'ai trouvé ce que je ne cherchais pas...

Je m'explique : tapant, entre autres, le mot-clé Fécamp, sur quoi tombai-je rapidement ? Ni plus ni moins que sur saint Léger lui-même. Car le pauvre évêque, après avoir eu les yeux crevés, la langue et les lèvres coupées, fut interné chez les moniales de Fécamp, avant d'être décapité en Artois.

Un peu plus tard, je découvre un site consacré à l'archéologie qui signale la mise en ligne du deuxième tome inachevé de « Mythes et Dieux de la Gaule » de Jean-Jacques Hatt, décédé en 1997. Or, dans la suite de mon étude sur la géographie sacrée biturige, comme on le verra bientôt, je parle de ce savant homme, auteur de l'article consacré aux mythes celtiques dans l'Encyclopadia Universalis. Ma position est plutôt critique d'ailleurs, mais elle devra peut-être être révisée à la lueur de la lecture de cet ouvrage : plus de 400 pages à lire quand même, je risque de prendre encore un peu plus de retard...

Enfin, car il n'y a pas que le net, je me suis plongé dans une petite étude qu'on m'a offerte récemment : Les Celtes de l'Age du fer dans la moitié nord de la France, par Olivier Buchsenschutz (La maison des roches, éditeur, octobre 2004). Je parcours le chapitre qui traite de la fortification, où il apparaît que les fermes de l'Age du fer étaient très souvent encloses :

« Cette clôture peut donc prendre des formes très variées suivant la période et le statut du propriétaire de la ferme. Légère, c'est un simple obstacle à la divagation du bétail ; mais quand le fossé dépasse 3 ou 4 mètres de profondeur, quand le talus se dresse à 5 ou 6 mètres, il s'agit d'une véritable défense, d'une construction monumentale qui manifeste la puissance des habitants. La régularité, la symétrie du plan, et le développement des entrées, comme dans la ferme d'Herblay, près de Pontoise, dénotent une recherche architecturale manifeste. Des sondages sur les sites de Meunet-Planches et de Luant (Indre) en 1999 ont même révélé la présence d'un véritable rempart en terre, pierre et bois, le murus gallicus décrit par César (VII, 23), alors que la surface enclose ne dépasse pas deux hectares. » (p. 83-84)

Meunet-Planches, où l'on a aussi retrouvé une des bornes milliaires qu'on plaçait sur les voies romaines, est ainsi considéré comme un site important dans la recherche archéologique contemporaine. Notons enfin que comme Saint-Léger, le bourg est situé sur les rives de la Théols, qui n'est autre qu'un affluent de l'Arnon (les deux rivières marquant en plusieurs endroits la limite entre les deux départements berrichons de l'Indre et du Cher).

Je vous le disais, a priori, ça n'avait rien à voir...

 

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La Théols à Issoudun

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02 décembre 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)

Eudes le franciscain

medium_saintlouis-legoff.jpg La figure d'Eudes de Châteauroux m'intrigue. Comme chaque fois qu'une personnalité traverse ce champ encore si obscur de la géographie symbolique, l'envie est grande d'en savoir plus. Il me souvint que Jacques Le Goff avait écrit  sur le personnage de Saint Louis une somme considérable. Je ne l'avais point lu à l'époque de sa parution (1996),  mais il me paraissait évident que mon prélat castelroussin devait y avoir une bonne place. J'empruntai donc le fort volume de presque mille pages à la Médiathèque et n'ayant pas le temps d'en pratiquer une lecture exhaustive, je me jetai sur l'index des noms de personne. Petite déception : Eudes n'avait droit qu'à huit entrées, ce qui le plaçait assez loin d'Innocent IV (29 entrées) et a fortiori de Blanche de Castille (114 entrées, si je compte bien). Néanmoins j'appris bien des choses en ces quelques  pages.



Première entrée donc, page 49 : "Tout l'Orient n'aura été pour Saint Louis que mirages. Mirage d'un empire latin de Constantinople et d'une réunion des Eglises chrétiennes latine et grecque à laquelle s'employa particulièrement, à la demande de la papauté, un homme lié au roi de France, le cardinal Eudes de Châteauroux, franciscain qui avait été chancelier de l'Eglise de Paris. Mirage d'un affaiblissement des princes musulmans déchirés par des rivalités internes et qui pourtant furent vainqueurs de saint Louis et reprirent cette Terre sainte qu'il avait voulu défendre. Mirage d'une conversion des Mongols au christianisme et d'une alliance franco-mongole avec contre les musulmans." (C'est moi qui souligne).

Eudes occupe une position centrale :  lié à la fois au pape et au roi de France, il montre également la connivence étroite entre le Berry et la capitale. Son statut de franciscain, que j'apprends ici, n'est sans doute pas anodin. Rappelons qu'à l'époque de saint Louis, l'ordre est encore récent : François d'Assise est mort en 1226, l'année même du sacre de celui qui n'est encore que Louis IX et n'est âgé que de douze ans. Aviad Kleinberg ne craint pas d'écrire que  "Les Franciscains incarnèrent l'espoir le plus grand du XIIIè siècle, la promesse d'une vie conforme à la morale chrétienne ici-bas et, par voie de conséquence, de rédemption universelle dans l'au-delà. Saint François lui-même fut perçu par nombre de ses adeptes comme un second Jésus." (Histoires de saints, op. cit. p. 257.) A Châteauroux même, les Franciscains ont laissé une trace architecturale avec le plus beau monument historique de la ville actuelle, le couvent des Cordeliers (Franciscains nommés ainsi à cause de la corde  ceignant leur robe de bure).
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Seconde entrée, page 178 : " Pour la prédication de croisade, Louis IX demande au pape Innocent IV, selon la coutume, de désigner un légat pontifical pour la diriger. Lors du concile de Lyon, en 1245, le choix du pape se porta sur un personnage de premier plan, connu du roi, Eudes de Châteauroux, ancien chanoine de Notre-Dame de Paris, chancelier de l'université de Paris de 1238 à 1244, date à laquelle Innocent IV l'a fait cardinal." La note de bas de page qui est appelée par ce dernier mot voit Le Goff donner son jugement sur le personnage : "Eudes de Châteauroux ne semble pas mériter en tant que prédicateur et homme d'Etat le mépris de Barthélémy Hauréau (Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, t. XXIV/2/2, pp. 204-235, Paris, (1876). Voir le mémoire de D.E.A. inédit d' A. Charansonnet que je remercie (université de Paris-I, 1987/1988, sous la direction de Bernard Guenée) : Etudes de quelques sermons d'Eudes de Châteauroux (1190 ?-1274) sur la croisade et la croix."



Page 184, suite de la Croisade : "Comme lors de l'accueil des reliques de la Passion, mais cette fois-ci avec les rites de croisade -départ pour la guerre sainte et sortie du royaume - recommence la grande liturgie pénitentielle. Le vendredi après la Pentecôte, 12 juin 1248, Louis vient à Saint-Denis prendre l'oriflamme, l'écharpe et le bâton de la main du cardinal-légat Eudes : il associe de cette manière l'insigne royal du roi de France partant en expédition guerrière et ceux du pèlerin prenant prenant le chemin du pèlerinage de croisade." Se confirme ici encore le rôle éminent du légat Eudes, associé à tous les gestes et évènements symboliques forts du règne de Louis IX. Mais il avait également sa place dans la vie diplomatique plus ordinaire du souverain, comme en témoigne l'entrée de la page 253 : "En 1246, dans le cadre des actions de pacification en vue de la croisade, Louis IX et le légat pontifical, Eudes de Châteauroux, avaient ménagé un accord sur la base du Hainaut aux Avesnes et de la Flandre aux Dampierre."

medium_salimbene.jpg Il faut tout de même sauter à la page 455 pour voir à nouveau paraître Eudes, dans la section du livre consacrée aux chroniqueurs étrangers et, plus précisément,  en ce qui nous concerne, la Cronica du franciscain Fra Salimbene de Parme. Ce religieux est témoin oculaire du passage du roi, en route vers Aigues-Mortes, à Sens où il assiste au chapitre général des Franciscains. Salimbene est subjugué par ce roi arrivant à pied, besace et bourdon au cou, demandant les prières et les suffrages des frères. C'est à cette occasion que le cardinal Eudes prend la parole avant le ministre général des Franciscains, Jean de Parme, qui fait l'éloge du roi.

L'entrée de la page 537 ne faisant  que répéter celle de  la page 184, il faut se transporter page 593 pour y voir Le Goff s'interroger une nouvelle fois sur ce Eudes qu'il qualifie ici de maître en théologie : "Comme légat pontifical pour la préparation de sa croisade, il a été en contact étroit avec le roi qu'il a accompagné en Egypte et il a rédigé sur la croisade un rapport adressé au pape. Les oeuvres d' Eudes sont encore mal connues, mais elles font l'objet d'importants travaux. Il semble qu'il a surtout été un prédicateur célèbre. On reste donc à nouveau dans le domaine qui intéresse le plus Saint Louis, celui du sermon."

La dernière entrée, page 806, dévoile un aspect moins reluisant d' Eudes de Châteauroux, et, plus largement, du règne de Saint Louis. En 1241, le souverain avait fait procéder à la crémation publique de vingt-deux charretées de manuscrits du Talmud. Innocent IV l'en félicita dans une lettre du 9 mai 1244, mais l'invita à faire brûler les exemplaires subsistants. Ce qui donna lieu à de nouveaux autodafés les années suivantes (il ne demeure qu'un seul exemplaire médiéval du Talmud, ce qui montre bien l'efficacité de la répression qui fut menée). "Pourtant, poursuit Jacques Le Goff, en 1247, Innocent IV, probablement à la suite de diverses interventions et selon l'habituelle politique des papes qui fait alterner des instigations à la persécution et des appels à la protection des juifs, ordonne à Saint Louis et à son légat en France pour la préparation de la croisade, Eudes de Châteauroux, de rendre aux juifs les Talmuds subsistants parce qu'ils sont nécessaires à leur pratique religieuse. Mais Eudes de Châteauroux supplie le pape de laisser détruire ces exemplaires et, le 15 mai 1248, l'évêque de Paris, Guillaume d'Auvergne, sans doute sous l'influence du dominicain Henri de Cologne, prononce une condamnation publique du Talmud."( C'est moi qui souligne.)

Eloignons-nous maintenant de notre légat neuvicien pour examiner avec Le Goff ce système du sacre que Saint Louis porte à un rayonnement inconnu jusque là. L'ordonnancement qu'il ne cesse sa vie durant de parfaire en prolongeant les lignes de force symboliques héritées des dynasties antérieures ne peut être sans rapport avec la géographie sacrée : toujours est-il qu' avec Saint Louis, comme le déclare l'historien, "la construction de la "religion royale" a presque atteint son sommet."







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21 février 2007 | Lien permanent | Commentaires (2)

Buxus sempervirens

Un mois d'absence... Qu'on veuille bien m'en excuser : le flux souvent tendu de la vie professionnelle et familiale ne laisse pas toujours le temps de sacrifier à nos passions inactuelles... Pour se consoler, on finit par se dire que cela peut bien attendre. Que cela a attendu parfois deux millénaires pour être remis en lumière. Qu'est-ce que quelques jours de plus à demeurer dans l'ombre ? Bon, je m'y remets tout de même, sans que je puisse promettre qu'il n'y aura pas d'autre interruption d'importance. Ce sera toujours ça de pris sur l'obscur...


A la vérité, j'avais bien encore deux ou trois petites choses à signaler sur les environs du Diou de l'Allier: cette abbaye de Sept-Fons qui rappelait si furieusement la Céphons levrousaine, ce Puy saint-Ambroise de haute présence celtique qui évoquait si fortement lui aussi notre Saint-Ambroix berrichon... Mais gardons cela pour une visite ultérieure ; assez dérivé en terre bourbonnaise, revenons à la figure essentielle, à savoir ce carré barlong défini par le  parallèle de Saint-Genou - Saint-Ambroix, les méridiens de ces deux localités et le parallèle de Bazelat, en Creuse.
L'examen des diagonales de ce carré va nous livrer une clé d'interprétation fondamentale.

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A première vue, cependant, rien de sensationnel ne se laisse voir : bien sûr, la diagonale NO-SE rase Saint-Denis de Jouhet et Neuvy Saint-Sépulchre, mais cela n'est pas suffisant pour emporter notre conviction. Le centre du carré ne tombe même pas sur un site habité. Le bourg le plus proche est Buxières-d'Aillac, dont je n'ai jamais encore parlé ici, bourg sans éclat particulier. J'étais donc dubitatif jusqu'à ce que je m'avise que l'autre diagonale, NE-SO, traversait très exactement le village de Bouesse (cher à mon coeur car ma grand-mère habite encore la commune et que, soit dit en passant, j'y fus baptisé). Or, quel est donc le point commun, étymologiquement parlant, entre ces deux villages distants seulement d'une poignée de kilomètres ?

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Réponse : le buis. Buxières d'Aillac est attesté en 1163 comme Ecclesia de Buxeriis, tandis que Bouesse, en ce même XIIème siècle, apparaît comme Villa de Boesses, que Stéphane Gendron interprète comme Buxea (terra), "(terre)à buis".
"Buis, explique-t-il,  est issu du latin buxus, arbuste d'un vert foncé luisant qui fournit un bois à sculpter très dur, orne les jardins, les cimetières. (...) Le buis est également le bois sacré des crois dites "buissières" (par exemple la croix Boissi). Une croix boissière est attestée en 1558 près de l'abbaye de Fontgombault : "le préau auquel est le cimetière de La Croix Boicière joignant le fossé de l'abbaye" (ANDRIEU 1699 [1558]). On remarquera que de nombreux toponymes sont associés à des vestiges gallo-romains (...)"(Les Noms de Lieux de l'Indre, p. 161)
Pierre Goudot, dans son bel ouvrage Microtoponymie rurale et Histoire locale dans une frange entre occitan et français : la Combraille (eh oui, c'est le titre exact), publié en 2004 (Cercle d'Archéologie de Montluçon), confirme cette association : "Dans la mythologie grecque, le buis toujours vert (buxus sempervirens) était consacré à Cybèle ; dans le monde chrétien il est devenu le symbole de la résurrection du Christ et de la renaissance de la vie ; rares étaient les habitations qui n'en possédaient pas un pied ; quelques villages lui doivent leur nom et le buis peut être révélateur de sites habités disparus, notamment gallo-romains tardifs." (p. 159)

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Le Buis, qui peut vivre jusqu'à six cents ans,  était un symbole d'immortalité. Il semble justifié de le retrouver au coeur d'une figure sacrée de vaste dimension, dont on a vu qu'elle épousait les formes mêmes de la divinité. Maintenant s'agit-il d'une coïncidence isolée ou bien pouvons-nous repérer d'autres occurrences du buis dans cette topographie du carré de Saint-Genou ?


Il suffit de parcourir le parallèle de Bazelat, déterminé bien avant d'avoir décelé ce thème du buis : il est jalonné très exactement par deux lieux-dits La Bussière.
Et la diagonale de Bouesse passe aussi par le hameau de Buxerolle, près d'Ardentes, De Buxerolis en 1422.
Si la médiane horizontale du carré ne nous livre aucun indice, en revanche la médiane verticale est balisée, au nord,  par le Buxerioux (qui désigne maintenant la zone industrielle de Châteauroux) et, au sud, par le hameau du Buis, près de Lourdoueix Saint-Michel.
On nous objectera que Buis et ses dérivés sont termes fréquents dans l'Indre (43 mentions au total, incluant pièces de champ, et bois). Il reste que la présence double au centre de la figure et  sa récurrence sur les axes principaux ne me paraissent  pas fortuites.
Je n'y avais pas songé auparavant, en me relançant dans l'entreprise, mais il ne me déplaît pas d'écrire cette note à quelques jours de la fête des Rameaux, marquée par la tradition du buis béni.

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14 mars 2008 | Lien permanent | Commentaires (6)

La paix du feu, qui est l'huile

"N'en déplaise à Paris, Issoudun est une des plus vieilles villes de France."

(H. de Balzac)

Reprenons notre marche en avant, notre circumambulation zodiacale, en abordant les terres de Sagittaire. Longue fut la station précédente en Scorpion, mais, de l'examen de la géographie sacrée biturige à la tentative d'investigation dans l'univers de l'alchimie, les questionnements étaient nombreux et les pistes de recherche foisonnantes. C'est d'ailleurs avec un sentiment d'inachevé que je quitte ce signe, la matière historique et mythologique qu'il convoque s'est révélée considérable, et appréhender plus de quinze cents ans de vie berruyère-berrichonne, entre Ambigatus et Jacques Coeur, semble un défi quasi impossible à relever. Le temps manque, et plus que jamais se justifie le titre du site : plus que jamais, j'ai la sensation de n'explorer ici que des fragments de la géographie sacrée de mon pays natal.

Les signes qui vont suivre - sauf surprise, et découverte de nouveaux indices – ne présenteront pas le même volume d'informations, et j'ai bon espoir de terminer ma ronde annuelle, à l'équinoxe de printemps, sur un panorama complet du zodiaque de Neuvy Saint-Sépulchre. La tâche n'en sera pas terminée pour autant, mais il est encore trop tôt pour évoquer ce temps à venir.

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Donc Sagittaire. Où il faut encore parler de Lys Saint-Georges, et des deux souverains, Philippe Auguste et Richard Coeur de Lion, qui lui auraient donné son nom. Nous savons d'autre part qu'ils se disputèrent âprement la puissante place forte d'Issoudun , située également dans ce signe, rivalité dont le témoignage architectural le plus imposant est la Tour Blanche , commencée par Richard et achevée par Philippe. Or l'alignement Lys- Issoudun passe par ce hameau de Saint-Léger déjà évoqué par ailleurs, saint Léger qui est aussi le titulaire de l'église de Lys. Cet axe Lys-Issoudun est véritablement la flèche du centaure archer, que Doumayrou envisage comme « l'archétype de la chevalerie traditionnelle » (op.cit. p. 255), dont nos deux rois étaient vus comme les conducteurs divinement désignés. Aussi bien, Saint Georges est-il ce chevalier qui met à la raison le dragon de Lybie dans la Légende Dorée de Jacques de Voragine.

Le signe est le domicile de Jupiter, aussi y trouvons-nous, établi sur les bords de l'Indre, le château de Villejovet, dont le nom vient du latin jovis, génitif de Jupiter, tandis qu'en aval s'élève Ardentes, qui fait clairement référence au feu du signe.

 


Nous avons déjà vu le rôle central de cette cité au sein de la figure du triangle du Feu s'opposant symétriquement au triangle de l'Eau. J'ajouterai maintenant qu'Ardentes est symétriquement opposé à Aigurande (dont la racine est l'equo celtique, l'aigue, c'est-à-dire l'eau), par rapport à l'axe équinoxial, le parallèle de Neuvy. L'eau et le feu ici se répondent, et entre les deux cités se tisse un échange subtil lisible dans le jeu des blasons : celui d'Ardentes est d'or à trois fasces ondées, de gueules, qui est : de Maillé, tandis que celui d'Aigurande est semé de France à la cotice de gueules. Les ondes rappellent les eaux-mères, vivier inépuisable de Cancer qui, lui, renferme le feu royal incarné par les fleurs de lys d'or. De la même manière, le Cancer du zodiaque toulousain enveloppe le pays de Foix, du feu : « cette eau singulière, détentrice du feu, est, d'après René Guénon (Symboles fondamentaux, p. 155), l'eau substantielle où se développeront les germes fécondés, car ce signe est celui de la gestation. » (G.R. Doumayrou, op. cit. p. 171). D'ailleurs le blason de Foix n'est pas sans offrir quelque similitude, de nombre et de métal, avec celui d'Ardentes, avec ses trois pals de gueules sur champ d'or.

 

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medium_blason-foix.jpgmedium_blason-aigurande.jpgDans cet autre triangle zodiacal qu'est celui de l'élément Feu, le Sagittaire, après le Bélier et le Lion, représente un achèvement. Ecoutons l'astrologue-poète Jean Carteret :

« Il y a trois types de feu : le feu originel qui est le feu invisible comme l'électricité, il y a l'accident du feu qui est la flamme, et il y a la paix du feu qui est l'huile – d'où le sacre des Rois de France. » (Des dialogues et du verbe, L'Originel, 1978, p. 63).

Le berceau de la puissance royale, la bien-nommée Ile-de-France, est placée, par une malicieuse coïncidence de l'histoire, à l'intérieur de cette zone Sagittaire. L'huile sainte versée par les prêtres sur le corps du roi le remplissait, croyait-on, de la force du Seigneur. « Un tel cérémonial, explique Georges Duby, introduisait ainsi le souverain dans l'Eglise, l'établissant parmi les évêques que l'on sacrait comme lui. Rex et sacerdos, il recevait l'anneau et le bâton, les insignes d'une mission pastorale. Par les chants de louange que l'on psalmodiait dans les solennités du couronnement, L'Eglise installait sa personne au sein des hiérarchies surnaturelles. Elle précisait sa fonction qui n'était plus simplement de combat, mais aussi de paix et de justice. » (Le Moyen Age, Skira, 1984, p. 15). Ceci correspond bien à la mission du feu sagittarien qui, au terme du troisième quadrant du zodiaque, selon un autre astrologue, André Barbault (Sagittaire, Seuil, 1958), « est au service d'une expérience « transindividuelle » ; son essence purifiée est destinée aux transports spirituels : il est feu purificateur, feu de l'illumination, feu sacré, analogue à la flamme qui s'élève, à la flèche qui relie la nature à la transcendance. »

Par exemple, Helgaud de Saint-Benoît-sur-Loire, qui écrivit la vie du roi Robert de France, parle de lui comme d'un homme de Dieu : « Il avait tant de goût pour l'Ecriture que pas un jour ne se passait sans qu'il lût les Psaumes et adressât à Dieu très haut les prières du saint David. » « Ainsi, dit-il par ailleurs, le roi doit être mis à part de la foule des laïcs car, imprégné de l'huile sainte, il participe au ministère sacerdotal. »

Observons tout de même, avec Georges Duby encore, que ce roi perd toute autorité dès que l'âge ou l'infirmité l'empêche de monter à cheval. Comme si le pouvoir royal ne pouvait se maintenir sans puiser aux sources de la puissance instinctive représentée par le noble animal. Centaure déchu, le roi passe la main.

 

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Richard Coeur de Lion

Issoudun, convoitée par les deux rois de France et d'Angleterre, fut rattachée à la France en 1200, en étant comprise dans la dot de Blanche de Castille. Ville royale, elle accueillit fréquemment Charles VII et Louis XI, au logis du Roi, actuel Hôtel de Ville. Louis, reconnaissant la loyauté de ses habitants, affranchit les sept foires annuelles en leur accordant les mêmes privilèges qu'à celles de Bourges, la rivale. Cette fidélité d'Issoudun à la monarchie lui valut encore, en 1598, d'être exempté par Henri IV de toute imposition. Le blason de la ville porte lui aussi l'empreinte royale de par ce champ d'azur au pairle d'or accompagné de trois fleurs de lys mal ordonnées du même.

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Maintenant, si nous quittons Issoudun par le quartier Saint-Denis, nous ne tarderons pas à traverser le Bois du Roi. Et la route empruntée nous conduira alors à Vatan, qui balise la méridienne de Neuvy, autrement dit son axe solsticial. Cette itinéraire est à lire symboliquement comme la visée mystique de la flèche sagittarienne atteignant la conscience de Capricorne, dont nous abordons là les terres.

 

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La Théols à Issoudun, au pont Saint-Paterne

 

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16 février 2006 | Lien permanent

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